La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose cette semaine le regard de Patrick Venail, Maître assistant à l’Université de Genève, sur la relation entre diversité biologique et services écosystémiques.
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions après cet article. Les auteurs vous répondront et une synthèse des contributions sera ajoutée après chaque article.
Quel est l’impact de la perte de biodiversité
sur les sociétés ?
par Patrick Venail, Maître assistant à l’Institut Forel,
Université de Genève
Article rédigé avec le concours d’Anne Teyssèdre, écologue et médiatrice scientifique
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Mots clés : biodiversité, crise, sociétés, écosystèmes, fonctionnement, services écosystémiques, mesure, bilan, enjeux
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Chaque jour des milliers d’hectares de l’un des écosystèmes les plus diversifiés sur Terre, la forêt tropicale, sont remplacés par des systèmes agricoles dominés par peu d’espèces. Les ressources océaniques autrefois estimées inépuisables sont surexploitées, menaçant d’extinction un grand nombre de formes de vie. Pourtant des organismes comme les bactéries, les plantes et les insectes contrôlent des processus écosystémiques clefs pour notre survie, tels que les flux de matériel et la production agricole [1].
Quelles peuvent-être les conséquences de la perte accélérée de diversité biologique ? Ou encore : quel serait l’avenir de l’humanité dans un monde dominé par un petit nombre d’espèces ? Des études récentes suggèrent que la perte de diversité biologique figure parmi les plus grandes menaces pour le fonctionnement des systèmes écologiques, avec un effet comparable ou supérieur à celui du réchauffement climatique [2,3]. Mais comment cette perte peut-elle affecter les sociétés humaines?
Les conclusions du Millenium Ecosystem Assessment
En 2005, une Evaluation des Ecosystèmes pour le Millénaire (MEA, pour Millennium Ecosystem Assessment), impliquant la participation de plus d’un millier d’experts dans les domaines de la biologie, l’environnement et les sciences sociales, a été publiée [1]. Pour évaluer l’état des écosystèmes sur l’ensemble de la planète, les auteurs ont mesuré et suivi la dynamique des « services » fournis par ces systèmes aux sociétés humaines, tels que l’épuration des eaux, la pollinisation, le recyclage de la matière organique ou la séquestration de carbone [1, et cf. le regard n°4 sur cette plateforme].
Parmi les conclusions, les auteurs ont affirmé que la production de la plupart des services écosystémiques était menacée par la perte de biodiversité. Signé par les huit plus importantes organisations de conservation de la biodiversité, ce document a joué un rôle majeur dans la reconnaissance de la crise de la biodiversité et déclenché des sonnettes d’alarme sur les conséquences possibles pour l’humanité.
Ces conclusions, cependant, sont basées pour la plupart sur des interprétations qualitatives faites par des ¨experts¨ dans le domaine environnemental, et très rarement sur des critères quantitatifs [4]. Pour comprendre le rôle de la biodiversité dans le bien-être des sociétés, il est indispensable de quantifier cet effet. Une façon de le faire, très pratiquée depuis vingt ans, est d’étudier la relation entre biodiversité et production de services écosystémiques au moyen d’expériences ou d’observations réalisées sur le terrain. L’établissement de ce type de relation a permis la publication de plus de deux mille articles en seulement deux décennies [4].
Premier bilan quantitatif
Une équipe internationale de chercheurs, dont je fais partie, a récemment dressé un premier bilan quantitatif recueillant vingt ans de recherches réalisées au niveau mondial sur la relation entre diversité biologique et production de services écosystémiques clés pour les sociétés humaines [4]. Plusieurs classifications de services écosystémiques sont disponibles [1, et regard 4]. Pour ce bilan, nous nous sommes centrés sur deux catégories : les services d’approvisionnement et les services de régulation. Les premiers concernent la production de ressources matérielles renouvelables : aliments, matières premières telles que le bois et l´eau potable par exemple. Les seconds sont les fonctions des systèmes écologiques qui permettent le maintien de conditions environnementales favorables aux humains (et à bien d’autres espèces), telles que la régulation du climat, la modération des invasions biologiques ou le contrôle des maladies infectieuses.
L’objectif de notre étude était double : il s’agissait à la fois de trouver l’information qui nous permettrait d’établir un état des lieux sur la relation entre diversité biologique et services écosystémiques, et de signaler les aspects sur lesquels il y aurait un déficit de recherche.
Notre démarche a comporté sept étapes :
1) Identification et mesure des services. Nous avons fusionné plusieurs listes de services écosystémiques décrits récemment dans la littérature qui permettent d’établir une mesure quantitative directe de leur production. Nous avons ainsi identifié 23 services au total.
