La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose ce regard de Lisa Auger et Florent Labussière. Il porte sur les animaux mal-aimés. Il s’agit aussi du premier « Regard étudiant ». Il est écrit par deux étudiants de M2.
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions sur les forums de discussion qui suivent les articles; les auteurs vous répondront.
Plaidoyer en faveur des mal-aimés de la biodiversité
par Lisa Auger et Florent Labussière
Étudiants en Master 2 Ingénierie en Écologie et Gestion de la Biodiversité
Université de Montpellier
Mots clés : biodiversité, valeur de la biodiversité, perception de la biodiversité, valeurs, relation homme-nature
Nous avons tous un jour dénigré un être vivant parce qu’il était “inutile”, “laid”, “effrayant”, voire même “méchant”. Oui, tout le monde. Qui n’a jamais écrasé une araignée ? Qui n’a jamais souhaité que les guêpes n’existent pas? Qui n’a jamais arraché d’orties dans son jardin plutôt que d’en faire une excellente soupe aux diverses propriétés médicinales (Fleurentin, 2013) ? Était-ce toujours justifié? En tant que jeunes écologues, nous avons appris à découvrir et comprendre ces êtres-vivants et nous avons pris conscience de l’irrationalité des clichés qui les entourent. Nombreuses sont nos anecdotes personnelles : du pêcheur, qui lâche ses chiens sur les cormorans “voleurs de poissons”, à la grand-mère tuant les chouettes effraie à coups de pelle car leurs cris l’angoissent et l’empêchent de dormir. Nous souhaitons ouvrir les yeux de tous ceux qui ne se rendent pas encore compte de la valeur inestimable de ces mal-aimés de la biodiversité.
L’origine de cette méfiance envers certains êtres-vivants remonte à des époques déjà lointaines où fables, récits, mythes et légendes mettaient en scène des animaux malfaisants : le renard rusé et fourbe (La Fontaine, 1668), le serpent perfide et tentateur (Livre de la Genèse, IIème siècle avant notre ère) ou encore le corbeau infidèle, égoïste et charognard dans l’épisode de l’Arche de Noé (Pastoureau, 2008). Autant d’êtres vivants ayant souffert de l’obscurantisme, autant d’énergie dépensée à décrier et parfois même traquer ces “démons”. Plus tard, d’autres histoires comme celle de la Bête du Gévaudan ou celle de Dracula (Stoker, 1897) ont achevé de ternir l’image du loup (Landry, 2006) et de la chauve-souris, monstres assoiffés de sang.
Il est temps d’en finir avec les préjugés moyenâgeux. Les loups sont des canidés qui se nourrissent d’ongulés, de rongeurs et de fruits sauvages (Landry, 2006). Les serpents sont des reptiles timides qui s’enfuient à la moindre vibration du sol, promenez-vous en nature et vous le constaterez. Les cormorans et les corbeaux ont seulement eu le malheur d’avoir hérité d’un plumage noir, d’un cri rauque et d’un physique peu avantageux selon certains critères esthétiques. D’autres, encore, participent à la régulation d’espèces qui peuvent perturber des activités humaines, à l’image des chouettes effraie qui se nourrissent des rongeurs grignoteurs de cultures (Bose & Guidali, 2001). Les chauves-souris européennes sont quant à elles majoritairement insectivores : seules 3 espèces tropicales sont hématophages (Fernandes de Almeida et al., 2014). L’une des plus petites chauves-souris, la pipistrelle commune, qui apprécie par ailleurs les villes, peut consommer près de 3 000 insectes en une seule nuit (Stone, 2013) : c’est l’insecticide le plus naturel et le plus efficace qui soit !
Parlons à présent de craintes plus récentes : les espèces dites “envahissantes” ; un terme dont il n’existe pas vraiment de définition consensuelle. Cette question contemporaine est liée à la multiplication des échanges entre les continents et à la dégradation des habitats naturels (UICN, 2010). Mais ce rejet des espèces introduites ne serait-il pas le reflet de peurs irrationnelles de l’étranger, faisant écho aux débats houleux sur l’immigration qui font l’actualité? (cf. par ex. Teyssèdre et Barbault, 2009). Même si certaines espèces posent parfois problème par leurs interactions avec les activités humaines, cessons de mêler l’affectif aux questions scientifiques. Soyons factuels. Prenons l’exemple du frêne commun introduit dans les Pyrénées par les pasteurs du Néolithique (Julien et al., 2006) et qui fournissait de nombreux « biens et services » tels que du fourrage et de la litière pour les animaux, du bois pour fabriquer des sabots, des charpentes ou encore des outils (Gibon & Balent, 2004). Il fait aujourd’hui partie intégrante de ce paysage et personne ne songe à l’éradiquer. “Tandem aliquando, invasores fiunt vernaculi ” : au bout du compte, les envahisseurs deviennent des indigènes, selon cet ancien proverbe Romain.
