La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose cette semaine le regard d’Etienne Danchin, chercheur au CNRS en écologie évolutive, sur l’hérédité non génétique et l’évolution.

MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions après cet article. Les auteurs vous répondront et une synthèse des contributions sera ajoutée après chaque article.

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L’hérédité non génétique,
un changement de paradigme en sciences de l’évolution

Etienne Danchin,

Directeur de Recherche au CNRS, Université Paul Sabatier,
Laboratoire Évolution & Diversité Biologique

Regard R25, édité par Anne Teyssèdre

(Fichier PDF)

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Mots clés : évolution, hérédité, espèces, populations, hérédité non-génétique, génétique, épigénétique, culture animale.

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Une propriété majeure du vivant est la reproduction, à tel point qu’on distingue les organismes vivants des entités inanimées par cette propriété. Et une des caractéristiques fondamentales de la reproduction est que les organismes engendrent des descendants qui leur ressemblent. Cette ressemblance comporte deux composantes distinctes.

 

Cliché Eckard Berberich

Tout d’abord, les organismes descendants appartiennent à la même espèce que l’organisme d’origine. Cette propriété s’appelle l’hérédité. L’expression du langage courant « un chat ne fait pas un chien » la résume très bien, même si elle est souvent employée dans un contexte différent.

D’autre part, cette ressemblance s’exprime aussi de manière interne à l’espèce: les enfants ressemblent à leurs parents. En d’autres termes, les variations morphologiques, physiologiques et comportementales que l’on trouve au sein de la génération des parents se retrouvent au sein de la descendance et ce de manière associée de telle sorte que, par exemple, les parents de grande taille ont en moyenne des enfants de plus grande taille que celle des enfants de parents petits. Cette propriété fondamentale est appelée l’héritabilité.

C’est cette deuxième propriété qui a conduit Charles Darwin et Alfred R. Wallace à proposer le processus d’évolution par sélection naturelle. Ils ont en effet compris que la sélection naturelle ne pouvait conduire à l’évolution d’un trait que si les parents transmettaient leurs caractéristiques à leur descendance.

Prenons un exemple

Imaginons un éleveur qui vivrait de sa production de lait et aurait hérité de ses parents d’une étable dans laquelle il peut mettre vingt vaches. Imaginons aussi que son espace soit contraint et qu’il ne puisse pas agrandir son étable. Le seul moyen pour lui d’augmenter ses revenus serait d’avoir des vaches produisant plus de litres de lait par jour.

Cliché Anne Teyssèdre

Pour ce faire, il va, comme ses ancêtres depuis plus de 10 000 ans, choisir pour la reproduction les vaches qui font beaucoup de lait. Ce faisant, il exercera une forte pression de sélection en faveur des vaches produisant plus de lait que la moyenne, et la génération suivante ne contiendra que des descendantes de vaches faisant beaucoup de lait.

Le point important est que l’objectif d’augmenter la production de lait par vache au cours des générations ne se réalisera que si celles qui font beaucoup de lait ont des descendantes qui leur ressemblent sur ce caractère, autrement dit si le caractère « quantité de lait produite à l’âge adulte » est héritable (selon la définition plus haut). Sinon, quelle que soit la pression de sélection exercée par l’éleveur, la quantité de lait produite par jour n’augmentera pas de génération en génération. En d’autres termes, pour qu’une évolution sur un trait donné (ici la quantité de lait produite par jour par une vache) se produise suite à une sélection, il faut que ce trait soit héritable, c’est-à-dire que les caractéristiques individuelles des parents soient au moins en partie transmises aux descendants.

Hérédité et génétique

Bien entendu, en lisant ces lignes, je suis certain que nombre d’entre vous pensez que cette propriété d’héritabilité est due aux variations génétiques existant entre les vaches. C’est vrai en grande partie, mais c’est assez réducteur. Nous savons tous aujourd’hui que l’information génétique est universellement codée, au sein de chaque cellule, dans les séquences d’ADN (acide désoxyribonucléique), macromolécule semblable à une double chaîne comprenant des millions de maillons, chacun constitué d’une paire de bases parmi quatre différentes (désignées par les lettres A, T, G et C). C’est la succession de ces bases qui encode l’information génétique conduisant, entre autres, à la synthèse des protéines, molécules fondamentales de la constitution des cellules et de leur métabolisme.

