La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose le regard de Raphaël Mathevet sur la gestion et la préservation des roselières.
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires après cet article. Les auteurs vous répondront et une synthèse des contributions sera ajoutée après chaque article.
Ce regard n°20 est composite : il commence par une séquence vidéo, interview de Raphaël Mathevet extraite du DVD « Des butors et des hommes » (AMV et LPO, 2006), puis se poursuit par une transcription textuelle, adaptation et mise à jour de cette interview.
- Vidéo : La gestion concertée des roselières, interview de R. Mathevet
- Transcription et adaptation de ce ‘regard’ de R. Mathevet
- Forum de discussion sur ce regard
La gestion concertée des roselières, interview de R. Mathevet
Séquence vidéo extraite du DVD « Des butors et des hommes »
de R. Mathevet et al., AMV et LPO, 2006
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Transcription et adaptation de ce ‘regard’
La gestion concertée des roselières
Raphaël Mathevet, chercheur CNRS, CEFE
Regard R20, transcrit et édité par Anne Teyssèdre
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Mots clés : roselières, zones humides, fonctionnement, écosystèmes, complexité, interactions, sociétés, valeurs, gestion-gouvernance, communication, services écosystémiques, cogestion adaptative.
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Présent sur tous les continents à l’exception de l’Antarctique, le roseau commun Phragmites australis supporte de grandes variations de conditions environnementales et se rencontre dans une grande diversité de milieux : prairies humides, marais et ceintures d’étangs doux ou saumâtres, friches agricoles. Les roselières sont des zones humides dominées par le roseau commun. On distingue classiquement les roselières linéaires localisées le long des canaux et fossés qui couvrent généralement de petites surfaces, et les massifs de roseaux dont la superficie unitaire peut dépasser plusieurs milliers d’hectares comme en Brière, en Baie de Seine ou en Camargue gardoise.
Des milieux dynamiques sous influence
Etape intermédiaire d’un processus naturel de succession d’habitats entre l’eau libre et le boisement, les roselières sont sujettes à « l’atterrissement » : la forte production de matière végétale qui s’accumule au fil des ans entraîne un épaississement du sol qui favorise éventuellement l’installation des plantes ligneuses (arbustes et arbres). Certains modes de gestion (coupe, régime hydrologique) permettront de retarder ce processus. A l’opposé, une trop forte salinité ou des niveaux d’eau élevés en permanence sans renouvellement des masses d’eau entraîneront la disparition rapide du roseau au profit de l’eau libre.
Le feu ou la fauche du roseau en hiver, s’ils retardent le processus naturel d’atterrissement, entraînent également une homogénéisation de l’âge et de la structure de la roselière, avec des densités de roseaux plus élevées mais des tiges plus courtes. Au printemps et en été, lorsqu’il est vert, le roseau très appètent pour les herbivores domestiques et sauvages est très sensible au pâturage. Enfin, la pollution des eaux, les aménagements hydrauliques, des changements de régime hydrologique peuvent altérer la roselière et sa dynamique avec des conséquences multiples et localisées.
« Services » écologiques et attrait des roselières pour les humains
Les roselières remplissent un grand nombre de services écologiques souvent méconnus et sous-estimés (cf. Regard n°4 sur cette plateforme). Elles participent à la rétention des sédiments qui circulent dans les canaux et cours d’eau, elles protègent les berges de l’érosion et elles améliorent la qualité des eaux grâce à leur capacité épuratrice élevée. Les roselières offrent enfin nourriture, refuge et abri pour un grand nombre d’espèces animales.
Si les roselières ne présentent pas d’intérêt particulier pour la flore, elles abritent plusieurs espèces d’invertébrés et d’oiseaux remarquables. Comme toutes les zones humides, les superficies en roselières ont fortement diminué au cours du siècle dernier et ainsi des populations animales qu’elles abritent. Plusieurs espèces d’oiseaux inféodées aux roselières sont donc vulnérables aujourd’hui : Butor étoilé, Héron pourpré, Blongios nain, Lusciniole à moustaches, Rousserolle turdoïde.