Et qu’en est-il des micro-organismes comme les bactéries et certaines espèces de champignons, dont l’existence n’a été découverte que récemment grâce aux nouveaux moyens technologiques? Pourrions-nous exister sans ces innombrables espèces dont l’immense majorité n’a aucun effet sur la santé humaine et dont de nombreuses sont nécessaires à notre vie? Les champignons ont permis de découvrir les antibiotiques (Fleming, 1929). Les plantes que nous consommons ne pourraient pas exploiter convenablement les nutriments minéraux du sol sans leurs étroites associations avec les champignons ou les bactéries (INRA, 2006). Nous avons dix fois plus de bactéries que de cellules humaines dans notre corps et notre tube digestif abrite une flore bactérienne très diversifiée qui nous permet d’assurer la digestion des aliments au quotidien (Sears, 2005).
Il est clair que notre vie sur Terre est étroitement liée à de nombreux êtres vivants, qu’ils soient animaux, végétaux, fongiques ou encore bactériens. Mais quelle que soit leur taille, leur popularité ou même leur “utilité”, nous nous devons de préserver la biodiversité sous toutes ses formes, et comme disait Shakespeare : “Il n’y a rien de bon ni de mauvais, sinon l’idée que l’on s’en fait”.
Bibliographie
Anonyme. IIème siècle avant notre ère. Livre de la Genèse. La Bible.
Bose, M & Guidali, F. 2001. Seasonal and geographic differences in the diet of the Barn Owl in an agro-ecosystem in northern Italy. Journal of Raptor Research 35(3) : 240-246.
Fernandes de Almeida, M., Trezza-Netto, J., Cotrin Aires, C., Fernandes de Barros, R., Ruckert da Rosa, A., & Massad, E. 2014. Hematologic profile of hematophagous Desmodus rotundus bats before and after experimental infection with rabies virus. Revista da Sociedade Brasileira de Medicina Tropical 47(3) : 371-37.
Fleming, A. 1929. On the Antibacterial Action of Cultures of a Penicillium, with Special Reference to Their Use in the Isolation of B. influenza. British Journal of Experimental Pathology 10 : 226–236.
Fleurentin, J. 2013. Du bon usage des plantes qui soignent. Ed. Ouest France. Coll. Beau Livre 384p.
Gibon A. & Balent G. 2004. Landscape on the French side of the western and central Pyrenees. In: Bunce B., Howard D. and Correia T.P. (eds), Iale, UK.
Inra. 2006. Les communautés symbiotiques endomycorhiziennes. Mensuel de l’Inra n°128, automne 2006 « l’écologie microbienne du sol, vers une approche intégrée ». Web, 27/01/2015, <http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosbiodiv/index.php?pid=decouv_chapC_p5&zoom_id=zoom_c1_6>.
Julien, M.P., D. Alard & Balent, G. 2006. Patterns of ash (Fraxinus excelsior L.) colonization in mountain grasslands: the importance of management practices. Plant Ecology 183 : 177-189.
La Fontaine, J. 1668. Fables choisies, mises en vers par M. de la Fontaine.
Landry, J.M. 2006. Le loup : biologie, moeurs, mythologie, cohabitation, protection. Ed. Delachaux & Niestlé, Paris.
Pastoureau, M. 2008. Symbolique médiévale et moderne. Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques. 139 : 204-205.
Sears, C. 2005. A dynamic partnership : celebrating our gut flora. Anaerobe 11(5) : 247-251.
Stoker, B. 1897. Dracula. Ed. Archibald Constable and Company, London.
Stone, E.L. 2013. Bats and lighting : Overview of current evidence and mitigation guidance. University of Bristol.
Teyssèdre, A. et R. Barbault, 2009. Invasions d’espèces: Cause ou conséquence de la perturbation des ecosystèmes ? Pour La Science n°376 : 22-25.
UICN. 2010. Espèces envahissantes. Web, 27/01/2015, <https://www.iucn.org/fr/propos/union/secretariat/bureaux/iucnmed/programme_uicn_med/especes/especes_envahissantes/>.
Article mis en ligne par S. Barot.
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Forum de discussion sur ce regard
Bonjour,
Merci pour ce Regard et votre réflexion sur biodiversité et « les sales bêtes » (c’était le titre d’un week-end que nous avions organisé sur ce thème avec l’association Kermit au Larzac).
Mais j’aurais aimé que vous portiez aussi votre réflexion sur ces insectes (parmi les espèces dites invasives) qui sont des vecteurs potentiels de pathogènes pour l’homme, les animaux domestiques ou les plantes. Qu’en fait-on ? Dans ‘quelle biodiversité’ les range-t-on ?
Merci d’avance pour vos réflexions sur ce point, et bon courage pour la suite de vos études.
