Julie Louvrier a été récompensée pour la qualité du travail valorisé dans l’article suivant :
Louvrier, J., Duchamp, C., Lauret, V., Marboutin, E., Cubaynes, S., Choquet, R., Miquel, C. and Gimenez, O. (2018), Mapping and explaining wolf recolonization in France using dynamic occupancy models and opportunistic data. Ecography, 41: 647-660. doi:10.1111/ecog.02874
J’ai développé un fort intérêt pour l’écologie et plus particulièrement pour la biologie de la conservation lors de mes études à l’école d’ingénieurs en sciences agronomiques de Montpellier, SupAgro. Dans le cadre d’un programme d’échange avec l’Université de Madison, Wisconsin, j’ai approfondi mes connaissances en écologie animale et la modélisation écologique. Lors de cet échange je me suis intéressée aux problèmes liés à la présence de prédateurs tels que le loup dans des paysages dominés par les activités humaines.
L’objectif général de mon doctorat était de développer des méthodes statistiques basées sur des données de présence de loups et de lynx en Europe, afin d’évaluer et prévoir leur future répartition spatiale. Ce travail fut réalisé grâce à la collaboration entre le Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive (CEFE) de Montpellier et l’Unité Prédateurs Animaux Déprédateurs (UPAD) de l’Office Français pour la Biodiversité (OFB). En effet, les grands prédateurs recolonisent leur aire de répartition originelle dans une grande partie de l’Europe, un retour qui s’accompagne d’interactions croissantes avec les activités humaines et notamment l’élevage. En France, le loup gris (Canis lupus) est de retour depuis le début des années 1990 en provenance d’Italie.
Comprendre la dynamique de colonisation du loup peut permettre de mesurer plus finement son statut de conservation et de mieux cibler les zones potentiellement conflictuelles en lien avec les attaques sur les troupeaux.
Toutefois, lors de ce chapitre de thèse, modéliser la distribution du loup (et des grands carnivores en général) présentait une difficulté méthodologique majeure : du fait de sa mobilité sur de vastes domaines vitaux, de sa discrétion et de sa faible densité, il est possible de ne pas détecter l’espèce dans certaines zones et d’en conclure, à tort, que le loup en est absent – on parle de faux négatifs.
Pour s’attaquer à ce problème de détection imparfaite, nous avons fait appel au réseau national d’observateurs formés à la reconnaissance et au rapportage des signes de présence du loup, réseau animé à l’échelle de la France par l’OFB. Grâce à une caractérisation du rayon de prospection des observateurs en fonction de la catégorie socio-professionnelle et du lieu d’habitation ou de travail, nous avons reconstruit une mesure a posteriori de la pression d’échantillonnage hétérogène dans le temps et l’espace. Des modèles statistiques dit « d’occupation dynamique » nous ont permis d’analyser l’ensemble des indices de présence de l’espèce récoltés par le Réseau, et ainsi de cartographier la dynamique du retour du loup entre 1994 et 2016 en tenant compte de cette détection imparfaite.
Nos résultats montrent que, au-delà de la distribution du loup détectée par le Réseau, il existe d’autres endroits pour lesquels une probabilité que l’espèce soit présente est non négligeable compte tenu de la pression d’observation et des caractéristiques environnementales. Nous montrons également que la probabilité qu’un site soit colonisé dépend du taux d’occupation des sites voisins (<20km) mais aussi des mécanismes de colonisation à longue distance (<150km) que le loup adopte pour éviter la concurrence avec les meutes voisines. L’altitude, le taux de couverture forestière et de terres agricoles viennent ensuite compléter le pouvoir du modèle pour expliquer la probabilité de présence de l’espèce.
Depuis les Alpes du Sud où l’espèce était détectée en 1994, celle-ci s’est étendue dans un premier temps vers le Nord des Alpes puis les Pyrénées au début des années 2000 via le Massif central. Depuis le début des années 2010, le loup a continué sa progression jusque dans le Nord-Est de la France. Le taux d’expansion géographique de l’espèce en France était à son maximum dans les premières années de colonisation notamment lié à la disponibilité des espaces vacants à cette époque. Une première phase de ralentissement de la colonisation s’est opérée jusqu’au début des années 2000, pour se stabiliser depuis à un taux d’environ 7 % de couverture supplémentaire par an, avec une variabilité d’une année sur l’autre et selon les régions.
Les enjeux de la conservation de l’espèce et de la gestion des conflits liés aux attaques pourraient trouver dans cette production un nouvel outil d’aide à la décision, pour autant que celui-ci s’inscrive dans une démarche de gestion adaptative avec une réévaluation des prédictions des modèles suite aux actions de gestion réalisées sur le terrain. Ces travaux ont été mobilisés dans l’expertise commanditée par le ministère sur le futur du loup à laquelle nous avons participé. Ce travail a également été récompensé par le Prix la Recherche 2019 dans la catégorie Environnement.
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