La Société Française d’Ecologie et d’Evolution (SFE2) vous propose ce Regard-essai (RO22) de Paul Rouveyrol, chargé de projet à PatriNat (OFB/CNRS/MNHN), sur la protection des prairies d’Europe.

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Faut-il protéger les prairies
par des politiques d’espaces protégés ?

L’exemple de Natura 2000

Paul Rouveyrol

Responsable de la cellule Espaces protégés et Natura 2000, PatriNat, OFB/CNRS/MNHN
Regard RO22, édité par Anne Teyssèdre

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Mots clefs : prairies, Natura 2000, préservation de la biodiversité, politiques publiques,
histoire des paysages, hétérogénéité.

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Résumé

Les milieux agropastoraux mobilisent, en France, une part importante des moyens dédiés à la conservation de la biodiversité. Cette stratégie n’est pas sans fondements : ces milieux possèdent une biodiversité propre importante et ils constituent une alternative à la « binarisation » des écosystèmes terrestres non bâtis, entre intensification agricole d’une part et recolonisation forestière d’autre part. Résultant d’une spécialisation croissante des usages des sols, cette binarisation affecte négativement une partie importante de la biodiversité. Or les données de gestion du réseau Natura 2000 montrent que la part des mesures allouée à la conservation des milieux agropastoraux, peu touchés par l’intensification de l’agriculture, est disproportionnée par rapport aux autres écosystèmes. Cette politique répond à l’ambition du réseau Natura 2000 de contribuer au maintien d’une « biodiversité ordinaire », en phase avec ses objectifs initiaux. Elle pose cependant question en termes d’arbitrage des moyens : du fait notamment de l’emprise spatiale limitée du réseau, on peut douter de sa capacité à agir, seul, sur l’évolution des politiques agricoles à l’origine de cette binarisation.

Introduction

Présents sur l’ensemble du territoire, les espaces protégés français y offrent des visages très variés. Un visiteur qui les traverserait tous ne pourrait qu’être frappé par la très grande diversité de milieux naturels qu’il y observerait : forêts, rochers, littoraux, lacs, rivières et milieux agricoles… Cette diversité reflète la richesse du patrimoine naturel de nos paysages, et c’est bien pour conserver l’ensemble de ces milieux, et les espèces qui y vivent, que les espaces protégés ont été créés. Pourtant, au sein de cette mosaïque, un écosystème focalise plus d’attentions : les pelouses, prairies permanentes et l’ensemble des autres milieux « ouverts », qu’on qualifie généralement de « naturels ou semi-naturels », que ce soit les landes, parcours ou garrigues basses… Ils se caractérisent par un couvert végétal dominé par la strate herbacée, et suffisamment ancien pour qu’on les qualifie de « surface toujours en herbe ». Par souci de lisibilité, nous utiliserons dans ce texte le terme de « prairies » pour regrouper l’ensemble de ces milieux.

Nous nous concentrerons ici sur une politique européenne de conservation de la nature, Natura 2000. Elle vise, par la désignation d’un réseau de sites, le maintien ou la restauration dans un bon état d’une sélection d’espèces et d’habitats liés à toutes sortes de milieux. Les prairies y occupent une place tout à fait particulière : une récente analyse des données nationales de financement de la politique (Rouveyrol et Leroy 2021) a montré que près de 80 % du montant total des contrats Natura 2000 étaient consacrés à ce seul milieu. Si l’indicateur financier n’est pas le seul critère d’analyse des actions du réseau Natura 2000 et de leur efficacité, il donne un signal clair sur la priorité donnée à la conservation des prairies.

Partant de ce constat, nous proposons ici de partager quelques réflexions sur les causes de cet apparent déséquilibre et ses implications en termes d’efficacité des politiques de conservation. Pourquoi la politique Natura 2000 mobilise-t-elle autant d’énergie sur les prairies ? Cette stratégie est-elle efficace au regard des spécificités de ce milieu ?

