La Société Française d’Ecologie et d’Evolution (SFE2) vous propose ce regard de Serge Morand, Directeur d Recherche au CNRS, sur l’écologie de la santé face à la fréquence croissante des épidémies.

MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions sur les forums de discussion qui suivent les articles; les auteurs vous répondront.

———-

Enjeux et défis socio-écologiques face à la récurrence
des épidémies et pandémies actuelles

par Serge Morand,

Directeur de Recherche au CNRS et chercheur associé au CIRAD
Article édité par Anne Teyssèdre

——-
Mots clés : Social-écologie de la santé, écologie scientifique, santé publique, Covid-19, Nipah virus, mondialisation, pandémies, approche ‘One Health’, hubs, échelles d’action, décloisonnement

——–

——

Introduction : la centralité socio-écologique

L’émergence du sars-cov2, issu d’un virus de chauves-souris ayant recombiné chez un hôte intermédiaire (potentiellement un pangolin), a conduit à une pandémie d’une nouvelle maladie infectieuse, le Covid-19. Le lien entre un virus, une chauve-souris, un hôte intermédiaire et la crise sanitaire exceptionnelle résultant de son émergence et de sa transmission à l’ensemble de la population humaine mondiale interpelle pratiquement tous les domaines de la recherche scientifique. Circonscrire le domaine particulier de l’écologie de la transmission de maladies infectieuses nécessite de séparer trois niveaux d’analyse : le biologique, l’épidémiologique et le politique.

L’origine d’un agent infectieux et de son réservoir relève du premier niveau. Dans le cas du sars-cov2, il s’agit d’un virus à ARN, classé dans le genre des Beta-coronavirus par les virologues. Pour le réservoir animal, il s’agit probablement d’une espèce de chauves-souris insectivore et potentiellement du pangolin, comme hôte mammifère intermédiaire. Les recherches menées à ce niveau d’analyse vont de la virologie, à l’immunologie en passant par l’infectiologie. Elles nous renseignent sur la diversité des virus et sur leurs capacités infectieuses, évolutives et adaptatives ainsi que sur les mécanismes des réponses cellulaires et immunitaires à l’infection et au changement d’hôtes.

Fig1 : Coronavirus Sars-Cov2, photographié au microscope électronique. (Source : Alissa Eckert, Center for Desease Control and Prevention, CDC).

Le deuxième niveau d’analyse, épidémiologique, s’intéresse au mode de transmission de l’agent infectieux entre animaux, entre animaux et humains, ou uniquement entre humains. Dans le cas du sars-cov2, il s’agit de comprendre et décrire la transmission d’un nouvel agent infectieux en partant de ses changements évolutifs et adaptatifs résultant du passage entre un hôte réservoir et un hôte intermédiaire, puis vers un ou plusieurs humains dans un environnement particulier, de ceux-ci à d’autres humains pour donner un premier cluster de transmission, pour conduire à une transmission à l’ensemble des populations humaines de la planète. Cette transmission s’inscrit dans un contexte écologique et social qui peut être celui de la crise de la biodiversité, du trafic d’animaux sauvages et de leur mise en élevage, d’une augmentation de l’urbanisation et des désirs de consommation de faune sauvage par une classe aisée, et enfin de la mondialisation des échanges et du tourisme.

Le troisième niveau, politique, concerne la ‘gestion’ de la crise sanitaire. Celle-ci est révélatrice de la perception d’une épidémie par le corps social, par les acteurs de la santé et par les décideurs politiques. Une épidémie peut être bien réelle par le nombre de personnes infectées, voire par son impact sur la mortalité ou la morbidité humaine, tout en étant totalement invisible du public, voire même des acteurs de la santé (Goarant et al., 2019). Mais, ayant acquis le statut de crise sanitaire, l’épidémie engendre une réponse (bio)politique. Celle-ci peut s’accompagner de mise en place de mesures de quarantaine, de confinement, de limitation des déplacements, de traçabilité des personnes, de développement de tests de dépistage et de traitements. La mise en place de ces mesures n’est pas sans conséquence sur les gestions de sortie de crise, d’apprentissage des leçons de la crise, et de préparation à l’éventualité de prochaines crises.

