La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose ce regard de Romain Sordello, chef du projet ‘Trame verte et bleue’ au Service du Patrimoine Naturel (MNHN), sur les continuités et corridors écologiques.
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Trame verte, trame bleue et toutes ces autres trames
dont il faudrait aussi se préoccuper
par Romain Sordello,
Chef du projet ‘Trame verte et bleue’, UMS 2006 Patrimoine Naturel, MNHN
( Fichier PDF )
Regard R72, édité par Anne Teyssèdre
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Mots clés : Fragmentation, connectivité, corridors, trame verte et bleue, trame noire, trame aérienne, sols, pollutions, politiques publiques, SRCE
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Introduction : La Trame verte et bleue
Une politique publique contre la fragmentation des habitats
Répondant aux demandes de scientifiques et d’associations environnementales, le Grenelle de l’environnement a souligné en 2007 le rôle de la fragmentation des habitats dans l’érosion de la biodiversité. Une nouvelle politique publique a alors été mise en place en France par le Ministère de l’environnement, la Trame verte et bleue (TVB, http://www.trameverteetbleue.fr ). Son but est de préserver et restaurer une trame spatiale correspondant à un réseau écologique fonctionnel, à trois échelles territoriales : nationale, régionale, locale. Les continuités écologiques qui forment ce réseau sont elles-mêmes constituées de réservoirs de biodiversité et de corridors. La TVB reprend ainsi des concepts issus de l’écologie des paysages (ex : Keitt et al., 1997 ; Henein & Merriam, 1990 ; Pulliam, 1988 ; Forman & Baudry, 1984, et voir les Regards n°6 et RO4). Les réservoirs de biodiversité servent de lieux de vie et de reproduction, tandis que les corridors sont dédiés aux déplacements des espèces entre ces sites.
Au plan opérationnel, pour définir chaque trame territoriale, réservoirs et corridors écologiques doivent être identifiés pour différents milieux ou types d’habitats, dans le territoire considéré. Le Code de l’environnement en liste cinq au minimum : les milieux ou habitats boisés, ouverts, humides, aquatiques (cours d’eau), auxquels s’ajoute le cas échéant une sixième catégorie, celle des milieux littoraux. La TVB résulte ainsi de la compilation de réseaux écologiques par types d’habitats, appelés « sous-trames ».
Les limites de périmètre dans le cadrage actuel de la TVB
Une dizaine d’années environ ont donc déjà passé depuis l’émergence de cette politique publique et des débats associés. Ces débats et leur traduction législative et règlementaire s’étaient appuyés dès 2007 sur un important corpus de connaissances – en génétique et dynamique des populations, éthologie, écologie des communautés et des paysages, dynamique des réseaux écologiques, fonctionnement des écosystèmes, etc. (ex : Burel, 1989 ; Fahrig, 2003 ; Gerlach & Musolf, 2000 ; Tewksbury et al., 2002) accumulées depuis les années 1950 et qui n’étaient peu ou pas pris en compte jusqu’alors dans l’aménagement du territoire.
D’autres expériences de politiques similaires en Europe étaient également déjà disponibles depuis une décennie environ (Jongman, 1995). En 2014, un ensemble d’orientations nationales ont été définies pour cette politique pour en fixer les grands objectifs et les contours. Depuis, les connaissances en écologie appliquée ont continué de progresser, soulignant la nécessité de prendre en compte la complexité du vivant et de ses modalités de mobilité dans le contexte des changements globaux. De nouvelles problématiques liées à la fragmentation des habitats ont émergé ou se sont fortement amplifiées dans le domaine de la recherche. Au regard de ces évolutions scientifiques, trois principales limites peuvent aujourd’hui être relevées dans le périmètre du cadrage national actuel de la TVB :
1 – La variabilité abordée est presque exclusivement spatiale (aires de répartition des espèces, des populations, domaines vitaux des individus, …). L’échelle temporelle est en grande partie occultée, en particulier la variabilité cyclique des déplacements à l’échelle d’une journée, selon le rythme nycthéméral (rythme fonctionnel suivant la variation de luminosité du jour et de la nuit) des espèces considérées (ex : Saldaña-Vasquez & Munguia-Rosas, 2013 ; Daly et al., 1992 ; Hailman, 1984). Pourtant, cette périodicité peut engendrer des problématiques très spécifiques de fragmentation, circonscrites dans le temps (par exemple liées à l’éclairage artificiel nocturne).
