La Société Française d’Ecologie et d’Evolution (SFE2) vous propose ce regard de Michel Duru, chercheur à l’INRA, sur la diversité des relations entre agriculture, biodiversité et santé.

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Agriculture, environnement et alimentation :
la santé comme dénominateur commun

par Michel Duru

Chercheur à l’INRA, UMR 1248 AGIR, Université Toulouse, INPT, 31326 Castanet Tolosan, France

Article édité et mis en ligne par Anne Teyssèdre

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Mots clés : Agriculture, élevage, animaux, bien-être, santé, biodiversité, écosystèmes, sol,
cycles biogéochimiques, services écosystémiques.
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Résumé
Les crises environnementale et sanitaire ont mis en avant le rôle majeur de l’activité humaine sur les écosystèmes. Cette entrée dans l’ère de l’anthropocène suppose de définir un nouveau cadre d’action dans lequel les interdépendances entre agriculture, environnement et alimentation soient mieux reconnues. Pour cela, nous mobilisons le concept de santé qui permet de fédérer un ensemble de domaines disciplinaires s’intéressant aux écosystèmes à différentes échelles, en y incluant les animaux d’élevage et les hommes. Nous soulignons que la santé des organismes composant les écosystèmes, et celle des écosystèmes eux-mêmes, reposent fondamentalement sur la biodiversité qui fournit une diversité de ‘services écosystémiques’ aux sociétés. Elles dépendent aussi des échanges commerciaux aux échelles locale et planétaire. De même, les conditions d’élevage et nos modes de vie participent au bien-être des animaux et des humains. Nous concluons sur la nécessité de relier ces différents domaines de santé pour promouvoir une alimentation saine et durable.

Des pratiques agricoles et alimentaires à l’encontre d’une alimentation saine et durable

Les évolutions des modes de vie et de la démographie mondiale depuis 200 ans ont conduit à dépasser la capacité de régulation de la nature et de la planète (voir par exemple le regard n°71 sur le modèle IPAT et l’empreinte écologique), se traduisant par trois changements majeurs : la perturbation de cycles biogéochimiques comme ceux de l’azote et du phosphore, le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité. Ces transformations sont liées à l’activité humaine et tout particulièrement aux impacts de nos systèmes alimentaires (Steffen et al 2015). Parallèlement, si la sous-nutrition s’est réduite, il reste encore 800 millions de personnes souffrant de la faim, le nombre de personnes en surpoids et obèses atteint aujourd’hui 2 milliards. Cette nouvelle « épidémie » est souvent associée à d’autres maladies chroniques en fort développement (diabète, cholestérol, cancers….) (Fardet et Boierie 2013).

En agriculture, la spécialisation massive des exploitations agricoles et des régions en faveur de quelques cultures majeures (Meynard et al 2013) a été sous-tendue par une augmentation massive de l’usage des intrants de synthèse (engrais minéraux, pesticides). Ces évolutions ont permis d’accroître les rendements, mais ont généré des externalités négatives : réduction de la biodiversité cultivée, importants impacts directs et indirects sur la biodiversité naturelle, pollutions… (Weiner 2017, et voir les regards n°74 et n°79). En parallèle, l’augmentation massive des échanges entre continents et régions spécialisées pour les intrants agricoles (semences, tourteaux de soja) et humaine (matières premières agricoles et produits alimentaires) ont uniformisé les régimes alimentaires (Khoury et al 2014) et distancié le consommateur de la nature (Gordon et al 2017).

Ces changements traduisent une évolution profonde des systèmes alimentaires (production, transformation et distribution, alimentation) qui sont de plus en plus basés sur un paradigme d’industrialisation de l’agriculture et de l’alimentation. L’objectif a été de produire de grandes quantités d’aliments standardisés favorisant la baisse des prix alimentaires, la practicité et la sécurité sanitaire (Heasman et Lang 2015), mais dont aujourd’hui la qualité nutritionnelle et ses impacts sur la santé humaine sont remis en question (Fardet et Boierie 2013).

Une transformation profonde des systèmes alimentaires dominants vers des systèmes alternatifs pour une alimentation saine et durable est nécessaire (Ingram 2015, et voir le regard n°68). Mais la situation est complexe du fait de chaînes de valeur* hautement mondialisées qui conditionnent les transferts de nutriments et de polluants, ainsi que de carbone, d’énergie et d’eau, et ce dans un contexte où les relations entre les systèmes alimentaires ruraux, périurbains et urbains évoluent rapidement. Une telle transition nécessite donc des innovations couplées entre plusieurs composantes des systèmes alimentaires pour parvenir à une alimentation de bonne qualité (pour la santé) et durable (consommation parcimonieuse et minimisation de la pollution des ressources non renouvelables) (fig 1) (Macfadayen et al 2015 ; Meynard et al 2016).