Les trois niveaux ne sont pas indépendants mais entretiennent des interactions nourries. Une écologie de l’émergence et des pandémies, occupe une position centrale entre les recherches sur les dynamiques évolutives et adaptatives des hôtes et des agents pathogènes (le biologique) et les recherches sur les dynamiques socio-politiques des crises sanitaires et de leurs conséquences (le biopolitique). La social-écologie de la santé a pour ambition précisément d’inscrire l’écologie évolutive des agents infectieux dans les dynamiques socio-écologiques et politiques.

A cette position centrale s’ajoute la notion d’échelle entre le local et le global. S’agissant du local, il s’agit de répondre à la question de l’origine et du mécanisme de démarrage d’un cluster de transmission en lien aux conditions environnementales, écologiques et sociales. Le global lui doit analyser les mécanismes explicatifs de la propagation dans l’espace d’un petit cluster localisé de transmission, et pour le cas du sars-cov2 d’une transmission à l’ensemble de la planète.

L’origine locale des épidémies : un problème de social-écologie

Il est encore trop tôt pour avoir une claire image de l’émergence du sars-cov2 et de ses premières transmissions inter-humaines, ou pour expliquer pourquoi la ville de Wuhan a été le centre de démarrage de la pandémie. L’émergence du sars-cov en 2002 est également loin d’être parfaitement connue. Il nous faut donc aller rechercher des exemples mieux renseignés, comme celui de l’émergence du virus Nipah.

En septembre 1998, une épidémie se déclare dans des élevages porcins en Malaisie péninsulaire. De nombreux animaux présentent des signes infectieux sévères et, peu après, les éleveurs contractent à leur tour des fièvres hémorragiques. L’épidémie se propage ensuite aux abattoirs de Singapour avec l’importation depuis la Malaisie de porcins infectés. Les enquêtes épidémiologiques démontrent le rôle d’autres espèces de chauves-souris, des roussettes frugivores, comme réservoirs de l’agent infectieux, le virus Nipah. Cette crise sanitaire se solde par le décès de 105 personnes sur 265 personnes infectées par le virus et ayant développé une encéphalite (Chua et al., 2000). Plus d’un million de cochons seront abattus par les autorités sanitaires afin d’enrayer l’épidémie.

Fig 2 : Plantations de palmiers à huile (après déforestation) dans la région de Sarawak, Malaisie. Cliché Ben Sutherland, 2005 (CC BY 2.0)

Reprenons le contexte socio-écologique de l’émergence. En cette année 1998, la grande île de Bornéo souffre de nombreux feux de forêt d’origine anthropique. Les feux d’origine anthropique sont favorisés par une exceptionnelle sécheresse en raison d’un fort El Niño, un évènement de la variabilité climatique qui perturbe le régime normal de la mousson tropicale. A cette époque, l’île de Bornéo est en train de subir une importante déforestation afin de faire place aux plantations commerciales de palmiers à huile. Les feux sont volontairement entretenus pour accroître l’emprise de ces plantations commerciales sur la forêt. Face à la réduction de leurs territoires et en raison des fumées, les roussettes sont parties à la recherche de nouvelles zones d’alimentation et de repos. Elles vont les trouver dans les plantations malaysiennes d’arbres fruitiers couvrant les élevages de porcins à destination du marché singapourien. La conversion des forêts tropicales de Bornéo en plantations de palmiers à huile pour le marché international a permis la mise en contact des chauves-souris avec des porcins, destinés eux aussi au marché international. Les chauves-souris ont transmis leurs virus aux humains, via les cochons, en raison de l’altération de leur habitat originel et de leur nouvelle cohabitation avec des productions agricoles et animales.

La transmission de l’agent infectieux aux autres animaux d’élevage, les cochons, et aux humains, éleveurs et personnels des abattoirs, relève du contexte social-écologique, ici la conversion forestière, l’intensification agronomique, la mondialisation des échanges des ressources vivantes et des produits de l’agriculture intensive.

En raison de la mortalité importante occasionnée par l’infection par le virus tant chez les porcins que chez les humains, et surtout de la faible transmission inter-humaine, les mesures mises en place ont permis d’enrayer l’épidémie qui n’a donc concerné que deux pays, la Malaisie et Singapour.

