La Société Française d’Ecologie et d’Evolution (SFE2) vous propose ce regard de Nathan Horrenberger et Bernard Chevassus-au-Louis, respectivement Chargé de mission et Président de l’association Humanité et Biodiversité, sur la dynamique de la transition agroécologique en France (depuis 2010).
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions sur les forums de discussion qui suivent les articles; les auteurs vous répondront.
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La transition agroécologique :
où en est la France ?
Nathan Horrenberger (1) et Bernard Chevassus-au-Louis (2)
(1) Chargé de mission Politiques de la biodiversité, Humanité et Biodiversité
(2) Président, Humanité et Biodiversité
Regard édité par Anne Teyssèdre
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Mots clefs : Agriculture, biodiversité, pressions sur la biodiversité, agroécologie, stratégies environnementales, transition agroécologique, CDB, SNB, objectifs environnementaux, suivi temporel, observatoire, indicateurs.
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- Résumé
- Introduction
- Encart : Agroécologie et biodiversité
- Comment fonctionne l’observatoire ?
- Résultats
- Principaux enseignements à retenir
- Conclusion
- En savoir plus
- Remerciements
- Bibliographie
- Regards connexes
- Forum de discussion
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Résumé
Ce regard présente les résultats du projet TRAGECO, visant à créer un indicateur synthétique, le TTAE (Taux de transition agroécologique), permettant de mesurer au fil des ans, à l’échelle globale de la France hexagonale, le degré d’avancement de la transition agroécologique de l’agriculture basé sur divers objectifs de politiques publiques. Il a été développé de 2020 à 2024 par l’association Humanité et Biodiversité, avec le soutien de l’Office Français de la Biodiversité.
Cet indicateur synthétique regroupe les résultats d’indicateurs répartis en deux ensembles : i) estimations de pressions exercées par l’agriculture sur la biodiversité : apports et émissions d’azote, émissions de gaz à effet de serre et usage des pesticides ; ii) mesures indirectes de pratiques favorables à la biodiversité : surfaces en agriculture biologique, teneur en carbone des sols et surfaces cultivées de légumineuses.
Pour permettre ce regroupement, les données de chaque indicateur sont standardisées sur une échelle commune de 0 à 100 %. La valeur 0 est celle de l’année 2010 et celle de 100 est attribuée à l’objectif politique retenu pour 2030. Premiers résultats: en 2020, le TTAE de ces différents indicateurs varie entre 3,6 %, pour le carbone des sols, et 35 %, pour les émissions de gaz à effet de serre. Le TTAE moyen s’établit à 18,7 %, alors qu’il devrait être de 50 % pour suivre une progression linéaire aboutissant à 100 % en 2030. Autrement dit, la progression de la transition écologique de l’agriculture est trois fois trop lente par rapport aux objectifs politiques fixés pour 2030.
Introduction
L‘Observatoire de la Transition AGroÉCOlogique (TRAGÉCO) est le fruit de plusieurs années de travail de l’association Humanité et Biodiversité. Cet outil souhaite répondre à la difficulté de suivre l’application concrète des objectifs de moyen ou long terme fixés par les politiques publiques pour l’agriculture (productions animales et végétales). Après avoir effectué une étude de faisabilité, notre association a construit cet observatoire annuel et présente ici les résultats pour l’année 2020. L’observatoire vise à évaluer si les trajectoires de transition sont en mesure de permettre l’atteinte des objectifs fixés par l’État ou l’Union européenne à horizon 2030 pour la France.
NB: L’année 2020 était une année charnière, à mi-chemin entre 2010, qui marque le lancement de politiques publiques pour la transition agroécologique et 2030, qui est l’horizon fixé pour l’atteinte de nombreux objectifs. D’autre part, un certain nombre de données sur lesquelles nous nous basons ne sont disponibles qu’après deux à trois ans.
Pour élaborer cet indicateur, nous avons identifié un groupe de sept « cibles » pouvant être assorties d’un ou plusieurs indicateurs (Tableau 1). Pour ces cibles, nous avons pris comme objectifs à atteindre des valeurs définies par des politiques nationales ou des objectifs internationaux (notamment européens) sur lesquels la France s’est engagée (voir les références en légende du tableau).