Cependant, la tendance des politiques publiques est de traiter les problèmes le plus souvent par enjeu (eau, pesticides, nitrates pour l’environnement ; protéines, matières grasses, bio-fortifiants pour l’alimentation et la santé), par technologie (méthanisation, agriculture de précision) ou par produit-service (les circuits courts, le bio). Les limites de ces approches sectorielles pour traiter des phénomènes interdépendants sont maintenant bien connues : une solution isolée dans un domaine peut dégrader la situation dans un autre. Il est donc nécessaire de définir une nouvelle approche plus intégrée.

Figure 1 : Représentation des interdépendances au sein d’un système alimentaire et impacts sur la santé humaine

Une alternative est de considérer une métrique commune entre domaines. Par exemple, pour le « bio » on peut parler à la fois d’agriculture biologique et de régime alimentaire à base de produits bio. Néanmoins cette métrique fondée sur le non usage de produits de synthèse reste inappropriée car les modes de production bio ne sont pas tous favorables à la préservation de l’environnement, et « produits bio » n’est pas systématiquement synonyme de produits de qualité (ex. des produits ultra-transformés, Fardet et Rock 2014).

Aussi, pour dépasser les limites de cette approche, plusieurs initiatives proposent le concept de santé (e.g. Vieweger et Döring, 2014). Celui-ci peut s’appliquer à tous les organismes vivants (hommes, animaux, plantes, microorganismes), quelle que soit l’échelle d’analyse, et permet de prendre en compte les composantes biotiques et abiotiques (contaminants) des écosystèmes (Figure 2). Mais il peut aussi être mobilisé pour qualifier l’état de fonctionnement de systèmes vivants plus complexes tels que les écosystèmes, du niveau du sol jusqu’à celui de la planète (Whitmee et al., 2015). Avec cette approche intégrative, la santé peut offrir une métrique commune et une force motrice pour faciliter des transformations des systèmes alimentaires. Même si la caractérisation et la mesure de l’état de santé restent en partie subjectives ou partiales (par exemple, les limites des études épidémiologiques), nous pensons que ce concept est fédérateur pour favoriser la communication entre domaines disciplinaires et construire un consensus dans l’analyse des interdépendances entre les écosystèmes et le bien être des hommes.

Nous définissons ci-dessous la santé, tout d’abord pour les habitats et écosystèmes (de l’échelle de la parcelle agricole à celle de la planète), puis pour les organismes et populations (plantes, animaux, hommes).

Figure 2 : La santé, un concept mixte fédérateur pour aborder les relations entre agriculture, environnement et alimentation

 

Le concept de santé dans les domaines du vivant et de l’environnement

Santé des écosystèmes et habitats

1. Sols
Le sol est un milieu support d’une grande diversité d’habitats et d’organismes (voir par exemple les regards n°28 et 70). Il agit comme un accumulateur, un transformateur et un milieu de transfert pour les cycles biogéochimiques : l’eau, le carbone, les sels minéraux, les métaux.

La santé d’un sol est définie comme « sa capacité à fonctionner comme un système vivant clef pour soutenir la productivité biologique, promouvoir la qualité de l’environnement et maintenir la santé des plantes et des animaux » (Doran et Zeiss 2000). Les processus physiques et chimiques qui contribuent à la santé du sol sont fortement liés aux activités des organismes du sol ainsi qu’à la structure et la fonction des racines, fournissant des services écosystémiques* (Abbott et Manning 2015, et voir le regard n°4) (fig 3).

Les pratiques de gestion qui favorisent la santé des sols sont par exemple la rotation des cultures (Dias et al 2014), les cultures de couverture et les engrais verts (Vukicevich et al 2016), la réduction voire la suppression des perturbations mécaniques et chimiques (par exemple, non travail du sol). Ces pratiques ont généralement des effets positifs sur la régulation des maladies transmises par le sol au travers de mécanismes comme l’augmentation de la diversité et de l’activité des communautés microbiennes du sol (Nielsen et al 2015).La biodiversité des sols a également une influence sur les bilans globaux de gaz à effet de serre. Selon leur gestion, ils peuvent contribuer à réduire (stockage du carbone) ou amplifier (émission de N2O) le changement climatique (Paustian et al 2016). La biodiversité du sol permet de réguler la qualité de l’eau, la rétention et la disponibilité des nutriments et sa structure et stabilité structurale (Lehman et al 2015 ; Adhikari et Hartemink 2016). La santé des sols peut impacter la santé des animaux, via, par exemple, le transfert de pathogènes ou la qualité des aliments (Keith et al 2016).