© ATM2

Constituant des chromosomes, l’ADN se duplique à chaque division cellulaire, permettant ainsi la transmission fiable de l’information génétique de génération en génération. Bien que très fiable, cette duplication conduit régulièrement à des erreurs de copie, c’est-à-dire à des changements dans les séquences d’ADN, dits mutations. Celles-ci sont responsables de la variation génétique que l’on observe dans toutes les populations naturelles d’organismes vivants. Lorsque l’on parle de variation génétique, on sous-entend donc des variations dans la séquence de l’ADN entre organismes au sein d’une population. Nous pensons pour la plupart que l’hérédité et l’héritabilité sont uniquement dues à la transmission de gènes, et donc de leurs variations, de parent à descendant. Cette vision pourtant assez récente est devenue tellement classique qu’elle fait partie de la sagesse populaire d’aujourd’hui.

Cependant, cette vision de l’hérédité est remise en cause depuis plusieurs décennies ((Mameli, 2004; Bonduriansky & Day, 2009) et devient de moins en moins tenable aujourd’hui (Danchin et al., 2011). Cette remise en cause ne porte pas sur la réalité de la transmission génétique, qui est indiscutable, mais sur la réduction à cet unique mode de transmission. La fascination exercée par la transmission génétique nous a conduit à réduire l’hérédité à sa seule composante génétique.

Pour bien comprendre de quoi il retourne, il nous faut revenir à la nature profonde de l’hérédité. Qui dit reproduction implique un transfert d’information de la génération des parents vers les descendants. En quelque sorte, la reproduction implique que des instructions pour construire la descendance sont transmises des parents vers leurs descendants. L’hérédité et l’héritabilité sont dues au fait qu’il existe un (ou des) processus de duplication de l’information, processus se produisant dans le cadre de la reproduction. Une part conséquente de cette information est en effet encodée dans la séquence de l’ADN, c’est indiscutable. On doit d’ailleurs considérer les gènes non pas comme des morceaux d’ADN, mais plutôt comme des unités d’information et la sélection ne se fait pas sur l’ADN proprement dit mais bien sur l’information véhiculée par la séquence de l’ADN (Gilddon & Gouyon, 1989). Cette vision de la génétique met les concepts d’information biologique au centre de la biologie évolutive moderne.

L’hérédité non génétique

Fig. 1: Décomposition de la variance identifiant les différentes composantes de l’hérédité, qu’elles soient génétiques ou non. En rouge la décomposition généralement utilisée actuellement, qui nous conduit à penser que seul l’information génétique affecte l’évolution. En vert la décomposition que nous suggérons et qui correspond en fait à la vision initiale de Darwin. Celle-ci laisse la place à la prise en compte de l’hérédité non génétique. En bleu les deux types d’hérédité non génétique développés ici. Les étoiles indiquent que toutes ces composantes sont susceptibles d’interagir fortement.

Cependant, cette découverte majeure de la première moitié du XXième siècle qu’a été la génétique nous a tellement fascinés qu’elle nous a conduits à négliger toute autre forme de transfert d’information (et donc d’hérédité) entre les générations. Pourtant, il existe bien des formes de transfert d’information entre générations non basées sur la seule séquence de l’ADN. On parle alors d’hérédité non génétique, expression qui, aux vues de notre savoir collectif, semble associer deux concepts incompatibles.

Les découvertes qui s’accumulent depuis plusieurs décennies ont montré que ces transferts d’informations non génétiques entre générations sont bien réels et peuvent en fait prendre plusieurs formes très variées. Nous en avons récemment fait une revue et proposé un formalisme en terme d’hérédité dans Nature Reviews, Genetics (Danchin et al., 2011). En voici un bref aperçu en se focalisant sur deux formes d’hérédité non génétique parmi les quatre que nous avons identifiées (Figure 1).