2) Recherche de synthèses bibliographiques. Pour ces 23 services écosystémiques, nous avons cherché dans la littérature récente, avec Web of Science, des synthèses d’études (dites méta-analyses) visant à mesurer directement et quantitativement l’impact de la biodiversité sur la production de ces services.
3) Recherche d’études individuelles. Pour les services pour lesquels aucune synthèse quantitative n’avait été publiée, nous avons réalisé (sur Web of Knowledge) une nouvelle recherche d’études individuelles établissant une relation quantitative entre la biodiversité et le service considéré.
4) Tri des études. Les études trouvées ont été organisées selon leur adéquation à notre recherche. Nous avons lu les titres et les résumés des cent premiers articles pour chaque service écosystémique identifié. Au total, 1600 articles ont été inclus dans cette synthèse.
5) Sélection des études. Quand le titre et le résumé de l’article suggéraient la présence d’une relation quelconque entre la diversité biologique et le service écosystémique considéré (relation positive, négative ou nulle), nous avons lu la totalité du document et sélectionné uniquement les articles qui : (a) présentaient une mesure quantitative quelconque de la diversité biologique comme variable explicative (par exemple le nombre d’ espèces), (b) comparaient des études avec différents niveaux de diversité (mais nous avons exclu les études avec diversité nulle), (c) établissaient une relation mathématique entre la diversité biologique et l’intensité du service écosystémique considéré.
6) Extraction des données. Pour chaque étude sélectionnée, nous avons extrait le signe (positif ou négatif) de la relation entre diversité biologique et intensité du service considéré, et sa signification statistique. Les études retenues ont été classées dans trois catégories, selon ce critère : (a) relation nulle, (b) relation négative ou (c) relation positive.
7) Comptage des études. Finalement le nombre d’études dans chacune de ces trois catégories a été comptabilisé.
Pour les services écosystémiques explorés par suffisamment d’études (plus de cinq), nous avons établi le type de relation entre diversité biologique et intensité de chacun de ces services. Avec ces données en main, non seulement les chercheurs mais aussi les décideurs et le public en général devraient pouvoir analyser d’une façon un peu plus concrète l’impact de la perte de biodiversité sur l’ampleur des « services » rendus par les écosystèmes aux sociétés.
Effets de la biodiversité : principaux résultats
Les deux principales conclusions établies grâce à notre étude sont les suivantes. Premièrement, malgré les efforts et les nombreuses recherches dans les domaines considérés, nous avons constaté un manque de données sur la relation entre diversité biologique et certains services écosystémiques. Par exemple, et malgré l’importance des enjeux associés, nos connaissances sur le rôle joué par la diversité spécifique (c-à-d. le nombre d’espèces) dans l’approvisionnement d’eau potable et la pollinisation sont très maigres. Deuxièmement, pour la plupart des services pour lesquels un assez grand nombre d’études ont été conduites, l’information recueillie montre que la capacité des écosystèmes à fournir ces services diminue avec la perte de diversité biologique.
Notons que toutes les études retenues ont porté sur la diversité des populations, des traits fonctionnels (diversité génétique, diversité des phénotypes) ou/et des espèces (diversité spécifique) composant les communautés, en relation avec les services fournis par les écosystèmes, mais aucune sur la diversité des écosystèmes dans les paysages ou les régions.
Manque de données
Pour plusieurs services écosystémiques, la littérature disponible n’offre pas une base de données assez riche pour permettre d’évaluer avec certitude l’influence de la biodiversité. Par exemple, pour trois des services de régulation envisagés (stabilité de la production de bois et de biocarburants, contrôle des crues), nous n’avons trouvé aucune étude explorant l’effet de la biodiversité.
Pour plus de trois quarts des services écosystémiques explorés, moins de dix études ont été trouvées. En particulier, nous avons remarqué le faible nombre de données publiées sur l’effet de la biodiversité sur la pollinisation. Pourtant, l’importance de certains animaux (insectes, oiseaux et certains mammifères) en tant que pollinisateurs est largement reconnue [1], et récemment une alerte mondiale a été déclenchée sur la conséquence de la diminution de la diversité des pollinisateurs [5].
