La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose cette semaine le regard de François Sarrazin (CESCO) et Jane Lecomte (ESE).
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions sur les forums de discussion qui suivent les articles; les auteurs vous répondront.
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- Introduction
- Valeur sélective, phénotype, bien-être humain et impact environnemental
- Différentes approches des interactions humains/non-humains
- Glossaire
- Bibliographie
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Peut-on dépasser l’anthropocentrisme dans nos regards sur la biodiversité ?
François Sarrazin(1) et Jane Lecomte(2)
(1) Professeur UPMC au CESCO, UMR7204 MNHN-CNRS-UPMC, sarrazin@mnhn.fr
(2) Professeur de l’Université Paris Sud au laboratoire ESE, UMR8079 UPSud-CNRS-AgroParisTech, jane.lecomte@u-psud.fr
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Mots clefs : évolution, éthique, valeurs intrinsèque de la biodiversité, valeur instrumentale de la biodiversité, développement soutenable, phénotype, valeur sélective, démographie, bien-être humain, services écosystémiques
Introduction
Dans un récent regard (n°51), R. Barbault et A. Teyssèdre s’interrogeaient sur l’aveuglement et la surdité des sociétés modernes face à l’érosion de la biodiversité et ses conséquences. Force est de constater que malgré de nombreux constats et alarmes, les actions de conservation de la biodiversité butent sur de nombreuses controverses. Faut-il conserver la biodiversité ? Pourquoi ? Pour qui ? Peut-on et doit-on conserver la biodiversité tout en nourrissant une population croissante d’individus qui ont une demande de bien être elle-même croissante ? Faut-il conserver la biodiversité pour elle-même ou pour les services qu’elle nous rend ? Faut-il conserver les individus, espèces, populations, communautés ou écosystèmes, la biodiversité remarquable ou ordinaire, commune ou rare ?
L’essence de ces controverses concerne les interactions entre l’Homme et la biodiversité, ou, dit autrement, entre humains et non-humains. Ces interactions sont le plus souvent perçues comme issues de trajectoires humaines, culturelles, sociales et économiques. Au cœur de ces réflexions, la question des valeurs attribuées à la biodiversité apparait de plus en plus prégnante que cela soit au niveau international (IPBES, CDB, TEEB, etc) ou national (FRB, HCB, espaces protégés, etc ; voir Maitre d’Hôtel & Pelegrin 2012, Guiral, 2013, Milanovic 2014). Parmi ces valeurs, la valeur intrinsèque est la valeur de ce qui est une fin en soi. L’éthique environnementale (Callicot & Frodeman 2010) définit la valeur intrinsèque de la biodiversité non-humaine comme une valeur non anthropocentrée. La valeur intrinsèque apparait cependant très souvent difficile à définir ou, pour certains, inopérante pour la conservation de la biodiversité comparativement aux différences formes de valeur instrumentale qui considèrent la biodiversité comme un ensemble de ressources pour l’Homme. Au sens très large du terme, cette approche « ressources », anthropocentrée, a trouvé un cadre conceptuel avec l’émergence de la notion de service écosystémique (regard n°4). L’anthropocentrisme semble être un horizon indépassable, au moins d’un point de vue pragmatique, pour répondre aux enjeux actuels d’érosion de la biodiversité.
Toutefois, au-delà des enjeux culturels et économiques des représentations de la biodiversité, les interactions entre humains et non-humains ont aussi des racines ancrées dans l’histoire évolutive de la biodiversité. Or, paradoxalement, l’étude des interactions entre humains et non-humains s’appuie généralement sur la vision d’une humanité qui aurait une origine complètement extérieure à cette histoire. Il nous apparait donc nécessaire de dépasser cet obstacle épistémologique pour prendre du recul et porter un nouveau regard sur ces interactions entre humains et non-humains. Eloignons nous de nos points de vue habituels, quittons le court terme pour le temps long passé et à venir. Et explorons ensemble ce qui peut-être est le cœur de ce qui nous constitue : notre relation au reste du vivant.
Valeur sélective, phénotype, bien-être humain et impact environnemental
Pour rappel, du point de vue des sciences de l’évolution, tous les organismes constituant la biodiversité sont d’abord des vecteurs de transmission de gènes. L’efficacité de cette transmission est mesurée de manière relative par la valeur sélective (ou fitness, Heams et al. 2009), via la multiplication des gènes et des individus qui les portent. La valeur sélective peut être définie par le nombre de descendants viables et fertiles qu’engendre en moyenne chaque individu d’un génotype donné. Elle traduit la capacité qu’a l’information génétique à se répandre dans les populations et donc dans l’environnement au cours du temps. Les phénotypes de ces individus sont l’expression de ces gènes dans leurs environnements biotiques et abiotiques.
Cette expression peut être modulée par des processus épigénétiques faisant intervenir l’environnement. La multiplication des individus, et donc de ces phénotypes, est quantifiable par les paramètres de survie, de reproduction, voire de dispersion, qui pilotent le taux de croissance des populations. Elle est affectée par des processus de compétition, de prédation ou de parasitisme mais des formes variées de coopération intraspécifique (par altruisme entre apparentés ou par réciprocité), ou interspécifique (par mutualisme ou symbiose), peuvent aussi émerger et se maintenir. Enfin, il apparait que, les phénotypes sont susceptibles d’être plastiques en réponse à l’environnement, celui-ci incluant non seulement les conditions physico-chimiques, les autres espèces, mais aussi les congénères et leurs interactions sociales et culturelles (Danchin & Wagner 2010 ; regard n°25).
Si ces processus sont largement étudiés chez les non-humains, l’application de ces concepts à l’Homme fait l’objet depuis très longtemps des plus vifs débats opposant, aux deux extrêmes, des approches basées strictement sur une vision gène-centrée, à des approches qui nient la nature biologique de l’Homme pour se focaliser sur ses dimensions culturelles et sociales. Une voie de compromis nous semble néanmoins possible. En effet, il peut paraitre nécessaire de s’interroger sur certaines spécificités de la branche humaine au sein de l’arbre buissonnant du vivant. Cette question centrale de la place de l’Homme vis-à-vis du reste de la biodiversité mérite bien évidemment un regard croisé avec les spécialistes des sciences humaines et sociales, mais osons faire un pas audacieux en la considérant, au moins dans un premier temps, selon le point de vue de l’écologie évolutive.
Nous constatons tout d’abord que l’Homme a amélioré la résilience des composantes de sa valeur sélective vis-à-vis des fluctuations environnementales grâce à l’évolution de ses capacités cognitives et à l’intensification de ses liens sociaux. En agissant sur son environnement, il a cherché à sécuriser, au moins à court terme, la disponibilité de ses ressources, à réduire les impacts de la prédation, de la compétition et du parasitisme suivant un processus de construction de niche que l’on retrouve chez de très nombreux autres organismes, sous des formes certes moins spectaculaires.
Cependant certains auteurs se sont interrogés sur le fait que les effets d’un organisme sur son environnement pouvaient modifier en retour les pressions de sélection de cet environnement pour lui-même et pour les autres organismes (voir Laland et al. 2000). Dans le cas de l’Homme, l’ampleur de sa maîtrise de l’environnement a pu avoir une autre série de conséquences majeures sur lui-même et sur son environnement. En mutualisant les risques, en améliorant sa santé, et sa résistance aux perturbations, il semble avoir acquis la possibilité de consacrer une partie croissante de son temps et de son énergie à utiliser ses fonctions sensorielles, initialement retenues par la sélection, pour des usages allant au-delà des besoins liés à sa valeur sélective. En d’autres termes, il est passé du maintien de sa survie et de sa reproduction par les processus de sélection naturelle et de sélection sexuelle, à un souci de bien être, du maintien du bien-être à un souci de confort, du maintien du confort à une quête de luxe et ce, dans une très large palette d’activités incluant la gestion de son habitat, de son alimentation, de sa sexualité, de sa santé, de sa mobilité, de ses ornements, de ses jeux…
Nous proposons le terme d’émancipation phénotypique pour rassembler les comportements qui contribuent au bien-être des individus au-delà d’un gain significatif en valeur sélective. Précisons ici que la réalisation de la valeur sélective en termes de survie et de reproduction est une composante importante du bien être individuel, à laquelle s’ajoute, pour l’Homme, ce qui relève de cette émancipation phénotypique. Il est bien sûr possible que l’émergence de ce type de comportement dans des environnements riches et temporairement stables puisse exister aussi chez des non humains au moins de manière ponctuelle. Néanmoins, on peut émettre l’hypothèse qu’au sein des sociétés humaines, cette émancipation phénotypique a pu être amplifiée par la comparaison récurrente entre individus en termes de valeurs, de performances, de richesse. En effet, de la même manière que la sélection naturelle agit via des gains relatifs de valeur sélective entre individus, l’émancipation phénotypique peut s’appuyer sur une recherche de progression du bien être pour chaque individu et sur des gains relatifs de bien être entre individus, des processus sociaux renforçant ces comparaisons.
Cette hypothèse rend donc plus complexe l’opposition classique entre nature et culture, au moment de distinguer humain et non humain. En effet, chez l’Homme, la culture semble pouvoir véhiculer des informations et des valeurs favorisant la valeur sélective mais aussi, de manière parallèle et parfois antagoniste, des informations et des valeurs contribuant principalement au bien-être des individus par leur émancipation phénotypique. La culture ne serait donc pas en soi un élément émergent de cette émancipation même si elle peut en être parfois un vecteur (Heyer et al. 2005). Bien sûr l’ampleur de cette émancipation phénotypique reste à évaluer. Si elle est marginale, nos comportements restent largement soumis à sélection. Si elle est importante, ils influencent peu notre valeur sélective. Dans tous les cas, cette quête perpétuelle d’une croissance du bien-être humain et la « tension » entre ses composantes que sont la valeur sélective et l’émancipation phénotypique, peuvent fournir un éclairage utile à de nombreux enjeux de recherche historique, sociale, économique ou bioéthique.
