Quand j’étais étudiant en Master, j’ai découvert tout à fait par hasard à la bibliothèque un livre de Claude Combes — Interactions durables. En progressant dans ma lecture, j’ai été de plus en plus passionné par la complexité et l’élégance des interactions entre espèces. Suffisamment pour me détourner de l’immunologie, et me réorienter vers l’écologie parasitaire. Comment des espèces avec des intérêts diamétralement opposés interagissent et évoluent? Quelle est la «meilleure» stratégie pour chacune d’entre elles? Après avoir travaillé sur des parasites de poissons pendant mes stages de Master, j’ai consacré ma thèse à tenter de comprendre l’évolution de la spécialisation écologique dans les systèmes antagonistes.
En quelque mots, mon objectif était de comprendre quelles stratégies des espèces avec des buts différents (manger / ne pas être mangé) vont adopter, dans un environnement qui change. Depuis Darwin, on sait que les organismes s’adaptent graduellement à leur environnement, et que cette adaptation se fait sous certains contraintes. La même observation est vraie pour les interactions entre les espèces, et on peut en tirer deux grandes lignes de réflexion. D’abord, la manière dont on s’adapte à l’environnement va ressembler à la manière dont on s’adapte aux autres espèces, parce que ce deux processus sont contraints par la génétique, la physiologie, le développement. Ensuite, le type d’adaptations à l’environnement qu’on développe interagit avec l’adaptation aux autres espèces, parce que la majorité des traits impliqués sont eux mêmes reliés.
De ces deux constats, nous avons tiré une question de recherche plus précise: quels sont les facteurs qui limitent le nombre d’environnements auxquels une espèce peut s’adapter? Si les processus sont les mêmes, vivre dans un milieu plus chaud, ou vivre dans un nouvel hôte, ne sont peut être pas des événements si différents que ça. Cette question peut sembler très théorique, alors qu’en fait, comprendre qui vit où, c’est la clé de notre compréhension des patrons de biodiversité. Et c’est sans parler des conséquences pour la santé publique: les mécanismes qui font qu’un virus devient infectieux pour l’homme ne sont peut être pas si différents de ceux qui permettent à un poisson méditerranéen de passer dans l’Atlantique! Ce qui m’a vraiment emballé dans ce travail, c’est cette possibilité d’intégrer les interactions à beaucoup d’autres idées d’actualité en écologie.
En se basant sur cette idée que (peut-être) les mécanismes sont conservés à toutes les échelles, on s’offrait la possibilité de comprendre le phénomène de spécialisation «dans son ensemble», donc à travers l’ensemble de l’écologie évolutive, qu’on soit intéressé aux interactions ou non. En creusant un peu la littérature, nous avons rapidement identifié une grosse lacune: le dernier article de synthèse exhaustif datait de… 1988! A de rares exceptions près, on avait développé de la littérature empirique, et des modèles, mais sans vraiment effectuer un effort de synthèse; ce n’est pas entièrement exact, mais pour faire court, disons que l’accumulation de littérature a conduit à la rédaction de synthèses sur des questions de plus en plus spécialisées. L’idée de base, c’est qu’il était temps de rassembler tout ça, et de chercher dans l’énorme quantité d’articles disponibles des facteurs écologiques et évolutifs qui étaient toujours associés à l’évolution de la spécialisation.
Notre surprise, après avoir passé quelques mois sur la littérature, c’est que ces facteurs sont finalement assez peu nombreux! Pourquoi l’évolution de la spécialisation est-elle un phénomène aussi complexe? Parce que tous ces facteurs interagissent. Considérés un par un, il est relativement simple de comprendre leur effet. Mais quand deux facteurs qui ont des effets différents ont aussi un effet l’un sur l’autre, comment prédire les conséquences? À ce stade, ceux qui veulent vraiment savoir peuvent aller chercher l’article publié en accès libre dans Ecology Lettershttp://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21699641 (en accès libre).
Faire ce travail de synthèse a été une expérience déterminante pour moi; l’impression d’avoir réussi a dégager un peu d’ordre dans une question aussi complexe était une bonne chose, mais j’ai surtout pris beaucoup de recul sur les différentes questions que nous avons abordé. Après avoir passé autant de temps dans la littérature, il était aussi plus facile d’identifier les zones à éclaircir, et donc d’avoir de bonnes idées pour des travaux futurs.
Site web : http://timotheepoisot.fr/
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