La pandémie : un problème de mobilité et de modularité

La pandémie peut se définir comme une épidémie qui s’est étendue à l’échelle de la planète.

L’analyse du nombre reporté d’épidémies de maladies infectieuses sur les quatre-vingt dernières années montre leur augmentation constante [cf. Figure 3] (Morand et Walther, 2020). Il y a de plus en plus d’épidémies de maladies infectieuses (voir aussi le Regard n°18). S’ajoute à cette augmentation, un changement important dans la distribution spatiale de ces épidémies. En utilisant un indice (la modularité*, voir le glossaire en fin d’article) obtenu grâce à une analyse de réseau, on peut montrer que les épidémies se mondialisent à partir du début des années 1960. Avant cette date, les épidémies avaient tendance à rester localisées dans un pays où à quelques pays (indice de modularité élevé, cf. Fig.3, graphique du bas). Les pandémies étaient donc rares et survenaient à des occasions particulières de l’Histoire humaine, à l’instar de la ‘grippe espagnole’ qui a décimé en 1918 et 1919 les populations d’Europe occidentale déjà affaiblies par plusieurs années de guerre ‘mondiale’. Après 1960, les épidémies ont tendance à augmenter leur expansion sur un plus grand nombre de pays. Les épidémies deviennent de plus en plus pandémiques.

Figure 3. En haut : augmentation du nombre d’épidémies de maladies infectieuses de 1940 à 2018 (d’après les données de la base Gideo, https://www.gideononline.com). Au milieu : augmentation du trafic aérien de passagers de 1960 à 2017 (données de la Banque Mondiale, https://www.worldbank.org ). En bas : relation entre la modularité* du réseau de partage des épidémies de maladies infectieuses entre pays, estimée pour chaque année de 1970 à 2017, et le trafic aérien de passagers. (Source: Morand et Walther, 2020)

L’intensification du transport aérien de voyageurs ou de fret semble en être l’explication. Ainsi, le nombre total de passagers est passé d’environ 330 millions en 1970 à plus de 4 milliards en 2017, soit une augmentation de 1 200%. Quant au volume total de fret aérien, il est passé d’environ 15 milliards de tonne – km en 1970 à un peu plus de 220 milliards de tonne-km parcourues en 2017, soit une augmentation de 1 300%. La mondialisation des épidémies (diminution de la modularité du partage des épidémies entre pays) est significativement associée à l’augmentation du transport aérien de personnes ou de marchandises. La mondialisation du transport semble bien expliquer la « pandémisation » des épidémies.

L’analyse peut se compléter en identifiant les principaux centres (« hubs ») ou « nœuds » du réseau de partage des épidémies. Les pays ‘hubs’ le sont car ils sont connectés à de nombreux autres pays ou sites nodaux dans ce réseau de partage. Les pays nodaux les plus centraux sont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, l’Allemagne, l’Italie, la France, ainsi que la Chine et l’Inde. Ce sont des pays riches et/ou bien connectés dans la mondialisation. Dès qu’une épidémie touche un de ces pays, elle a toutes les chances de devenir pandémique du fait de la mobilité mondiale accrue des personnes et des biens.

La démographie humaine trouve également toute sa place en tant que facteur favorisant la propagation des maladies infectieuses. Ceci, pas de manière un peu simple en ne prenant en compte que le taux de croissance ou de fécondité humaine, mais en soulignant l’importance d’une transition majeure dans l’histoire de l’humanité. Plus de la moitié de la population mondiale (54% en 2014) vit maintenant dans les villes et les projections donnent une population urbaine totale de plus de 5 milliards d’urbains à l’horizon 2030 (United Nations, 2014). Ces centres urbains anciens et nouveaux sont connectés entre eux par un réseau en pleine expansion d’aéroports et de routes permettant la circulation des personnes, des biens, et des agents infectieux. Cette croissance urbaine favorise les maladies infectieuses vectorielles associées aux moustiques (Pennisi, 2020).