Les deux autres formes d’hérédité non-génétique, que nous n’explorerons pas ici, sont celles résultant des effets parentaux par lesquels les parents peuvent mouler le phénotype de leur descendance dans les conditions environnementales qui prévalent, et l’hérédité écologique qui résulte du fait que les descendants héritent souvent de l’habitat des parents. Cette dernière forme d’hérédité crée des corrélations entre le génotype et l’environnement qui peuvent faire croire à une association adaptative entre gène et environnement. Elle peut aussi contribuer à ce qu’on appelle la « construction de niche », dans laquelle les activités des individus, en modifiant de manière durable les caractéristiques de l’environnement, changent les pressions de sélection sur la descendance.

L’hérédité épigénétique

L’épigénétique concerne l’étude de toute variation dans l’expression des gènes indépendamment de toute variation dans la séquence de l’ADN. C’est depuis cinq ans un domaine en pleine expansion et des découvertes très variées s’accumulent. Le point de départ est à trouver dans l’étude de la différenciation cellulaire au sein des organismes pluricellulaires. Cette différentiation n’est pas évidente à comprendre car toutes les cellules d’un organisme ont la même information génétique. Pourtant elles prennent des formes très différentes – pensez par exemple à des cellules d’os, ou de muscle, ou à des neurones. Ces variants de types cellulaires résultent de variations dans l’expression des gènes. Une image simple serait de comparer les gènes à des recettes: il est clair que deux personnes utilisant le même livre de recettes vont faire des repas très différents selon qu’elles utilisent telle ou telle recette. Il en est de même entre lignées cellulaires au sein d’un organisme pluricellulaire.

On s’est récemment rendu compte que des variations entre individus que l’on croyait due à des variations dans la séquence de l’ADN (les mutations responsables de la variation génétique) sont en fait dues uniquement à des variations dans l’expression de gènes qui sont identiques en termes de séquence d’ADN.

Linaire vulgaire, Cliché Noëlie Maurel

L’exemple classique est celui des fleurs péloriques de la linaire vulgaire, une fleur qui pousse sur les murs de nos villages. La fleur normale de linaire forme un tube constitué des pétales soudés à leur base, le tout ressemblant à une petite gueule de loup avec une symétrie bilatérale. Le grand botaniste et père de la systématique Carl von Linné fut surpris de trouver dans la descendance de ces plantes qu’il cultivait des fleurs à symétrie axiale avec cinq pétales bien distincts. Étant fixiste, il se trouvait confronté à une énigme insoluble car tout se passait comme s’il venait d’assister à la naissance d’une nouvelle espèce. Ce n’est que 250 ans plus tard qu’il a été démontré que ce cas apparemment typique de mutation n’était en fait pas dû à une mutation, la séquence étant identique entre les formes pélorique et normale, mais relevait d’un changement dans l’expression d’un seul gène (Cubas et al., 1999). Cette découverte fit grand bruit et fut publiée dans la revue Nature en 1999. Un autre exemple de ce type est développé dans la Figure 2.

Il apparaît aujourd’hui, de manière très surprenante, que de nombreuses variations épigénétiques sont transmises à la descendance. Les descendantes des plantes à fleurs péloriques découvertes par Linné il y a 250 ans ont elles aussi des fleurs péloriques et continuent de produire des descendantes à fleurs péloriques, démontrant ainsi l’existence d’une véritable hérédité non liée à des variations dans la séquence de l’ADN. Tout se passe comme si cette variation était due à une mutation, mais ce n’est pas le cas. Il existe donc bien une hérédité épigénétique.