La raréfaction des pollinisateurs semble le résultat d’activités telles que la transformation des habitats, l’utilisation en excès de pesticides, le changement climatique et l’introduction d’espèces invasives (le Frelon asiatique par exemple, grand prédateur d’abeilles). La crise pourrait, selon les experts, aboutir à une forte diminution de la production agricole et un déficit majeur d’aliments [6]. Il a été estimé que les pertes économiques liées au manque de pollinisateurs pourraient atteindre 153 milliards d’euros [7]. Les pertes ne seraient pas exclusivement économiques, elles pourraient également contribuer à créer un déficit de diversité génétique chez certaines plantes, mettant en péril leur réponse adaptative face à des fluctuations environnementales telles que le changement climatique ou l’arrivée de nouveaux pathogènes. Pourtant, notre étude montre qu’en effet nous disposons de très peu d’information sur la relation entre diversité des espèces de pollinisateurs et pollinisation.
Dans les cas de la pollinisation, de l’approvisionnement en eau potable, de la stabilité de la production de biocarburants, de la stabilité de la production de bois et du contrôle des crues, l’enjeu majeur est de mener des études permettant de connaître le véritable rôle de la biodiversité. Le manque de données que nous avons mis en évidence pour la pollinisation doit servir de moteur aux recherches dans ces domaines. Des nouveaux résultats et des données plus complètes pourraient changer notre façon d’appréhender l’importance de la biodiversité pour l’avenir de l’humanité. En mettant en évidence ces lacunes scientifiques, des études comme celle-ci pourraient servir à mettre en place des programmes de recherche visant à les combler.
Impacts démontrés : relations positives en biodiversité et intensité des services écosystémiques
Notre étude a mis en évidence plusieurs relations positives entre biodiversité et production de services par les écosystèmes.
Pour les services d’approvisionnement, notre étude montre que :
1) la perte de diversité génétique dans les cultures agricoles entraîne une diminution de leur production. Cela veut dire que le remplacement intensif de cultures diversifiées par des monocultures met en péril l’approvisionnement en nourriture et en matières premières dérivées de produits agricoles;
2) la production en bois des systèmes sylvicoles diversifiés est supérieure à celle de systèmes pauvres en espèces (d’arbres);
3) de même, la production en fourrage des prairies augmente avec le nombre d’espèces de plantes ;
4) dans les écosystèmes aquatiques (marins et dulçaquicoles), la stabilité de la production piscicole augmente avec le nombre d’espèces de poissons.
Pour les services de régulation, seuls les effets de la diversité spécifique des plantes ont jusqu’à présent été démontrés. La réduction du nombre d’espèces de plantes, dans les communautés végétales,
1) augmente le risque d’invasion par des plantes exotiques et
2) par des pathogènes tels que champignons et virus,
3) réduit la séquestration de carbone par les écosystèmes,
4) réduit la minéralisation de la matière organique dissoute dans le sol.
Ces résultats montrent que la perte accélérée de biodiversité observée depuis quelques décennies, due à l’intensification d’activités humaines telles que la déforestation, la pêche, l’émission de gaz à effet de serre et le déversement d’engrais dans les sols, provoque en effet une réduction de certains services d’approvisionnement et de régulation clés pour l’humanité (voir par exemple les regards 3, 6, 30 et 31 sur cette plateforme).
Nous espérons que ces résultats pourront servir à convaincre un grand nombre de personnes du risque auquel nous sommes confrontés. Un des enjeux majeurs est de pouvoir fournir des explications mécanistiques pour l’effet de la diversité biologique sur le fonctionnement des écosystèmes. Montrer que la diversité des espèces, des traits fonctionnels ou des gènes contribue à la production de nombreux services écosystémiques n’est qu’une première étape vers la compréhension des forces sous-jacentes. Les recherches sur la relation entre biodiversité et fonctionnement des écosystèmes ont comme but ultime d’établir des stratégies de conservation adéquates [8]. Nous commençons juste à cerner les conséquences possibles du déclin de la biodiversité, mais ce qui reste désormais moins clair est la manière de prévenir ce déclin.
Relations incertaines
Certaines relations entre biodiversité et services écosystémiques sont encore incertaines. En d’autres termes, la diversité des espèces ou des gènes peut influencer (« impacter ») ces services positivement, négativement ou ne pas avoir d’effet. C’est le cas par exemple de la relation entre diversité spécifique des plantes dans les champs et production agricole, qui a été estimée positive dans 39% des études et négative dans 61%. Les effets de la diversité des plantes (en nombre d’espèces) sur le stockage de carbone et sur l’abondance des nuisibles sont également mitigés. Il en va de même pour l’effet de la diversité spécifique des animaux sur la prévalence des maladies infectieuses (cf. le regard n°18). Pour toutes ces relations peu claires entre biodiversité et intensité des services écosystémiques, il est impératif d´identifier les facteurs à l´origine de la variabilité des résultats.
