Comparaison de la structure de l’habitat et de la diversité végétale entre un site de protection communautaire de bonobos et un site non protégé, dans un paysage de mosaïque forêt-savane en République Démocratique du Congo.
Victor Narat
6 bis route de Versailles, 78720, Dampierre en Yvelines
victor.narat (at) gmail.com
Résumé
La conservation des grands singes (tous menacés d’extinction) passent par une meilleur compréhension de leurs besoins, de leur manière d’utiliser leur habitat et de leurs capacités d’adaptations aux changements. Les changements peuvent être liés aux humains et il est primordial de comprendre comment les humains, localement, perçoivent et utilisent cet environnement et comment ces utilisations évoluent. Comprendre comment les grands singes utilisent différents types d’habitat permet d’adopter des stratégies de conservations adaptées.
Dans le cadre de ma thèse universitaire (Muséum national d’Histoire naturelle, UMR7206), j’étudie les interactions entre les humains, les bonobos (Pan paniscus) et l’habitat avec une approche interdisciplinaire (écologie, ethno-écologie et parasitologie). Cette étude est réalisée en collaboration avec l’Organisation Non Gouvernementale congolaise Mbou-Mon-Tour dans le Territoire de Bolobo en République Démocratique du Congo (seul pays abritant les bonobos). Cette ONG, constituée de cadres universitaires congolais et de villageois de la zone d’étude a mis en place des forêts de conservation communautaire. Ce site est situé à l’extrême sud-ouest de l’aire de répartition des bonobos et est composé d’un habitat de mosaïque forêt-savane, rare sur le reste de l’aire de répartition de l’espèce. Cet habitat fragmenté est particulièrement intéressant pour mieux comprendre les capacités d’adaptation des bonobos.
Lors de ma thèse vétérinaire, la comparaison d’une forêt de protection communautaire et d’une forêt non protégée a indiqué une présence de bonobos plus importante et une présence humaine moins importante en forêt protégée. Or, cette forêt est protégée depuis 2007 et a été choisie par les populations locales car d’après ces populations elle abritait une grande population de bonobos et était peu utilisée par les humains, en raison de son éloignement du village (environ six km). Le statut de protection n’est donc probablement pas la cause de la différence observée.
C’est pour mieux comprendre comment les bonobos se répartissent dans l’habitat et quels sont les facteurs influençant cette répartition qu’il est nécessaire de caractériser précisément les différents habitats forestiers du site d’étude.
Lors d’une mission de terrain du 29 janvier 2013 au 02 mai 2013, en collaboration avec Flora Pennec (ingénieur CNRS, UMR7206), la végétation du site d’étude a été recensée dans 51 parcelles de 50*50 mètres. A chaque parcelle, en plus du recensement, une mesure de la surface terrière et des mesures de la surface foliaire ont été associées pour mieux caractériser le sous-bois et la canopée.
Au total 1957 arbres (152 inconnus), 587 lianes (149 inconnus) et 609 herbacées ont été recensés. 214 noms vernaculaires et 126 identifications botaniques ont été réalisées, ce travail d’identification est toujours en cours. Une analyse approfondie est en cours pour mettre à jour les communautés végétales spécifiques de certains type d’habitat, puis extrapoler les résultats de recensement à l’ensemble du site d’étude grâce à une classification supervisée d’image satellite (image SPOT). A terme, ces résultats seront associés aux données de suivi des bonobos et des activités humaines pour mieux comprendre les facteurs influençant la répartition des bonobos et améliorer les stratégies de conservation.
Justifications
Les stratégies de conservations intégrales ont montré leurs limites en écartant les populations locales des aires protégées. L’amélioration de ces stratégies passe par une meilleure connaissance de l’écologie des espèces mais aussi une meilleure connaissance des relations existant entre les populations humaines locales et leur environnement.
Les grands singes sont inféodés aux forêts tropicales, et la fragmentation de cet habitat, souvent d’origine anthropique, fait partie des menaces pesant sur ces espèces. Parmi les grands singes, les bonobos (Pan paniscus) sont endémiques d’une aire d’environ 350 000 km2 en République Démocratique du Congo.
Comprendre comment les bonobos utilisent un habitat fragmenté et comment les activités humaines influencent l’utilisation de cet habitat est indispensable pour mieux connaître les capacités d’adaptation de cette espèce et améliorer les stratégies de conservation à l’échelle du socio-écosystème.
Dans le cadre de ma thèse universitaire (Muséum national d’Histoire naturelle), j’étudie de manière interdisciplinaire (écologie, ethno-écologie, parasitologie) les relations entre les humains, les bonobos et l’habitat dans le Territoire de Bolobo. Cette zone, en dehors de l’aire de répartition officielle des bonobos jusqu’en 2005 (Figure 1) est très particulière en raison de sa proximité à la capitale, Kinshasa (300 km), son habitat de mosaïque forêt-savane (très rare sur l’aire de répartition des bonobos)(Figure 2), la présence des Batéké (ethnie majoritaire) qui ont un interdit alimentaire sur les bonobos et enfin la présence d’un projet de conservation communautaire mené par l’ONG congolaise Mbou-Mon-Tour. Ainsi, cette zone est très propice à l’étude des capacités d’adaptations des bonobos à un habitat fragmenté et anthropisé.
Les données obtenues lors de l’étude pilote menée en 2010 et 2011 et comparant une forêt de protection communautaire (21 km2) et une forêt non protégée (19 km2) ont indiqué une qu’il y avait plus de bonobos et moins d’activités humaines dans la forêt protégée (Figure 3).