 


Encart : Le réseau Natura 2000

Réparti sur l’ensemble du territoire européen, le réseau Natura 2000 rassemble des sites riches en biodiversité identifiés dans le cadre de à deux directives européennes : la Directive Habitats Faune Flore (1992) et la Directive Oiseaux (1979).

Fig.1 : Logo du réseau Natura 2000
(Source : Site web de la Commission Européenne)

Ces sites ont été désignés pour maintenir ou restaurer le bon état de conservation d’espèces et d’habitats dits « d’intérêt communautaire », sélectionnés au niveau européen pour leur caractère remarquable. Ce bon état de conservation est évalué tous les six ans, pour chaque espèce et habitat concerné, à l’échelle de l’ensemble du territoire, afin de rendre compte au niveau européen de l’atteinte des résultats. En décembre 2021, le réseau français comptait 1 756 sites, couvrant près de 13 % des terres en métropole. Il constitue le second réseau d’espaces protégés en superficie après les parcs naturels régionaux.

La politique Natura 2000 s’inscrit dans une logique de développement durable : la Directive Habitats demande en effet explicitement de prendre en compte les « exigences économiques, sociales, culturelles et régionales ». Ainsi les activités humaines, y compris les projets d’infrastructures, y restent possibles, à condition de peu affecter les espèces et habitats protégés. En France, la gestion du réseau est assurée par les acteurs du territoire, avec, pour chaque site, un comité de pilotage qui fixe les objectifs de conservation et les mesures de gestion. Celles-ci reposent essentiellement sur des contrats (donc sur une base de volontariat), cofinancés par l’Union Européenne. Les éventuels impacts sur la biodiversité et l’environnement sont contrôlés par la mise en place d’un régime spécifique d’évaluation des incidences.


 

Les prairies, des écosystèmes précieux à plusieurs titres

Les écosystèmes prairiaux ne manquent pas d’atouts en matière de biodiversité : ils hébergent en effet un grand nombre d’espèces, dont certaines dépendent strictement de cet habitat. Au niveau théorique, on peut relier cette richesse en espèces à l’hypothèse des perturbations intermédiaires (Grime 1973), selon laquelle un écosystème atteint son maximum de diversité lorsque le niveau de perturbation auquel il est soumis n’est ni trop faible ni trop élevé : ces conditions sont celles qui permettent le maintien d’une prairie. De fait, les chiffres de biodiversité par unité de surface atteignent, pour certains types de prairies, de véritables records à l’échelle mondiale (Wilson et al. 2012). L’origine des espèces inféodées aux milieux ouverts est multiple : plantes ayant accompagné l’expansion de l’agriculture depuis ses débuts ou plus récemment (dites archéophytes), remontée d’espèces méditerranéennes, espèces issues de milieux ouverts, liés à des conditions marginales dans les paysages naturels (Lepart et al. 2014) ou entretenus par les grands herbivores sauvages disparus (Svenning 2002)…

Fig.2 : Prairie extensive, Ardèche. (cliché P. Rouveyrol)

Surfaces valorisées au niveau agronomique, habitat de multiples espèces, les prairies fournissent également une large gamme de services écosystémiques : stockage de carbone, protection des sols contre l’érosion, régulation des flux d’eau et de nutriments, rôle esthétique et patrimonial (Peyraud 2012). Enfin, leur effet sur la biodiversité doit aussi s’apprécier au niveau paysager : associées à d’autres types d’occupations du sol (cultures, haies, boisements…), elles contribuent à augmenter l’hétérogénéité des paysages, avec un impact positif sur la biodiversité à cette échelle (Henckel 2016).

Un déclin global alarmant, à remettre en perspective

Au-delà de l’intérêt intrinsèque des milieux, les politiques de conservation doivent également tenir compte de leur vulnérabilité, et en particulier de leur dynamique. Sur les dernières décennies, cette dynamique est clairement défavorable pour les prairies : avec une perte de 33 % entre 1967 et 2007 (Peyraud 2012), la réduction de leur surface a été drastique. Elle reflète l’effet des mutations du monde agricole, notamment, dans les régions historiques d’élevage, le développement des prairies temporaires puis du maïs ensilage (Beranger et Lacombe 2014). Un tel rythme de disparition est par exemple comparable à celui des zones humides, dont la surface a régressé de 50 % entre 1960 et 1990 (Bernard 1994).