Qu’en est-il des enjeux environnementaux ? Comment les dynamiques des socio-écosystèmes s’inscrivent elles dans ce schéma ? L’Homme a explosé démographiquement grâce à une période interglaciaire favorable d’une quinzaine de milliers d’années, qui lui a permis la sédentarisation, la maîtrise de pratiques agricoles et l’installation de sociétés pérennes (regard n°39a). Ceci correspond dans certaines zones géographiques à une période de sécurité, d’accès aux ressources, et de relatif confort donnant une opportunité d’émancipation du phénotype vis-à-vis des contraintes de la valeur sélective. Ces conditions favorables ont été démultipliées depuis 200 ans par l’exploitation des ressources énergétiques fossiles. Quelles sont les conséquences environnementales de ces logiques de croissance en termes de valeur sélective et d’émancipation phénotypique, donc de recherche de bien être ?
Comme le rappelaient R. Barbault et A. Teyssèdre (regard n°51), l’impact humain global sur l’environnement (I) est croissant et se compose à la fois d’une forte croissance démographique (P), qui annonce toutefois un ralentissement, de l’augmentation de la consommation per capita (A pour « Affluence ») et de l’utilisation de technologies impactant l’environnement (T, avec I=P x A x T selon Ehrlich 2009). Cet impact, qui correspond donc dans notre schéma aux effets combinés des augmentations de valeur sélective et de bien-être, via le produit P x A x T, est susceptible d’être fortement hétérogène suivant les sociétés considérées et leur niveau de richesse. Mais il prend des formes directes et indirectes via les grandes forces des changements globaux qui entrainent, au-delà des extinctions, des changements de trajectoires évolutives des autres entités de la biodiversité. Si les conséquences de ces impacts sur les trajectoires évolutives de ces entités ont fait l’objet de travaux, comme dans le cas des pêches ou de l’agriculture intensive, les conséquences du pilotage de la biodiversité envisagées à de grandes échelles pour l’exploitation des services écosystèmiques mériteraient aussi d’être questionnées.
Différentes approches des interactions humains/non-humains
La plupart des sociétés humaines sont actuellement, par leurs croissances démographiques et leurs besoins phénotypiques, en train de se rapprocher voire de dépasser localement les capacités limites de leurs environnements (regard n°51 ; Ehrlich & Ehrlich 2013; Nekola et al. 2013). Un des problèmes majeurs est non seulement que cette vitesse de convergence vers cette limite augmente mais que, dans le même temps, la dégradation de l’environnement, et principalement celle de la biodiversité, réduit fortement les capacités limites de ces milieux. Au-delà d’une lecture malthusienne du problème, envisageons ensemble différentes approches des relations humains/non-humains basées sur les propositions précédentes et considérons leurs trajectoires potentielles. Il s’agit ici d’ouvrir le débat et d’identifier des champs possibles d’investigation. De manière très simple, nous pouvons distinguer cinq approches, chacune envisageant une homogénéité de typologie de comportements, tout en sachant bien sûr que ces typologies peuvent être présentes conjointement au sein des sociétés, voire être mobilisées par un même individu selon les circonstances. Nous invitons le lecteur à interroger son propre regard et celui de nos sociétés sur les interactions entre Homme et biodiversité, à la lueur de ces réflexions.
1. Un monde darwinien
Dans une première approche, considérons une humanité incapable de réelle anticipation. Elle poursuit comme le reste de la biodiversité son chemin évolutif darwinien. La valeur sélective des populations humaines à laquelle s’ajoutent les effets de leur recherche de bien-être par émancipation phénotypique, imposent de fortes contraintes à l’environnement. Aucune régulation des usages n’est envisagée. Les services écosystémiques sont exploités tout azimut sans réflexion sur leur conservation. Aucune valeur intrinsèque n’est considérée pour le reste de la biodiversité, celle-ci étant soumise entièrement aux attentes humaines anthropocentrées. Inconscientes de ces processus, ces populations subissent en retour les effets négatifs de ces perturbations environnementales et de ces pertes de biodiversité. Ces effets peuvent être drastiques en terme de bien-être mais aussi de démographie voire, générer en retour des pressions de sélection évolutives.
2. Une maximisation sur le long terme de la valeur sélective des populations humaines
Dans une deuxième approche, l’humanité vise consciemment la maximisation de sa valeur sélective. Des règles sociales strictes réduisant à l’extrême l’émancipation phénotypique, sont émises au profit d’objectifs centrés uniquement sur la valeur sélective humaine notamment via un objectif de croissance démographique. La valeur intrinsèque est dans ce cas attribuée aux seuls génotypes humains et à leur transmission via la valeur sélective. Dans ce scénario, la biodiversité non-humaine est donc perçue uniquement du point de vue des services écosystémiques directement liés à la valeur sélective humaine. Si la logique d’une telle approche semble similaire à celle de la précédente, elle questionne sur les unités de sélection véritablement opérantes. Les individus prennent des décisions qui vont au-delà de leur intérêt immédiat et probablement contre une large partie de leur bien-être phénotypique, pour projeter des gains ou pertes de valeur sélective à moyen ou long terme, en tout cas sur plusieurs générations. Ceci constitue un saut en termes de durabilité des populations humaines mais son coût pour les libertés individuelles est majeur. Seule une biodiversité jugée « utile » est a priori conservée.
3. Une maximisation du bien-être des phénotypes humains
A l’opposé, envisageons une troisième approche attentive aux seuls besoins des phénotypes, donc des individus, humains. L’approche de la biodiversité est strictement anthropocentrée et ses usages ne sont régulés que pour satisfaire les besoins et envies immédiats des individus qui la consomment ou l’utilisent comme source de bien-être. Les services écosystémiques de production mais aussi les services culturels ou esthétiques sont de ce fait particulièrement exploités. La valeur intrinsèque est alors centrée sur chaque individu humain, ce qui s’exprime via une recherche maximisée du bien-être au détriment de toute contrainte liée à la valeur sélective. Ceci peut à terme diminuer la durabilité des sociétés humaines. Les effets sur la biodiversité sont forts et dépendent à terme du devenir des sociétés.
4. Un développement soutenable des populations humaines
Selon une quatrième approche les individus et les sociétés font preuve d’anticipation et élaborent des stratégies pour maintenir un compromis entre la satisfaction des besoins de leurs phénotypes et de ceux de leur valeur sélective, entre le bien être immédiat et celui des générations futures. Ceci correspond à une logique de développement soutenable des populations humaines. Ces stratégies sociales impliquent une régulation forte mais respectueuse du bien-être humain. Une valeur intrinsèque est alors attribuée aux seuls humains comme dans l’approche précédente. La biodiversité non-humaine est aussi envisagée selon une approche anthropocentrée mais sa conservation intègre les valeurs de la biodiversité intervenant dans le bien-être humain et inclut des dimensions esthétiques et culturelles allant au-delà d’un simple maintien de la valeur sélective humaine.
5. Vers une approche « évocentrée » de la biodiversité
Les quatre approches précédentes sont strictement anthropocentrées. Cet horizon est-il indépassable ? Envisageons une cinquième approche qui englobe celle de développement soutenable précédente mais qui l’enrichit en cherchant à limiter les effets des composantes du bien être humain sur la valeur sélective des non-humains. Ainsi, tout en optimisant les capacités de résistance et de résilience des humains aux changements environnementaux et leur émancipation phénotypique, cette approche considère conjointement la préservation des trajectoires évolutives des non-humains. Comme précédemment, la valeur intrinsèque est attribuée à chaque individu humain en tant que phénotype émancipé. Cependant elle est également attribuée à la valeur sélective du non-humain, chaque individu restant d’abord un vecteur de gènes non « émancipé ». Cette valeur intrinsèque de la biodiversité non-humaine concerne donc plus le potentiel évolutif et les processus pilotant la valeur sélective que les individus, les communautés ou les écosystèmes eux même. Au-delà du biocentrisme et de l’écocentrisme, nous proposons donc ici une éthique « évocentrée » même s’il s’agit de fait d’un « évo-écocentrisme » dans la mesure où les trajectoires évolutives ne se comprennent qu’au travers du filtre des processus écologiques.
Une des conséquences majeures qui émerge de cette dernière approche évocentrée est qu’en attribuant à la biodiversité non-humaine une valeur intrinsèque, indépendante de tout usage ou utilitarisme immédiat ou futur, l’Homme quitte une trajectoire strictement anthropocentrée issue des pressions évolutives et possiblement amplifiée par l’émancipation phénotypique. En effet, en l’état actuel de nos connaissances, aucun organisme ne se soucie a priori de la conservation des autres espèces. Il n’existe pas d’altruisme interspécifique réellement désintéressé. Les organismes maximisent leur valeur sélective, parfois via la maîtrise d’une partie de leur environnement. Les cas de mutualisme ou de symbiose constituent des situations dont l’émergence est rendue possible par réciprocité. Cependant, l’effet limité de chaque espèce, population, individu ou génotype sur le reste la biodiversité résulte a priori d’une absence de puissance et non d’un choix de pondération. Cette approche évocentrée envisage donc que l’Homme puisse sortir « par le haut » des contraintes qu’il impose au reste de la biodiversité par la maximisation de sa valeur sélective d’un côté et de son émancipation phénotypique de l’autre.