Les roselières présentent ainsi une forte valeur patrimoniale et dans le même temps elles sont valorisées par de nombreux usages. A chaque usage – chasse, exploitation du roseau, pêche, élevage, protection de la nature, …- est associée une gestion de l’eau, qui va modifier le fonctionnement de l’écosystème et, en retour, le statut de conservation des espèces associées. Le fonctionnement des roselières dépend étroitement des activités humaines dans les marais et à leur périphérie.
De ces multiples usages vont naître des pratiques et des rapports sociaux assez singuliers. Les activités souvent issues de pratiques de cueillette ancestrales demeurent souvent une forme d’identification aux anciens et aux traditions. Cette territorialité, issue de la gestion collective des marais communs, exprime une appartenance tenace au marais mais aussi aux pratiques qui s’y exercent et, ce, quel que soit le groupe d’acteurs qui le gère. Les représentations locales s’inscrivent certes généralement dans le cadre d’une valorisation économique du marais mais aussi dans celui d’une fascination des risques encourus par ceux qui le pénètrent.
Des usages et représentations variés, voire opposés
Le marais est l’objet de représentations contradictoires, à la fois terre sauvage à préserver et terre de conquête à contrôler. Tantôt patrimoine naturel, tantôt patrimoine culturel, pour les uns espace productif, pour les autres espace récréatif et de détente, ou encore espace de contemplation et de resourcement, la pluralité des points de vue, des regards sur les roselières, révèle la complexité de la gestion concertée de ces milieux du fait des usages multiples. La combinaison de propriétés publiques et privées au sein d’une même entité écologique va bien sûr poser tôt ou tard le problème de la gestion collective de l’eau.
En raison de sa légèreté, de ses capacités isolantes et de son inaltérabilité à l’eau, le roseau est l’objet d’une exploitation commerciale pour alimenter principalement les marchés français et européen de la couverture des toits en chaume. La coupe traditionnelle à la main disparaît progressivement au profit de la coupe mécanisée. La généralisation de la machine à pneu basse pression et les aménagements hydrauliques ont favorisé la fauche annuelle de grandes parcelles. La roselière a également un intérêt pastoral important. Une charge de pâturage très élevée entraînera une régression de la roselière au profit de la scirpaie ou d’une prairie ; une charge faible maintiendra la roselière mais modifie notablement la structure et la composition de la végétation, et par conséquent son usage par la faune sauvage.
La coupe du roseau et le pâturage sont deux activités humaines assez peu compatibles au sein d’une même roselière. L’exploitation des ressources naturelles autres que le roseau (canards et poissons) génère localement des aménagements et des modifications du fonctionnement hydrologique. La chasse se traduit souvent par le développement de marais ouverts pour attirer le gibier d’eau et une gestion de l’eau spécifique. La concurrence pour l’accès et la gestion de l’eau et de la végétation se traduit par des conflits entre usagers d’un même espace. Ces conflits se traduisent localement par l’exclusion de certains usages, des aménagements fonciers qui entraînent une fragmentation des grandes entités écologiques, une spécialisation de la gestion et des modifications profondes des habitats de la faune sauvage.
Un dialogue territorial pour une gestion concertée
La pérennité des roselières, de leurs fonctions et valeurs, requiert de trouver des points de convergence entre usages et conservation et de proposer des modes de gestion et d’exploitation cohérents à long terme. La conservation des espèces caractéristiques des roselières, comme le Butor étoilé ou le Héron pourpré, doit être réalisée par une gestion à une échelle qui se situe largement au-delà de celle des espaces protégés.
Depuis les années 90, des démarches partenariales associant les professionnels du roseau, les collectivités territoriales, les chambres consulaires, les services de l’Etat, les organismes de recherche publique et la Station Biologique de la Tour du Valat, ont permis de mettre en œuvre des mesures de gestion des roselières conciliant l’exploitation et la conservation des milieux. Ainsi, près de 900 ha ont été l’objet d’un contrat agri-environnemental de 1996 à 2001 en Camargue. A partir du retour d’expérience de ces mesures, un nouveau contrat des charges a été élaboré et est mis en pratique dans le cadre de Natura 2000 ainsi que des approches de co-gestion adaptative, c’est-à-dire des dispositifs de concertation et de suivis scientifiques pour, d’une part, apprendre chemin faisant et collectivement à partir des savoirs scientifiques et empiriques, et d’autre part, modifier les pratiques de gestion à partir de l’analyse collective des expériences de terrain.