Cette variation d’expression de certains gènes est due à divers mécanismes moléculaires dont le plus connu est celui de la « methylation » de la molécule de l’ADN, c’est-à-dire l’apposition répétée du radical méthyl (-CH3), un petit groupe de quatre atomes, sur une séquence de bases de l’ADN. Certaines conditions environnementales conduisent à la forte methylation de certains gènes spécifiques, réduisant, voire annulant l’expression de ces gènes, affectant ainsi la morphologie ou le comportement de l’individu concerné. De plus, lors de la duplication de l’ADN, il existe toute une batterie de mécanismes recopiant le pattern de methylation de l’ADN. C’est pourquoi les cellules filles sont généralement du même type que la cellule mère (cellules de foie, de muscle, etc.). De même, le cas des fleurs péloriques développé ci-dessus montre que les changements épigénétiques peuvent conduire à des situations où des caractères influencés par l’environnement sont transmis à la descendance sur de nombreuses générations! C’est tout à fait surprenant et remet en cause un des grands principes de la vision génocentrique que nous avons actuellement de l’évolution.

Fig. 2 : Hérédité épigénétique des soins maternels chez les rongeurs.

Les exemples d’une telle hérédité épigénétique s’accumulent actuellement tant chez les plantes que les animaux ou les microorganismes, où ils semblent jouer un grand rôle dans l’adaptation des organismes à leur milieu. L’intensité des soins maternels aux jeunes, chez les rongeurs, a ainsi une composante épigénétique comme le montre la figure 2 ci-contre (dans lequel les radicaux méthyl sont figurés par la lettre M).

Figure 2 : Hérédité épigénétique des soins maternels aux jeunes chez les rongeurs. Chez les rongeurs, les mères s’occupent intensément de leurs jeunes. Si l’on empêche expérimentalement des femelles de soigner leur progéniture, leurs filles à l’âge adulte délaissent leurs petits. Il a été démontré que cela implique la méthylation et donc la très faible expression du gène codant pour le récepteur alpha aux oestrogènes dans le cerveau des jeunes femelles issues de femelles les ayant peu soignées. A l’âge adulte, n’ayant que très peu de récepteurs aux oestrogènes dans leur cerveau, ces femelles de 2e génération sont insensibles à leurs propres œstrogènes circulant et de ce fait ne développent pas un comportement maternel normal (modifié de Champagne, 2008).

Une conclusion s’impose: si l’on se base sur les seuls patrons de transmission, il est facile de conclure à une transmission génétique, alors qu’il s’agit en fait d’hérédité des marques épigénétiques responsables de la variation entre individus, ou encore d’autres modes de transmission non génétique de l’information entre générations.

L’hérédité culturelle

Une autres formes d’hérédité non génétique est l’hérédité culturelle, dans laquelle l’information qui affecte l’aspect individuel (ou phénotype) est transmise socialement des anciens vers les plus jeunes. Jusqu’à récemment l’influence des sciences sociales humaines avait limité l’étude du phénomène culturel à la seule espèce humaine. Cependant, aujourd’hui force est de constater que la transmission sociale existe chez de très nombreux vertébrés et invertébrés où elle peut prendre des formes très variées comme l’imitation, le copiage, l’apprentissage social ou l’imprégnation sociale…

Par exemple, il a été démontré chez de nombreux animaux que les préférences sexuelles sont influencées par l’expérience sociale antérieure, affectant ainsi l’évolution génétique. Ainsi, chez certains poissons (Molly-voile, Poecilia latipinna) la préférence naturelle des femelles va aux mâles de grande taille. Cependant, on peut facilement inverser cette préférence en manipulant les informations sociales apportées aux femelles. Après avoir observé des petits mâles en train de copuler (donc apparemment attractifs pour les autres femelles) et des grands mâles seuls (et donc apparemment peu attractifs), ces femelles observatrices vont changer de préférence et choisir de petits mâles pour partenaires sexuels. On constate donc qu’un trait comportemental aussi important que la préférence sexuelle, trait que l’on croyait sous fort contrôle génétique, est en fait sous forte influence sociale, suggérant l’existence d’une véritable transmission sociale entre générations. De tels phénomènes ont été décrits chez des groupes aussi variés que des poissons, des oiseaux ou même des drosophiles.