L’évolution de l’occupation des sols, qui nous permet d’établir ce tableau, est un critère dont l’interprétation doit être envisagée à différentes échelles spatiales et temporelles pour être pleinement pertinente (Davranche et Taïbi 2015). Au niveau spatial, la baisse globale sur l’ensemble du territoire masque de fortes disparités : dans certains terroirs, notamment dans l’ouest, la chute a été vertigineuse, alors qu’à l’inverse la surface de prairies a pu augmenter dans des secteurs qui se sont concentrés sur le seul élevage (Fig.3), principalement les bovins allaitants (Huyghe 2009). Au niveau temporel, la baisse, très forte après 1970, s’est poursuivie sur les dernières décennies, à un rythme moins élevé cependant. Mais si on regarde plus en arrière, jusqu’à inclure l’ensemble du XIXème siècle, le tableau est tout autre. La diminution observée depuis les années 1970 fait suite à une longue phase de progression : la superficie nationale actuelle en prairies est équivalente à celle estimée en 1852 (Plantureux et al. 2012).

Fig.3 : Le Morvan, un territoire spécialisé dans l’élevage allaitant, où les prairies sont très présentes (cliché P. Rouveyrol)

On retrouve cette chronologie à des échelles plus locales : dans le marais poitevin (Godet et Thomas 2013, Fig. 4), en Normandie, Charente-Maritime ou Limousin (Huyghe 2007). Au sein de chacun de ces territoires, la diminution des surfaces en prairies observée dans la seconde moitié du XXème siècle fait suite à une augmentation très forte à la fin du XIXème. Les différentes raisons de cette poussée historique des prairies au XIXème sont bien identifiées: un changement de modèle agricole lié à la démographie (exode rural favorisant l’herbe, moins demandeuse en bras), des crises des cultures préexistantes (épisode du phylloxera dans les vignobles charentais, crise céréalière), ou encore l’apparition du chemin de fer qui, mettant en relation les consommateurs des métropoles et les régions agricoles, permet la spécialisation des productions par territoire, aux dépens de la polyculture (Pitte 1983).

Fig. 4 : Le Marais poitevin, un territoire où la surface en prairies a diminué après une forte augmentation à la fin du XIXème siècle (cliché P. Rouveyrol)

Les prairies sont donc un milieu remarquable à bien des égards, et qui se trouve aujourd’hui menacé par la diminution de ses surfaces. Mais cette baisse globale dissimule des disparités selon les territoires, et la surface totale occupée par ce milieu dans nos paysages a beaucoup fluctué au cours des deux derniers siècles. Leur historique diffère sur ce point de celui d’autres écosystèmes, comme les zones humides, dont la régression est continue sur la même période : ainsi, Godet et Thomas (2013) concluent que, dans le marais poitevin, le premier milieu naturel relictuel à sauvegarder n’est pas la prairie, mais bien les marais salants dont la disparition, souvent pour être convertis en prairies, est plus ancienne et plus importante quantitativement.

Quel rôle pour le maintien de la biodiversité, à l’échelle paysagère ?