Cette différence n’est probablement pas liée au statut de protection de la forêt qui est récent (2007) et qui est mis en place progressivement avec un maintien de certaines activités humaines en forêt (pêche, cueillette principalement). De plus, à partir des entretiens semi-directifs effectués, il apparaît que la population a choisi cette forêt pour la conservation communautaire car justement d’après les connaissances locales, elle abritait plus de bonobos et qu’elle était moins utilisée en raison de son éloignement des villages (environ 6km du village d’Embirima).
Alors, comment expliquer les différences observées ? Les activités humaines ont-elles une influence négative sur la présence des bonobos ? Le type d’habitat forestier, en fonction de sa structure et de sa disponibilité alimentaire peut-il expliquer cette différence ?
Tout en approfondissant l’étude de la présence humaine et des bonobos dans ces deux forêts, il est donc nécessaire de caractériser les habitats forestiers pour tester le type d’habitat comme facteur influençant la présence des bonobos et l’utilisation humaine et pouvoir ensuite tester l’influence de la présence humaine indépendamment du type d’habitat.
Cette étude de l’habitat s’est faite en parallèle de l’étude du régime alimentaire des bonobos et pourra donc aussi nous donner des informations sur la disponibilité alimentaire.
Le projet soumis à la SFE correspondait à cet aspect de caractérisation des habitats de la zone d’étude.
Méthodes
Cette étude de l’habitat a été menée en collaboration avec Flora Pennec (ingénieur CNRS, UMR7206) et permise par la formation et l’emploi d’assistants locaux.
Dans un premier temps (2012), nous avons réalisé une classification non supervisée à l’aide du logiciel ENVI® à partir d’une image satellite Landsat 7 de 2003, afin d’obtenir cinq classes spectrales différentes du milieu forestier (Figure 4).
A partir de cette classification non supervisée, un tirage aléatoire stratifié de points GPS a été réalisé, correspondant aux futurs sites de parcelles de recensement de végétation. Une fois sur le terrain, 51 parcelles ont été réalisées en fonction du tirage établi (Figure 3) et répartis entre la forêt protégée (N=31) et la forêt non protégée (N=20). Chacune de ces parcelles ont été recensées de manière stratifiée de la manière suivante (Figure 5) :
- DBH>30cm et lianes de diamètre >10cm recensés sur l’ensemble de la parcelle
- DBH>10cm et lianes (tout diamètre) recensés sur une sous-parcelle de 20*50m
- Herbacées et plantules recensés sur 4 sous-parcelle de 1*1m
Les parcelles ont été délimitées à l’aide de cordes.
Afin d’améliorer la caractérisation de l’habitat, une estimation de la surface terrière à l’aide d’un relascope à chaînette (Photo 1) a été faite dans chacune des parcelles ainsi qu’un ensemble de mesure de la surface foliaire (estimation de la densité de la canopée) à l’aide d’un appareil de mesure spécifique (LAI-mètre, Photo 2).
Enfin, une description semi-quantitative du sous-bois, de la strate moyenne et de la canopée était également réalisée.
Résultats et discussion
Les données sont en cours d’analyse. Sur les 51 parcelles réalisés (45 en forêt, 4 en savane, 2 en lisière), 1957 arbres (152 inconnus), 587 lianes (149 inconnus) et 609 herbacées et plantules ont été recensés. A l’heure actuelle, 214 noms vernaculaires (dont 126 avec identification botaniques) ont été collectés. Les identifications botaniques sont toujours en cours.
Dans les semaines à venir, il est prévu d’analyser dans un premier les différences de structures de l’habitat (densité d’arbre ayant un DBH>30cm, densité en plantules…), de faire ressortir des communautés végétales, et enfin d’explorer si certaines ressources alimentaires des bonobos sont spécifiques d’un type d’habitat. Cette étape sera terminée en août 2013.
Puis, à partir de l’association des données de recensement et des images satellites (utilisation d’une image SPOT) une classification supervisée sera réalisée pour extrapoler les résultats de recensement obtenus à l’ensemble du site d’étude. Enfin, lors d’une prochaine mission (octobre 2013), des parcelles de validation seront recensées pour vérifier la pertinence de l’extrapolation.
Une fois ce travail effectué, cette caractérisation de l’habitat sera associée aux données de suivi des bonobos et des activités humaines tester différents paramètres pouvant influencer la répartition des bonobos (type d’habitat, distance à la lisière, distance à la rivière, activité humaine…) à l’aide de modèle (type MaxEnt).
Bonjour,
Très intéressant sujet de doctorat!
J’ai par contre, une question.
Vous dites: « Les données obtenues lors de l’étude pilote menée en 2010 et 2011 et comparant une forêt de protection communautaire (21 km2) et une forêt non protégée (19 km2) ont indiqué une qu’il y avait plus de bonobos et moins d’activités humaines dans la forêt protégée. » = en forêt protégée il y a plus de Bonobos et moins d’humains donc. Il me semble donc logique que dans une forêt où il y moins d’humain, il y aura potentiellement moins d’impacts négatifs et donc plus de « faune sauvage ».
Mais plus loin, vous dites « Or, cette forêt est protégée depuis 2007 et a été choisie par les populations locales car d’après ces populations elle abritait une grande population de bonobos et était peu utilisée par les humains, … » ou encore « Les activités humaines ont-elles une influence négative sur la présence des bonobos ? » ce qui sous-entends le fait que l’activité humaine à un impact négatif sur les bonobos… Mais en quoi ou comment? Et ca me semble en contradiction avec vos phrases précédentes où justement, il ressort que la population de bonobos est mportante et ne semble donc pas subir d’impact négatif…
Voilà une petite question en passant. 🙂
Bonne suite pour votre travail et en espérant avoir des nouvelles sur cette même page.
Yves