Thomas Ruiz, nommé par Florence Maunoury-Danger, a été récompensé pour la qualité du travail valorisé dans l’article suivant :

Ruiz, T., Koussoroplis, A. M., Danger, M., Aguer, J. P., Morel‐Desrosiers, N., & Bec, A. (2021). Quantifying the energetic cost of food quality constraints on resting metabolism to integrate nutritional and metabolic ecology. Ecology Letters, 24(11), 2339-2349. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/ele.13855

J’ai toujours été fasciné par les écosystèmes aquatiques, déjà petit j’aurais passé des heures entières à observer le moindre trou d’eau dans l’espoir d’apercevoir gerris, dytiques, sangsues et autres tritons… Cette passion m’a inévitablement orienté vers des études de biologie et tout particulièrement le master Fonctionnement et Restauration des Milieux Aquatiques Continentaux de l’université Clermont Auvergne. Au cours des stages réalisés durant ce master, j’ai eu le plaisir découvrir l’univers du Zooplancton et tout particulièrement Daphnia magna, cet organisme modèle idéal à la reproduction parthénogénétique. Ces stages portant sur les effets de la qualité nutritionnelles sur Daphnia magna ont été un premier pas vers ma thèse portant sur les Contraintes nutritionnelles sur le taux métabolique et la croissance d’un consommateur ectotherme (Daphnia magna) dans le contexte des changements globaux.

Si historiquement l’écologie nutritionnelle considère les flux de matière et d’énergie sous une même bannière, considérant ces deux devises comme étant intimement liées, on constate qu’en milieu naturel, l’énergie disponible dans les ressources nutritionnelles échoue généralement à prédire la production de biomasse des consommateurs qui est également (co)limitée par la disponibilité relative d’une grande variété de composés nutritionnels. Prédire cette production secondaire est pourtant essentiel à l’heure actuelle afin de comprendre et d’anticiper la réponse des écosystèmes face au changement global. Au début de ma thèse, très peu d’études avaient réellement cherché à démontrer expérimentalement les liens directs existants entre ces deux devises biologiques fondamentales que sont la matière et l’énergie. Comment cette matière, autrement dit la ressource nutritionnelle, affecte la balance énergétique des consommateurs ? Et quelles sont les conséquences sur les transferts trophiques au niveau de l’écosystème ? Aucune réponse claire à ces questions ne semblait se dessiner, seule une poigné d’étude ayant démontré une potentielle élévation du taux respiratoire des organismes afin d’éliminer un excès de carbone alimentaire sous forme de CO2 laissaient entrevoir le rôle clé du métabolisme des consommateurs pour comprendre les liens entre matière et énergie au sein de l’écosystème. Le métabolisme des consommateurs contrôle l’acquisition d’énergie depuis leurs ressources ainsi que son allocation pour le maintien de l’organisme et la production de biomasse et semblait donc jouer un rôle pivot entre flux de matière et d’énergie.

Au cours de ma thèse, et plus précisément dans les travaux présentés ici, j’ai cherché à comprendre comment des contraintes nutritionnelles de nature diverses (carence en acides gras insaturés, stérols, phosphore,…) pouvaient affecter le taux métabolique des consommateur, plus précisément leur taux métabolique basal reflétant le besoin énergétique pour le maintien de l’organisme. La principale difficulté pour mener à bien ces recherches a été d’établir une méthode capable de mesurer de façon suffisamment précise le taux métabolique de notre principal organisme d’étude, Daphnia magna, un invertébré ectotherme d’une masse de quelques µg seulement. Au début de ma thèse, très peu d’équipements disposaient d’une précision suffisante pour réaliser ce type de mesures et j’ai dû développer une méthode de mesure via microcalorimétrie permettant, via une mesure instantanée de la chaleur émise par un organisme, de suivre son activité métabolique de manière précise et directe. En utilisant cette méthode, nous avons pu démontrer qu’une contrainte nutritionnelle, quelle qu’en soit l’origine, induisait systématiquement une élévation de l’activité métabolique basal des consommateurs, démontrant un accroissement de la dépense énergétique nécessaire au maintien de l’organisme. De manière surprenante, nous avons également démontré une très nette corrélation inverse entre activité métabolique du consommateur et croissance de ce dernier. Cette forte corrélation nous a permis de prédire de façon efficace les performances de ces consommateurs, et donc la production secondaire, en se basant sur une métrique énergétique mesurable de façon instantanée : le taux métabolique individuel. L’utilisation d’une telle métrique énergétique pour prédire les performances individuelles en réponses à des contraintes environnementales (ici nutritionnelle) facilitera leur intégration dans des modèles énergétiques, tels que la théorie des budgets énergétiques dynamiques (DEB), permettant de prédire la production secondaire, et plus largement le fonctionnement de l’écosystème, dans un contexte de changement global.

Pour aller plus loin dans cette thématique de recherche, j’ai pour objectifs durant mon prochain post-doc d’étudier les effets de la désoxygénation des milieux aquatiques sur l’interaction qualité-métabolisme démontrée ici, afin de comprendre comment la contrainte oxygénique pourrait affecter les capacités métaboliques individuelles et se répercuter au sein du réseau trophique.

Pour en savoir plus :

Ruiz, T., Koussoroplis, A. M., Danger, M., Aguer, J. P., Morel‐Desrosiers, N., & Bec, A. (2021). Quantifying the energetic cost of food quality constraints on resting metabolism to integrate nutritional and metabolic ecologyEcology Letters24(11), 2339-2349. Doi: https://doi.org/10.1111/ele.13855

Contact : thomas.ruiz(at)ojce.fr