2 – L’espace est considéré presque uniquement comme un plan (deux dimensions) situé au niveau de la surface terrestre (incluant la végétation) ou dans l’eau (continuité aquatique et sédimentaire). Pourtant, des déplacements ont également lieu en hauteur – dans l’air – ou en profondeur – dans le sol – où la biodiversité est susceptible de rencontrer des barrières bien particulières (ex : éoliennes).
3 – Les principaux facteurs de fragmentation considérés sont des infrastructures matérielles. Les infrastructures linéaires de transport sont visées en priorité, ainsi que les obstacles à la continuité aquatique et sédimentaire (seuils/dénivellations, barrages, …). Pourtant, d’autres sources de fragmentation, « immatérielles », sont désormais reconnues par la littérature scientifique. Les pollutions – chimique, lumineuse, sonore – sont en effet susceptibles d’occasionner des barrières pour le vivant.
Aujourd’hui, la phase d’adoption des Schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) – qui concrétisent la politique TVB à l’échelle régionale – est achevée. La TVB a également été déclinée sur de nombreux territoires infrarégionaux (documents d’urbanisme, chartes de parcs naturels régionaux (PNR), …). Il ressort de ces expériences que les acteurs régionaux et locaux ont déjà entamé des démarches prospectives sur ces thématiques nouvelles liées aux continuités écologiques, qui ne sont pas ou très peu détaillées dans le cadrage national actuel de la TVB. Ainsi, de nouvelles trames sont aujourd’hui à la fois préconisées par les scientifiques et expérimentées par les acteurs opérationnels.
Des trames complémentaires
Un réseau écologique pour les espèces volantes : la trame aérienne
Une partie de la faune se déplace en volant à des altitudes élevées, notamment les oiseaux et les chauves-souris. Ces déplacements aériens peuvent être contraints par différentes constructions humaines (éoliennes, lignes électriques, …) pouvant causer une mortalité directe par collision (ex : Liechti et al., 2013), électrocution ou encore barotraumatisme (traumatisme provoqué par un changement de pression pouvant engendrer des lésions voire la mort ; ici la vitesse extrême des pales des éoliennes engendre une baisse brutale de la pression atmosphérique à leur voisinage) (ex : Baerwald et al., 2008).
Au regard de cette problématique, un réseau écologique fonctionnel et sécurisé pour les déplacements de la faune dans les airs – appelé « trame aérienne » – est conseillé. A la Réunion une trame aérienne a déjà été identifiée en complément de la trame terrestre (DEAL Réunion, 2014). Certains SRCE prévoient de faire de même prochainement (ex : en Rhône-Alpes le plan d’action stratégique du SRCE prévoit de « Cartographier la Trame aérienne pour la révision du SRCE »). D’autres SRCE comportent déjà des cartes indicatives dans leur diagnostic, illustrant les voies de migration de l’avifaune (ex : Midi-Pyrénées) ou des chiroptères (ex : Champagne-Ardenne).
Un réseau écologique pour la biodiversité du sol : la trame brune
Les sols constituent un habitat pour de nombreux groupes biologiques (cf. Regards n°28, n°70 et RO1). Ces premiers centimètres de la croûte terrestre abritent en effet des bactéries, champignons, faune invertébrée (nématodes, collemboles, lombrics, …), des mammifères (rongeurs, insectivores, carnivores et autres constructeurs de terriers, galeries) ou encore des végétaux (par leur système racinaire) (ex : Wolters, 2001 ; Bardgett & Cook, 1998 ; Brussaard, 1997). On estime même que plus d’un quart des espèces terrestres seraient présentes dans les sols (Jeffery et al., 2010). Pour tous ces organismes, le sol est à la fois un lieu de vie et de déplacement (ex : Mathieu, 2016 ; Eijsackers, 2011 ; Auclerc et al., 2009). Ces déplacements sont susceptibles de se heurter à de nombreux obstacles souterrains. Les sociétés humaines colonisent en effet fortement le compartiment du sol : fondation des habitations, réseau de transport d’énergie (ex : gazoducs) ou de personnes (ex : métro). Certaines activités humaines, comme l’extraction de matériaux ou l’agriculture, ont également des incidences directes sur le sol (ex : Falco et al., 2015 ; Menta et al., 2014). En ville, les espaces de pleine terre peuvent être rares ; de nombreux espaces verts – par exemple en bords de rues – se limitent à des grands bacs de terre sans communication entre eux. Pourtant les arbres peuvent aussi avoir besoin d’échanger des nutriments entre eux via leurs racines (ex : Klein et al., 2016).