Explorer collectivement la gestion des zones humides
A cette fin, la modélisation multi-agents (programmes informatiques simulant les actions des différents agents, leurs interactions et la dynamique globale du système socio-écologique considéré) et le jeu de rôle sont des outils employés en pédagogie active et plus récemment pour l’aide à la concertation, l’accompagnement de la réflexion des scientifiques et acteurs des roselières.
Développé avec les scientifiques de la Tour du Valat et du CIRAD, dans le cadre d’un programme LIFE-Nature sur le Butor étoilé, le jeu de rôle ButorStar est basé sur des simulations qui permettent à chaque participant d’incarner un rôle (chasseur, éleveur, coupeur, naturaliste) et de le faire évoluer dans une roselière virtuelle. Les objectifs poursuivis sont principalement d’améliorer la connaissance des lycéens, étudiants, chercheurs et gestionnaires d’espaces naturels; et de faciliter la concertation multi-acteurs. Le jeu a ainsi pour but de faire partager une représentation des processus écologiques et sociaux en jeu afin de favoriser une prise de conscience collective des problèmes et de tendre vers des solutions concertées.
Evidemment, la multiplicité des questions et la diversité des enjeux liés à la gestion des zones humides menacent de nous faire perdre de vue la source même du problème, qui n’est en fait rien d’autre que la relation de l’humain à la nature, les rapports Nature-Société. Identifier un problème d’environnement conduit souvent à remettre en cause certains fondements sociaux et finalement, à la simple question « Quelle roselière voulons-nous ? » fait écho une seconde question : « Quelle organisation sociale, quelle gouvernance voulons-nous ? »
De l’écosystème au socio-écosystème
Les travaux de géographie et de sociologie donnent à voir comment les roselières sont à la fois un enjeu et un produit de pouvoir de la part des usagers, et comment la roselière peut être conçue comme un espace-ressource aménagé, valorisé et approprié par une série d’individus ou des groupes sociaux. Et comment cet espace qui est perçu, esthétisé, devient finalement le paysage emblématique de ces appropriations. Nos travaux avec les différents usagers des roselières nous permettent de nous interroger sur les modalités des actions humaines, la place des exploitations des ressources naturelles, les enjeux politiques et économiques des opérations d’aménagement et de gestion, et finalement de nous interroger sur les enjeux de la recherches vis à vis d’une espèce telle que le Butor étoilé, en termes d’acquisition de connaissances, mais aussi de gestion des incertitudes, et enfin de transfert de ces connaissances vers les gestionnaires des espaces naturels, protégés ou non.
Ce qui est finalement au cœur de la problématique de développement durable des roselières, ou des territoires aquatiques en général, c’est bien la diversité biologique, écologique, sociale et économique de ces écosystèmes, et la capacité de chacune de ces composantes à répondre à des perturbations d’ordre écologique ou socioéconomique. Les enjeux du devenir des roselières et du Butor étoilé ne se réduisent donc pas à la biologie des populations ou à la gestion de ces milieux. Ils relèvent d’une réflexion sur la manière de considérer, d’une part les relations qu’entretiennent les usagers avec leur territoire et les ressources naturelles renouvelables dont ils assurent la gestion et, d’autre part, l’entrelacs des rapports que nouent les hommes à propos de ces ressources et de la nature en général. Les principaux enjeux pour les gestionnaires de ces espaces sont bien de reconnaître les différentes valeurs, les différents intérêts liés à la gestion d’un même territoire. Il s’agit donc en premier lieu d‘éviter l’écueil des représentations simplificatrices de la nature, d’éviter l’exclusion symbolique ou réelle des humains, et en tout cas d’essayer de penser à la pluralité des points de vue, de penser autant à ce qui rapproche qu’à ce qui sépare.
Bibliographie et liens Internet
Articles scientifiques :
Poulin B., Lefebvre G., Allard S., Mathevet R., 2009. Reed harvest and summer drawdown enhance bittern habitat in the Camargue. Biological Conservation 142: 689-695.
Le Barz C., Michas M., Fouque C., 2009. Les roselières en France métropolitaine, premier inventaire (1995-2008). Faune sauvage 283 : 14-26.