Cette approche de la conservation ne constitue pas une réconciliation avec le vivant, terme qui donne l’impression d’une harmonie passée (mais voir Rosenzweig 2003, Delord 2005, regard n°14), mais bien une première trêve désintéressée et unilatérale dans l’histoire évolutive des interactions entre humains et non-humains. Alors que l’anthropocentrisme qui soutient l’instrumentalisation du non-humain par l’humain s’inscrit complètement dans la logique des processus évolutifs, « l’évocentrisme » qui implique un respect des trajectoires évolutives du non-humain au-delà de toute utilité pour l’humain sort donc de ce que certains pourraient appeler un cadre « naturel ». En d’autres termes, l’homme sort au moins partiellement de l’emprise de l’évolution et devient ici un peu plus humain. Mais cette sortie est-elle facile ? Ceci explique très probablement les difficultés qu’ont de nombreux acteurs à conceptualiser la notion de valeur intrinsèque de la biodiversité et les obstacles rencontrés pour en faire un argument solide et pérenne des politiques de conservation. L’horizon de l’anthropocentrisme semble indépassable pour certains, y compris chez certains conservationnistes, comme le montre la polémique récente autour de la « nouvelle conservation » qui prône un recentrage radical de la conservation sur le développement humain (Kareiva & Marvier 2012, Cafaro & Primack 2014, Soulé 2014). Pourtant, comparativement aux quatre approches précédentes où la conservation doit en permanence donner des arguments pour répondre à la question classique « pourquoi conserver la biodiversité ? », cette approche évocentrée renverse le paradigme et demande par défaut de répondre à la question « pourquoi laisser détruire la biodiversité ? ».
On notera également que cette approche de la conservation et plus généralement des interactions entre sociétés humaines et biodiversité vise à corriger, neutraliser, contenir ou, en cas d’échec, à compenser les effets des activités humaines non pas sur les entités de biodiversité mais sur leur évolution. Elle n’est donc pas fixiste. Elle ne vise pas à figer la biodiversité ni à interdire toute extinction, y compris pour des espèces dites emblématiques si ces extinctions résultent de processus écologiques et évolutifs non anthropogéniques. Elle ne « sacralise » pas non plus uniquement des trajectoires évolutives qui n’auraient pas déjà été impactées par l’Homme. Ceci serait de toute façon probablement illusoire tant il devient difficile d’en identifier dans un contexte de changements globaux donc à large échelle. Elle permet simplement à ces trajectoires de retrouver une certaine spontanéité, au-delà des intérêts humains immédiats ou futurs. Elle nous permet de réduire notre empreinte évolutive.
Si on essaye d’atteindre cette neutralité humaine vis-à-vis du reste de la biodiversité et de son évolution sans perte importante de valeur sélective ou de bien-être phénotypique pour l’Homme, il devient nécessaire d’inventer des tactiques permettant de remplacer des logiques quantitatives par des logiques qualitatives, le but étant de passer du « toujours plus » au « toujours mieux ». A titre d’exemples, le remplacement des indices de croissance économique par des indices de bien être durable intégrant le devenir des écosystèmes est une voie possible. La réflexion sur une nécessaire transition démographique en est une autre… Opérer ce glissement dans un contexte démocratique est probablement très complexe mais constitue, d’après nous, la seule solution éthiquement acceptable et soutenable. On peut alors se demander ce que seraient les propriétés émergentes d’un tel système au-delà des rapports coûts/bénéfices pour l’Homme d’un côté et pour le reste de la biodiversité de l’autre. Une humanité capable de cette neutralité envers la biodiversité ne rendrait elle pas possible un respect plus grand des conditions nécessaires à chacun pour exprimer ses potentialités au sein même de cette humanité ? N’ouvrirait elle pas les voies d’une émancipation phénotypique équitable, partagée et réfléchie au sein des sociétés ?
Ce regard sur les relations entre humains et non-humains peut en apparence se rapprocher du « naturalisme » identifié comme propre aux visions occidentales qui séparent Homme et nature (Descola 2005) et, de fait, pilotent de nombreuses décisions de développement et de conservation. Cependant, il dépasse ce dualisme nature/culture en ouvrant la voie à un respect profond des processus évolutifs du reste du vivant qui distinguerait l’humain du non-humain. En cela, nos réflexions sur cette approche évocentrée de la conservation et des relations entre les sociétés humaines et la biodiversité doivent être comprises non pas comme un retour en arrière mais, bien au contraire, comme un regard très progressiste sur une humanité cessant de vouloir explicitement ou implicitement maîtriser l’évolution des non-humains et, par là même, s’en distinguant enfin. L’ultime question restant : sommes-nous capables de cette évolution?
Nous dédions ce regard à Robert Barbault qui sut nous transmettre sa passion de l’écologie dans toutes ses dimensions, intégratives et impliquées…
Glossaire
Biocentrisme : approche selon laquelle chaque être vivant constitue une fin en soi et présente une valeur intrinsèque.
CDB : Convention sur la Diversité Biologique.
Ecocentrisme : approche selon laquelle la conservation de la biodiversité devrait porter sur ls systèmes écologiques et leur fonctionnement indépendamment de leur utilité pour l’homme.
FRB : Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité.
HCB : Haut Conseil des Biotechnologies.
IPBES : International Platform for Biodiversity and Ecosystem Services.
Phénotype : résultat des interactions génotype/environnement. Issu de l’expression des gènes dans un environnement ou une succession d’environnements donnés, envisagé ici au sens large en incluant les traits morphologiques, physiologiques, comportementaux ainsi que les capacités cognitives ou culturelles associées à ces traits.
Résilience : capacité d’une entité biologique à retourner à un état initial après une perturbation. Suivant l’entité et l’échelle de temps considérée, l’adaptation peut être un mécanisme de la résilience.
TEEB : The Economics of Ecosystems and Biodiversity
Bibliographie
Barbault R. & A. Teyssèdre, 2013. Les humains face aux limites de la biosphère. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°51, 23 novembre 2014.
Cafaro, P., & R. Primack, 2014. Species extinction is a great moral wrong. Biological Conservation, 170, 1-2.
Callicot, J.B & R. Frodeman. 2009. Encyclopedia of environmental ethics and philosophy. Farmington Hills, MI : Macmillan Reference USA/Gale Cengage Learning.
Danchin, E. & R. H. Wagner. 2010. Inclusive heritability: combining genetic and non-genetic information to study animal behavior and culture. Oikos 119, 210-218.
Delord, J. 2005. La “sauvageté”: un principe de reconciliation entre l’homme et la biosphere. Natures Sciences Sociétés 13, 316-320.
Descola, P. 2005. Par-delà nature et culture. Gallimard. 623pp.
Ehrlich, P.E. 2009. Cultural evolution and the human predicament. Trends in Ecology and Evolution. 24, 409-412.
Ehrlich, P.E. & A.H Ehrlich. 2013. Can a collapse of global civilization be avoided ? Proceedings of the Royal Society B. 280, 20122845.
Kareiva, P., & Marvier, M. 2012. What is conservation science?. BioScience, 62, 962-969.
Maitre d’Hôtel E., & Pelegrin F. 2012. Les valeurs de la biodiversité : un état des lieux de la recherche française. Rapport FRB, série expertise et synthèse, 2012, 48 pp
Guiral C., 2013. Les valeurs de la biodiversité : un regard sur les approches et le positionnement des acteurs, rapport FRB, série expertise et synthèse, 53 pp
Milanovic, F. 2014. De la diversité des modes d’existence du vivant : une approche sociologique. rapport FRB, série expertise et synthèse, 106 pp
Heams, T., Huneman, P., Lecointre, G., & M. Silberstein 2009. Les Mondes Darwiniens. L’évolution de l’évolution. Syllepse. Paris. 1103 pp
Heyer, E., Sibert, A. & F. Austerlitz. 2005. Cultural transmission of fitness: genes take the fast lane Trends in Genetics, 21, 234-239.
Laland, K.N., Odling-Smee, J. & M.W. Feldman. 2000. Niche construction, biological evolution, and cultural change. Behavioral and brain sciences. 23, 131–175
Larrère, C. & R. Larrère. 2009. Du bon usage de la nature : pour une philosophie de l’environnement. Flammarion. 355 pp.
Maris, V. 2010. Philosophie de la biodiversité : Petite éthique pour une nature en péril. Buchet-Chastel.
Nekola, J. C., C. D. Allen, et al. 2013. « The Malthusian Darwinian dynamic and the trajectory of civilization. » Trends in Ecology & Evolution, 28 , 127-130.
Rosenzweig,.M.L. 2003. Win win ecology, Oxford, Oxford University press.
Soulé, M.E. 2013. The ‘‘New Conservation’’. Conservation Biol. 27, 897–899.
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Article édité par Sébastien Barot et Anne Teyssèdre
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La condition première pour « pouvoir dépasser l’anthropocentrisme dans nos regards sur la biodiversité » est de séparer biodiversité et environnement. Ainsi seulement on sera libre de penser que 1) l’environnement anthropocentré et 2) la biodiversité écocentrée (évocentrée) sont des représentations judicieuses de notre relation à la planète.
Merci Michel pour votre remarque.
