La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose cette semaine le regard de Michel-Pierre Faucon, enseignant-chercheur à l’Institut Polytechnique LaSalle Beauvais, sur l’écologie et la biodiversité des sites métallifères.

MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions après cet article. Les auteurs vous répondront et une synthèse des contributions sera ajoutée après chaque article.

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Trésor minéral et diversité végétale

par Michel-Pierre Faucon

Unité Hydrogéochimie Interactions Sol-Environnement (HydrISE),
Institut Polytechnique LaSalle Beauvais (IGAL-ISAB)

Regard R32, édité par Anne Teyssèdre

(Fichier PDF)
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Mots clés : métaux, plantes, sols, adaptation, évolution, endémisme, bioaccumulation,
érosion de la biodiversité, phytoextraction, mécanismes, facteurs d’impact.

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L’originalité botanique des sites métallifères

Les « métaux lourds » sont définis en général comme les éléments chimiques ayant une densité supérieure à 5 g/cm3. Hormis le fer (Fe) et le manganèse (Mn), tous sont rares dans la croûte terrestre et sont donc des éléments traces métalliques (ETM). Ils exercent leur action toxique sur les plantes même à des concentrations relativement faibles dans le sol.

Les sols riches en métaux, ou « métallifères », sont d’origine soit naturelle soit anthropique (c’est-à-dire que leur formation résulte d’activités humaines). Les premiers se développent sur des affleurements de roches métallifères. Considérés comme des anomalies géochimiques, ils sont exceptionnels à la surface de la planète. La teneur en ETM de ces sols peut être très élevée ; elle peut atteindre plusieurs grammes par kilogramme de sol, mais diminue rapidement lorsqu’on s’éloigne de l’affleurement.

Figure 1. Affleurements de roches de cuivre et de cobalt en République Démocratique du Congo, appelés « collines de cuivre » composées de végétations herbacées entourées de forêt claire (© P. Meerts).

Les affleurements naturels de roches métallifères les plus répandus à la surface de la terre sont des affleurements serpentiniques riches en nickel, en fer et en magnésium répartis sur les différents continents de la planète. On trouve aussi des affleurements de fer, de manganèse, de cuivre, de cobalt, d’or et d’autres minerais rares. Ils induisent très souvent des modifications de la végétation et donc des paysages. En effet, la toxicité des éléments traces métalliques opère une sélection très poussée, en éliminant de nombreuses espèces qui, toutes autres conditions égales, devraient croître en ces lieux. De manière très caractéristique la croissance des espèces ligneuses (arbres et arbustes) est inhibée, ce qui aboutit au développement de groupements végétaux purement herbacés ou faiblement arbustifs, particulièrement remarquables dans une région forestière.

Depuis un siècle, le développement des activités d’extraction et de transformation de minerais a dispersé des métaux toxiques et contaminé des surfaces bien plus vastes que celles occupées par les affleurements naturels. De nouveaux types d’habitats métallifères sont ainsi apparus.

Dans le cas des sites à serpentine, par exemple, le sol issu de l’altération de minéraux naturellement riches en métaux (Ni, Fe et Cr) porte une flore spécifique adaptée aux fortes teneurs métalliques. Nombreux scientifiques à travers le monde se sont intéressés à la flore serpentinique et se sont fédérés en créant The International Serpentine Ecology Society (http://ultramafic-ecology.org). De même au Katanga, en République Démocratique du Congo, les affleurements riches en cuivre (Cu) ou en cobalt (Co) présentent des formations végétales particulières au sein du paysage (Figure 1). Remarquons que les divers types d’habitats métallifères présentent une végétation hautement originale et unique. Les conditions écologiques extrêmes de ces différents types de sols métallifères ne permettent que l’installation d’espèces présentant des traits particuliers et entraînent la constitution de communautés végétales originales (http://copperflora.org/Eflora/).

Les végétations des affleurements métallifères possèdent un nombre important d’espèces endémiques, très vraisemblablement nées sur les sites métallifères par le jeu de l’isolement écologique et géographique.

Dans le cas des sites métallifères d’origine anthropique, dits « anthropogènes », une flore locale des habitats non métallifères a colonisé rapidement ces milieux nouvellement contaminés en acquérant des capacités de résistance aux ETM (Antonovics et al. 1971). Les végétations qui s’y développent sont d’origine récente. La colonisation végétale de ces habitats est alimentée en partie par les populations de plantes non tolérantes existant à proximité. Le crible sélectif très sévère qu’impose la toxicité des métaux peut entraîner une évolution rapide vers des niveaux de tolérance élevés. Ces habitats représentent donc un modèle intéressant pour étudier les processus évolutifs rapides d’adaptation à des facteurs écologiques très contraignants. Même si la flore des habitats métallifères anthropogènes provient d’habitats non métallifères, les espèces qui la composent s’assemblent en une végétation particulière par rapport aux habitats non métallifères locaux (Ernst 1974).