Tableau 1 : Sources et objectifs chiffrés des sept cibles retenues.
Plan Ambition Bio 2018 : https://agriculture.gouv.fr/ambition-bio-2022-plan-dactions-des-acteurs-de-lagriculture-et-de-lalimentation . SEFF, 2020 : Stratégie Européenne « de la Fourche à la Fourchette », cf. https://food.ec.europa.eu/horizontal-topics/farm-fork-strategy_en?prefLang=fr . SNBC2 2018 : Stratégie Nationale Bas Carbone 2018, cf. https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/strategie-nationale-bas-carbone-snbc . Stratégie 4 pour 1000, 2015 : cf. https://agriculture.gouv.fr/4-pour-1000-stocker-le-carbone-dans-le-sol-pour-lutter-contre-le-changement-climatique . Plan Ecophyto2, 2018 : https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_ecophyto2_.pdf . Plan Protéines 2020-2030 : https://agriculture.gouv.fr/dossier-de-presse-la-strategie-nationale-proteines-vegetales
Encart : Agroécologie et biodiversité
On situe souvent la naissance de l’agroécologie dans les années 1980, avec en particulier les travaux de l’agronome chilien Miguel Altieri (Altieri, 1989). Mais le fait d’appliquer à l’agronomie les concepts de l’écologie pour mieux conduire les cultures en tenant compte des besoins des plantes est une préoccupation qui apparaît dès le début du 20ème siècle, avant donc la période de forte intensification de l’agriculture (Hubert & Couvet, 2019). L’agroécologie est une approche qui vise à intégrer les principes écologiques dans la production alimentaire et reconnait l’importance de la biodiversité pour des systèmes agricoles durables et résilients.Contrairement à la monoculture intensive, l’agroécologie encourage la culture de différentes espèces végétales sur une même parcelle. Cette diversité permet de créer un environnement plus favorable à la faune et à la flore locales. Les cultures variées attirent une plus grande richesse d’insectes pollinisateurs et d’oiseaux insectivores ou de rapaces, ce qui favorise la régulation naturelle des ravageurs.
Cette approche promeut également la gestion durable des sols. Grâce à la rotation des cultures, l’apport de matière organique ou la réduction des pesticides et engrais chimiques, elle améliore la santé et la fertilité des sols.

Parcelle agroécologique, en Côte d’Or.
(Cliché A. Teyssèdre, 2023.)
L’agroécologie encourage enfin la préservation d’infrastructures favorables à la biodiversité au cœur des parcelles agricoles. En laissant des espaces en friche, en plantant des haies et en créant des corridors écologiques, les paysans offrent des refuges et des voies de déplacement pour la faune sauvage, contribuant ainsi au maintien de la biodiversité.
Comment fonctionne l’observatoire ? (Matériel et méthode)
Les six thématiques et objectifs associés
L’Observatoire s’intéresse à six thématiques ou variables environnementales, pour chacune desquelles un objectif chiffré pour 2030 à l’échelle nationale a été fixé (voir le Tableau 1). Les six variables suivies au fil du temps sont : le développement de l’agriculture biologique, la réduction des apports d’engrais azotés et des émissions d’azote dans l’environnement, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la réduction de l’usage des pesticides, l’augmentation de la teneur en carbone des sols et le développement des cultures de légumineuses (cf. Figure 1). Les six objectifs associés pour 2030 sont indiqués dans le Tableau 2.
NB: Pour être plus complet sur les enjeux de biodiversité, l’Observatoire devrait aussi prendre en compte des variables telles que l’abondance des pollinisateurs ou celle des oiseaux. Mais aucun objectif n’ayant été fixé à ce stade par les pouvoirs publics – par exemple mettre fin au déclin de ces groupes d’espèces indicatrices de l’état écologique des milieux agricoles –, il n’a malheureusement pas été possible de les intégrer à l’Observatoire, faute de cible à atteindre. Pour la même raison, aucun objectif spécifique à l’élevage n’a pu être retenu.