Mathevet R. et al., 2007. ButorStar : a Role-Playing Game for Collective Awareness of Wise Reedbed Use. Simulation & Gaming 38(2): 233-262.
Poulin B., Lefebre G., Mathevet R., (2005). Habitat Selection by Booming Bitterns Botaurus stellaris in French Mediterranean Reedbeds. Oryx, 39(3): 256-274.
Antona M. et al. (Collectif Commod), 2005. La modélisation comme outil d’accompagnement. Natures Sciences Sociétés, 13: 165-168.
Daré W. et al, 2010. Apprentissage des interdépendances et des dynamiques. In: Etienne M. (ed) (2010). La modélisation d’accompagnement : une démarche en appui au développement durable. Quae editions, Paris, pp.223-250.
Mathevet R. et al. 2003. ReedSim: Simulating Ecological and Economical Dynamics of Mediterranean Reedbeds, In Post, D. (sous la dir.). Integrative Modelling of Biophysical, Social and Economic Systems for Resource Management Solution. Modelling and Simulation Society of Australia and New Zealand Inc., Townsville, Australia, pp. 1007-1012.
Barbraud C. & Mathevet R., 2000. Is commercial reed harvesting compatible with breeding purple herons Ardea purpurea in the Camargue, Southern France? Environmental Conservation 24 (4): 334-340.
Hawke C.J., Jose P.V., 1996. Reedbed Management for Commercial and Wildlife Interests (RSPB Management Guides), The Royal Society for the Protection of Birds, UK.
Pour en savoir plus (en français) :
Mathevet R., 2010. Peut-on faire de la biologie de la conservation sans les sciences de l’Homme et de la Société ? Etat des lieux. Natures Sciences Sociétés18(4) : 441-445.
Prévot-Julliard A.-C. et al. (eds.), 2010. BiodiversitéS – Nouveaux regards sur le vivant. Le Cherche-Midi, pp.160-161.
Arnassant S., Mathevet R., Mundler C., Poulin B., 2008. Des Butors étoilés et des hommes, pour une gestion durable des roselières méditerranéennes. SMCG, Nîmes.
Mathevet R. et al., 2008. Des roselières et des hommes. ButorStar : un jeu de rôles pour l’aide à la gestion collective. Revue Internationale de Géomatique 18 : 375-395.
Mathevet R., 2007. Éducation et médiation, un jeu de rôle assisté par ordinateur comme support de médiation, Espaces Naturels 19 : 26-27.
Mathevet R., Poulin B., Sabine P., J.L. Chevreuil, 2006. DVD « Des Butors et des hommes ». Production Amis des Marais du Vigueirat & LPO dans le cadre du projet européen Life Butor étoilé, Juillet 2006.
Mathevet R., 2004. Camargue incertaine. Sciences, usages et natures. Buchet-Chastel Editions, Paris. 201p.
Bonnet B., Aulong S., Goyet S., Lutz M., Mathevet R., (2005). La gestion intégrée des zones humides méditerranéennes. Conservation des zones humides n°13, Tour du Valat, Arles, 160p.
Sinassamy J.M. et Mauchamp A., 2001. Roselières, gestion fonctionnelle et patrimoniale. Cahiers techniques de l’ATEN n°63, ATEN, Montpellier.
Liens Internet :
http://www.camarguegardoise.com/
http://www.commod.org/
http://www.maisondelestuaire.net/
http://www.parc-camargue.fr/
http://www.parc-naturel-briere.fr/
http://www.tourduvalat.org/notre_programme/projets_termines/roselieres_mediterraneennes/
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Article édité par Anne Teyssèdre
Merci pour ce regard.
En plus de tous les usages de roselières françaises que vous décrivez ici, on pourrait aussi ajouter que des problématiques presque opposées peuvent se retrouver ailleurs sur le même type de milieu. Au Québec par exemple, le roseau commun (Phragmites australis) est également une espèce indigène, mais la prolifération d’un génotype exotique (originaire d’Eurasie) le long des axes routiers, puis dans les milieux humides pourrait engendrer une moins bonne filtration de l’eau (par rapport a la végétation initiale) et représenter une menace pour la biodiversité (faune et flore) de ces mêmes milieux.