Dans la même logique, la santé des sols a un effet clef sur la santé humaine. Là encore, il est question du rôle des sols dans la régulation des organismes pathogènes, de la qualité de l’eau, de l’air… (Wall et al 2016). Via les effets des sols sur la qualité des aliments, leur santé peut impacter toute la chaine alimentaire (Rilling et al 2017). Le sol avec les végétations qu’il supporte affecte donc tous les compartiments du vivant; certaines variables évoluant lentement ou non en fonction du changement des pratiques ou des conditions de milieu ; affectant ainsi différemment les services écosystémiques rendus à l’agriculture et à la société (Birgé et al 2016).

Figure 3 : Représentation simplifiée des relations entre les principales composantes de la biodiversité déterminant le niveau de fourniture des services écosystémiques (SE) à l’agriculteur (« services intrants ») et à la société, ainsi que leurs relations aux quatre principaux types de pratiques agricoles (en orange) permettant d’agir sur les composantes de l’écosystème (INRA 2017).

 

2. Paysages
L’environnement à l’échelle du paysage englobe et imprègne toutes les sphères d’influence de la santé, via nombre de services écosystémiques (Coutts et Hahn 2015). Il existe aussi un lien fort entre la structure du paysage et la santé des écosystèmes qui le compose via son impact sur les flux abiotiques (ex. : pesticides et engrais dans les sols) et biotiques (ex. parasites, maladies émergentes). La santé des écosystèmes dépend de leur intégrité, notamment de leur capacité à fournir des services écosystémiques comme les régulations biologiques, l’épuration de l’eau (Lu et al 2015).

Un écosystème est considéré en bonne santé si sa capacité d’auto-organisation lui permet de restaurer son fonctionnement après une perturbation. Un paysage sain sera multifonctionnel en termes écologiques, voire culturels (Weyland et Laterra 2014). L’autonomie en ressource à cette échelle (ou au niveau des systèmes de production) participe à la fermeture des cycles biogéochimiques (Dendoncker et al. 2018). Le degré de fragmentation du paysage est un indicateur du niveau de services écosystémiques fournis (Mitchell et al 2015). L’optimum dépend beaucoup du type de service considéré. Si le plus souvent un niveau de fragmentation élevé réduit le nombre de services fournis, une mosaïque paysagère ad hoc favorise les régulations biologiques et permet de réduire l’utilisation des pesticides (Birsh et al. 2011).

3. Grandes régions et planète
La santé de la biosphère à l’échelle de la planète ou de grandes régions correspondant aux biomes, fait référence à l’état de dégradation de la biosphère : euthrophisation*, état des ressources non renouvelables (ex. phosphore), changement climatique (Gray 2015), biodiversité (Tilman et al 2017). C’est donc avant tout une échelle d’analyse de l’état de l’environnement. Le calcul de l’empreinte écologique permet d’estimer l’épuisement des ressources en lien avec nos modes de vie (Collins et al 2018). Les échanges internationaux, en particulier ceux liés à l’alimentation du bétail, sont à l’origine d’une grande partie des entrées massives d’azote et de phosphore sur de petits territoires à l’origine de fuites importantes vers l’atmosphère et l’hydrosphère (Wang et al 2017), sauf à mettre au point des systèmes de recyclages couteux. La spécialisation des régions conduit à des échanges massifs qui contribuent à des pertes d’azote et de phosphore dans l’environnement, contrairement à la diversification au niveau des paysages qui contribuent à boucler les cycles biogéochimiques (Gordon et al 2017).