Face à cela, il parait essentiel de préserver une continuité écologique dans le sol, en complément de la continuité écologique en surface (zones non imperméabilisées) déjà prise en compte par la TVB. Le terme de « trame brune » est alors utilisé pour désigner ce réseau écologique en profondeur, à préserver et restaurer (Chalot, 2016 ; Natureparif, 2012). A l’échelle des régions, aucun SRCE n’en a identifié. En revanche, deux SRCE (ceux des anciennes régions de Franche-Comté et du Centre, adoptés en 2015) ont caractérisé des réservoirs de biodiversité spécifiques représentant les gîtes à chiroptères souterrains, ce qui témoigne d’une amorce de réflexion sur la vie sous terre.
Un réseau écologique pour la vie la nuit : la trame noire
Certaines espèces ont un rythme d’activité journalier marqué, parfois bimodal (crépuscule/aube), avec par conséquent des déplacements ciblés dans le temps (cycle nychtéméral). Des cas de figures complexes peuvent aussi exister : par exemple certaines espèces dites diurnes réalisent en réalité un évènement fondamental de leur cycle annuel la nuit (c’est le cas de la migration des oiseaux deux fois par an pour la plupart d’entre eux, e.g. Wiltschko et al., 1987). Au final, une majorité d’espèces animales s’activent/se déplacent en totalité ou en partie la nuit (Hölker et al., 2010).
Or, l’éclairage nocturne s’est considérablement déployé à l’échelle planétaire ces dernières décennies, générant une pollution lumineuse pour le vivant (Falchi et al., 2016). Aujourd’hui, la littérature scientifique montre que, au-delà de dégrader la qualité de l’habitat des espèces la nuit, cette lumière artificielle est aussi une source de fragmentation « per se » c’est-à-dire que certains animaux ne peuvent franchir des structures éclairées (ex : Van Grunsven et al., 2017 ; Bliss-Ketchum et al., 2016 ; Beier, 1995).
Face à cette menace, le maintien de réseaux écologiques obscurs, désignés sous l’appellation « trame noire », apparait comme une solution. De toutes les trames complémentaires évoquées dans cet article, la trame noire est sans conteste la plus anciennement proposée (Challéat, 2010). Un tiers des SRCE la mentionnent, avec l’ambition de la caractériser à moyen ou long terme (Sordello, 2015). Divers projets sont également en cours, pilotés par des bureaux d’études (projet TRAME NOIRE du bureau d’études Biotope mené à Lille) ou des espaces naturels (projet « Trame sombre » mené sur le Parc national des Pyrénées et le PNR des Pyrénées ariégeoises).
D’autres trames encore
D’autres trames encore seraient légitimes et sont pour certaines déjà évoquées par des acteurs de la TVB. Notamment, la pollution sonore aurait elle aussi des impacts de type « fragmentation » (ex : Troïanowski et al., 2017 ; Jones, 2008) ; ce qui pourrait justifier une « trame de quiétude » (EEA, 2014). Le SRCE de Provence-Alpes-Côte-D’azur prévoit dans son plan d’action le « Développement ou approfondissement de nouvelles recherches sur les différentes trames : Trame nuit, Trame son, magnétique, air », incluant ainsi également la problématique des ondes électromagnétiques et de la pollution atmosphérique. On peut citer aussi les pollutions chimiques (pesticides, eau, …) parmi les sources de fragmentation « immatérielle ».
Comment caractériser ces nouvelles trames ?
Cette diversité du phénomène de fragmentation des habitats semble impliquer inévitablement une multiplication des trames qu’il faudrait identifier, préserver et restaurer. La tâche est d’autant plus complexe que chacune de ces trames doit elle-même théoriquement se décliner en plusieurs sous-réseaux par types de milieux (sous-trames). Par exemple, la trame noire doit comporter aussi bien des continuités forestières qu’aquatiques, compte tenu de la diversité des cortèges d’espèces impactés par la pollution lumineuse. Il s’agit ainsi de caractériser de nouvelles trames et non pas simplement de nouvelles sous-trames. La question de l’opérationnalité se pose donc et une mutualisation des démarches serait utile.