Voir:
http://www.provancher.qc.ca/pdf/publications/131_2%20p%2005-09.pdf
Merci pour ce regard très intéressant. J’aimerais en savoir plus sur l’utilisation des modèles multi-agents et des jeux de rôles dans la gestion collective des écosystèmes et territoires. Comment se déroulent ces jeux, et quel est leur principe de fonctionnement ?
Autrement dit : Si l’on admet que les principaux acteurs d’un écosystème – ou leurs représentants – sont d’accord pour se rencontrer, discuter (notamment en présentant leurs points de vue et arguments respectifs) et tenter de s’accorder pour gérer ensemble de façon cohérente un écosystème, en quoi l’utilisation de ces modèles et jeux favorise-t-elle leur compréhension du fonctionnement et de la dynamique de cet écosystème (en interaction avec les différents acteurs), et leur concertation avisée ?
= Quels sont les avantages apportés par ces « outils de concertation » relativement à de simples réunions de discussion, entreprises dans un objectif de concertation ?
L’arrivée du roseau commun au bord d’un étang, d’une rivière, dans un marais, dans une tourbière, apparait pour moi comme une calamité : quand on voit la grande quantité d’espèces rares caractéristiques de milieux herbacés moins hauts ou de milieux ouverts qui sont éliminées de leurs stations suite à l’invasion du roseau, ceci tant en milieux oligotrophes (glycophiles) que un peu saumatres.
La lutte contre cette graminée est souvent difficile ; un paturage relativement conséquent dans certains sites est une possibilité parfois, avec des animaux adaptés aux zones humides.
Ce travail est rès intéressant. Serait-il possible d’avoir des renseignements plus précis sur la partie écologique du programme LIFE-Nature sur le Butor étoilé ?
Merci
Bonjour Michel,
vous trouverez l’integralité des informations sur le butor étoilé et les plans d’actions nationaux et européen sur le site suivant :
http://www.butor-etoile.lpo.fr
Cordialement,
Alexandre
Je voulais simplement apporter quelques remarques à ce regard, ceci afin d’ouvrir le débat et d’élargir le point de vue.
D’abord, il est écrit « Si les roselières ne présentent pas d’intérêt particulier pour la flore… ». J’ose espérer qu’il s’agit simplement d’un lapsus, voire d’une erreur lors de la transcription des propos de M. MATHEVET. En effet, tout écologue un peu averti n’ignore pas que les roselières peuvent abriter de nombreuses plantes de grand intérêt. La plus emblématique étant peut-être la Grande douve (Ranunculus lingua), qui est protégée sur le territoire national. Mais il est vrai, comme l’a dit D. CHICOUENE, que le roseau colonise souvent des habitats (donc des espèces) menacés.
Par ailleurs, je voudrais également apporter un bémol sur la gestion des roselières. L’assec estival des roselières, qui est préconisé dans les travaux de la Tour du Valat, favorise l’oxygénation du sol et une meilleure pérennité de la roselière. Ce mode de gestion a d’ailleurs été adopté par nombre de gestionnaires de zones humides, dont le premier objectif est de faire du roseau.
Cependant lorsque ce principe est appliqué à des tourbières, il peut avoir des conséquences dramatiques et presque irréversibles pour ces milieux particulièrement fragiles et extrêmement menacés : l’asséchement provoque la minéralisation des tourbes de surface qui se dégradent et entrainent l’eutrophisation du milieu et la régression d’habitats tourbeux d’intérêt européen et des espèces (dont certaines plantes, mais pas uniquement) qui y sont inféodées.
Bonjour à toutes et à tous,
Je vous remercie de vos réactions à ce regard. Je me permets d’apporter une brève réponse à vos commentaires respectifs.
