Analyse comparative des formations végétales de savanes entre les massifs d’Ibity et Itremo.
Swanni Avarado
Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse Institut Méditerranéen d’Ecologie et de Paléoécologie (UMR CNRS / IRD) IUT, Site Agroparc, BP 1207 84 911 Avignon Cedex 9
swanni_ta (at) yahoo.es
Dates de début et fin du séjour de terrain : Juin 2009-Aout 2009
Résumé
L’île de Madagascar est un grand réservoir de biodiversité. Un nombre remarquable d’oiseaux, de mammifères, de reptiles, d’insectes et d’espèces de plantes est endémiques à cette île et beaucoup sont en danger ou fortement menacés. Á Madagascar, les écosystèmes ont souffert de pressions anthropiques particulièrement marquées au cours des 50 dernières années (e.g. perturbations anthropiques et changements d’utilisation des terres). Ces changements et perturbations tels que l’utilisation sélective de certaines espèces locales, la fragmentation des écosystèmes naturels, au profit de paysages dominés par des systèmes agricoles, des zones de pâturages et des plantations artificielles d’arbres exotiques à croissance rapide, mènent à la modification profonde des processus naturels (e.g. changement des régimes d’incendie). Tout cela contribue à la détérioration environnementale et culturelle de l’île et à l’appauvrissement des sociétés humaines sur le long terme car nombre de ces pratiques ne sont pas durables
Savane arborée. Region Analalava-Massif D'Itremo
Cette recherche concerne le Massif d’Itremo localisé sur les Hautes-Terres malgaches. La végétation naturelle de ce massif (forêt dense, savane) est riche, comprend une dizaine d’espèces endémiques mais connaît actuellement des dégradations qui vont de modérées à graves. Ce projet a pour objectifs de présenter la caractérisation écologique et l’évaluation des effets du feu sur la biodiversité végétale de ce massif pour les comparer à celui d’un Massif similaire situé à 200km de là, le Massif d’Ibity pour lequel un projet d’aire protégée est en cours. Au total, 159 espèces on été enregistrées dans le massif d’Ibity dans les relevés de végétation effectués sur les formations de savanes.. En revanche, 85 espèces ont été recensées dans les mêmes formations sur le massif d’Itremo. Des analyses statistiques ont permis faire une comparaison de la richesse et de la composition en espèces de ces deux massifs. Ces analyses montrent des différences significatives entre les deux massifs aux niveaux de la richesse en espèces et ces différences sont aussi significatives au niveau du type de substrat (granitique, quartzitique et schiste). Les résultats mettent en évidence un niveau plus élevé de conservation – par rapport au feu – des formations végétales dans le massif d’Itremo. Malgré la différence de la richesse d’espèces entre les deux massifs, le massif d’Itremo montre une formation de savane arbustive avec une structure plus conservée par rapport au massif d’Ibity. Tout ceci met en évidence l’importance de la gestion du feu sur les massifs comme partie des stratégies de conservation de la diversité végétale.
Justifications
Cette présente recherche a pour but de mener une étude scientifique sur le massif d’Itremo en parallèle au projet de doctorat mené sur le massif d’Ibity.
Bois de Tapia (Uapaca bojeri et Sarcolena oblongifolia)
Mon doctorat intitulé « Analyse et évaluation de la situation environnementale du massif d’Ibity en vue de sa gestion durable» a pour objectifs d’étudier les caractéristiques écologiques, l’analyse du contexte socio- économique, l’évaluation des pressions et menaces et l’évaluation des effets de feux sur la biodiversité végétale en vue de proposer des recommandations de gestion durable et de restauration écologique de la végétation dans le massif. En effet, la création d’une nouvelle aire protégée dans le Massif d’Ibity est en cours de réflexion.. Ainsi, l’étude de la composition floristique, la phénologie des différentes espèces et les structures des communautés végétales sont en cours sur Ibity, en prenant en compte les différents aspects physionomiques suivant la topographie et l’altitude ainsi que l’exposition.
L’obtention du permis pour le travail de terrain sur la zone de recherche pour le doctorat a été excessivement compliquée, du fait de la cotutelle de thèse et du fait que la zone protégée sur le massif d’Ibity soit en cours de création. Ce permis a donc été obtenu plus de neuf mois après le début du doctorat. L’obtention du permis de travail de terrain sur la zone d’Itremo était compliquée, mais beaucoup plus rapide par rapport à Itremo, car non inclus dans le sujet de thèse. Cependant, les campagnes de terrain y sont assez chères car le massif est isolé et le budget de mon doctorat ne prévoyait que des expériences à Ibity. Cette bourse de campagne de terrain SFE a donc permis le financement pour l’étude parallèle à Itremo, en l’attente du permis pour la recherche de doctorat. De plus, j’ai pensé qu’il serait intéressant de pouvoir comparer les données sur les communautés végétales du massif d’Ibity avec des données d’autres massifs semblables sur l’île. L’étude a été menée selon un protocole simplifié (par rapport au doctorat). Les résultats présentés ici comparent les jeux de données d’Itremo et d’Ibity.