Fig.4 : Vue du Terminal 5 de l’aeroport d’Heathrow, à Londres. (Cliché Citizen 59, CC BY 3.0)

Ce modèle prévisionnel basé sur l’Histoire passée des épidémies trouve sa confirmation avec la dynamique du covid-19, dont l’épidémie a démarré en Chine en novembre ou décembre 2019 puis s’est propagée rapidement en quelques mois dans les pays centraux du réseau historique de partage des épidémies. L’analyse de ce réseau montre en revanche que la plupart des pays africains sont peu centraux dans l’expansion mondiale d’une épidémie. Là encore, l’épidémie de covid-19 confirme les prémisses du modèle, avec une arrivée tardive de l’épidémie sur le continent africain et une expansion plutôt modérée dans les différents pays du continent.

Mieux articuler le global pour aller au local

Depuis 2008, l’approche « One Health » portée par l’accord tripartite OMS (Organisation Mondiale de la Santé) – OIE (Organisation Mondiale de la Santé Animale) – FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture )[1] tente de répondre au défi des maladies zoonotiques et de leurs enjeux pour la santé animale et la santé humaine. Force est de constater qu’il manque un pilier essentiel prenant en charge la dimension environnementale, comme la biodiversité, /contributrice de la santé. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement[2] (PNUE), principale autorité mondiale en matière d’environnement, paraît en mesure d’apporter cette dimension.

D’ores et déjà, le PNUE héberge les secrétariats de nombreuses Conventions environnementales internationales, comme la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), la Convention sur la diversité biologique (CDB) et la Convention sur les espèces migratoires. Par son mandat concernant la gouvernance internationale de l’environnement, il paraît à même d’ancrer l’approche One Health dans les défis d’une planète saine pour tous.

La déclinaison d’une nouvelle approche One Health – Environnement pourrait se faire au travers des agences onusiennes en interaction avec les entités politiques régionales et nationales. La réflexion et les actions portées au niveau local s’inscriraient alors au mieux dans l’architecture de la gouvernance santé et environnement (Lajaunie et al., 2017).

Les limites de l’écologie de la santé

Les travaux en écologie des zoonoses et plus largement ceux menés dans le cadre du concept « One Health » (Destoumieux-Garzón et al., 2018; et voir les regards RO6, RO8 et RO9 de M. Duru et al.) ainsi que les diverses contributions aux politiques de santé, d’environnement et de biodiversité (Lajaunie et al., 2017) conduisent à dresser un bilan contrasté des avancées et des défis de l’écologie de la santé.

L’écologie de la santé est un domaine récent mais pionnier dans l’intégration de méthodes moléculaires (séquençage et phénotypage haut débit), de modélisation (génétique, spatiotemporelle, big data, intelligence artificielle) et de représentation des connaissances. Les « fronts » de science sont nombreux. Les défis sont pour la plupart d’ordre méthodologique et d’allocations de moyens. L’écologie de la santé est en mesure d’apporter une contribution unique dans la compréhension de l’émerge et des épidémies aux interfaces entre animaux, humains et leurs environnements.

Cependant, confrontée à des frontières, l’écologie de la santé nécessite un décloisonnement entre le domaine de l’écologie scientifique et les domaines de la santé publique et vétérinaire et de la gouvernance de la santé publique ( Sheikh et al., 2016). Même si l’écologie de la santé est revendiquée par l’approche « One Health », peu de réalisations impliquent tout à la fois les domaines de la santé et de l’écologie (Antoine-Moussiaux et al., 2019, et voir les regards RO6 à RO9).

Fig.5 : Zone déforestée pour mise en culture, au Mexique. Quelle « santé » pour ce type d’écosystème, pour les populations et espèces locales ? (Voir aussi les Regards RO6, RO7 et RO8)
(Cliché Jami Dwyr, 2005)

L’écologie de la santé fait face à une traduction difficile de ses approches, si ce n’est de ses résultats, vers les acteurs de la santé publique et vétérinaire et les décideurs politiques. Les sciences écologiques peinent à communiquer des notions complexes (en particulier lorsqu’il est fait référence à la «pensée systémique») vers des praticiens qui ont pour objectif de traiter des problèmes proximaux de santé (approche syndromique de la médecine) ou de répondre à des crises sanitaires (Rayner et Land, 2013).