A cette fin, il parait nécessaire de distinguer :
– d’un côté, les trames aériennes et souterraines, qui constituent des réseaux écologiques situés à d’autres niveaux d’espaces que la TVB actuelle. A ce sujet, il semble nécessaire d’identifier de nouveaux réseaux écologiques impossibles à déduire de la TVB existante. Par exemple, la modélisation des corridors et réservoirs de biodiversité dans le sol nécessite à la fois des données spécifiques sur l’environnement (ex : pédologie) et sur les espèces ou groupes d’espèces locaux (ex : lombrics, myriapodes), ce qui diffère des modèles de perméabilité du paysage habituels.
– d’un autre côté, les trames relatives à des pollutions (lumière, son, substances, …). Pour ces trames au moins deux solutions existent. Ces pollutions peuvent être prises en compte comme des facteurs diminuant la « perméabilité » du paysage (Sordello et al., 2014). Elles peuvent ainsi être considérées dans les modélisations des continuités écologiques, à part ou cumulées aux facteurs usuellement considérés (fragmentation matérielle), dans une approche que l’on pourrait qualifiée d’« intégrative ». Sinon, une autre démarche plus rapide, que l’on pourrait appeler « déductive », est possible en effectuant une extraction a posteriori par un croisement cartographique entre ces pressions et la TVB telle qu’elle est identifiée actuellement. C’est la démarche utilisée par le bureau d’études Dark Sky Lab sur les territoires du PNP et du PNR PA pour caractériser leur trame sombre. Avec cette dernière option, les trames correspondants (ex : trame noire) sont donc incluses dans la TVB actuelle.
D’autres approches possibles au-delà de la caractérisation de ces trames
L’approche par les obstacles
Qu’il s’agisse des contraintes aux déplacements de la faune aérienne ou des contraintes liées aux pollutions (lumineuses, sonores, chimiques), une option peut être de travailler sur les obstacles aux continuités écologiques, quelle que soit la manière dont ces dernières ont été caractérisées. Par croisement cartographique, des zones de conflits peuvent ainsi être identifiées dans le but ensuite de les atténuer, voire de les résorber (Sordello et al., 2014). Cette méthode a notamment été testée par le Parc naturel régional des Causses du Quercy pour la pollution lumineuse (Granier, 2012). Elle est aussi préconisée pour la trame aérienne en Rhône-Alpes (LPO, 2013).
L’approche par la gestion
Dans une approche pragmatique qui peut convenir pour les pollutions évoquées ici, une autre option peut consister à gérer ces pressions au sein des continuités écologiques, même si ces dernières n’ont pas été définies sur la base de ces pressions. Ainsi, le niveau sonore, les concentrations de pesticides, la qualité de l’eau, la lumière artificielle peuvent être contrôlés dans les réservoirs et les corridors écologiques par des mesures « génériques ». Par exemple, pour la lumière artificielle, il est possible de travailler sur la spatialisation des points lumineux, sur la temporalité de l’éclairage ou encore sur la qualité/quantité de lumière artificielle (types de lampes, niveaux d’éclairement, orientation des luminaires, …).
Conclusion
Lors de son émergence en 2007, la politique TVB a marqué une évolution majeure dans les politiques de protection de la nature, de par la thématique qu’elle aborde (fragmentation/connectivité) et son approche (transversale, englobante, multiscalaire). Malgré tout, la connaissance scientifique et les démarches prospectives des acteurs continuent d’élargir peu à peu son assise en mettant encore à jour de nouvelles problématiques de fragmentation et certaines dimensions du vivant insuffisamment considérées jusque-là dans l’aménagement du territoire.