Savane arborée impactée par le feu- Localité de Kama – Itremo
Le massif d’Itremo se situe à 180 km à vol d’oiseau au sud du massif d’Ibity sur les crêtes des Hautes Terres de Madagascar, et ses caractéristiques climatiques, géomorphologiques et de formations végétales sont relativement similaires à Ibity. Pourtant, les pressions et menaces naturelles et anthropiques sur ses communautés végétales sont moins fortes à Itremo, ce qui donne un meilleur état de conservation des savanes par rapport au feu. L’objectif de cette étude est de déterminer la composition et la structure de la végétation des formations de savanes du massif d’Itremo.
Méthodes
Schéma du système des quadrats imbriqués pour l’échantillonnage de la structure et de la composition des savanes arbustives.
Sur les sites d’études sélectionnés, 3 quadrats de dimension 40 m x 40 m ont été mis en place (seulement 1 ou 2 quadrats dans les fragments où leur taille était trop réduite pour la mise en place de trois quadrats). A l’intérieur de chaque quadrat, un sub-quadrat de 20m x 20 m, un de 10m x 10 m, un de 5m x 5 m et finalement 5-6 quadrats de 1m x 1 m (au total 16 quadrats de 1m x 1 m) ont été délimités. Les mesures de végétation ont été faites comme sur le schéma ci contre.
Les paramètres évalués sur le terrain pour les arbres et arbustes ont été le nombre d’individus, le recouvrement de chaque individu (en m2), la hauteur totale et le diamètre DHP. Egalement sur chaque quadrat de 1m x 1 m les paramètres évalués sur la végétation herbacée sont : le pourcentage de recouvrement de chaque espèce, le nombre d’individus (dans toutes les espèces sauf celui de graminées), le pourcentage des affleurements rocheux, de sol nu, de mousses & lichens, de végétation, l’état phénologique de l’espèce et la hauteur.
Résultats et discussion
Pour cette mission, la prospection des sites et les relevés écologiques de végétation ont été réalisés en même temps. Après une première enquête auprès des autorités locales de la commune d’Itremo, du guide local et de la population locale, une liste préliminaire des sites de savanes arborées a été établie. Au total, 16 sites ont été cités par la population locale. Pourtant, l’accès à ces différents sites était très difficile et limité à cause des problèmes d’insécurité dans la région. Ainsi, la sélection finale des sites a été faite en prenant comme critères de sélection : 1) l’accessibilité au site (le temps de marche nécessaire pour y arriver et présence d’escarpement) et 2) les conditions d’insécurité (présence des bandits ou malfaiteurs).
.
Ainsi, 7 sites ont été étudiés à Itremo dans des fragments de savanes arborées avec des âges différents depuis les derniers feux et des fréquences de feux différentes. Au total, 16 quadrats de 40m x 40 m et 112 quadrats de 1m x 1m ont été relevés. Liste des sites sur le massif d’Itremo :
.
……a. Ampangabe : Dernier Feu 2008. Brûlé chaque année
……b. Kama I : Dernier feu en 2009 (Avril-Mai). Normalement le feu passe une fois par an tous les ans.
……c. Kama II : Dernier feu en 2009 (Avril-Mai). Normalement le feu passe une fois par an tous les ans.
……d. Analalava : Pas de passage du feu récent. Relativement conservé du feu car le site se trouve près des
cultures et près de la population locale.
……e. Fatiasisika : Dernier feu en 2008
……f. Andoanatirakambiaty I : Dernier Feu 2008. Brûlé chaque année
……g. Andoanatirakambiaty II : Dernier Feu 2008. Brûlé chaque année
.
La liste définitive des espèces a été confirmée après l’identification de noms scientifiques auprès de l’herbarium de référence et la détermination taxonomique de tous les individus de plantes collectées : il y a 85 espèces recensées sur Itremo, contre 159 espèces sur le massif d’Ibity.
.
La présence de feux de brousse a été rapportée pour toutes les localités du massif. La pratique des feux est très diversifiée. Les feux peuvent être fréquents (2-3 fois par an) dans certaines localités comme Antanimena et Volamena, qui n’ont pas pu être évaluées car elles faisaient partie des sites éloignés ou non sécurisés. Les sites pris en compte dans l’étude d’Itremo sont des sites où les traits du feu sont moins marqués qu’à Ibity : présence de beaucoup de lichens et marques de brûlure sur les écorces des espèces ligneuses moins nombreuses, un recouvrement plus fort de graminées.