En outre, l’écologie de la santé ne sait pas comment intégrer les attendus de divers groupes (exprimés ou non), qu’il s’agisse : (1) des chercheurs et de leurs « fronts » de science, (2) des acteurs de la santé publique et vétérinaire (et même de la santé des plantes) ayant des approches de surveillance et de gestion des risques sanitaires, (3) des décideurs politiques qui doivent allouer les ressources entre politiques sectorielles et intersectorielles (dont relèverait l’écologie de la santé), et, plus fondamentalement, des communautés (citoyens) concernant leur santé et leur bien-être (Sheikh et al., 2016).

Les communautés et citoyens ne sont que très rarement co-impliquées dans les projets de recherche. Les citoyens sont les sujets ou les cibles d’une étude (on demande seulement le « consentement éclairé » individuel), ce qui ne contribue pas à instaurer la confiance nécessaire à un vrai dialogue science / politique / communautés de citoyens. Lorsque les communautés sont impliquées, et ce sont dans ce cas des communautés de pays en développement concernés par des projets de développement, les administrations et les collectivités nationales / locales ne sont pas ou peu impliqués. Les administrations et les structures gouvernementales ne sont que la cible de « policy brieves » et « policy notes ».

Fig. 6 : Présentation de la Réserve de Biosphère de la Guadeloupe, lors d’une réunion du MAB France. L‘organisation et l’action collective dans les régions densément peuplées peut-elle s’inspirer de l’expérience des Réserves de Biosphère et du Programme Man and Biosphere (MAB) ? (Cliché C. Cibien, légende A. Teyssèdre)

Conclusion : Vers la construction d’une social-écologie de la santé

L’écologie de la santé ne pourra devenir une science majeure, et ses résultats ne pourront être pris en considération dans le débat public, que lorsque ses frontières disciplinaires et sectorielles (ainsi que les clés de décloisonnement entre disciplines, « boundary spanning ») seront identifiées (Sheikh et al., 2016). Cette percée doit se traduire par le développement de projets d’écologie de la santé collaboratifs et co-construits entre scientifiques, communautés locales et administrations locales (nationales), reconnus par une nouvelle gouvernance « One Health » – Environnement, et dont les résultats pourront s’inscrire dans le moyen voire le long terme.

Trois aspects doivent être pris en compte pour faciliter une social-écologie de la santé réellement intersectorielle dans son expertise :

  1. La nécessite de co-partager connaissances et représentations entre scientifiques / administrations / communautés de citoyens. Il s’agit de dépasser la traditionnelle vision d’ « éducation » des citoyens / communautés / praticiens / décideurs pour aller vers une compréhension partagée des connaissances / représentations et valeurs portées par les différents acteurs. L’expertise traditionnelle doit être dépassé pour aller vers une expertise plurielle intégrative des savoirs scientifiques et des formes de connaissances basées sur l’expérience et le vécu des populations, des administrations (que l’on peut dénommer porteurs d’intérêts).
  2. Pour cela, il est indispensable de compléter l’éthique du consentement éclairé individuel, au coeur des pratiques de santé médicale, par une éthique de l’engagement des communautés et des porteurs d’intérêt. En favorisant l’hybridation de savoir pour mieux saisir et répondre aux enjeux de la santé écologique, l’écologie de la santé peut participer du mouvement global de décolonisation du savoir qui touche aussi bien les questions écologiques que celles liées à la santé (Lainé et Morand, 2020).
  3. Enfin, une écologie de la santé qui veut répondre aux questions d’émergence des épidémies doit s’appuyer sur un réseau international d’observatoires en santé et biodiversité.

Glossaire :

Modularité : c’est une mesure de la structure des réseaux ou des graphes et de leurs divisions en groupes, clusters, communautés ou modules. Les réseaux à forte modularité sont caractérisés par des connexions denses entre nœuds d’un même module et par des connexions faibles et rares avec les nœuds des autres modules.

Franchissement de frontière (« boundary spanning ») : Cette notion décrit des pratiques permettant de « franchir les frontières, les marges ou toutes lignes de séparations pour établir des relations, des interconnexions et des interdépendances, afin de gérer des problèmes complexes » (Williams, 2002). Cette notion a trouvé toute sa pertinence pour penser la Santé Mondiale (« Global Health »). Ainsi, les limites de la santé mondiale nécessitent un état d’esprit pour l’apprentissage : pour tirer des leçons générales ou mondiales des particularités du local ; pour appliquer efficacement les orientations mondiales aux pratiques locales et évaluer leur pertinence ; pour apprendre de contextes différents et comparables (Sheikh K et al. 2016).