Il existe même un vrai paradoxe car ces problématiques actuellement sous-traitées ont potentiellement des conséquences déterminantes puisqu’elles concernent la majorité du vivant (sol, nuit). Cet article souligne ainsi la manière dont la maitrise d’ouvrage (Ministère public), la recherche et les acteurs opérationnels progressent, tantôt ensemble tantôt séparément, et au final co-construisent une politique, dans un rapport qui n’est pas toujours descendant : en l’occurrence des innovations locales précèdent ici le cadrage national. A ce titre, il parait nécessaire que le cadrage national de la TVB soit mis à jour à court ou moyen terme pour intégrer ces avancées scientifiques et accompagner la dynamique des acteurs opérationnels.
La réflexion sur la manière d’aborder ces nouvelles thématiques et de prendre en compte la complexité spatiale et temporelle des continuités écologiques doit se poursuivre. L’articulation de ces différentes trames doit faire l’objet d’un vrai débat. Certaines problématiques étant voisines (ex : différents types de pollutions), il existe un véritable intérêt à les aborder ensemble, afin de tendre vers des méthodologies cohérentes. En outre, certaines de ces trames nécessairement se recoupent (ex : trame noire et trame aérienne pour la migration des oiseaux) ; toutefois il faut souligner que c’est déjà le cas dans la trame verte et bleue actuelle (par exemple, les milieux humides peuvent appartenir aussi bien à la trame verte qu’à la trame bleue). Enfin, une réflexion sur la terminologie de ces différentes trames serait utile (par exemple, pour la pollution lumineuse, différentes expressions co-existent déjà telles que trame noire, trame sombre, trame nuit, …).
Toutes ces problématiques dites « émergentes » abordées dans cet article, ne bénéficient pas du même niveau de connaissance et la priorité accordée à leur prise en compte doit donc être fixée en conséquence. Par exemple, le rôle de fragmentation « per se » est désormais prouvé pour l’éclairage nocturne alors que, concernant la pollution sonore, son effet fragmentant reste pour le moment plutôt déduit d’une dégradation de l’habitat (ex : Mason et al., 2016). De même la biodiversité du sol et l’impact des structures souterraines anthropiques sur ses déplacements constituent un champ de connaissance à explorer. Par ailleurs, même pour les problématiques les plus étudiées, certains points restent lacunaires et les besoins de recherche sont donc forts. Par exemple, en ce qui concerne la pollution lumineuse, l’enjeu est désormais de déterminer les seuils de sensibilité des différents groupes d’espèces (distance aux points lumineux, d’éclairement, …) de manière à quantifier ces effets par guilde d’espèces (groupe d’espèces apparentées selon leurs exigences écologiques, traits de vie, milieux fréquentés, niche écologique occupée, …) et à inclure ces données dans les modèles d’identification des éléments de trames (Sordello, 2017b). Une question fondamentale est aussi de pouvoir hiérarchiser ces différentes pressions selon leur niveau d’impact, pour prioriser les démarches et les « rentabiliser ». Par exemple, il a été démontré dernièrement que la pollution lumineuse expliquait mieux la répartition de certaines chauves-souris à l’échelle nationale que l’urbanisation (au sens physique), probablement du fait de l’action à distance de la lumière artificielle (Azam et al., 2016). Ce genre de résultat plaiderait pour encourager plutôt, selon l’échelle et les espèces, une approche par la lumière, plus englobante, que par l’artificialisation des sols.
Enfin, nous avons abordé ici la partie uniquement terrestre et aquatique d’eau douce de la biodiversité mais une démarche sur la connectivité en mer est également en réflexion sur certains territoires. A titre d’exemple, une trame marine a été identifiée à la Réunion en complément de la trame aérienne et de la trame terrestre.
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Regards connexes
Regard n°6 : La fragmentation des habitats, par John Thompson et Ophélie Ronce, 18 novembre 2010. https://sfecologie.org/regard/regards-6-thompson-ronce/
Regard n°28 : Les écosystèmes du sol, par Sébastien Barot et Florence Dubs, 17 février 2012. https://sfecologie.org/regard/r28-sols-barot-et-dubs/
Regard RO1 : Des préoccupations d’une direction de l’Environnement à une politique de recherche en faveur de la biodiversité en région Nord-Pas-de-Calais, par M. Veyrières et al., 4 février 2016. https://sfecologie.org/regard/ro1-des-preoccupations-dune-direction-de-lenvironnement-a-une-politique-de-recherche-en-faveur-de-la-biodiversite-en-region-nord-pas-de-calais/
Regard RO4 : Nouveaux horizons pour l’Ecologie des paysages, par Marc Deconchat et Clélia Sirami, 20 mars 2017. https://sfecologie.org/regard/ro4-ecologie-des-paysages-m-deconchat-et-c-sirami/
Regard R70 : Variations en sol majeur, par Jean-François Ponge, 20 février 2017. https://sfecologie.org/regard/r70-fev-2017-j-f-ponge-sol-majeur/
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Article édité et mis en ligne par Anne Teyssèdre.