Effectivement, dans les débats publics le concept d’environnement est le plus souvent explicitement ou implicitement anthropocentré. Parler d’environnement c’est d’abord parler des facteurs biotiques et abiotiques qui « environnent » les humains. Pourtant ce n’est pas le sens auquel nous l’employons ici. Nous pensons en effet que, par défaut, on ne devrait pas considérer ‘un’ mais ‘des’ environnements selon l’organisme environné considéré. En d’autres termes, des organismes différents qui partagent un même espace sont susceptibles de percevoir leurs environnements respectifs différemment du fait de l’importance qu’ils attribuent à telle ou telle dimension de leur niche écologique, cette importance étant issue de leur évolution dans ces environnements. De plus, les éléments de biodiversité sont des éléments d’environnement les uns pour les autres. Ils le sont en interagissant directement ou indirectement entre eux et en façonnant de façon plus ou moins importante les flux de matière et d’énergie au sein des écosystèmes. De même, les humains sont des éléments majeurs des environnements pour eux même et pour le reste de la biodiversité. Les environnements incluent donc nécessairement des dimensions biotiques (la biodiversité) et abiotiques en forte interactions.
Par ailleurs, notre proposition d’une approche évocentrée de la biodiversité n’exclue pas le fait qu’en plus de leur valeur intrinsèque liée à leur trajectoire évolutive, certains éléments de biodiversité présentent une valeur instrumentale, anthropocentrée, lorsqu’ils contribuent au développement soutenable des populations humaines. Cette valeur instrumentale que revêtent certains non-humains pour les humains existe également entre non humains via des relations de prédation, parasitisme mutualisme etc. Mais c’est bien notre capacité à concevoir la valeur intrinsèque des trajectoires évolutives des non humains et celle des phénotypes humains, qui nous distinguerait des non-humains.
François S. Jane L.
Votre stricte non-définition de l’environnement (ou sa définition « à la carte ») abstrait votre modèle de relation à la planète et pourrait bien desservir la réflexion.
L’environnement a un développement fixe et linéaire. C’est cela d’ailleurs qui nous le rend anthropocentrable (compréhensible et directement appréhendable par la pensée cartésienne). La biodiversité, elle, a un développement non linéaire et évolutif, ce qui la distingue de l’environnement et nous demande de l’appréhender par un autre modèle (l’évocentrisme?).
Avec l’évolution, la biodiversité se distingue toujours plus de l’environnement. Cela est vrai autant au sens figuré qu’au sens propre du terme : elle crée en continu le milieu, chose que l’environnement ne « sait » faire. Ainsi dans un modèle où la biodiversité est extraite de l’environnement, et contrairement au modèle que vous sous-entendez, on peut dire (voir) que chaque organisme « se soucie » bien a priori de la conservation de toutes les autres espèces par cette création du milieu commun. Ici, de manière indirecte aussi, la vie protège la vie… serait-ce donc toute la biodiversité qui est évocentrée?
Merci Jane et François. Je comprends que dans votre regard, « environnement » correspond au contexte dans lequel évolue le sujet. C’est cela? Serait-ce ce même « context » utilisé par Lynn White junior en 1966 dans son papier « the historical roots of our ecological crisis » : « All forms of life modify their contexts »?
Effectivement Michel, l’environnement tel que nous l’entendons peut correspondre au « contexte » évoqué par Lyn White Jr dans son article de 1967 et dans lequel évoluent les humains et chaque élément de biodiversité non humain. Comme nous le rappelions, les environnements intègrent des éléments abiotiques et biotiques qui sont en interactions et montrent des trajectoires complexes à des échelles spatiales et temporelles variées.
Francois S., Jane L.
Nous avons tendance à être plus attentifs à nos lectures qu’à la réalité extérieure, pourtant le sujet même du regard. Cela risque de nous pousser vers une forme de scolastisme. La date de ce texte de Lynn White Junior (1967 = son papier, 1966 = sa conférence) n’a pas d’importance ici, alors que l’absence de définition de l’environnement (échelle de temps et d’espace libre, qualités des sujets et objets impliqués libres, …) en a énormément je pense. Cette absence nous crée une fausse complexité et nous reclut sur nous-même et l’anthropomorphisme.
Le papier de Lynn White Junior a été réfuté. Cependant, le débat derrière ce papier a permis de comprendre deux choses: 1) il faudra une bonne représentation de notre relation au monde pour sortir de la crise écologique et 2) cette même crise n’a ni origine historique ni ante-historique. Autrement dit, toute espèce vivante est naturellement en crise écologique et le simple processus pour sortir de cette « crise » (= penser et transcrire un développement soutenable pour notre espèce) ferait de facto de nous une espèce assez unique. Est-ce là une autre façon de dire en 1967 ce que vous dites en 2014 : « Mais c’est bien notre capacité à concevoir la valeur intrinsèque des trajectoires évolutives des non humains et celle des phénotypes humains, qui nous distinguerait des non-humains »?
Je pense ainsi qu’il serait mieux de commencer par définir un rapport au monde le plus simple possible. Extraire la biodiversité de l’environnement permettrait de définir facilement les deux entités. Une fois cette première étape d’appréhension de notre contexte faite, on verrait que la biodiversité travaille à créer le milieu contre l’environnement. Voilà donc tout notre contexte (milieu, environnement, biodiversité) qui serait mis en articulation de manière rapide et surtout suffisamment simple pour qu’une discussion entre tous (et pas seulement entre collègues) puisse s’engager sur notre développement soutenable et se répandre.
Le développement soutenable/durable sera de toute façon simple ou ne sera pas.
En tant qu’écologues, notre définition de l’environnement repose bien sur la réalité des interactions complexes entre éléments biotiques et abiotiques. A partir de cette définition, la perception de l’environnement dépend du sujet considéré. C’est sur cette définition que nous appuyons nos propositions de mise en perspective évolutive des « racines » de nos interactions avec la biodiversité non-humaine, qui nous semblent rejoindre les considérations de votre second paragraphe.
Quel que soit l’effort de simplification et de pédagogie, ces interactions sont par essence complexes. Dans l’esprit de ces « regards et débats sur la biodiversité » de la SFE, nous avons souhaité énoncer le plus simplement possible des propositions aussi bien à destination du grand public que des scientifiques de toutes disciplines afin de permettre des échanges constructifs. Ces propositions visent à faire une plus grande connexion entre éthique et sciences de l’écologie et de l’évolution pour enrichir les réflexions sur notre rapport au vivant et notamment notre inertie à enrayer l’érosion de la biodiversité. Si notre propos reste simplifié, il se base sur des hypothèses potentiellement réfutables et ne constitue qu’un point de départ. Comme nous le précisions dans le texte, ces réflexions doivent se poursuivre et pouvoir s’appuyer sur des recherches impliquant théorie, modélisation, analyse de données… afin de contribuer à éclairer les choix individuels et collectifs de trajectoires des interactions entre humains et non-humains.
François S., Jane L.
Bonjour et merci encore pour votre retour,
Je suis bien dans le dialogue, et le dialogue constructif. Cela grâce à ce regard (un grand merci aux modérateurs).
Ce que je cherche à vous exprimer est le fait qu’il y a un lien direct et incontournable entre le modèle que vous utilisez et cette éthique que vous cherchez. Pour travailler sur l’éthique, il faut travailler sur le modèle car c’est le modèle qui crée les questions et questionnements que nous nous posons. Ainsi autant les réponses (qui nourriront l’éthique) que vous trouverez sont enfermées dans les questions que vous posez, autant les questions sont, elles, enfermées dans le modèle utilisé. Le lien est direct.
Aussi, un modèle abiotique/biotique où les deux parties du modèle sont définies par un même objet (la vie : bio) n’est pas valide : il y a dans chaque partie le besoin de définir l’autre. Les deux parties ne sont donc pas autonomes, et ne peuvent être modélisées. Malgré ce que vous dites, aucune théorie, modélisation ne pourra apporter de réponses sensées. Voilà pourquoi vous pouvez écrire des choses comme « En l’état actuel de nos connaissances, aucun organisme ne se soucie a priori de la conservation des autres espèces » alors qu’en regardant dehors, il est si évident que chaque organisme aide les autres organismes. L’un crée l’o2 pour que l’autre puisse respirer, le prédateur chasse les proies malades et sauvent là l’ensemble de l’espèce, etc, etc. Tout cela se passe bien a priori, c’est même inscrit dans leurs gènes (quoi de plus fort comme modèle d’altruisme?).
Et même tous les organismes meurent en laissant leur corps aux autres pour progresser. Tous … mais pas nous… enfin pas nous tous. Il y a par exemple les parsis qui (avant que les vautours ne disparaissent) offraient leur corps aux charognards et cela même en ville dans des tours . Par cela, ils ne souillaient pas l’environnement (le feu, l’eau, l’air, la roche). Les parsis, une communauté très bien insérée dans la société, utilisaient un modèle où les choses qui poussent (la biodiversité) et les choses qui ne poussent pas (l’environnement) sont d’abord séparées avant toutes complexifications secondaires et expertes. Selon notre modèle où tout le contexte n’est qu’environnement, cette forme de sépulture-là peut sembler non éthique alors que dans un modèle biodiversité séparé (avant toute complexification) de l’environnement, cela semblerait positif. C’est bien le modèle qui crée l’éthique, qui permettent d’imaginer les solutions.
Voilà pourquoi je continue à penser que la complexification dont vous parlez et derrière laquelle vous vous trouvez nuit à la question même que vous posez par ce regard « Peut-on dépasser l’anthropocentrisme dans nos regards sur la biodiversité ? ».
Je m’exprime en simple citoyen et philosophe amateur. Je vous remercie pour ce texte qui pose une question majeure : comment dépasser l’anthropocentrisme ?