Remerciements

Anne Teyssèdre et Sébastien Barot, pour leurs lectures attentives, remarques et conseils.
Le projet ANR Future Health SEA « Predictive scenarios of health in Southeast Asia: linking land use and climate changes to infectious diseases ».

—–

Bibliographie

Antoine-Moussiaux N. et al., 2019. The good, the bad and the ugly: framing debates on nature in a One Health community. Sustainability Science, 1-10. https://link.springer.com/article/10.1007/s11625-019-00674-z

Chua K.B. et al., 2000. Nipah virus: A recently emergent deadly paramyxovirus. Science 288: 1432–1435. https://science.sciencemag.org/content/288/5470/1432

Destoumieux-Garzón D. et al., 2018. The One Health Concept: 10 Years Old and a Long Road Ahead. Frontiers in Veterinary Sciences, 5, 14. https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fvets.2018.00014/full

Goarant C., Picardeau M., Morand S. & McIntyre K. M., 2019. Leptospirosis under the bibliometrics radar: evidence for a vicious circle of neglect. Journal of global health, 9(1), 010302. https://doi.org/10.7189/jogh.09.010302

Lainé N. & Morand S., 2020. Linking humans, their animals, and the environment again: A decolonized and more-than-human approach to ‘One Health’ (en révision).

 

Lajaunie C., Mazzega P. & Morand S., 2017. La gouvernance santé-environnement, un problème multi-niveau. Vie de la Recherche Scientifique 409: 21-24 https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01653115

Morand S. & Walther B.A., 2020. The accelerated infectious disease risk in the Anthropocene: more outbreaks and wider global spread. bioRxiv https://doi.org/10.1101/2020.04.20.049866.

Pennisi E., 2020. Growth of cities could boost mosquito-borne diseases. Science 368: 695. https://science.sciencemag.org/content/368/6492/695

Rayner G. & Land T., 2013. Ecological Public Health: Reshaping the Conditions for Good Health. Oxon: Routledge.

Sheikh K et al., 2016. Boundary-spanning: reflections on the practices and principles of Global Health. BMJ Global Health 1:e000058 https://gh.bmj.com/content/1/1/e000058

United Nations (2014) World Urbanization Prospects: The 2014 Revision Highlights, Department of Economic and Social Affairs, Population Division, (ST/ESA/SER.A/352), United Nations, New York, 2014. https://www.un.org/en/development/desa/publications/2014-revision-world-urbanization-prospects.html

Williams P., 2002. The competent boundary spanner. Public Adm 2002;80:103–24. doi:10.1111/1467-9299.00296

Regards connexes :

Cibien C. et M. Atramentowitch, 2010. Le MAB et les Réserves de Biosphère. Regards et débats sur la biodiversité, Regard R7, decembre 2010.

Duru M., 2018. Agriculture, biodiversité et santé. Regards et débats sur la biodiversité, Regard RO6, septembre 2018. https://sfecologie.org/regard/ro6-sept-2018-m-duru-agriculture-et-sante/

Duru M. et O. Thérond, 2019. Agriculture et ‘santé unique’. Regards et débats sur la biodiversité, Regard RO8, avril 2019.

Kéfi S., 2012. Ecosystèmes et transitions catastrophiques. Regards et débats sur la biodiversité, Regard R37, octobre 2012.

Giraudoux J-P. et J-D. Lebreton, 2018. La notion de santé des écosystèmes. Regards et débats sur la biodiversité, Regard RO7, octobre 2018.

Roche B. et A. Teyssèdre. Biodiversité et maladies infectieuses. Regards et débats sur la biodiversité, Regard R18, mai 2011.

Autres regards sur écologie et santé  : https://sfecologie.org/tag/sante/

Sur la préservation de la biodiversité : https://sfecologie.org/tag/preservation-biodiversite/

Sur les stratégies et politiques : https://sfecologie.org/tag/strategies-et-politiques/

—-


Edition, iconographie et mise en ligne de ce Regard :  Anne Teyssèdre.

——

Forum de discussion sur ce regard