Absence de relation
Finalement, pour un petit nombre de services écosystémiques, le rôle de la biodiversité semble négligeable. En particulier, malgré quelques études montrant un effet positif de la diversité des algues sur la qualité de l’eau, [9] la plupart des études indiquent que celle-ci ne dépend pas de la diversité des organismes présents, ce qui semble contraire aux effets attendus.
Enjeux
L’information recueillie par cette méta-analyse montre que la perte actuelle de biodiversité est un risque énorme pour l’humanité, puisqu’elle réduit la production de nombreux services écosystémiques indispensables à la survie ou au bien-être des sociétés. Des études comme celle-ci devraient convaincre les décideurs de l’importance de mettre en place des politiques visant à freiner la perte de biodiversité que nous vivons aujourd’hui.
En tant que scientifiques, nous ne sommes pas encore en mesure d’établir avec certitude combien d’espèces devraient être préservées pour garantir la production des « services » par les écosystèmes. Nous devons encore nous soumettre au principe de précaution qui suggère de protéger autant d’espèces que possible. Cependant, les décideurs ont besoin de pouvoir interpréter facilement l’information qui leur est transmise et nous, scientifiques, devons mieux appréhender leurs besoins afin de fournir une information plus claire.
Un des plus gros enjeux pour les décennies à venir est de cultiver ce dialogue entre scientifiques et décideurs. En 2000, les Nations Unies ont fixé les huit objectifs du Millénaire pour le Développement. L’un d’eux (objectif numéro 7 cible 3) était la réduction de la perte de biodiversité avant l´an 2010. Cet objectif n’a pas été atteint, en grande partie à cause du manque de dialogue entre scientifiques et décideurs [10]. Pour pallier à ce manque, l’ONU a lancé en 2012 une nouvelle initiative, l’IPBES (Plateforme Intergouvernementale sur la Biodiversité et les Services Ecosystémiques, en français), dédiée au dialogue entre scientifiques et décideurs sur les questions de biodiversité et société. Un des principaux objectifs de cette plateforme est de renforcer la capacité d´utilisation des données scientifiques dans la prise de décisions [11]. Le premier meeting de cette plateforme a récemment eu lieu à Bonn, en Allemagne, du 21 au 26 Janvier 2013.
Bibliographie
1. Millennium Ecosystem Assessment (MEA), 2005. New York, Island Press.
2. Hooper, D.U. et al., 2012. A global synthesis reveals biodiversity loss as a major
driver of ecosystem change. Nature 486, 105-109.
3. Tilman, D. et al., 2012. Biodiversity impacts ecosystem productivity as much as resources, disturbance, or herbivory. PNAS 109, 10394-10397.
4. Cardinale, B.J. et al., 2012. Biodiversity loss and its impact on humanity. Nature 486, 59-67.
5. Steffan-Dewenter, I et al., 2005. Pollinator diversity and crop pollination services are at risk. TREE 20, 651-652.
6. Kremen, C et al., 2002. Crop pollination from native bees at risk from agricultural intensification. PNAS 99, 16812-16816.
7. Gallai, N. et al., 2006. Economic valuation of the vulnerability of world agriculture confronted with pollinator decline. Ecological Economics 68, 810-821.
8. Srivastava, D.S. and Vellend, M., 2005. Biodiversity-ecosystem function research: Is it relevant to conservation? Annual Review of Ecology Evolution and Systematics 36: 267-294.
9. Cardinale, B.J., 2011. Biodiversity improves water quality through niche partitioning. Nature 472, 86-91.
10. Nature, 2012. Second chance for the planet. Nature 486.
11. http://www.diversitas-international.org/activities/assessment/ipbes
Et voir ces « regards » en ligne, sur des sujets connexes :
Barbault R., 2010. La biodiversité, concept écologique et affaire planétaire. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°1 du 10 septembre 2010.
Barot S. et F. Dubs, 2012. Mieux comprendre et utiliser la diversité des organismes du sol. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°30 du 17 février 2012.
Kéfi S., 2012. Des écosystèmes sur le fil – Comment certains écosystèmes basculent d’un état à un autre. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°37 du 19 octobre 2012.
Lavorel S., R. Barbault et J-C. Hourcade, 2012. Impact et enjeux du changement climatique. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°30 du 3 avril 2012.
Mouquet N., I. Gounand et D. Gravel, 2010. Biodiversité et fonctionnement des écosystèmes. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°3 du 8 octobre 2010.