Bien cordialement, Gérard Duvallet
Cet article a été très bien résumé. Effectivement, nous devons avoir un autre regard sur la faune et les espèces qui nous entourent car ces sales bêtes contribuent à la biodiversité, sont utiles à l’environnement, etc. Savoir les observer et les protéger car elles font partie de notre vie. Lorsque nous ramassons ou achetons des végétaux ou espèces diverses, oui il y a des conséquences, mais nous ne savons pas toujours l’impact sur la planète. Oui il faudrait commencer par là mais quel combat!
Bonne continuation à vous tous, MC ET JP
Bonjour Gérard,
Tout d’abord merci pour votre commentaire et vos pistes de réflexion. Effectivement, ce ne sont pas les éléments à débattre qui manquent dans la thématique que nous avons choisie de traiter : quels rôles pour les adventices des cultures, les ravageurs, les parasites… Toutefois, nous avons choisi de rédiger un article engagé prenant une position délibérément optimiste. Notre objectif était de redorer l’image de certains êtres vivants, et non de faire le tour des questions liées aux « sales bêtes ». Cet article n’avait donc pas pour but d’être exhaustif mais plutôt de donner un aperçu de notre pensée autour de cette thématique des mal-aimés.
Par ailleurs la question que vous soulevez est intéressante puisqu’elle met en parallèle à la fois une vision descriptive de la nature (ex : les espèces vectrices de pathogènes comme éléments de « «régulation » des populations naturelles) et des questions éthiques. La question n’est peut-être donc pas de savoir dans quelle « biodiversité » l’on range ces espèces qui nous dérangent mais plutôt de se demander quelles sont les bonnes pratiques à adopter pour éviter ces problèmes ou au moins les limiter.
Le problème, c’est qu’il est toujours extrêmement difficile de se prononcer sur ces questions qui mêlent à la fois préservation de la diversité biologique et contraintes induites par ces espèces pour la nôtre. Nous n’avons pas de réponse concrète à apporter à votre question qui en soulève des dizaines d’autres. Nous sommes en revanche très heureux que vous ayez soulevé ce débat dont nous avons déjà eu l’occasion de parler entre nous au moment de la rédaction de cet article et serions très intéressés d’avoir votre avis sur ces questions.
Bonne continuation et merci encore pour votre commentaire constructif.
Bonjour tout le monde,
Future étudiante en sciences de la vie, je suis heureuse de voir quelques rares individus se battre pour la cause de tous les êtres vivants qui peuplent la planète. Il y a en effet beaucoup de fausses idées qui circulent sur la dangerosité et l’utilité des espèces notamment. Combien de fois ai-je entendu dire » Oh mince, mon piège à guêpes est rempli d’abeilles ! ». Un bel exemple de l’ignorance de l’utilité d’un insecte pourtant aussi commun que la guêpe, et oui, elles aussi sont pollinisatrices ! Et les diptères
alors ? Les mouches aussi participent à la pollinisation ! Et si l’abeille mellifère disparaissait nous pourrions tous survivre malgré la tragédie de l’évènement car il existe un nombre impressionnant d’insectes pollinisateurs.
Pour les espèces « intrus », il est vrai qu’elles peuvent poser problème à partir du moment où elles font concurrence aux autres espèces. Mais j’ai aimé votre point de vue optimiste sur la chose grâce à l’évolution ! En effet, le monde change et avance de cette manière. Les animaux et les plantes finissent par s’adapter au milieu, quitte à devenir endémiques ou même à créer de nouvelles sous-espèces ou espèces. Pensonsaux Îles qui en sont de parfaits exemples comme les Galapàgos ! En plus la nature est tellement bien faite qu’il existe la plupart du temps des moyens de lutte naturels sur le continent « envahi », un exemple en France avec les conopides qui peuvent parasiter le frelon asiatique.
En ce qui concerne la question de Gérard sur les porteurs de pathogènes, je pense qu’on peut les considérer comme des régulateurs. Eh oui, l’homme est avant tout un animal lui aussi, et il ne faut pas oublier que nous sommes soumis également aux lois de l’évolution.Merci à tous d’abord pour cet article, et pour ce débat enrichissant, j’espère qu’il continuera à s’étoffer !
Bien cordialement, Peyrot Morgane.
Concernant l’exemple du frêne commun « introduit » dans les Pyrénées par les pasteurs du Néolithique (Julien et al., 2006) : la référence de Julien at al. 2006 fait référence à une étude sur la colonisation de l’espèce. En vallée d’Ossau, des analyses polliniques (je n’ai plus les références exactes : Jallu ?) montrent vers 4310 B.P. le déclin de l’Orme, du Tilleul et du Frêne ainsi que l’apparition des premiers pollens de céréales, ce qui révèlerait l’influence de l’homme sur l’environnement naturel (défrichement suivi du développement de prairies et de cultures). L’homme aurait donc fait régressé l’aire du frêne. Votre commentaire qualifiant le frêne commun d' »introduit dans les Pyrénées par les pasteurs du Néolithique (Julien et al., 2006) » est peut-être un peu trop poussé. La question de sa recolonisation reste ouverte.