Callicott dans ‘éthique de la terre’ est assez convainquant pour montrer que le pragmatisme n’y donne pas de réponse satisfaisante. Son explication des origines de l’éthique s’appuie sur l’évolution animale, d’une manière similaire à la votre, c’est pourquoi je trouve votre démarche très intéressante.
Je tiens aussi à dire toute l’admiration que j’ai pour votre profession.
Mais votre texte est pour moi très (trop?) compact et dense, j’aurais besoin de clarification pour en avoir une réception opérationnelle. Je m’interroge sur votre notion d’émancipation phénotypique. Vous expliquez qu’elle regroupe l’ensemble des comportements qui ont un faible gain en valeur sélective. Mais les sociétés humaines, ainsi que les sociétés animales hiérarchisées sélectionnent les dominants au détriment des dominés. Les personnes exclues, défavorisées ont moins d’enfants ou une descendance moins viable. Or pour les humains, les signes extérieurs de richesses, procurent sans doute du confort mais ce confort a une valeur sélective : il place l’individu vers le haut des classes sociales.
L’émancipation phénotypique viendrait en complément de la réalisation de la valeur sélective.
Mais l’ordre des classe sociales étant gradué je ne vois pas de limite à la valeur sélective.
Avoir une belle voiture par exemple est un caractère observable, est-ce un élément de phénotype humain?
Les animaux, comme les dauphins, peuvent-ils avoir une émancipation phénotypique ?
Il semble assez plausible sociologiquement que vous ayez sous estimé Marx dans le survol philosophique.
Vous vous demandez si les comportements humains sont liés à la sélection évolutive de notre espèce. Vous laissez ce point ouvert et je ne comprend pas comment nous pourrions être hors de la sélection, en dehors d’un processus évolutif. Voulez vous dire que notre espèce serait à ce point extérieure à la nature qu’elle n’évoluerait plus ?
L’émancipation est dans le registre des humanités une chose très positive, mais dans votre définition il s’agit d’une recherche de plaisir à court terme, par opposition à la sélection évolutive qui s’effectue sur le long terme.
Pourquoi parler d’émancipation s’il agit en fait de consumérisme ?
Autre petite interrogation dubitative : vous dites qu’il ne faut pas vouloir maîtriser l’évolution des non-humains.
Mais si on commençait par la comprendre on pourrait accompagner cette évolution vers une pérennisation des espèces menacées. Maîtriser signifie aussi maintenir, alors que la domination induit plus clairement la destruction. Pourquoi condamner le désir de maîtrise, une potentielle maîtrise de l’évolution ? N’y a-t-il pas là une mini-tentation régressive ?
Quand vous renversez le paradigme et demandez par défaut de répondre à la question « pourquoi laisser détruire la biodiversité ? », je retrouve là un argument de Callicott en faveur d’une sortie de l’anthropocentrisme : l’inversion de la charge de la preuve.
Votre approche par scénarios me paraît très prometteuse et mérite des développements. C’est pour moi l’intérêt principal du texte. Envisager une ‘trêve’ de l’anthropocentrisme pour en faire ressortir les bénéfices à long terme est exactement ce qu’il nous faut faire. Ne pourrions nous pas effectuer ces projections sur des registres différents, successifs et complémentaires ? Le plan économique est influencé par la sphère politique qui elle même est une expression des valeurs dominantes dans une culture donnée. J’aimerai lire le développement de vos scénarios sur chacun de ces trois registres qui correspondent aux trois écologies de Félix Guatari.
Réponse à Michel
Notre réflexion éthique se place dans le champ des sciences de l’écologie et de l’évolution pour mettre en perspective sur le court et le long terme les relations entre humains et non humains. Ceci constitue notre cadre conceptuel, notre « modèle » pour reprendre votre premier argument. Nous considérons au sein du vivant les gènes, les individus, les populations, les communautés, et les écosystèmes comme les niveaux d’intégration permettant d’identifier selon différents scénarios quels sont les fins et les moyens des éthiques possibles. In fine nous partageons donc avec vous le projet d’une éthique dédiée au vivant et qui n’embrasse pas sur le même plan la biodiversité et les autres éléments naturels (roches, eau, atmosphère…). Néanmoins, cette approche scientifique en écologie et évolution nous conduit à considérer l’état des connaissances et des faits observés sur de très nombreux systèmes écologiques et ces faits divergent profondément de ce que vous affirmez.
D’une part, les éléments biotiques et à biotiques interagissent au sein des écosystèmes et ces interactions sont observées, quantifiés et modélisées indépendamment des éthiques qui peuvent être développées les concernant.
D’autre part, les interactions entre organismes vivants ne résultent pas de l’apparent finalisme que vous exprimez. Les proies apprécient peu d’être prédatées, les hôtes d’être parasités. Si des formes de symbiose, de mutualisme et d’altruisme sont bien documentées, elles restent soumises aux forces évolutives via des gains en valeur sélective à l’échelle des organismes qui les portent. Jusqu’à preuve du contraire, on n’observe nulle générosité entre plantes et pollinisateurs mais une course à l’efficacité qui favorise par sélection ceux qui « coopèrent » car ces derniers voient leur valeur sélective augmenter relativement à ceux qui ne coopèrent pas. Les hauts degrés de spécialisation et d’interdépendance de nombreux organismes résultent en effet de coévolutions qui n’impliquent aucune hypothèse d’intentionnalité. De même que les individus ne travaillent pas « pour le bien ou la survie de leur espèce », ils ne travaillent pas « pour le bien ou la survie de celle des autres organismes ». Un regard superficiel et instantané laisse facilement émerger cette apparence de finalisme où en nature tout serait « au mieux dans le meilleur des mondes possibles », et présenterait par essence équilibre, harmonie et stabilité. Sur le temps court, ces équilibres sont apparents mais ce sont toujours des équilibres dynamiques en termes génétiques, démographiques et d’assemblages des communautés, dynamiques en termes de flux de matière et d’énergie, dynamiques en termes d’évolution. La rapidité du développement des activités humaines perturbe ces équilibres apparents et renforce l’impression de systèmes naturels qui seraient initialement stables et « bien conçus ». Mais cette impression masque la réalité des processus qui façonnent ces dynamiques de biodiversité.
L’exemple des vautours est à plusieurs titres édifiant. Les Parsis n’accordent pas de valeur intrinsèque aux vautours ou à leur trajectoire évolutive. Ils leur attribuent une valeur instrumentale en en faisant le moyen de la transformation de leur dépouille sans souiller le feu considéré comme sacré. Il ne s’agit pas ici pour cette communauté ‘ d’aider les vautours’ pour eux-mêmes, mais pour le service qu’ils fournissent. Ce service est bien lui-même non intentionnel, les vautours cherchant ici uniquement à s’alimenter. Ainsi suite au déclin massif de ces espèces en Asie, le plus fort déclin documenté de vertébrés, dû à l’usage vétérinaire du Diclofenac un anti inflammatoire utilisé sur le bétail mais toxique pour ces oiseaux, les parsis ont proposé de construire des volières pour y maintenir les tours du silence et pratiquer leurs rites funéraires. Ces vautours captifs sont bien un moyen, et non une fin de l’éthique de cette communauté. D’ailleurs la mise en place de ces volières a posé la question de l’usage médical du Diclofenac pour les patients susceptibles de faire l’objet de ces rites mortuaires. Et la décision de ce passer de ce produit ou d’imposer des produits de substitution à ces patients n’est pas une simple formalité. En Europe, dans un contexte culturel et historique très différent, si ces pratiques ne concernent pas les humains, elles concernent les animaux d’élevage et le service d’équarrissage très efficace fourni par les vautours constitue de manière très pragmatique, un des piliers de leur conservation. Ce pragmatisme montre néanmoins ses limites. L’autorisation de distribution du Diclofénac en Espagne, ou le projet de mise en œuvre de tirs d’effarouchement près de certaines exploitations françaises, traduisent une fois encore le court-termisme de nos politiques environnementales et la difficulté des compromis à construire, collectivement, entre bien être humain et devenir des non humains.
En conclusion, si les interactions entre éléments de biodiversité sont multiples et complexes, conduisant à l’image du « tissu vivant », ces interdépendances ne sont pas voulues mais souvent subies et l’hypothèse de leur intentionnalité, qui impliquerait des hypothèses très fortes sur la création du vivant, n’est pas supportée par les connaissances scientifiques. En cherchant à maitriser la biodiversité non humaine, l’homme n’est pas différent du reste du vivant, il est simplement plus puissant et efficace. C’est bien cela qui nous conduit à souligner la nouveauté, et le challenge, que représenterait pour l’humanité l’adoption d’une approche évocentrée, aussi neutre que possible pour les non humains au-delà des liens de réciprocité et des services ou disservices que certains d’entre eux peuvent nous procurer.
Bonjour
Il me semble que l’éthique environnementale est particulièrement peu claire sur ce terme, « anthropocentrisme », ce qui génère toutes sortes de confusions et d’accusations un peu absurdes contre lesquelles il faut se défendre dès lors qu’on veut en sortir. Savoir qui évalue par exemple n’est pas ce qui fait débat : c’est l’homme, évidemment etc. J’explique le sens précis de ce terme dans Nature et Politique (Amsterdam, 2014). L’opposition valeur intrinsèque / anthropocentrisme renvoie non pas à l’opposition valeur en soi / valeur pour l’homme, en général, mais à l’opposition valeur non-économique / valeur économique, ou plus exactement valeur non-moderne / valeur moderne (voir mon prochain « regard »). Le vrai débat est l’idée qu’on se fait de l’homme, donc l’humanisme. Pour la modernité, l’humanisme est (en gros) le marché (donc la croissance infinie et la technologie issue de la division infinie du travail) + la démocratie représentative. La prise en compte de la valeur de la nature remet en cause le premier objectif et tout ce qui va avec, à un degré que l’on peut discuter. Être éco-centré (ou évo-centré si on veut) signifie qu’on regarde non pas la valeur ajoutée (corrigée ou non de l’exploitation de la force de travail), mais la valeur étendue à la prise en compte de la biosphère (écosystème, espèce, organisme, etc. selon l’école d’éthique environnementale à laquelle on s’identifie, sachant que toutes reviennent au même en ce qui nous concerne ici). Mais elle ne remet pas en cause le second (la démocratie), en tout cas pas nécessairement. Ca ne veut pas dire d’ailleurs qu’il faut s’en satisfaire !