Pauly D. et F. Le Manach, 2012. Expansion et impact de la pêche mondiale. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°31 du 30 avril 2012.
Papy F. et I. Goldringer, 2011. La biodiversité des champs : ressource productive pour les agricultures de demain. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°21 du 22 septembre 2011.
Roche B. et A. Teyssèdre, 2011. La biodiversité nous protège-t-elle contre les maladies infectieuses ? Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°18 du 27 mai 2011.
Teyssèdre A., 2010. Les services écosystémiques, notion clé pour explorer et préserver le fonctionnement des (socio)écosystèmes. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°4 du 25 octobre 2010.
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Article rédigé avec le concours d’Anne Teyssèdre, écologue et médiatrice scientifique.
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Je viens de lire avec intérêt votre « regard » qui relate sans parti pris – démarche assez rare – l’impact de la perte de biodiversité sur les sociétés. Ce qui m’étonne, c’est le contraste entre l’esprit scientifique mesuré de l’exposé des résultats des recherches récentes dans ce domaine, qui semble laisser la question en suspens, et le ton définitif de la conclusion. Pourriez-vous expliquer comment vous passez de la balance assez équilibrée de votre argumentaire à la certitude d’un impact très négatif ? (Ce qui ne signifie pas pour autant que je réfute cette conclusion!)
Bonjour Marthe,
Merci pour votre commentaire.
Le principal objectif de ce regard était de faire connaitre aux lecteurs l’article (Cardinale et al. 2012) que nous avons publié dans la revue Nature il y a un an. Cet article représente la première étude quantitative des effets de la biodiversité sur l’approvisionnement de services écosystémiques. Il s’agit d’une analyse « transparente » des évidences expérimentales pour tenter de mettre fin aux conclusions basées exclusivement sur les opinions des experts dans le domaine. J’ai voulu garder dans ce « regard » la nature objective de notre démarche et présenter ouvertement les résultats que nous avons obtenus dans notre étude quantitative.
La première grande conclusion de notre étude est le constat d’un manque de données. Mis à part ce manque, nous avons également pu mettre en évidence de nombreuses relations positives entre biodiversité et approvisionnement de certains services écosystémiques, d’où le ton négatif de la conclusion et une tendance à vouloir faire passer le message qu’effectivement la perte de diversité impacte négativement les sociétés humaines.
Bonjour,
Pardon, mais je ne comprends pas bien la différence entre « la relation entre diversité spécifique des plantes dans les champs et production agricole » et « le remplacement intensif de cultures diversifiées par des monocultures ».
Et j’aimerais aussi savoir si, lorsqu’on constate une relation entre biodiversité et services écosystémiques, on sait aussi comment elle fonctionne. Par exemple, justement, comment fonctionne cette relation culture diversifiée/meilleure production agricole ?
Bonjour Liliana,
Merci pour ces questions. Le remplacement intensif de cultures diversifiées par des monocultures fait référence à une pratique malheureusement très répandue qui consiste à se débarrasser de diverses espèces de plantes pour en cultiver une seule. Par exemple détruire un hectare de forêt tropicale (avec ses centaines d’espèces par hectare) pour semer uniquement de la canne à sucre ou de la palme à huile. Il s’agit donc d’une réduction intentionnelle de la diversité biologique. D’autre part, la relation entre diversité spécifique des plantes et production agricole fait référence aux conséquences de cette diminution de la diversité sur le fonctionnement et la productivité agricole des champs.
La mise en évidence d’une relation entre diversité et un service écosystémique quelconque n’implique aucune reconnaissance des mécanismes sous-jacents. Pour reprendre votre exemple, nous avons mis en évidence que la perte de diversité génétique dans les cultures agricoles entraîne une diminution de leur production. Ceci veut dire qu’il existe une relation positive entre la diversité génétique au sein d’une espèce de plante commerciale (ou variétés selon le langage agricole) et sa production en biomasse. L’idée d’introduire des mélanges de variétés dans les plantations avait pour objectif de lutter contre des maladies en ajoutant de la diversité aux gènes de résistance et de bénéficier d’une meilleure utilisation des ressources lorsque l’environnement change. Il s’agirait donc d’une relation positive qui semble (je dis semble car cela n’a pas encore été démontré) basée sur un mécanisme de « complémentarité » entre les variétés. Pour plus de détails je vous invite à lire l’article de Lars P. Kiær et collaborateurs intitulé « Grain yield increase in cereal variety mixtures: A meta-analysis of field trials » publié en 2009 dans Field Crop Research (vol 111, pg 361-373).
Cordialement,
Patrick