Dans d’autres régions minières de la planète, les sites métallifères anthropogènes peuvent être colonisés par des espèces tolérantes aux métaux provenant des affleurements métallifères naturels (primaires). Néanmoins, la végétation des habitats métallifères naturels se distingue des habitats anthropogènes. Elle est composée de communautés anciennes (dites primaires) pourvues d’espèces pérennes comprenant des « métallophytes absolus », plantes absentes des sols non métallifères et des « pseudométallophytes », plantes présentes aussi sur sols non métallifères.


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Glossaire :

  • Anthropique : lié aux activités humaines.
  • Anthropogène : d’origine anthropique.
  • Autofécondation : qui s’apparie à lui-même ; s’applique bien entendu seulement aux individus qui portent à la fois les organes sexuels mâles et femelle.
  • Communauté : association de populations de différentes espèces en interaction, généralement définie sur la base de leurs interactions et/ou par le lieu où elles vivent.
  • Ecotype : sous-population génétiquement différenciée restreinte à un habitat particulier.
  • Edaphique : relatif au sol.
  • Eléments tracs métalliques, ou ETM : Métaux ou ions métalliques présents en très faible concentration (traces) dans le milieu considéré.
  • Katanga : province du sud est de la République Démocratique du Congo, frontalière à la Zambie, au Burundi et à la Tanzanie.
  • Métallicoles : se dit de communautés et populations végétales qui se développent et se reproduisent sur des sols riches en métaux.
  • Métallifère : se dit d’une roche ou d’un sol riche en métaux.
  • Métallophyte : espèce végétale qui vit spécifiquement sur des sols riches en éléments traces métalliques.
  • Population : ensemble d’individus appartenant à la même espèce, présents simultanément dans un même site géographique.
  • Serpentine : roche rougeâtre ou verte riche en nickel.
  • Spéciation écologique : Apparition de nouvelle(s) espèce(s) par différentiation écologique d’une espèce ancestrale.
  • Taux d’endémisme : Proportion d’espèces confinées à une certaine région.

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Les grandes stratégies de tolérance des plantes aux éléments traces métalliques

La tolérance aux ETM d’une plante est sa « capacité à survivre et se reproduire sur des sols toxiques ou défavorables à la plupart des organismes en raison d’une contamination métallique » (Turner 1969). Une grande diversité de comportements vis-à-vis des métaux existe dans la flore associée aux sites métallifères, dite flore métallicole. En comparant les concentrations en métal des parties aériennes et des parties racinaires on met en évidence deux grandes stratégies de tolérance des plantes aux ETM : l’exclusion des métaux des parties aériennes ou, au contraire, l’accumulation des métaux dans les feuilles (Baker & Walker 1990) (Figure 2).

Figure 2 : Représentation schématique des stratégies rencontrées chez les plantes en réponse à une augmentation des concentrations en métal dans le sol. En abscisses et en ordonnées : concentrations en ETM respectivement dans le sol et dans la plante. D’après Baker, 1981.

L’accumulation d’ETM tels que le cuivre et le cobalt est observée chez les métallophytes se développant sur des sols riches en ces ETM et non lorsqu’elles sont cultivées sur des substrats artificiels contaminés. L’accumulation du cuivre et du cobalt est un phénomène complexe qui semblerait exister uniquement dans des conditions édaphiques (i.e. de sol) particulières. Pour comprendre ce phénomène, les chercheurs se mobilisent en examinant la biodisponibilité du cuivre et du cobalt dans le sol et les interactions entre ces deux ETM et les autres éléments chimiques du sol.

Endémisme et richesse floristique des sites métallifères

La flore des sols chimiquement mal balancés (métallifères, salins, gypseux, calcaires…) compte souvent des espèces endémiques*. Depuis plusieurs siècles, les botanistes sont fascinés par l’existence de paires d’espèces proches, associées à des sols aux conditions chimiques contrastées. L’adaptation des plantes aux ETM a été le modèle le plus étudié pour montrer une différenciation adaptative en réponse aux concentrations extrêmes en métal du sol. Les sites métallifères présentent très souvent un endémisme et une spécialisation écologique élevés.