Réponse à François et Jane,
Merci une fois de plus pour votre retour!
J’ai bien compris vos intentions ainsi que vos cadres et démarches. Je pense comme vous qu’il faut en passer par l’éthique. Je suis plus volontariste peut-être en affirmant que l’éthique peut se construire rapidement à condition de dépasser le champ des sciences de l’écologie et de l’évolution pour englober avec précision tout notre contexte. Sans précision, nous dirions « les éléments biotiques et à biotiques interagissent au sein des écosystèmes ». Avec la précision que je mentionne (biodiversité extraite de l’environnement), nous pourrions nous rapprocher de la réalité : La biodiversité travaille et est la seule à agir (au sens d’action). Elle crée très principalement le milieu. L’environnement n’est simplement pas vivant et n’a donc pas d’action. Il est fixiste. Il n’y a donc aucune interaction (ceci est une illusion), ni fusion entre biodiversité et environnement. L’environnement subit la physico-chimie et évolue elle sans choix et sans s’écarter de son axe fixe. On voit ici deux paradigmes se dégager, celui du vivant, et celui de l’environnement. Ils n’ont pas du tout le même développement. Leur paradigme divergent l’un de l’autre. En remarquant cela, on peut interpréter que c’est biodiversité contre environnement. Ainsi, l’harmonie, l’équilibre n’a pas lieu d’être pensé dans un modèle à deux touts.
Au sujet des vautours, des proies et parasites : Vous appliquez ici une vision plus qu’anthropocentrée à la biodiversité alors que vous cherchez à dépasser cette vision. Vous faites intervenir un certain romantisme, une appréciation, une sentimentalité. La question : est-ce que manger, c’est de l’aide ou de l’alimentation ne se pose pas. C’est d’abord un mode de relation écologique. Nous ne pouvons interpréter. Nous pouvons juste constater qu’une population entourée de prédateur (et même de parasite peut-être… Je ne suis pas sûr mais j’ai lu que les populations d’oiseaux parasités par le coucou réussissent mieux…) est plus solide. Avec du sentiment, on va aussi dire qu’un proie malade est peut-être embêtée d’être mangée quand ses partenaires sont heureux de voir disparaitre la maladie. Ce genre de remarque n’a pas lieu et nous écarte du sujet.
Au sujet des parsis, il n’y a pas que le feu qui est sacré (cette notion de sacré est une dérive je pense qu’il faut savoir démonter) mais tous les éléments et aussi la vie (ils boivent l’urine d’un taureau sacré à leur baptême et à leur mariage par exemple,…). J’avais utilisé cet exemple pour parler de construction de l’éthique, du rapport direct qu’il existe entre modèle et éthique. Savoir si le vautour aide ou s’alimente n’est pas la question (à moins de vouloir s’enfermer dans l’anthropomorphisme) mais plutôt comment peut-on intégrer des démarches si écologiques dans notre éthique.
On s’est un peu dispersé je crois. Merci en tout cas encore pour ce retour et le temps consacré.
Bien cordialement,
Michel
Réponse à Jean-Baptiste B.
Bonjour,
Nous vous remercions pour votre commentaire et vos questions très pertinentes. Nous allons tenter d’y répondre point par point. Pour faciliter cela nous reprenons votre texte et intercalons nos réponses.
JBB :… Je m’interroge sur votre notion d’émancipation phénotypique. Vous expliquez qu’elle regroupe l’ensemble des comportements qui ont un faible gain en valeur sélective. Mais les sociétés humaines, ainsi que les sociétés animales hiérarchisées sélectionnent les dominant au détriment des dominés. Les personnes exclues, défavorisée ont moins d’enfants ou une descendance moins viable. Or pour les humains, les signes extérieurs de richesses, procurent sans doute du confort mais ce confort a une valeur sélective : il place l’individu vers le haut des classes sociales.
FS, JL : La part du bien être humain qui relève de la réalisation de la valeur sélective est effectivement difficile à quantifier, de nombreux processus indirects pouvant in fine influencer la valeur sélective. Cette part demeure probablement importante. Rappelons que la valeur sélective doit être considérée sur l’ensemble d’un cycle de vie, en intégrant les paramètres de survie et de reproduction à l’échelle de la génération. La seule fécondité n’est qu’un élément de cette valeur sélective. Notons que le lien entre niveau de confort et fécondité est plutôt inverse. Des populations exclues ou très démunies sans accès aux ressources leurs permettant d’assurer leurs besoins vitaux sont susceptibles de souffrir de surmortalité, notamment infantile. On note cependant une baisse globale de fécondité avec l’éducation et l’accroissement du bien être matériel. Cela est constaté dans de nombreuses sociétés et a généré des transitions démographiques dans de nombreuses régions du monde. Cet apparent paradoxe évolutif peut peut-être trouver une partie de son explication dans cette part croissante d’investissement dans le bien être individuel qui va au- delà de la valeur sélective et que nous appelons émancipation phénotypique.
JBB : L’émancipation phénotypique viendrait en complément de la réalisation de la valeur sélective. Mais l’ordre des classe sociales étant gradué je ne vois pas de limite à la valeur sélective. Avoir une belle voiture par exemple est un caractère observable, est-ce un élément de phénotype humain?
FS, JL : La part des processus évolutifs dans la complexité du fonctionnement des sociétés humaines est, fort justement, très débattue. Il ne nous appartient pas d’en juger mais nous invitons les collègues des sciences humaines à s’emparer de l’hypothèse de l’émancipation phénotypique pour revisiter les débats sur les origines évolutives de certaines dynamiques humaines et sociales. Pour reprendre votre exemple de la belle voiture, celle-ci n’est pas à proprement parler un élément du phénotype (ou alors dans son acception la plus étendue). Par contre sa possession et son usage engagent de multiples processus comportementaux et sociaux qui illustrent assez bien le continuum entre valeur sélective et émancipation phénotypique. Avoir accès à un véhicule peut dans certaines situations permettre d’assurer des fonctions essentielles au sein de nos sociétés (emploi, santé, éducation) et donc contribuer indirectement à la valeur sélective. Cet effet est probablement limité et même éventuellement négatif si l’on intègre les coûts induits par son utilisation (accidents, pollutions…). Cependant la conception et la commercialisation de ces véhicules s’appuie sur de fortes références au plaisir, au bien-être. Ceci illustre assez directement le processus à la base de ce que nous appelons émancipation phénotypique, à savoir la satisfaction de traits sensoriels et comportementaux initialement sélectionnés via leurs effets sur la valeur sélective mais utilisés désormais au-delà pour satisfaire à court terme chaque individu, en mobilisant des perceptions, des émotions, en comparaison de performances mais aussi en s’appuyant sur une peur du déclassement au sein de nos sociétés….
JBB : Les animaux, comme les dauphins, peuvent-ils avoir une émancipation phénotypique ?
FS, JL : On constate de plus en plus souvent que de nombreuses capacités considérées comme « propres » à l’Homme existent également mais à des degrés moindres chez de nombreuses autres espèces. Il en est vraisemblablement de même pour l’émancipation phénotypique et certaines espèces peuvent très probablement aussi utiliser leurs capacités pour améliorer ponctuellement leur bien-être individuel comme nous l’indiquions dans le texte dans le cas d’environnements riches et temporairement stables. On peut citer l’exemple d’espèces qui manifestent des comportements copulatoires ou de jeu qui semblent aller au-delà d’un gain significatif en valeur sélective. Cependant, de tels comportements sont potentiellement assez limités par rapport à l’espèce humaine qui par sa maitrise de l’environnement et ses liens sociaux et culturels a pu « sécuriser », au moins à court terme, sa valeur sélective.
JBB : Il semble assez plausible sociologiquement que vous ayez sous estimé Marx dans le survol philosophique.
FS, JL : Encore une fois, nous proposons un regard d’écologue qui ne prétend pas embrasser tous les champs des sciences humaines mais au contraire encourager le dialogue pour identifier les convergences interdisciplinaires.
JBB : Vous vous demandez si les comportements humains sont liés à la sélection évolutive de notre espèce. Vous laissez ce point ouvert et je ne comprend pas comment nous pourrions être hors de la sélection, en dehors d’un processus évolutif. Voulez vous dire que notre espèce serait à ce point extérieure à la nature qu’elle n’évoluerait plus ?
FS, JL : L’espèce humaine n’est pour nous bien sûr pas en dehors des processus évolutifs. Notre propos est justement de le rappeler dans ce regard. Nous émettons néanmoins l’hypothèse que le processus d’émancipation phénotypique, notamment par la vitesse et l’intensité de ses ressorts culturels, ajoute du bruit dans l’intensité des pressions de sélections et donc la direction de ces évolutions. Pour résumer, l’humanité est comme l’ensemble du vivant issue de processus darwiniens et soumise à chaque instant aux processus évolutifs. Mais le niveau de confort atteint au cours de l’histoire par les différents groupes humains permet aux individus de consacrer une partie croissante de leur énergie à leur bien être selon des codes, des règles sociales diversifiées. Cette allocation d’énergie brouille donc probablement nos trajectoires évolutives.
