Jeremy Borderieux (AgroParisTech), nommé par Jean-Claude Gégout, a été récompensé pour la qualité du travail valorisé dans l’article suivant :

Borderieux, J., Gégout, J. C., & Serra-Diaz, J. M. (2024). Extinction drives recent thermophilization but does not trigger homogenization in forest understorey. Nature Ecology & Evolution, 8(4), 695-704. https://doi.org/10.1038/s41559-024-02362-3

La signification de l’étude

Cette étude est un excellent résumé de ce que j’ai trouvé stimulant lors de ma modeste expérience de la recherche scientifique. Elle mêle théories écologiques, science des données et développement de nouvelles méthodes dans un contexte de réchauffement climatique. Ce contexte donne sens et une motivation particulière, pour peu qu’on croie que le travail scientifique et sa vulgarisation contribuent à la construction d’un monde plus sain. J’ai eu beaucoup de chance de réaliser ce travail qui permet d’allier mon amour pour l’écologie (qui vient de ma sensibilité pour les forêts et prairies de montagnes et des littoraux méditerranées), avec la joie que procure la première analyse d’un nouveau jeu de données ! Sans oublier ce besoin viscéral d’agir en réponse au changement climatique, en essayant au passage de respecter des hauts standards d’ouverture et de reproductibilité de la science.

Cette étude concerne les plantes du sous-bois des forêts françaises. On peut se représenter les questions abordées en s’imaginant en promenade en forêt. Si on ne voit que peu d’espèces au même endroit on constate alors une perte de diversité locale. Si au cours de la balade le paysage et les espèces sont toujours les mêmes on parle d’homogénéisation. La thermophilisation se remarque si on repasse à notre endroit favori mais que les plantes sont différentes, certaines ont disparu, de nouvelles ont des feuilles plus épaisses, etc…

La thermophilisation des communautés

Avant le réchauffement climatique contemporain, nous pouvions généralement considérer les communautés végétales et le climat comme étant en équilibre (bien que certaines plantes n’aient pas récupéré leurs aires pré-dernier maximum glaciaires). Que ce soit par la migration ou l’adaptation, la niche climatique des espèces de la communauté correspond au climat local. Cependant, pour répondre à l’emballement récent des températures et des sècheresses, les espèces n’ont d’autres choix que de migrer vers des climats plus cléments, ou de persister étant donné que le réchauffement climatique est sûrement plus rapide que le processus d’adaptation évolutive.

À l’échelle de la communauté, ces réponses de la flore se manifestent par la thermophilisation des communautés, c’est-à-dire un accroissement de la niche climatique moyenne des espèces qui s’y trouve (ici mesurée en °C/an). J’ai toujours eu du mal à interpréter cette mesure. Est-elle un signal délétère, ou synonyme d’un équilibre retrouvé ? C’est cette question manichéenne qui m’a inspiré cette analyse !

Je me suis alors posé plusieurs questions : la thermophilisation découle-t-elle de la perte locale d’espèces de climat froid ? Doit-on donc la ralentir ou la prévenir pour préserver la biodiversité locale ? Ou alors : la thermophilisation est-elle due à l’arrivée d’espèces nouvellement adaptées au climat qui se réchauffe, et ouvre-t-elle alors le débat passionnant des « nouveaux écosystèmes » ?

Une mine d’or et de données : l’Inventaire Forestier National

L’Inventaire Forestier National fournit entre 5000 et 6000 nouveaux points par ans, répartis de manière systématique sur la forêt métropolitaine. Ce jeu de données ouvre des opportunités uniques d’études. Je profite donc de cet article pour remercier les ingénieur.e.s et technicien.ne.s de l’IGN qui font ce travail nécessaire de récolte, par tout temps et saisons. Pour cet article, nous avons étudié 80 des 85 sylvoécoregions, des zones pédoclimatiques distinctes pour les arbres et la flore forestières. Au sein de ces régions, nous avons réalisé des paires de placettes d’inventaires, séparées de 10 ans.

Ces paires permettent d’étudier, toutes choses étant égales par ailleurs, l’évolution des occurrences de 756 espèces végétales du sous-bois, dans plus de 14,000 paires de placettes. Nous avons partitionné ces évolutions en « extinction » ou « colonisation », d’espèces de climat relativement « froid » et « chaud ». Nous avons également partitionné et calculé une métrique de diversité-β pour étudier l’homogénéisation des communautés. Les préférences climatiques ont été obtenues grâce aux aires géographiques des espèces et des modèles climatiques (i.e. niche réalisée)

L’extinction des espèces de climats froid prédomine

Les résultats sont sans ambiguïtés : dans les communautés végétales du sous-bois, l’intégralité de la thermophilisation (0.012 °C/an) est due à l’extinction locale d’espèces de climat froid.  Nous pensons que le changement climatique provoque plus d’extinctions locales qu’il n’est capable de favoriser la migration d’espèces adaptées au chaud, dont les grainent doivent traverser des dizaines de kilomètres par an pour suivre le réchauffement climatique.

Ces extinctions ont été d’autant plus sévères dans les sylvoécoregions de climat déjà chaud comme la forêt méditerranéenne. Nous n’avons pas observé de tendance à l’homogénéisation, notamment car les extinctions touchent surtout des espèces communes qui ne participent que peu à l’unicité des communautés.

Et maintenant ?

Si la thermophilisation continue à refléter une érosion des communautés, il faut encourager l’étude des facteurs qui la ralentissent. Parmi eux, les microclimats tamponnés offerts par un couvert forestier dense et continue ou par les micro-refuges topographiques sont prometteurs.

La végétation du sous-bois et son évolution n’ont pas encore livré tous leurs secrets. L’utilisation de l’inventaire peut révéler si ces extinctions d’espèces provoquent une homogénéisation inter-sylvoécoregions, une transition d’écosystèmes tempérés vers le méditerranéen et si ces observations sont un signe avant-coureur de mortalité chez les arbres régénérants dans le sous-bois.

Pour ma part, j’ai la chance de commencer un post-doc à l’université de Colombie-Britannique, où j’étudierai l’évolution de la végétation de la toundra et son organisation spatiale. Je suis profondément reconnaissant envers mes directeurs de thèse Pep Serra-Diaz et Jean-Claude Gégout qui m’ont fait confiance pour cette aventure, et ont permis la suivante.