Figure 1 : Liens entre les thématiques retenues et la biodiversité

Tableau 2 : Objectifs 2030 et valeurs pour 2010 et 2020 des neuf indicateurs élémentaires étudiés. Les trois indicateurs azote et les deux indicateurs pesticides sont réunis en un seul (moyenne arithmétique).
* = moyenne 2009-2010-2011 ; ** = moyenne 2018-2019-2020 ; *** = moyenne 2011-2012-2013
Le taux de transition agroécologique (TTAE)
Connaissant, pour ces six variables ou thématiques, les valeurs nationales estimées en 2010 et 2020 et l’objectif fixé pour 2030 (voir le Tableau 2), nous avons calculé pour chacune d’elles un taux de transition agroécologique (TTAE) qui mesure sur 100 sa progression entre 2010 et 2030 (voir plus bas). Pour l’année 2020, une note de 50 indiquerait donc que la moitié du chemin a été parcourue par la variable, et que la trajectoire est la bonne pour espérer atteindre l’objectif fixé pour 2030.
Résultats
Les résultats du suivi de deux des six variables étudiées dans le cadre de l’observatoire, l’une quantifiant une pratique favorable à la biodiversité (surface cultivée en agriculture biologique), l’autre une pression sur la biodiversité (émissions de gaz à effet de serre), sont résumés ci-dessous.
Exemple 1 : la surface cultivée en agriculture biologique
2,1 % des terres cultivées en France – ce qu’on appelle la SAU (surface agricole utile) – étaient certifiées « Agriculture biologique » en 2010. L’objectif fixé par la stratégie européenne « De la ferme à la table » est d’atteindre 25 % de surfaces en bio d’ici à 2030. Bien qu’une hausse continue du pourcentage de terres cultivées en bio ait été constatée, celui-ci n’atteint que 7,3 % en 2020 (figure 2 ci-dessous). De ce fait, le taux de transition agroécologique pour l’année 2020 n’est que de 22,4 % par rapport à 2010 (i.e., 100 x (7,3-2,1)/(25-2,1)), soit moins de la moitié de la valeur attendue pour que la France soit en bonne voie d’atteindre la cible des 25 % de cultures bio en 2030. Pour être à mi-chemin (soit un TTAE de 50), il aurait fallu que 13,4 % de la SAU soit cultivée en bio en 2020.

Figure 2 : Évolution depuis 2010 de la part de la SAU des exploitations en agriculture biologique et du Taux de transition agroécologique
Exemple 2 : les émissions de gaz à effet de serre
Les émissions de gaz à effet de serre (GES) des activités agricoles au sens large, comprenant aussi l’élevage, sont constituées essentiellement de méthane (CH4) et de protoxyde d’azote (N2O). En France ces émissions sont en baisse lente (-11 % de 1990 à 2020, CITEPA, 2023), mais la part de l’agriculture dans les émissions totales de GES est en hausse. L’objectif fixé au niveau national, pour l’ensemble du secteur agricole, est une réduction de 18 % entre 2015 et 2030.
Le TTAE pour cet indicateur est de 35 % pour 2020 (figure 3). Il faut noter que cette amélioration est principalement due à la régression de l’élevage bovin, et non pas seulement aux changements des pratiques agricoles. En effet, en 2020, l’élevage bovin représente à lui seul 49,8 % des émissions de CO2 équivalent de l’agriculture, principalement du fait des émissions de méthane. Or, le nombre de bovins élevés en France est passé de 19,6 millions en 2010 à 17,8 millions en 2020 (Agreste, 2021), soit une baisse de 9 %. [A cheptel constant, la baisse constatée des émissions de GES de l’agriculture (et donc du TTAE) serait donc moindre].

Figure 3 : Évolution depuis 2010 des émissions de gaz à effets de serre (en millions de tonnes équivalent CO2) et du Taux de transition agroécologique
Principaux enseignements à retenir
Des disparités et des variables à prendre en compte
Sur les six indicateurs retenus, aucun n’atteint un taux de transition agroécologique de 50 (figure 4). En revanche, on note de fortes disparités entre les six trajectoires. Si pour la baisse des émissions de gaz à effet de serre ou le développement de la culture de légumineuses, plus des deux tiers du chemin attendu pour 2020 ont été parcourus, le stockage de carbone dans les sols et la réduction des pesticides sont à la traîne.
Notons que ce dernier taux de transition agroécologique est très variable au fil du temps, parce qu’il tient notamment compte de la vente de pesticides, qui peut fortement varier d’une année à l’autre en fonction de l’évolution des prix, sans impliquer pour autant leur usage dans l’année. Ainsi, des stocks peuvent par exemple être réalisés avant une hausse de tarification. D’autres indicateurs en revanche, de par leur nature, ne peuvent pas évoluer en dents de scie. C’est notamment le cas du stockage de carbone dans les sols ou du pourcentage de la SAU cultivée en bio (exemple 1).
Le taux de transition agroécologique mesure le pourcentage d’atteinte d’un objectif, mais n’évalue pas si celui-ci est ambitieux ou pas. Ainsi, pour les gaz à effet de serre (exemple 2), l’État s’est engagé à une réduction des émissions du secteur agricole de 18 % d’ici 2030 par rapport à 2015, tandis que l’objectif global de baisse des GES pour l’ensemble des secteurs est de 35 % sur cette même période. Il n’est donc pas surprenant que le TTAE le plus haut pour 2020 concerne cet objectif peu exigeant.