JBB : L’émancipation est dans le registre des humanités une chose très positive, mais dans votre définition il s’agit d’une recherche de plaisir à court terme, par opposition à la sélection évolutive qui s’effectue sur le long terme. Pourquoi parler d’émancipation s’il agit en fait de consumérisme ?
FS, JL : Tout d’abord rappelons que les processus micro évolutifs ont lieu sur des temps courts mais qui restent ceux des temps de génération. L’émancipation phénotypique repose certes sur une recherche de plaisir et de bien être à court terme mais les évolutions culturelles et techniques qui l’ont accompagnée se situent sur des échelles de temps variables, potentiellement plus rapides que celles de l’évolution biologique mais probablement aussi irrégulières. Effectivement le terme d’émancipation ne doit pas être pris ici uniquement dans une acception positive mais plutôt comme un processus de détachement progressif entre la logique du phénotype et celle de la valeur sélective. Notre propos ne se veut pas moral mais factuel pour décrire le processus de détachement, d’autonomisation, d’un moyen qui commence à se percevoir comme une fin. Nous sommes ici pleinement compatibles avec l’idée d’une humanité comme « nature consciente d’elle-même ». Pour reprendre l’image controversée proposée par Dawkins, nous décrivons ici un phénotype « égoïste » s’émancipant du gène « égoïste ». Enfin, cette émancipation n’est pas uniquement synonyme de plaisir à court terme car elle peut être transmise via transmission culturelle et n’implique pas forcément le consumérisme mais aussi le bien être que peuvent procurer par exemple les liens sociaux, l’art ou le contact avec la nature.
JBB : Autre petite interrogation dubitative : vous dites qu’il ne faut pas vouloir maîtriser l’évolution des non-humains. Mais si on commençait par la comprendre on pourrait accompagner cette évolution vers une pérennisation des espèces menacées. Maîtriser signifie aussi maintenir, alors que la domination induit plus clairement la destruction. Pourquoi condamner le désir de maîtrise, une potentielle maîtrise de l’évolution ? N’y a-t-il pas là une mini-tentation régressive ?
FS, JL : Commençons par la fin de votre propos. Tout notre argumentaire vise justement à souligner combien penser et accepter l’évolution des non-humains indépendamment de nos propres attentes, n’est pas une régression mais au contraire une nouveauté totale à l’échelle évolutive, à l’échelle de l‘histoire du vivant. Et c’est probablement ce qui rend ce saut si difficile à accepter et à réaliser. Le fait les humains aient atteint un niveau inégalé de pilotage de leur environnement, ne prouve pas que les non-humains ne veulent pas en faire autant, cela montre seulement qu’ils n’en ont pas les moyens. Ce rêve de maitrise de l’environnement, de la biodiversité et, in fine, de l’évolution est très probablement une émergence logique des processus évolutifs eux même. C’est ce que nous exprimons dans les scénarios anthropocentrés, c’est-à-dire centrés sur les phénotypes ou sur la valeur sélective des humains ou en les combinant, sur le développement soutenable. Dans le même temps, ce rêve prométhéen de maîtrise montre ses limites si l’on en croît l’étendue des crises environnementales que nous traversons. Quand on dépasse l’échelle des processus moléculaire, on comprend vite que maîtriser l’évolution est illusoire sachant la complexité et la vitesse des dynamiques de biodiversité et de leurs rétroactions avec les environnements abiotiques. Pour le reste, ne pas chercher à maîtriser, ne veut pas dire ne pas chercher à comprendre les processus évolutifs en jeu. Il faut ainsi rappeler que l’extinction fait partie de l’histoire évolutive. Si le but est de maintenir le potentiel évolutif ou à tout le moins d’éviter de le réduire, les objectifs de conservation doivent donc être de freiner les extinctions d’origine anthropiques et de protéger et restaurer les dynamiques des espèces menacées. Mais ceci doit être pensé sur le long terme, sans figer les trajectoires, et sans empêcher les processus évolutifs même si ils peuvent entrainer, hors de nos responsabilités, l’extinction de certaines populations. L’ampleur des crises actuelles et l’intensité des changements globaux rendent très difficile l’identification d’extinction strictement non anthropogénique. D’où cette tentation louable, d’éviter par précaution et dans l’urgence toute extinction. Mais une conservation évocentrée ne viserait pas à figer éternellement la biodiversité. Bien au contraire, elle viserait à permettre aux populations, espèces, communautés de coévoluer, de laisser s’exprimer sur le long terme les processus darwiniens et d’accepter au-delà de nos intérêts immédiats des émergences et des extinctions.
JBB : Quand vous renversez le paradigme et demandez par défaut de répondre à la question « pourquoi laisser détruire la biodiversité ? », je retrouve là un argument de Callicott en faveur d’une sortie de l’anthropocentrisme : l’inversion de la charge de la preuve.
FS JL : Effectivement nous rejoignons plusieurs auteurs qui plaident pour cette inversion de la charge de la preuve. Ceci n’empêcherait pas d’agir quand des éléments de biodiversité menaceraient effectivement la sécurité ou la santé de populations humaines mais cela permettrait de poser le principe de coexistence au cœur de nos relations avec les non humains. Cette coexistence serait assumée et assurée collectivement au sein des sociétés courageusement, sans attente permanente de réciprocité de la part des non-humains mais elle définirait ce que nous serions vis-à-vis d’eux.
JBB :Votre approche par scénarios me paraît très prometteuse et mérite des développements. C’est pour moi l’intérêt principal du texte. Envisager une ‘trêve’ de l’anthropocentrisme pour en faire ressortir les bénéfices à long termes est exactement ce qu’il nous faut faire. Ne pourrions nous pas effectuer ces projections sur des registres différents, successifs et complémentaires ? Le plan économique est influencé par la sphère politique qui elle même est une expression des valeurs dominantes dans une culture donnée. J’aimerai lire le développement de vos scénarios sur chacun de ces trois registres qui correspondent aux trois écologies de Félix Guatari.
FS, JL : Merci pour vos encouragements. Ces scénarios ouvrent des questions dans de nombreux champs ou au moins permettent de revisiter certains questionnements. Nous espérons vivement pouvoir poursuivre nos échanges avec de nombreux collègues dans des approches interdisciplinaires toujours très riches.
Réponse a Fabrice Flipo
Bonjour,
Merci pour cet éclairage qui renvoie à l’importance actuelle des approches économiques et politiques. Nous sommes bien conscients de la nature des débats économiques qui cherchent ou non à englober les enjeux de biodiversité. Notre propos vise ici à remettre l’ensemble de nos interactions entre humains (notamment nos décisions économiques) d’une part, et entre humains et non humains d’autre part, dans une perspective évolutive pour tenter de mieux comprendre leurs origines, leurs inerties et envisager leur devenirs éventuels. Nous souhaitons ainsi sortir au moins un instant du regard que l’humain contemporain porte souvent sur les non-humains en considérant que les dynamiques actuelles des sociétés notamment politiques, économiques, sociales expliquent le monde mais en oubliant d’où il vient. Nos interactions ont une histoire qui n’est pas totalement indépendante de l’histoire du vivant. Et nous cherchons modestement dans le cadre de ce texte à identifier les processus de temps longs et de temps courts qui peuvent éclairer cette histoire et ses suites possibles.
Bonjour,
et merci à François et Jane pour ce « regard » qui se veut large sur la relation Homme-Nature (ou humains – non humains).
Cependant, je ne suis pas convaincue par plusieurs arguments. Par exemple:
– La préservation de la biodiversité requiert aujourd’hui – au minimum – l’exploration fonctionnelle des socio-écosystèmes, et notamment la prise en compte de nombreux « services écosystémiques » par les sociétés. En d’autres termes, si le concept de « service écosystémique » est par définition anthropocentré, son utilisation en sciences de la conservation relève d’une approche très généralement conservationniste, écocentrée.
– L’approche systémique et fonctionnelle des socio-écosystèmes est tout à fait compatible avec la reconnaissance d’une valeur intrinsèque de la biodiversité. Ainsi la question des auteurs « Faut-il conserver la biodiversité pour elle-même ou pour les services qu’elle nous rend ? » me semble vaine. Il ne s’agit pas d’un choix entre deux options incompatibles. La biodiversité peut/doit être préservée tout à la fois pour elle-même et pour les multiples ressources et « services » écologiques qu’en tirent (et dont dépendent) les sociétés.
– Par ailleurs, l’actualité d’une émancipation phénotypique des humains, telle que proposée dans ce regard, ne me semble pas convaincante. Par exemple, des recherches récentes montrent que la sélection sexuelle et la compétition entre mâles sont encore intenses chez notre espèce, non seulement dans les sociétés polygynes, mais aussi monogames – cf. D. Nettle et T.V. Pollet : Natural selection on male wealth in Humans, Am. Nat. 172, 2008, par ex..
[+ Une petite remarque au passage : L’équation I = P.A.T. est très antérieure à 2009. Dérivée d’une première formulation (non explicite) par Holdren et Ehrlich en 1974, elle date au moins de l’article de Daily G.C. et P.R. Ehrlich, 1992 : Population, sustainability, and Earth caring capacity. Bioscience 42: 761-771. ]
Bien cordialement,
Anne T.