L’effondrement actuel de la biodiversité agricole est largement documenté (Donald et al. 2001, Gregory et al. 2019). On l’a rappelé, les prairies, à l’instar d’autres milieux semi-naturels (haies, bosquets, talus…) en accueillent une part importante. On pourrait donc penser que l’évolution de la surface de ce milieu est étroitement reliée à celle de cette biodiversité agricole. Il est difficile de confirmer ce lien historique, dans la mesure où décrire précisément l’historique du déclin de cette biodiversité, au-delà des dernières décennies demande de disposer de séries temporelles difficiles à reconstituer. Cependant, les quelques travaux existants ne semblent pas indiquer que la biodiversité des campagnes du milieu du XIXème, pourtant relativement pauvres en prairies, se trouvait à un niveau aussi bas qu’aujourd’hui (voir par exemple Galewski et Devictor 2016). La remise en perspective de la disparition des prairies que nous avons résumée plus haut pose donc question : comment les paysages agricoles français du XIXème siècle pouvaient-ils abriter une biodiversité supérieure à celle d’aujourd’hui sans que la surface de prairies y soit plus élevée ?

Surface en prairies et intensification de l’agriculture : influences croisées sur la biodiversité

Rappelons en premier lieu que la surface occupée par un habitat ne constitue pas un critère suffisant pour évaluer son intérêt en termes de biodiversité : d’autres facteurs, notamment qualitatifs, doivent également être pris en compte (Devictor et al. 2008, Teyssèdre et Robert 2014). A ce titre les prairies, même quand elles n’ont pas été détruites, subissent les effets de l’intensification des pratiques agricoles : fertilisation, pratiques de fauche inadaptées, usage de phytosanitaires… Il n’existe pas à notre connaissance de dispositif de suivi national de l’impact de ces pratiques sur la biodiversité des prairies (cependant, pour les oiseaux, voir les suivis du MNHN et de la LPO), mais certaines études ont pu localement relier une diminution de cette biodiversité à l’intensification de la gestion : par exemple appauvrissement de la diversité floristique sous l’effet des phytosanitaires (Thévenin et al. 2020) et des populations d’oiseaux en lien avec le drainage et la fertilisation (Broyer 2001, et voir les Regards R16 et R22).

Le lien entre niveau d’intensification agricole et biodiversité, à surface de prairie égale, peut également être éclairé par l’impact qu’ont les prairies sur la biodiversité au niveau paysager. Comme mentionné plus haut, la présence de prairies contribue à l’hétérogénéité des milieux, avec un effet positif sur la biodiversité. Cet effet est mesurable par la proportion de surface occupée par chaque milieu: on parle d’hétérogénéité de composition (Lecoq 2021). Mais il est aussi lié à l’agencement des différents patchs occupés par chaque type d’écosystème. La capacité d’accueil est positivement corrélée à la complexité de cet agencement, même lorsque la part occupée par chaque milieu est inchangée : c’est l’effet lié à l’hétérogénéité de configuration. En augmentant la taille des parcelles, donc en diminuant la complexité des milieux, le remembrement et l’agrandissement des exploitations ont ainsi pu entrainer un déclin de la biodiversité, y compris dans des paysages où la surface de prairie n’a pas évolué.

Au-delà de la répartition de types d’occupation des sols (hétérogénéité de composition), la biodiversité d’un paysage agricole est donc affectée par la façon dont ils s’agencent (hétérogénéité de configuration) et par l’intensité de la gestion. Dans la lignée de Tscharntke et al. (2005), de nombreuses études ont montré qu’une évolution favorable de l’un de ces facteurs pouvait compenser les impacts de l’évolution défavorable d’un autre. Ainsi l’effet négatif d’une baisse de l’hétérogénéité, défavorable à la biodiversité, peut être annulé par une baisse de l’intensité agricole. On peut utiliser cette hypothèse à très grande échelle pour comparer nos paysages actuels avec ceux du XIXème siècle, relativement pauvres en prairies, mais pour lesquels l’intensité de gestion des cultures était moins élevée qu’aujourd’hui (Cattan 2014).

Les prairies, remèdes à la binarisation des écosystèmes terrestres 

La question peut être formulée en d’autres termes en mettant en avant la « binarisation » que les transformations de l’agriculture ont fait subir à nos paysages (Lepart et al. 2007) : d’un côté des terres productives gérées de plus en plus intensivement, de l’autre des délaissés s’enfrichant puis cédant la place à un milieu forestier qui, faute de perturbations naturelles, est de plus en plus homogènement fermé (Fig.5). La disparition des prairies, milieu « semi-naturel » donc « intermédiaire » possible, parachève ce processus.

