Titulaire d’un Master en Ecologie, Evolution & Biométrie obtenu à Lyon, et jusque là plus attiré et formé à l’étude du monde animal, j’ai complété ma formation par un mastère spécialisé centré sur les écosystèmes forestiers dispensé par l’ENGREF à Nancy. Cette année m’a permis de me familiariser à l’étude et aux spécificités du monde végétal, ainsi qu’aux différentes questions que se posaient les chercheurs dans le domaine. Bénéficiant à Nancy d’un pôle scientifique important en recherche forestière, j’ai pu monter un projet de thèse au LERFoB (UMR1092 AgroParisTech – INRA) visant à étudier la réponse de la végétation forestière au réchauffement climatique afin d’en évaluer les changements et de caractériser l’effet de facteurs non-climatiques et géographiques sur cette réponse.
Depuis la fin des années 90s, les preuves de l’effet modificateur du réchauffement récent du climat sur la croissance, le comportement, le cycle de vie et la répartition des espèces n’ont cessé de se multiplier. Ainsi, l’augmentation des températures serait la cause principale du déplacement des espèces vers les pôles et les sommets. La capacité des espèces à suivre ce réchauffement n’étant pas la même (tolérance/résistance au stress climatique, capacité de dispersion, durée de vie et capacité adaptative des espèces expliquent une grande partie de cette variabilité), un remaniement plus ou moins important en espèces à l’intérieur des communautés devrait s’opérer. Est-ce le cas au sein de l’écosystème forestier tempéré? De plus, bien que les preuves de déplacements des espèces soient indéniables, peu de travaux ont évalué si ceux-ci étaient suffisant pour compenser la hausse des températures. Les communautés végétales forestières sont-elles à l’équilibre avec le climat ou entretiennent-elles une dette avec lui? Dans ce dernier cas, pouvons-nous la quantifier?
Afin de répondre à ces questions, j’ai mobilisé 3 importantes bases de données floristiques (EcoPlant, Sophy, et Inventaire Forestier National) afin de bénéficier d’environ 80000 relevés floristiques forestiers répartis sur le territoire français métropolitain pour la période 1965-2008. Une première difficulté fut d’établir une méthode permettant simplement (i) de mettre en évidence le remaniement à l’intérieur des communautés et (ii) d’évaluer l’équilibre ou la dette entre le climat et la flore. J’ai ainsi opté pour un indice thermique de la communauté végétale (exprimé en degrés Celsius et directement comparable à de véritables observations de températures) que j’ai développé à partir d’un modèle de bioindication. De premiers résultats jugés encourageant nous (Pr. Jean-Claude Gégout, mon directeur de thèse, et moi-même) ont poussé à aller plus loin. Afin de présenter une évolution comparative des températures observées et bioindiquées à partir de la flore herbacée entre 1965 et 2008, il a fallu régler le problème de la variation spatiale interannuelle de la répartition des relevés floristiques temporaires pouvant affecter les résultats. Ce problème a été réglé (ou du moins limité) par un échantillonnage stratifié annuel des relevés visant à sélectionner un ensemble de relevés dont les conditions climatiques étaient représentatives de celles observées à l’échelle du territoire français.
Ainsi, j’ai pu montrer que le remaniement des communautés végétales a permis la compensation de 0.54°C du réchauffement climatique ayant touché les forêts des montagnes françaises entre les périodes 1965–1986 et 1987–2008 (soit +1.07°C) contre seulement 0.02°C pour les forêts de plaine. Cette compensation partielle de la végétation forestière démontrait, pour la première fois (en 2011), l’existence d’une dette climatique de la flore induite par le récent réchauffement climatique, c’est-à-dire que les conditions climatiques tendent à s’éloigner des conditions optimales de croissance des plantes composant les communautés herbacées des peuplements forestiers. L’importance de cette dette en plaine par rapport aux montagnes provient notamment de l’effet combiné d’un déficit d’extinction et de migration des espèces en plaine, conduit respectivement par une plus large tolérance thermique des plantes forestières sur cette zone et par une migration des plantes a priori (i) limitée par l’importante fragmentation des forêts de plaine et (ii) inférieure au déplacement des conditions thermiques en plaine. Ces résultats conduisent à considérer deux types de menaces induites par le changement climatique : (i) l’attrition biotique en plaine (c’est-à-dire l’appauvrissement en espèces herbacées de l’écosystème forestier), et (ii) la remontée en altitude ainsi que la diminution de la surface de l’habitat des plantes montagnardes remplacées le long du gradient altitudinal par des espèces plus communes venues de plaines.
Actuellement en postdoc au Centre de Théorisation et de Modélisation de la Biodiversité (CNRS, Moulis) dirigé par Dr. Michel Loreau, je poursuis en partie mon travail de thèse en étudiant la dette climatique des espèces végétales et animales dans un environnement multifactoriel, i.e. en considérant l’effet des changements globaux, de la conformation spatiale de l’habitat et des traits de vie des espèces.
Contact : rbertrand.ecoex.cnrs (at) gmail.com
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