L’endémisme des affleurements métallifères contribue à la biodiversité de certaines régions du monde. Les plantes endémiques des affleurements serpentiniques de Californie, correspondent à au moins 10% de la flore endémique de l’état de Californie. En Nouvelle Calédonie, elles représentent environ 60% de la flore indigène de l’île (Jaffré 1992).

Figure 3. Scénario de spéciation d’une espèce sur sol métallifère (d’après Kruckeberg 1984). En abscisses : concentration en éléments traces métalliques (ETM)

La plupart des grands mécanismes évolutifs ont été invoqués pour expliquer cet endémisme (Figure 3). Les travaux de l’école de Bradshaw sur les mines de zinc et de cuivre en Grande-Bretagne ont mis en évidence les processus évolutifs associés à la colonisation des sols métallifères. Tout d’abord, il existe un flux de semences issues de populations non-métallicoles mais présentant une variation de la tolérance aux ETM ; ceci correspond à la deuxième étape de la Figure 3 (expansion – amplitude écologique).

Une sélection divergente (qui favorise les génotypes* extrêmes d’une population) ou une sélection orientée (qui favorise le développement d’un caractère au détriment d’un autre) séparent au fil du temps les populations en groupes génétiquement différents : les métallicoles et les non-métallicoles. L’intensité de la sélection par les ETM et la dominance des gènes de la tolérance expliquent que, même en présence de flux de gènes depuis les populations non métallicoles adjacentes, l’évolution vers une différenciation écologique (en deux « écotypes » distincts) se produit rapidement (Lefèbvre & Vernet 1990), ce qui correspond à la troisième étape de la Figure 3.

Cette sélection est très souvent accompagnée d’un isolement reproducteur. Les mécanismes d’isolement reproducteur observés entre les espèces ou les populations incluent une modification de la période de floraison, un changement du régime de reproduction vers l’autofécondation, une altération de la morphologie florale qui affecterait l’attraction et/ou la visite des pollinisateurs.

L’isolement reproducteur entre les deux écotypes peut être total au point qu’ils soient incapables d’échanger des gènes. Une fois que la divergence entre les espèces en formation et l’espèce ancestrale s’accentue, on se situe au cœur de la spéciation et à la formation d’une espèce endémique (quatrième étape de la Figure 3).

Une biodiversité menacée

De par son aptitude à tolérer et accumuler les ETM, la flore métallicole représente une ressource biologique remarquable, à la fois scientifiquement intéressante et précieuse pour de nombreuses applications biotechnologiques. Whiting et al. (2004) parlent même « d’el dorado » de matériel génétique qui pourrait être utilisé dans la décontamination et la restauration écologique de sites contaminés par les ETM.

Faroa chalcophila
© M-P. Faucon

Par exemple, parmi les plantes métallophytes endémiques des sols riches en cuivre et cobalt en République Démocratique du Congo, citons Faroa chalcophila (Gentianaceae), Crepidorhopalon perennis (Linderniaceae) et Vigna dolomitica (Fabaceae) (cf. photos ci-contre).

Crepidorhopalon perennis 
© M-P. Faucon

Vigna dolomitica 
 © MP Faucon

 

 

 

 

 

 

 

Cependant, en plus de contaminer les habitats non métallifères par les poussières métalliques des industries et ainsi d’éroder leur biodiversité, l’exploitation minière menace directement la biodiversité des affleurements qu’elle exploite par l’extraction de minerais en surface (Faucon 2008 ; Faucon et al 2011). Les espèces végétales des affleurements métallifères associées en communautés primaires sont détruites par le remaniement du substrat lors de l’extraction du minerai en surface et ne régénèrent pas dans les zones perturbées. En République Démocratique du Congo, 70 % des taxons (espèces ou genres) métallifères sont en danger critique d’extinction (Faucon et al 2010, Faucon et al 2012). Une situation d’urgence de conservation de la biodiversité des affleurements de roches de cuivre et de cobalt a été déclarée.

L’étude de l’impact de l’exploitation minière sur la biodiversité d’une région de Zambie constitue un bel exemple de conflit direct entre les intérêts économiques à court terme et la conservation de la biodiversité. Hormis les anciens pays industrialisés, peu de pays possèdent un règlement pour la protection et la conservation de la biodiversité des habitats métallifères. Certains ont établi un code minier pour la protection de l’environnement qui contraint les entreprises à réaliser une expertise environnementale évaluant la biodiversité du milieu ; cependant aucun mode de conservation et de gestion de la biodiversité n’est imposé. De plus, la mauvaise gouvernance de nombreux pays laisse libres les entreprises d’exploiter les gisements sans gestion préalablement établie. Seul un certain groupe d’entreprises minières intégrant l’ICMM (International Council on Mining and Metals) essaie de conserver la biodiversité des sites exploités. ICMM a réalisé le « Good Practice Guidance for Mining and Biodiversity » (http://www.icmm.com/), manifeste visant à limiter l’érosion de la biodiversité que provoque l’exploitation minière.