Santé des organismes et des populations

1. Points communs
La santé des plantes, des animaux et des hommes est souvent décrite de manière inverse, à savoir au travers de l’intensité de maladies (Döring et al 2014). La santé des plantes peut être définie par leur capacité à fonctionner dans la limite des ressources disponibles, mais également considérant les agressions biotiques auxquelles elles doivent faire face, avec ou sans intervention humaine suivant les approches. Traitée par un fongicide, une plante sera considérée comme saine d’un point de vue fonctionnaliste à court terme, même si l’absence de symptômes de la maladie est le résultat du traitement fongicide. Dans une optique à plus long terme, en revanche, on considèrera aussi sa résilience, c’est-à-dire sa capacité à maintenir ou rétablir son fonctionnement face aux stress, sans intervention humaine (Döring et al 2015).La santé animale ou humaine est souvent décrite comme la possibilité de faire face aux perturbations de l’environnement afin d’éviter la douleur et la souffrance (Bertoni et al 2016).

On peut distinguer trois composantes de la santé : sanitaire, environnementale et nutritionnelle.L’alimentation peut influer sur la santé en affectant directement la capacité de nuisance des agents pathogènes infectieux, en modifiant négativement l’environnement dans lequel ils résident et en améliorant la résistance de l’hôte aux agents pathogènes. Il est montré qu’une variété de composés nutritionnels fournis par une alimentation diversifiée tels que les macro- et micronutriments et les métabolites végétaux secondaires ont des effets sur l’inflammation. Une bonne nutrition, basée sur une consommation raisonnée d’aliments peu transformés, riches en fibres, acides gras et aminés essentiels, et vitamines, permet d’éviter les dommages aux tissus ou des troubles métaboliques associés à des carences et des excès de nutriments, cause majeure de réduction du bien-être (animal et) humain (Simopoulos 2013).

Les régimes alimentaires, via leur effet sur les systèmes de production, de transformation et de distribution, ont aussi un effet sur l’environnement (notamment sur les émissions de gaz à effet de serre), tout particulièrement en fonction de la part des protéines animales consommées par l’homme (Tilman et al 2017, et voir les regards n°68 et 79). Bien que ce soit moins intuitif que pour les maladies infectieuses, les changements globaux ont aussi un effet sur les maladies non transmissibles, par exemple au travers de l’uniformisation des régimes alimentaires.

2. Plantes
Les plantes sont attaquées par des agents pathogènes qui causent une myriade de symptômes pouvant conduire à une baisse des rendements et de qualité des produits.Les recherches sur la tolérance des plantes aux stress abiotiques et biotiques (maladies, ravageurs) visent à renforcer leur capacité à maintenir leur intégrité dans des conditions environnementales défavorables sur la base de la synthèse de composés secondaires d’auto-défense au niveau des racines ou de l’appareil aérien et de signaux inter-plantes (Doornbos et al 2012). La capacité d’une plante cultivée à résister ou tolérer les insectes nuisibles et les maladies est aussi liée aux propriétés biologiques, physiques et chimiques des sols (Andreote et Pereira 2017).

Ainsi, comme l’accroissement de la disponibilité en azote réduit les métabolites secondaires, la fertilisation peut augmenter la vulnérabilité des plantes aux insectes nuisibles (Altieri et Nicholls 2003). Les cultures dans des sols riches en matières organiques avec une forte vie biologique présentent généralement une faible abondance de plusieurs insectes herbivores, en raison d’une teneur en azote soluble inférieure à celle observée en agriculture intensivement fertilisée.Plus généralement, les associations de plantes, via des phénomènes de complémentarité, de barrières, de dilutions, etc., favorisent une meilleure santé des plantes cultivées (Ren et al 2014). Les leviers qui permettent de réduire les pesticides sont pour partie communs avec ceux permettant de réduire les engrais de synthèse.

3. Animaux en élevage
Le biocontrôle basé sur le développement de conditions d’élevage favorables à la santé animale, bien que peu utilisé, constitue une alternative thérapeutique à l’utilisation de médicaments, y compris les antibiotiques (Ducrot 2017). Ainsi, pour les élevages extensifs, basés sur l’utilisation de parcours et prairies, il a été montré l’intérêt de l’utilisation de différents types de végétation (Gregorini et al 2017). Les plantes peuvent fournir aux herbivores un éventail de composés naturels susceptibles d’améliorer leur santé et bien-être.

Par exemple, les composés secondaires peuvent avoir des effets bénéfiques sur la nutrition et la santé animale. De mauvaises conditions d’élevage comme des surfaces au sol trop faibles ou la conduite sur caillebottis diminuaient la résistance des animaux au stress oxydant. Le stress oxydant généré par des situations de stress d’origine physiologique, environnemental ou nutritionnel peut aussi avoir des conséquences sur la santé des animaux et la qualité des produits. Par ailleurs, il existe de fortes corrélations entre différentes maladies métaboliques ou différentes pathologies de type infectieux ou inflammatoire et un déficit en antioxydants (Durand et al 2013). Le développement de la prévention pour aider les animaux à résister à la maladie serait à long terme une stratégie plus économique, écologique et socialement efficace que le traitement des maladies (Provenza et Villalba 2010).