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Bonjour,
Article très intéressant par son positionnement pluridisciplinaire et son usage décloisonnant des notions. Les visuels et codes couleur sont particulièrement attractifs et bienvenus. Les apports cognitifs sont nombreux et utiles à l’argumentaire de projets de recherche largement ouverts à d’autre champs. Des perspectives très stimulantes.
Merci beaucoup pour cette remarque très positive.
Cordialement,
Romain Sordello
Bonjour,
J’ai plusieurs commentaires sur ce regard de Romain Sordello sur les trames écologiques.
Point 1. Représentation de la TVB.
La notion de continuité écologique constituée de réservoirs de biodiversité et de corridors est une vision trop simplificatrice et fausse issue des préceptes anglo-saxons de protection de la nature et développées notamment par l’UICN afin de répondre au constat d’échec d’une stratégie traditionnelle de protection de la nature basée uniquement sur la création d’aires protégées. En effet, la création de réserve naturelle n’étant pas suffisant, il fallait les relier par des corridors. Vision reprise par Union Européenne et le Conseil de l’Europe en 1995 dans la Stratégie paneuropéenne de la diversité biologique et paysagère. Les débats pour tenter d’imposer une vision plus complexe de réseaux écosystémiques multiples n’avaient pas obtenu de consensus à l’époque.
La représentation schématique de la TVB (SRCE Bretagne) est déjà plus appropriée mais pas correctement interprétée : Le maillage écologique y est certes formés de réseaux écologiques et de corridors, mais il comporte de nombreuses zones mal différenciées occupant de vastes surfaces subnaturelles qui jouent pourtant un rôle essentiel pour la conservation de la biodiversité : les zones d’extension qui jouent certes aussi un rôle de corridor mais qui sont surtout des habitats secondaires en termes de qualité écologique. Elles offrent tout de même des fonctions appréciables de refuge, de nutrition, de zones d’élevage des juvéniles et qui sont souvent récupérables comme zone de reproduction si elles sont soumises à une gestion appropriée. A l’échelle locale et régionale, les corridors sont des espaces hors habitats favorables qui sont caractérisés par des flux significatifs de propagules. Ces flux sont abondants et réguliers dans les zones écotonales des habitats d’origine et saisonnier dans les espaces de connexion attribués à d’autres ensembles d’habitats, que sont les corridors (S.S.).
Bonsoir Guy,
Vous avez raison, la notion de corridors est multiples. En réalité elle recouvre aussi bien des axes précis que des grandes zones perméables assurant globalement un fonctionnement écologique. Dans les SRCE, nous retrouvons bien cette diversité d’approches entre les régions et même au sein d’une même région. A titre d’exemple, en région Centre il existe des corridors « précis » et des « corridors diffus », ce qui montre bien les différentes notions de corridors. Tout dépend en réalité des contextes, la notion de corridors n’a bien sûr pas la même réalité en Auvergne qu’en Île-de-France. A ce titre, certaines régions où la « matrice paysagère » est de bonne qualité ne se sont pas contentées d’identifier des corridors et des réservoirs et ont retenu des espaces complémentaires – par exemple les « espaces perméables » du SRCE Rhône-Alpes – pour prendre en compte cette complexité. Vous pouvez avoir un aperçu des approches régionales sur ces notions de réservoirs/corridors/matrice dans le bilan du Centre de ressources TVB paru il y a quelques jours : http://www.trameverteetbleue.fr/sites/default/files/references_bibliographiques/170612_-_bilan_srce_-_volume_1_-_cdr_tvb.pdf
Amitiés
Romain Sordello
Point 2. Les sous-trames de la TVB
Les sous-trames mentionnées par le Code de l’Environnement sont malheureusement aussi trop simplificatrices dans la mesure où elles devraient pouvoir décrire l’ensemble des milieux naturels et transformés qui forme un paysage. Ainsi le milieu ouvert réunit en fait plusieurs sous-trames, telles que, les prairies et les pâturages, les landes, les cultures annuelles et permanentes, les espaces minéraux détritiques (sables, graviers, rocailles, vases) et les milieux rocheux. Autant de sous-trames indispensables à distinguer pour décrire de manière exhaustive les différentes continuités écologiques des paysages.