Fig. 5 : Prairie et binarisation à l’échelle de l’ensemble du territoire : paysage agropastoral en cours de fermeture (Larzac) (cliché P. Rouveyrol)

Cette « binarisation » est visible à plusieurs échelles : au sein d’un paysage agricole, elle se traduit par la disparition des éléments de type « semi-naturels », incluant les prairies, ne laissant la place qu’aux cultures d’une part, et aux boisements de l’autre (Fig.6). A l’échelle de l’ensemble du territoire, elle correspond à la spécialisation des territoires agricoles selon le type de production (Fig.5).

Fig. 6 : Prairie et binarisation à l’échelle des paysages : pelouse sèche entre culture et forêt (Gatinais) (cliché P. Rouveyrol)

Poux et al. (2010) proposent, pour décrire ce phénomène de binarisation et ses conséquences, de réinvestir la notion de saltus, héritée de la « trilogie agraire » de l’époque romaine. Le saltus peut se définir comme l’envers de l’ager (les terres cultivées), d’une part, et de la sylva (les forêts non utilisées par l’agriculture) d’autre part. Il correspond ainsi aux terres qui ne sont ni labourées, ni laissées à elles-mêmes. Mis au goût du jour, le saltus moderne est, selon Poux et al., toujours bien présent dans nos paysages : on le retrouve dans l’ensemble des surfaces « semi-naturelles » des paysages agricoles (hors rivières et plans d’eau) : prairies mais aussi haies, talus et milieux de type agroforestier.

L’inscription des prairies dans le saltus les relie à un certain type d’usage des paysages ruraux. Elle démontre que leur défense relève aussi du maintien de cet usage historique, qui correspond à une logique agronomique plus intégrative des processus naturels que le modèle agricole conventionnel. Maintenir un saltus, c’est notamment conserver des milieux dont la fertilité se maintient sans apports externes, contrairement aux espaces cultivés, en valorisant les fonctionnements pédologiques naturels, voire, comme c’était massivement le cas historiquement, en permettant des transferts de fertilité vers les zones de cultures via l’utilisation des fumiers des pâtures. Ces atouts permettent in fine de réduire les impacts négatifs des pratiques agricoles sur la biodiversité des sols (impacts liés par exemple aux engrais de synthèse ou à l’érosion des sols) (Poux & Aubert 2021).

Ce détour par l’Histoire et par le niveau paysager nous permet de mieux comprendre l’intérêt des prairies pour la biodiversité. Conserver ces milieux, ce n’est pas seulement lutter contre l’extinction d’espèces ou de communautés originales, témoins pour certaines de pratiques aujourd’hui disparues. C’est aussi, et peut-être avant tout, proposer une alternative à un modèle d’agriculture dont l’impact sur la biodiversité, et au-delà sur l’ensemble des ressources naturelles, n’est pas soutenable. L’enjeu se situe bien à cette échelle, appelant une réponse large, si ce n’est systémique, et qui dépasse amplement la seule question de la conservation des milieux à plus forte valeur patrimoniale.

Natura 2000, un outil adapté pour la conservation des prairies ?

Revenons à la question initiale : au regard de ce diagnostic, qu’implique la prééminence qu’accorde le réseau Natura 2000 français aux enjeux prairiaux ? Si l’on s’en tient à la philosophie globale de la Directive Habitats Faune Flore, ce choix n’est pas sans cohérence. Cibler les prairies semble bien répondre à l’ambition de contribuer à la conservation de l’ensemble de la biodiversité, y compris la plus « ordinaire », et s’inscrit également dans la logique de promotion du développement durable que sous-tend la Directive. Se concentrer sur un milieu dont le maintien est stratégique à l’échelle paysagère est en adéquation avec ces objectifs d’une action sur un large spectre.