Des expériences de ce type ouvrent tout un champ nouveau pour l’étude de l’hérédité. On peut en particulier imaginer que dans la nature des populations puissent diverger parce que des contingences locales (comme la présence de prédateurs préférant les gros individus) ont conduit les femelles d’une population à transmettre culturellement une préférence pour les petits mâles alors que dans d’autres populations en l’absence de tels prédateurs les femelles transmettent culturellement une préférence pour les grands mâles. Une telle différence va exercer des pressions de sélection sexuelle opposées dans ces populations les entraînant dans des chemins évolutifs qui à termes peuvent se révéler si différents que cela conduit à l’arrêt de tout transfert de gènes, ouvrant ainsi la voie vers la spéciation.

De nouveau, il apparaît que si l’on se base uniquement sur les patrons de transmission, il est facile de confondre la transmission sociale avec une transmission génétique. Un cas exemplaire est celui des poissons cichlides du lac Victoria, espèces où les parents s’occupent de leurs jeunes pendant le développement, offrant ainsi la possibilité d’imprégnation sociale. Certaines espèces jumelles sont si proches qu’il est difficile de les différencier. Pourtant, bien que ces poissons se reproduisent en colonies mixtes, très peu d’hybridations sont observées, ce qui pose la question du mécanisme de reconnaissance spécifique. Une première étude des préférences sexuelles avait conduit à conclure que cette préférence est « codée par un petit nombre de gènes sans dominance » (Haesler & Seehausen, 2005). Pourtant, deux ans plus tard, une expérimentation dans laquelle les alevins ont été échangés très tôt entre nids des deux espèces a montré que les jeunes apprenaient à reconnaître les membres de leur espèce lors du développement (Verzijden & ten Cate, 2007).

Une vision plus complète de l’hérédité

Il apparaît que l’hérédité non génétique peut prendre des formes variées. C’est l’interaction entre ces divers mécanismes de transmission d’information entre les générations qui façonne l’hérédité (Figure 3). Il n’est aujourd’hui plus possible de comprendre l’hérédité et donc l’évolution sans intégrer ces divers processus au sein d’une théorie synthétique moderne plus générale.

Historiquement, la synthèse moderne de la théorie de l’évolution désigne la synthèse qui s’est faite pendant la première moitié du XXième siècle entre la vision Darwinienne de l’évolution par sélection naturelle et la génétique. Aujourd’hui, de nombreux auteurs appellent à une nouvelle synthèse moderne intégrant toutes les formes d’hérédité, qu’elles soient génétiques ou non. Une vision plus complète de l’hérédité devrait nous permettre de résoudre de grosses énigmes évolutives. Par exemple, une importante énigme de la biologie moléculaire d’aujourd’hui réside dans le fait que la variation globale de la séquence de l’ADN analysée sur tout le génome ne permet d’expliquer que 5 à 10% de l’héritabilité de traits aussi variés que la taille corporelle des humains ou bien des maladies dites génétiques (Maher, 2008). C’est là une énigme fondamentale pour la médecine et le développement de thérapies adaptées.

Fig. 3 : Tous les systèmes d’hérédité interagissent fortement entre eux pour produire l’hérédité. En négligeant l’hérédité non génétique, nous ignorons toute la richesse de ces interactions et des conflits que cela peut générer. En conséquence, nous manquons toute une gamme de dynamiques évolutives complexes qui pourtant participent à l’évolution.

Il est important de souligner que ces divers mécanismes d’hérédité ont des propriétés très différentes, en particulier en termes de transmission. Par exemple, alors que chez les organismes dont les cellules ont des noyaux (dits « eucaryotes) la transmission génétique ne se produit que « verticalement », de parent à progéniture, la transmission culturelle se fait aussi « horizontalement », c’est-à-dire entre individus de la même génération. Ainsi l’information héritable suit des chemins très différents selon la nature des mécanismes qui la sous-tendent. L’information génétique ne peut se transmettre que verticalement et donc mettra de nombreuses générations pour envahir toute une population; en comparaison, l’information culturelle peut, se répandre beaucoup plus rapidement et peut théoriquement envahir une population en une seule génération. Ces différentes propriétés ont d’importantes conséquences sur les dynamiques adaptatives et évolutives. Ainsi, des processus qui sont réputés impossibles avec une transmission verticale (comme c’est le cas de la transmission génétique) deviennent possibles si l’on inclut des processus culturels par exemple.