Figure 4 : Évolution des 6 indicateurs de 2010 à 2020 (à partir de 2011 pour les pesticides)
NB : les TTAE pour 2010 ne sont pas nécessairement de 0 % car, afin de lisser des variations interannuelles qui peuvent être conséquentes, les TTAE sont calculés sur trois ans (moyenne année n, n-1 et n+1).
Cet indicateur « Taux de transition agroécologique de l’agriculture française » a été retenu pour figurer parmi les indicateurs de l’Observatoire National de la Biodiversité (ONB). Il sera publié annuellement. Il sera possible de l’amender si de nouveaux caractères répondant au cahier des charges sont identifiés ou si les objectifs politiques retenus pour 2030 sont modifiés.
Conclusion -
Une route encore longue
Pour permettre une vue d’ensemble, nous avons aussi calculé un TTAE global, qui est une moyenne des six TTAE thématiques. Pour 2020, ce TTAE global est de 18,7 %, soit seulement un peu plus du tiers de la note de 50 qu’il aurait fallu obtenir pour atteindre l’objectif de mi-parcours, entre la situation initiale de 2010 et la cible visée pour 2030. Il reste donc encore bien du chemin à parcourir, en direction de la transition agroécologique !
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Pour en savoir plus
Si vous souhaitez en savoir plus sur la méthodologie employée et le détail des calculs, vous pouvez consulter le Cahier de la biodiversité d’H&B n°14 dédié à l’observatoire TRAGECO (16 pages, disponible ici en accès libre) ou vous procurer la Revue H&B n°8 (172 pages, commandable ici). Enfin, le replay du webinaire de présentation de l’observatoire est disponible ici.
Remerciements:
Nous remercions Marianne Kies qui, durant son stage chez Humanité et Biodiversité, a mis à jour les taux de transition agroécologique pour les années 2021 et 2022. Merci également à Anne Teyssèdre pour son aide soutenue à la rédaction et la mise en forme de ce Regard.
Bibliographie
- Agreste, 2021. Graph’Agri 2021 : L’agriculture, la forêt, la pêche et les industries agroalimentaires https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bc6p076x86c/f1.pdf
- Altieri M. A., 1989. Agroecology: A new research and development paradigm for world agriculture. Agriculture, Ecosystems & Environment, 27(1-4), 37-46.
- CITEPA, 2023. Répartition des émissions par activités en 2020. www.citepa.org/donnees-air-climat/donnees-gaz-a-effet-de-serre/secten
- Hubert B. & D. Couvet, 2019. Déploiement de l’agroécologie : pistes de réflexion. Revue de l’Académie d’Agriculture, 17, 57-64.
Regards connexes :
- Cibien C. et C. Hervé, 2024. Le MAB et la transition agroécologique (Quel accompagnement dans les Réserves de Biosphère françaises?). Regards et débats sur la biodiversité, SFE2, Regard R121, mai 2024.
- Regards sur l’agriculture : https://sfecologie.org/tag/agriculture/
- sur les habitats : https://sfecologie.org/tag/habitats/
- sur le fonctionnement des écosystèmes : https://sfecologie.org/tag/fonctionnement/
- sur les socioécosystèmes : https://sfecologie.org/tag/socioecosysteme
- sur gestion et gouvernance : https://sfecologie.org/tag/gestion-et-gouvernance/
- sur stratégies et politiques : https://sfecologie.org/tag/strategies-et-politiques/
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Edition et mise en ligne: Anne Teyssèdre.
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