4. Hommes
En 1948, l’OMS a défini la santé humaine comme « un état de bien-être physique, mental et social, et pas simplement comme l’absence de maladies ou d’infirmités ». La biodiversité, au-delà de son rôle pour offrir une alimentation diversifiée, participe aux avantages physiologiques, psychologiques, mais aussi à la réduction des maladies inflammatoires et à la régulation de la transmission et de la prévalence de plusieurs maladies infectieuses (Sandifer et al 2015). Ainsi, la pollution des écosystèmes à l’échelle planétaire est peut-être la plus grande menace en ce qui concerne les maladies non transmissibles, chez les humains. Selon la Commission Lancet sur la pollution, le nombre de décès supplémentaires dus à la pollution mondiale de l’air, de l’eau et des terres en 2015 a été estimé à 9 millions (Myers 2017.

Une alimentation déficiente en omega-3 et en anti-oxydants, joints à des contaminants auxquels nous sommes exposés par la nourriture, l’eau et l’air, est à l’origine de nombreuses maladies chroniques (Hoffman et Hennig 2017).Les deux principales voies de développement de ces maladies sont les inflammations et le stress oxydant. Ce dernier correspond à un déséquilibre entre les systèmes oxydants et antioxydants des cellules et des tissus qui entraîne la surproduction des radicaux libres oxydatifs et des espèces réactives d’oxygène (ROS) (Pizzino et al 2017). Les ROS attaquent alors les protéines cellulaires, les lipides et les acides nucléiques et conduisent ainsi à une diminution du contrôle de l’inflammation (Rami et al 2016). Les polluants comme les pesticides (Mostafalou et Abdollahi 2013) favorisent un excès de ROS.

A contrario, les aliments riches en polyphenols peuvent contrecarrer les effets néfastes d’un excès de ROS (Gessner et al 2017). Les omega-3 ont quant à eux un effet anti-inflammatoire. Ces caractéristiques sont dépendantes des façons de produire en agriculture (Duru et al 2017), mais aussi de la part de produits ultra transformés riches en sucres et en graisses, pauvres en micronutriments et contenant souvent des additifs qui impactent négativement notre santé (Fardet et Rock 2014 ; Agus et al 2016). Nombre de ces effets passe par un changement de la composition du microbiote intestinal (Sommer et al 2017).

Pour une analyse trans-domaines de la santé

Nous avons montré qu’en complément d’une approche classique basée sur l’analyse des flux de matière tout au long du système alimentaire (agriculture, collecte, transformation et distribution des produits, alimentation), l’approche par la santé permet de structurer les relations entre la santé des différents écosystèmes pour promouvoir une alimentation saine et durable. Elle souligne que la santé des écosystèmes dépend de leur résilience et/ou de leur intégrité. Trois grands principes, que nous nous proposons de détailler dans un prochain ‘regard’, y contribuent : i) la biodiversité, pour la fourniture de services écosystémiques par les écosystèmes agricoles à l’agriculture et à la société, ii) les échanges de matière, qui contribuent au bouclage des cycles biogéochimiques, iii) l’alimentation des animaux et des hommes, et leur environnement.

 

Perdrix rouge dans un pré   © Frédéric Jiguet

 


Glossaire

Chaîne de valeur : : dans le domaine des systèmes alimentaires, une chaîne de valeur est composée de toutes les parties prenantes qui contribuent aux activités cordonnées de production et d’ajout de valeur requises pour la production de denrées alimentaires. (www.fao.org/3/a-i7605f.pdf )

Eutrophisation : processus par lequel des nutriments s’accumulent dans un milieu ou un habitat, créant un déséquilibre généralement provoqué par l’augmentation de la concentration locale de nitrates ou de phosphates.

Services écosystémiques : processus écologiques ou éléments de la structure des écosystèmes bénéfiques aux humains. (Ou, selon le MEA (2005), bénéfices tirés du fonctionnement des écosystèmes par les humains.)


 

Remerciements

Je remercie Marie-Benoît Magrini, Olivier Therond et Anne Teyssèdre pour leurs critiques constructives de versions préliminaires de cet article.

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Article édité et mis en ligne par Anne Teyssèdre.

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