Ces propriétés particulières de la transmission non génétique ont conduit certains auteurs à faire remarquer que cela ouvrait la possibilité d’une forme d’hérédité de caractères acquis par les parents pendant le développement, ce qui a « un parfum délicieusement lamarckien » (Bird, 2007).

Conclusion

La conclusion, c’est que l’hérédité non génétique a pour effet de changer en profondeur les règles de fonctionnement de l’évolution et peut affecter amplement la transmission génétique. Des études récentes ont ainsi montré que des centaines de gènes humains ont récemment été sous forte sélection positive, souvent en réponse aux activités humaines, et que la culture humaine peut façonner le génome humain en profondeur (Laland et al., 2010).

Cette nouvelle vision nous conduit à redéfinir le processus d’évolution. Classiquement l’évolution se définit comme « le processus par lequel les fréquences de gènes changent au cours des générations ». Cette définition par trop réductrice devrait être remplacée par une définition plus large même si elle ne diffère que par un seul mot: « l’évolution c’est le processus par lequel les fréquences de variants changent au cours des générations » (Bentley et al., 2004). Par variant nous entendons bien entendu les gènes mais aussi tout type d’information transmis de génération en génération et participant donc à l’évolution des espèces.

Pour faire court, on peut dire que nous vivons aujourd’hui un véritable changement de paradigme dans les sciences de l’évolution, changement si profond que l’on peut se hasarder à prédire que la période actuelle sera plus tard perçue comme une véritable révolution conceptuelle.

 

Bibliographie

Bentley, R. A., Hahn, M. W. & Shennan, S. J. 2004. Random drift and culture change. Proceeding of the Royal Society of London B, 271, S353-S356.

Bird, A. 2007. Perceptions of epigenetics. Nature, 447, 396-398.

Bonduriansky, R. & Day, T. 2009. Nongenetic Inheritance and Its Evolutionary Implications. Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics, 40, 103-25.

Champagne, F. A. 2008. Epigenetic mechanisms and the transgenerational effects of maternal care. Frontiers in Neuroendocrinology, 29, 386-97.

Cubas, P., Vincent, C. & Coen, E. 1999. An epigenetic mutation responsible for natural variation in floral symmetry. Nature, 401, 157-161.

Danchin, É., Charmantier, A., Champagne, F. A., Mesoudi, A., Pujol, B. & Blanchet, S. 2011. Beyond DNA: integrating inclusive inheritance into an extended theory of evolution. Nature Reviews Genetics, 12, 475-486.

Gilddon, C. J. & Gouyon, P. H. 1989. The units of selection. Trends in Ecology and Evolution, 4, 204-208.

Haesler, M. P. & Seehausen, O. 2005. Inheritance of female mating preference in a sympatric sibling species pair of Lake Victoria cichlids: implications for speciation. Proceedings of the Royal Society of London, 272, 237-245.

Laland, K. N., Odling-Smee, J. & Myles, S. 2010. How culture shaped the human genome: Bringing genetics and the human sciences together. Nature Reviews Genetics, 11, 137-148.

Maher, B. 2008. Personal genomes: The case of the missing heritability. Nature, 456, 18-21.

Mameli, M. 2004. Nongenetic selection an nongenetic inheritance. British Journal for the Philosophy of Science, 55, 35-71.

Verzijden, M. N. & ten Cate, C. 2007. Early learning influences species assortative mating preferences in Lake Victoria cichlid fish. Biology Letters, 3, 134-136.

Pour en savoir plus (en français) :

Danchin, É., Giraldeau, L.-A., Valone, T. J. & Wagner, R. H. 2005. L’imitation dans le monde animal. Information publique et évolution culturelle. Terrain, 44, 91-108.

Jayat D., 2010. Les animaux ont-ils une culture ? EDP Sciences, 220p.

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Article édité par Anne Teyssèdre

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