[à Cécile] – Même si je n’ai pu accéder à votre document (le lien ne fonctionne pas ce jour), à ce stade je demeure quelque peu perplexe sur les craintes ou menaces générées par le développement d’un génotype « exotique » du roseau commun au Québec. Cette problématique de la gestion des « espèces invasives » est présente aussi en Europe mais sous une forme sensiblement différente. En effet, alors que la roselière est plutôt patrimonialisée en Europe de l’Ouest et du sud, en Europe du nord les gestionnaires de zones humides (en Finlande et en Estonie par exemple) luttent contre l’envahissement des prairies humides par le roseau commun suite à des changements de pression de pâturage. Ainsi, dans beaucoup de zones humides européennes le roseau est tantôt considéré comme indésirable afin de protéger des habitats de nidification d’oiseaux d’eau de milieux ouverts tels que les barges à queue noire et tantôt favorisé et recherché afin de privilégier des habitats de nidification des hérons et passereaux paludicoles. Espèces invasives, espèces envahissantes, légitimité de certains génotypes sur d’autres, de vastes débats que l’on retrouve en ce moment dans les plus grandes revues scientifiques. Mon opinion est que l’enjeu repose avant tout dans notre capacité de mise en débat des données objectives et de la légitimité de présence/absence dans des collectifs pluralistes de dialogue.
[à Marthe] – Pour plus d’information sur l’usage des jeux de rôles et des simulations informatiques en situation interactive et participative, je vous renvoie aux références citées et je vous recommande l’ouvrage suivant http://www.quae.com/fr/r205-la-modelisation-d-accompagnement.html. Je vous invité aussi à visiter le site suivant http://www.commod.org
Le jeu de rôles est peut-être moins judicieux à mobiliser lorsque l’on est dans une situation où les acteurs se connaissent très bien et que la problématique est très connue elle aussi. Par contre en situation inverse totale ou partielle, le jeu de rôles associé à un simulateur informatique permet d’explorer individuellement et collectivement des dynamiques écologiques et sociales. Le fait de disposer d’un simulateur permet d’explorer les conséquences des choix individuels et collectifs, de clarifier les relations de cause à effet. L’intérêt d’utiliser le jeu de rôles repose avant tout sur les objectifs que vous vous donnez et le contexte socio-environnemental dans lequel vous intervenez. Selon ceux-ci il peut être plus avisé de réaliser des approches participatives classiques voire de simples réunions. Disons que la modélisation participative et les jeux de rôles permettent une réelle co-construction à la fois des représentations des problèmes et du fonctionnement du système socio-écologiques mais aussi d’explorer les solutions possibles à apporter. L’apprentissage social auquel elle donne lieu est précieux par la suite pour développer une gestion adaptative du système.
[à Chicouène Daniel] – Votre remarque illustre ma réponse à Cécile. L’enjeu demeure au-delà des faits biologiques de définir quelle nature nous voulons.
[à Michel Godron] – Alexandre vous a déjà répondu, merci Alexandre. Vous trouverez des documents à la rubrique téléchargement du site de la LPO mais aussi je vous invite à consulter en plus des références mentionnées plus haut de consulter le « Recueil d’expériences en matière de gestion des roselières » publié par le pôle-relais « zones humides intérieures » et la Fédération des parcs naturels régionaux de France accessible via leur site http://www.parcs-naturels-regionaux.fr
[à Christophe Blondel] – Merci également de ce commentaire. Je ne voulais pas froisser nos amis botanistes mais il est vrai que la valeur patrimoniale communément mise en avant pour les roselières est plutôt animale que végétale. J’ai bien conscience et on ne peut ignorer que les roselières abritent aussi quelques espèces végétales de grand intérêt naturaliste. Pour le caractère envahissant du roseau, je n’y reviens pas. Concernant la gestion des roselières, ma principale recommandation avant de décider d’appliquer une quelconque recette (au passage l’ouvrage publié à l’ATEN par mes collègues de la Tour du Valat me semble beaucoup plus prudent que vous ne le suggérez en matière de conseils de gestion) est de bien appréhender la trajectoire passée et présente de la roselière afin de mieux connaître les paramètres qui pilotent sa dynamique actuelle et ainsi envisager les trajectoires futures possibles et de distinguer les fâcheuses des désirables. Ensuite, il convient évidemment de préciser l’objectif à atteindre et d’adapter les grandes recommandations de gestion au contexte local, au sol et au climat. Comme vous le soulignez, les recettes méditerranéennes, bien que séduisantes et souvent recommandées par les nutritionnistes, ne sont pas toujours souhaitables.
Bien cordialement
Raphaël Mathevet