La terminologie « trame verte et bleue » est certes très symbolique, donc très utile, pour illustrer l’organisation spatiale des réseaux de milieux naturels mais ne doit cependant pas être sélective. Le schéma TVB (IRSTEA 2010) écarte délibérément les terres agricoles et les milieux urbains, espaces pourtant dominants dans de nombreux paysages fortement transformés, ce qui pose des problèmes de mise en œuvre lors de l’établissement de programmes d’actions de restauration.
Bonsoir Guy,
Les cinq sous-trames nationales du Code de l’environnement font office de « grands milieux ». Les régions étaient libres de choisir des sous-trames plus précises, en les « embranchant » dans ces grandes sous-trames. Et c’est ce qu’elles ont fait (ex pour les milieux ouverts : sous-trames de pelouses calcicoles, sous-trames de milieux prairiaux, etc.). Vous pouvez consulter un bilan sur le choix des sous-trames dans le rapport publié récemment, élaboré par le Centre de ressources TVB : http://www.trameverteetbleue.fr/sites/default/files/references_bibliographiques/170612_-_bilan_srce_-_volume_1_-_cdr_tvb.pdf
Amitiés
Romain Sordelo
Point 3. Notion de variabilité de la TVB
Le principe des réseaux écologiques a été utilisé pour décrire une infrastructure naturelle qui se développe dans tous les paysages transformés. Cette infrastructure doit permettre aux mécanismes naturels de s’effectuer temporairement et à différentes échelles. La variabilité spatiale doit définir la place des divers éléments fonctionnels indispensables au maintien de différents écosystèmes caractéristiques des paysages.
La représentation en 2D de la TVB est pratique pour exprimer les besoins d’une planification spatiale très schématisée. Cependant, une telle représentation est inutilisable pour comprendre et analyser le fonctionnement écosystémique global de l’ensemble des réseaux concernés. La représentation d’une TVB simplifiée en 2D est peut-être pratique reste mais largement incompréhensible.
Dans la réalité les différents réseaux spécifiques se superposent, s’interpénètrent en créant des synergies ou des oppositions. Cette complexité spatiale ne peut s’analyser que dans une modélisation 3D, rendue possible avec un SIG.
Dans la pratique on devrait analyser non seulement la confrontation des différents réseaux écologiques spécifiques au niveau du sol mais également dans les strates aériennes et édaphiques, tout en reconnaissant que le niveau du sol constitue une interface idéal d’expression de la biodiversité grâce à la formation d’habitats facilement identifiables qui dépendent eux-mêmes des conditions édaphiques et atmosphériques en contact avec le sol. Ainsi, un habitat ou un milieu donné, représenté graphiquement par un polygone, doit se lire avec sa dimension verticale (3D) comprenant : « Un espace aérien écotonal – un espace surfacique occupé par un habitat et sa rhizosphère – un espace écotonal édaphique ». Les ensembles d’habitats, y compris leurs zones écotonales aériennes et édaphiques, forment une continuité écologique spécifique qu’il s’agit d’analyser en termes de résilience locale ou régionale.
Point 4. Introduction de trames complémentaires ?
Pour désigner les diverses trames de la TVB on devrait s’en tenir uniquement à l’interprétation cartographique de la couche d’occupation du sol dans la mesure où cette dernière fournit les informations concernant la présence de l’infrastructure naturelle des habitats.
La trame brune cherche à mettre en évidence le rôle écosystémique de l’espace souterrain de la rhizosphère et de la lithosphère. De fait, elle fait partie intégrale de l’habitat (biotope), caractérisé par une biocénose spécifique contenue aussi bien dans une partie épigée que dans une partie hypogée. Ainsi, le noyau « habitat » est toujours enveloppé des zones écotonales aériennes et souterraines.
Ce que vous appelez « trame aérienne » recense les différents obstacles et nuisances présentes dans la couche aérienne proche du sol. On devrait parler de préférence d’un ensemble des éléments perturbants de l’espace écotonal aérien.