Mais c’est dans sa mise en œuvre que cette stratégie révèle ses écueils. L’action portée par le réseau Natura 2000 se limite pour l’essentiel au périmètre de ses sites. Comment espérer inverser la tendance d’un type d’habitat largement répandu, une des composantes les plus classiques de nos paysages quotidiens, en ne traitant que 13 % du territoire ? Par ailleurs si, comme nous l’avons défendu, le maintien des prairies doit permettre de compenser l’intensification des pratiques agricoles à l’échelle des paysages, quelle peut être l’efficacité d’une stratégie environnementale consistant à concentrer les sites protégés Natura 2000 dans les zones méditerranéennes, littorales et montagneuses, moins sujettes à cette intensification, sans considération pour les plaines agricoles ?

Enfin, comme le montre la mobilisation de la notion historique de saltus, œuvrer pour la préservation des prairies, c’est aussi s’inscrire dans la promotion d’alternatives au modèle agro-industriel qui s’est développé dans la seconde moitié du XXème siècle. Il est clair que cet objectif ne pourra être atteint sans agir à tous les niveaux impliqués, qu’ils soient sociaux, économiques ou politiques. Or l’action de Natura 2000 se situe aujourd’hui pour l’essentiel en aval des politiques sectorielles, avec des subventions au maintien de pratiques agricoles favorables, ou en réglementant les conversions de prairies en cultures via l’évaluation des incidences ou le dispositif « prairies sensibles ». Cette stratégie peut limiter l’érosion des surfaces à court terme mais, sans levier d’action sur les moteurs des politiques agricoles et alimentaires, il est difficile d’imaginer qu’elle produise des effets massifs et durables.

Le maintien des prairies est un enjeu majeur pour la biodiversité métropolitaine. Le confier, ne serait-ce que pour partie, à la responsabilité du réseau Natura 2000 ou d’un autre réseau d’aires protégées est cependant un choix discutable. C’est prendre le risque d’épuiser les forces, souvent trop maigres, du réseau pour des résultats qui ne pourront être que très limités quantitativement à l’échelle de l’ensemble du territoire. Par ailleurs, au regard du déséquilibre des moyens mis en jeu, l’hypothèse que la conservation des prairies se fasse au détriment d’autres milieux ne peut être écartée. Et pourtant des résultats sont obtenus : depuis la création des sites, les surfaces toujours en herbe ont moins diminué au sein du réseau Natura 2000 que sur l’ensemble du territoire (Rouveyrol et Leroy 2021), et le même différentiel est visible quand on considère les tendances des populations d’oiseaux communs liés aux milieux agricoles (Princé et al. 2020).

Que faire alors pour améliorer cette stratégie ? Un ré-équilibrage nous semble nécessaire, avec une remise en perspective globale des enjeux liés aux milieux prairiaux, pour clarifier la répartition des rôles et l’articulation entre le réseau Natura 2000 et la politique agricole. Si, concernant les prairies à plus forte valeur patrimoniale, il peut être légitime de mettre en place des mesures de gestion conservatoire limitées spatialement, soulignons que le maintien et la restauration des prairies, en quantité et en qualité, concernent bien l’ensemble du territoire. Il doivent être traités à cette échelle et s’étendre bien au-delà des seules politiques d’espaces protégés.

Remerciements

Merci à Maya Leroy pour sa contribution à l’ensemble de l’étude et à la première version de ce Regard. Merci également à Anne Teyssèdre, pour ses relectures et suggestions.

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Bibliographie

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Regards connexes :

Regards sur les habitats : https://sfecologie.org/tag/habitats/

Sur la préservation de la biodiversité : https://sfecologie.org/tag/preservation-biodiversite/

Sur le fonctionnement des écosystèmes : https://sfecologie.org/tag/fonctionnement/

Sur stratégies et politiques : https://sfecologie.org/tag/strategies-et-politiques/

Sur gestion et gouvernance : https://sfecologie.org/tag/gestion-et-gouvernance/

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Regard édité et mis en ligne par Anne Teyssèdre.

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