Bonjour,
Merci Anne pour ces remarques qui vont nous permettre de revenir sur plusieurs points. Nous sommes un peu surpris de tes remarques car elles ne s’opposent en rien avec ce que nous proposons dans ce regard que nous t’avions soumis pour publication il y aura bientôt deux ans et sur lequel tu avais déjà largement réagi. Néanmoins elles nous permettent d’expliciter ce qui aurait pu échapper au lecteur ce qui est toujours positif.
Notre propos n’est pas de rejeter le concept de service écosystèmique ni de nier ou de réduire l’importance des socio-écosystèmes. Bien au contraire. Notre propos consiste « simplement » à replacer toutes ces discussions à l’échelle de l’histoire du vivant et donc de son évolution, en considérant humains et non-humains. Il s’agit donc pour nous 1) de relire la trajectoire humaine dans sa dimension évolutive au sein de la biodiversité 2) de considérer les interactions humains non-humains sous cet angle évolutif 3) d’analyser ce que les débats sur les valeurs de la biodiversité traduisent de ces interactions en termes évolutifs.
Dans ce contexte, ton premier point nous semble poser bien peu de problème. Tous les scénarios que nous envisageons reposent sur la prise en compte explicite des services écosystèmiques. Dans le premier scénario, les humains utilisent de fait les services écosystèmiques mais n’en sont pas conscient et ne les protègent pas. Dans le second, ils conservent en priorité ceux permettant le maintien de la valeur sélective des humains. Dans le troisième, ils privilégient ceux soutenant leur bien-être immédiat. Dans le quatrième, ils balancent la combinaison de deux types de services soutenant valeur sélective et bien être. Et dans le cinquième, ils insèrent cette balance entre services dans une approche plus globale des potentialités évolutives des non-humains, y compris celles des formes de vie qui n’ont pas ou peu de rapport avéré ou potentiel, direct ou indirect avec les services. Donc oui bien évidemment comme tu l’écris « si le concept de service écosystémique est par définition anthropocentré, son utilisation en sciences de la conservation relève d’une approche très généralement conservationniste ». On peut rappeler ici en citant Blandin (2009), les débats entre approche centrées sur la protection de la nature et celles portant sur la conservation des ressources naturelles (qui préfigurent les approches par services) à l’origine du glissement de l’Union Internationale pour la Protection de la Nature (UIPN) vers l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Aujourd’hui le terme de conservation que nous utilisons tous embrasse ses différentes visions (voir Mace (2014) pour une synthèse récente). Concernant la démarche écocentrée des approches par les services, comme tu l’écris, le concept de service met bien l’accent sur les aspects fonctionnels et donc sur les capacités des écosystèmes à supporter les services. En cela, il peut s’inscrire dans une démarche d’apparence écocentrée. Néanmoins sa mise en œuvre sur le terrain laisse rarement émerger une neutralité vis à vis des fonctions écosystèmiques et donc des écosystèmes ainsi conservés. Les priorités sont souvent mises sur tels ou tels services, par exemple le stockage de carbone, la production de biomasse énergie, la production de ressources alimentaires, le maintien de biens écologiques à des fins culturelles ou récréatives. De même l’identification de dis-services, par exemple des pathogènes, des consommateurs de cultures, des prédateurs…, entraîne de nombreuses mesures de gestion au nom justement du maintien des services qui font l’objet de priorités. On peut citer l’exemple très actuel des enjeux autour du pastoralisme et des grands carnivores qui mobilise des arguments sur le maintien des milieux ouverts et des services qui leurs sont associés qu’ils soient de nature économique mais aussi culturelle, récréatives mais exclut de fait de nombreux processus écosystèmiques. Ceci trouble la lisibilité d’une finalité écocentrée dans un tel contexte. Par ailleurs l’émergence du concept de service à l’interface entre écologie fonctionnelle et économie a pour l’instant assez mal intégré la dimension évolutive du vivant et des systèmes écologiques, ou ne la considère que via le maintien, la résilience des services notamment face aux changements globaux et particulièrement aux changements climatiques. Réduire la place de l’évolution au maintien des services au sein des socio-écosystèmes nous semble poser question et c’est bien un des thèmes de notre regard.
Ton deuxième point nous surprend car nous ne disons rien d’autre et nous l’avons d’ailleurs rappelé dans notre réponse au premier commentaire de Michel. Oui, une même entité peut bien sur avoir ses propres finalités, et donc une valeur intrinsèque, et dans le même temps avoir une valeur instrumentale en fonction de son utilité pour une autre entité. Mais l’on ne peut balayer instantanément le débat sur la valeur intrinsèque au prétexte de cette évidence. La question « Faut-il conserver la biodiversité pour elle-même ou pour les services qu’elle nous rend ? » n’est pas vaine. Les débats anciens et actuels en conservation dans toutes leurs dimensions, du champ scientifique à celui de l’action, de Muir à Pinchot, de Callicot à Rolston ou Norton, de Kareiva et Marvier (2012) à Mace (2014) et Tallis et Lubchenco (2014) nous montrent à chaque instant que cette controverse reste vive et que la valeur intrinsèque des non-humains reste tabou pour de nombreuses parties prenantes de la conservation. Le concept de valeur intrinsèque est très rarement compris. Il est régulièrement confondu avec celui de valeur d’existence définie en économie, ou de valeur esthétique, spirituelle ou patrimoniale. Et quand il est compris, il est souvent refusé au prétexte de son inutilité conceptuelle ou pratique. Et c’est bien le point de départ de notre regard. Pourquoi ce retour permanent sur un argumentaire anthropocentré (souvent utilitaire) de la conservation (par exemple via les services) alors que la valeur intrinsèque de la biodiversité est évoquée depuis fort longtemps ? Pourquoi cet impératif récurrent d’arguments pour justifier la conservation des non-humains dont l’existence est mise si souvent en regard du développement de notre économie, de nos emplois voire de nos loisirs ? Encore une fois méfions-nous des évidences. Penser la valeur intrinsèque c’est structurer les fins et le moyens, c’est définir ce que sont les humains et les non humains, entre eux et les uns pour les autres. Et il nous semble que pour définir les contours de cette valeur intrinsèque pour les humains d’une part et les non humains d’autre part cette réflexion doit tenir compte de la logique du vivant c’est-à-dire de son évolution. Nous rejoignons donc pleinement ce que Mace (2014) nomme conservation for « people and nature » dans notre dernier scénario. Cependant nous identifions les trajectoires évolutives comme le siège ultime de la valeur intrinsèque des non humains et nous questionnons notre capacité à l’accepter de manière pérenne et à mettre des stratégies de conservation qui en tiennent compte sachant l’innovation majeure que cela constitue dans l’histoire du vivant.
Enfin, ton troisième point révèle une compréhension très réductrice de ce que nous appelons émancipation phénotypique. Nulle part nous n’avons écrit que l’évolution par sélection naturelle ou sélection sexuelle ne serait plus opérante au sein des groupes humains. Bien au contraire, notre texte rappelle explicitement cet ancrage évolutif de nos comportements humains. Cependant nous émettons l’hypothèse que la coopération au sein de groupes sociaux permet aux individus (ou au moins à un certain nombre d’entre eux) de ne pas simplement survivre et se reproduire mais d’accéder à un minimum de bien-être en utilisant des traits sélectionnés générant des signaux agréables sous certaines conditions environnementales. Cette recherche de bien être « phénotypique » prend des formes diverses en visant l’obtention de ces signaux agréables au-delà de ce qu’ils indiquaient initialement. Comme nous le répondions à Jean Baptiste B. ceci traduit en quelque sorte l’émergence d’un « phénotype égoïste », s’émancipant du « gène égoïste » et nous remercions chaleureusement Denis Couvet pour sa suggestion du terme plus neutre d’émancipation phénotypique. Sur le fond, la prise en compte de ce processus, nous définit individuellement comme des fins en soi et non comme des simples supports de gènes, même si notre valeur sélective reste très présente dans nos existences. Mais cet emballement phénotypique amplifie également nos impacts per capita sur nos environnement, et donc augmente les valeurs de A et T dans I=PxAxT. Il est bien sûr important de quantifier les parts relatives de la valeur sélective (qui agit d’abord sur P) et de l’émancipation phénotypique dans l’augmentation de A et T. Cependant, rejeter a priori toute émancipation phénotypique, même marginale, revient à considérer que tout le fonctionnement de nos sociétés, de nos cultures, de nos rapports à l’art pour ne citer que quelques exemples, ne relève à chaque instant que d’un pilotage strict par la valeur sélective. D’un point de vue strictement épistémologique, cela ne nous semble pas favoriser l’ouverture de ponts entre sciences de la nature et sciences de l’homme et des sociétés, ce qui est un bien mauvais départ pour qui prétend s’intéresser aux « socio écosystèmes » Le débat est ouvert et la recherche doit s’exprimer.
[Pour les références, nous citions ton regard avec R. Barbault qui renvoyait aux références originelles. Nous souhaitions simplement signaler Ehrlich (2009) pour permettre au lecteur de compléter ses lectures par des perspectives plus récentes]
Bien cordialement
François, Jane.
Bibliographie
Blandin, P., 2009. De la protection de la nature au pilotage de la biodiversité. Editions Quæ, Versailles 122 p.
Ehrlich, P.E. 2009. Cultural evolution and the human predicament. Trends in Ecology and Evolution. 24, 409-412.
Kareiva, P., & Marvier, M. 2012. What is conservation science? BioScience, 62, 962-969.
Mace, G.M. 2014. Whose conservation? Science. 345 (6204), 1558-1560
Tallis, H., Lubchenco, J. 2014. A call for inclusive conservation. Nature. 515, 27-28.