Néanmoins, l’activité minière crée aussi de nouveaux habitats. Il s’agit d’une contamination des sols par les déchets ou les poussières atmosphériques métalliques provenant des industries minières. Ces habitats offrent une large gamme de conditions écologiques et peuvent être colonisés par des espèces adaptées aux milieux ouverts et à la toxicité des métaux. Ils constitueraient une nouvelle opportunité pour l’évolution de certaines espèces des habitats primaires naturellement tolérantes aux métaux.

Bibliographie

  • Antonovics J, Bradshaw AD, Turner RG (1971) Heavy metal tolerance in plants. Advances in Ecological Research 7:1–85.
  • Baker AJM, Walker PL (1990) Ecophysiology of metal uptake by tolerant plants. In Shaw A.J. (Ed.), Heavy metal tolerance in plants : evolutionnary aspects, CRC Press, Boca Raton, USA : 155-177.
  • Duvigneaud P, Denaeyer-De Smet S (1963) Cuivre et végétation au Katanga. Bull Soc Roy Bot Belg 96:92-231.
  • Ernst WHO (1974) Schwermetallvegetation der Erde. Fischer Verlag, Stuttgart, 194 p.
  • Faucon MP et al. (2012) Ecology and Hybridization Potential of two Sympatric Metallophytes, the Narrow Endemic Crepidorhopalon perennis (Linderniaceae) and its More Widespread Congener C. tenuis. Biotropica, in press. DOI: 10.1111/j.1744-7429.2011.00845.x
  • Mahy G, Faucon M-P, Bizoux J-P (2011) Stratégies de conservation de la diversité végétale des sites métallifères: les enseignements de l’écologie des populations de Viola calaminaria. Parcs et Réserves 66: 19-23.
  • Faucon MP et al. (2010) Copper endemism in the Congolese flora: A database of copper affinity and conservation value of cuprophytes. Plant Ecology and Evolution 143: 5-20.
  • Faucon MP (2008) Conservation du patrimoine biologique du Katanga : Initiation d’un programme de conservation de la biodiversité des affleurements naturels de cuivre. EchoSud 18:6-7.
  • Jaffré T (1992) Floristic and ecological diversity of the vegetation on ultramafic rocks in New Caledonia (Eds). by Baker AJM, Proctor J, Reeves RD. Proceedings of the First International Conference on Serpentine Ecology, University of California. Intercept, Hampshire, UK:101-108.
  • Kruckeberg AR (1984) California serpentines: Flora, vegetation, geology, soils, and management problems: Berkeley, CA, University of California Press, 180 p.
  • Lefèbvre C, Vernet P (1990) Microevolutionary processes on contaminated deposits. In : Heavy metal tolerance in plants : evolutionary aspects (ed. Shaw J.), CRC Press Inc, Boca Raton, 285-300.
  • Macnair MR, Gardner M (1998) The evolution of edaphic endemics. In : Endless forms, species and speciation (eds. Howard DJ, Berlocher SH), Oxford University Press, New York 157-171.
  • Macnair MR, Tilstone GH, Smith SE (2000) The genetics of metal tolerance and accumulation in higher plants. In : Phytoremediation of Contaminated Soil and Water (eds. Terry N., Banuelos G., Vangronsveld J.), CRC Press, Boca Raton, 235-250.
  • Reeves RD, Baker AJM (2000) Metal-accumulating plants. In: Raskin I and Ensley BD (eds) Phytoremediation of toxic metals. Wiley, New York, pp 193-221.
  • Tadros TM (1957) Evidence of the presence of an edapho-biotic factor in the problem of serpentine tolerance. Ecology 38:14-23.
  • Turner RG (1969) Heavy metal tolerance in plants. In : Ecological Aspects of the Mineral Nutrition of Plants (ed. Rorison IH), Blackwell Scientific Publications, Oxford, 399-410.
  • Whiting SN et al. (2004) Research Priorities for Conservation of
  • Metallophyte Biodiversity and their Potential for Restoration and Site Remediation. Restoration Ecology 12:106-116.

 
——  Article édité par Anne Teyssèdre

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