Richesse d’espèces dans les massifs d’Ibity et Itremo
L’analyse statistique ANOVA montre des différences significatives de la richesse totale en espèces (arbustives, arborées et herbacées) entre Ibity et Itremo (Figure 1A). Les espèces associées à l’espèce Uapaca bojeri (dominante) dans les deux massifs sont: Sarcolaena oblongifolia, Pentaclaena latifolia, Schizolaena microphylla, Leptolena sp (L. bojeriana, L. pauciflora, L. diospyroidea), Aphloea theiformis, Asteropeia sp (A. densiflora et A. labatii) et Schefflera bojeri. Ce groupe d’espèces se trouve présentes dans ces formations de savane dans les 2 massifs. Pourtant, il y a une différence dans l’abondance et la taille (hauteur, recouvrement, DHP) de ces espèces entre le massif d’Ibity et le massif d’Itremo. Sur Ibity ces espèces ont un port ou aspect arbustif, avec une hauteur maximale de 5,5 m, tandis que sur le massif d’Itremo on peut trouver des individus de plus 10 mètres de hauteur.
.
Figure 1 : Résultats des analyses de variance (Anova) sur la diversité floristique totale selon les massifs d'Ibity et Itremo (A) et selon le type de substrat (B) (G = granitique ; Q = quartzitique ; S = schiste)
A Itremo, la stratification de la forêt est réduite à la strate arborée, représentée principalement par U. Bojeri, Sarcolaena oblongifolia et A. labatii. Dans certains sites, une strate sub-arborée est présente, représentée par Pentaclaena latifolia, Schizolaena microphylla, Leptolena sp (L. bojeriana, L. pauciflora, L. diospyroidea) et Aphloia theiformis, de taille inférieure à Uapaca.
.
Figure 2 : AFC de la formation de savane arborée à Ibity et Itremo.
En ce qui concerne la strate herbacée, en général tout le massif d’Itremo est dominé pour des espèces de graminées, avec un pourcentage de recouvrement supérieur à 80% pour la plupart des sites. Le massif de Itremo montre donc une strate herbacée plus pauvre en espèces par rapport à Ibity, avec une présence plus forte des graminées, du sol nu et de litière. Et sur la plupart des sites, il est possible de différencier seulement la strate arborée et la strate herbacée, composée par des Poaceae et Asteraceae principalement.
Structure des savanes sur les massifs d’Ibity et Itremo
En ce qui concerne les structures, une différence à remarquer est la taille des fragments de savanes. Dans le massif d’Ibity, les savanes sont plus fragmentées et leur surface plus réduite par rapport à Itremo. De même, la taille des arbres de Uapaca est relativement plus petite à Ibity, avec une hauteur jusqu’à 5,5 m (contre jusqu’à 11m de hauteur à Itremo). L’AFC sur les 2 massifs montre une différence de composition entre le massif d’Ibity (Y) et le massif d’Itremo (I) (Figure 2).
.
Figure 3 : AFC de la formation de savane arborée à Ibity et Itremo selon le type de substrat.
Chaque massif comporte des zones granitiques et quartzitiques. Seul Itremo possède une petite zone de schistes. On observe des différences de composition suivant les sols, particulièrement entre granitiques et quartzitiques (Figure 3). Le résultat obtenu pour le substrat schiste peut être influencé par la différence dans l’effort d’échantillonnage.
Conclusion
L’impact du feu a pu être observé de manière qualitative et quantitative. Par rapport à l’impact qualitatif du feu, il est possible de voir les traces du feu spatialement sur les espèces ligneuses, sur lesquelles il reste des traces noires (carbonisées) sur l’écorce. Egalement, dans quelques cas, il est possible aussi de voir les traces de feu sur la végétation herbacée, à la base des touffes des graminées. En outre, il est aussi possible de déterminer les zones qui n’ont pas été impactées par le feu. Pour la végétation ligneuse, la présence de lichens sur les écorces est un indicateur de l’absence de passage de feu, et pour la végétation herbacée l’accumulation de nécro-masse sèche à la basse des touffes est aussi un autre indicateur de l’absence de feu récent. L’espèce Loudetia simplex montre une taille différente et un niveau d’occupation de la stratification verticale différent qui sont peut-être liés à la fréquence et à la date du dernier feu, mais il est difficile de confirmer cette hypothèse tant qu’on ne peut pas dater avec précision le passage du feu et ses fréquences effectives.
.
Toutes ces analyses qualitatives ont été confirmées par des analyses statistiques que confirment les résultats obtenus par l’observation. Des différences en structure et composition floristique ont pu être établies entre les massifs d’Ibity et Itremo. En général la pratique du feu de brousse est plus fréquente et plus intensive dans le massif d’Ibity, menant peut être à une plus grande diversité herbacée par rapport au massif d’Itremo ou la strate herbacée est dominée par des Poaceae et la strate arborée montre un niveau de conservation plus élevé sur le massif d’Itremo.
Commentaires récents