Les extractions de matériaux, l’agriculture intensive ou les constructions souterraines, sont aussi à considérer comme étant des éléments de perturbation de la zone écotonale souterraine.
La trame noire est un état normal du fonctionnement des écosystèmes, il faut dès lors analyser la pollution lumineuse comme étant une des causes supplémentaires de dégradation de la biosphère avec des conséquences notamment sur le mitage et la fragmentation des habitats.
De même, les pollutions sonores, électromagnétiques et autres causes, peuvent être évaluées comme des sources de perturbations des biocénoses spécifiques.
En conclusion, dans la démarche interactive d’ajustement de la TVB, il faut différencier deux catégories de trames : Les trames propres à l’infrastructure naturelle et les trames des perturbations anthropiques.
Bonjour,
Regard très intéressant, bien ancré dans la pratique, celle locale ou celles emboîtées aux échelons supérieures. C’est très stimulant de s’imaginer l’évolution de l’écologie de la conservation depuis la création d’aires (celles historiques et pré-TVB ou celles inventées aujourd’hui par ce projet TVB) jusqu’à la trame.
Une question : N’est-ce pas la biodiversité et le milieu qu’il faut saisir comme une matrice englobante et donc le gris (notre réseau technique) comme des coulées (à l’image des coulées provoquées par le passage du gibier) se devant le moins blessantes possibles et le plus pro-biodiversité? Je ne suis pas du domaine écolo et l’image qui ressort un peu de votre regard est celle d’une matrice grise dont laquelle l’homme ferait fondamentalement partie dont les trames vertes et bleues s’y trouveraient en intrusion.
Bonjour, Merci beaucoup pour votre commentaire. Le système « corridor/réservoirs de biodiversité » repris du modèle tâches/matrice/corridors de l’écologie du paysage dans le projet TVB français est un système pratique d’un point de vue opérationnel. Il permet en effet de prioriser l’action de préservation/restauration. Néanmoins vous avez tout à fait raison, il est forcément simplificateur et la « matrice » c’est-à-dire ce « reste » qui ne constitue ni des réservoirs de biodiversité ni des corridors doit recevoir tout de même une attention de la part des acteurs de la conservation. Certaines espèces peuvent en effet fréquenter cette matrice qui est un milieu hostile mais pas pour autant radicalement ni homogènement mauvais sur le plan écologique. Tout l’enjeu est donc de rendre cette matrice la moins hostile possible.
Quelque part nous pourrions donc même renverser les choses en disant que cette matrice revêt des enjeux plus important que les espaces identifiés comme réservoirs/corridors qui, de fait, font encore partie des milieux les plus préserver ! C’est sur cette espace que l’on peut « reconquérir la nature ». Il faut savoir que certaines démarches en écologie du paysage désormais préfèrent même s’affranchir de la notion de noyaux/corridors/matrice pour aborder le territoire plutôt par un dégradé de perméabilité paysagère.
Mais le législateur français a préféré opter pour une approche « traditionnelle » en demandant l’identification de réservoirs/corridors bien définis, sans doute parce que comme je l’indiquais plus haut cette approche est beaucoup plus pratique d’un point de vue opérationnel. Une approche par un dégradé de perméabilité demande de toutes les façons de choisir un seuil à partir duquel on estime que la perméabilité du paysage est insuffisante, donc dans tous les cas une classification est nécessaire pour passer à l’action ensuite. Merci encore pour votre remarque très juste qui permet d’aborder ce point complexe et intéressant des réseaux écologiques.
Bonjour Guy Berthoud,
Ce regard était déjà très intéressant et vos échanges avec son auteur ne font que l’enrichir.
Personnellement, à lire l’histoire de la protection de la nature, je comprends que la création d’aires protégées a plus été une autorisation de transformer leurs extérieurs, et donc grosso modo la planète, en business park qu’une mesure écologique pertinente. Moi ici, c’est principalement l’idée de nature qui m’ennuie. C’est une idée à l’origine occidentale plus qu’anglo-saxonne. Vous, semble-t-il, pensez que ce sont les « préceptes anglo-saxons de protection de la nature » qui seraient faux. Est-ce le cas?
Cordialement,
Michel