En ce début de printemps, la Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose ce regard de David Grémillet, chercheur CNRS en écologie spatiale des populations, sur la géolocalisation des oiseaux migrateurs.
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions sur les forums de discussion qui suivent les articles; les auteurs vous répondront.
Toute la lumière sur la migration des oiseaux
par David Grémillet
Directeur de recherche, Equipe Ecologie Spatiale des Populations
CEFE-CNRS, Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive, Montpellier
( http://www.cefe.cnrs.fr/ecologie-spatiale-des-populations/david-gremillet )
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Mots clés : Oiseaux, écologie, comportement, migrations, méthodes, géolocation.
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Il y a vingt ans encore il était difficile de suivre les migrations des oiseaux à l’échelle de la planète. En 1990, le professeur Rory P. Wilson invente la géolocalisation des mouvements migratoires (par suivi photométrique) et conçoit les premiers géolocateurs miniaturisés. Ce procédé basé sur l’enregistrement des niveaux de lumière permet aujourd’hui une approche révolutionnaire de l’écologie des oiseaux.
Depuis toujours les hommes sont fascinés par les migrations des oiseaux
Quelques 1850 espèces d’oiseaux migrent chaque année, parfois au cours de voyages de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres. Ces mouvements de masse sont une des manifestations les plus fascinantes du règne animal et les voies migratoires des oiseaux sont longtemps restées mystérieuses, suscitant la curiosité et les fantasmes de générations de naturalistes depuis Aristote. Les hypothèses les plus folles furent échafaudées. Ainsi, jusqu’à la fin du 18ème siècle, bien des scientifiques pensaient que les hirondelles passaient l’hiver dans la vase du fond des mares. Puis, les hommes eurent l’idée de baguer les oiseaux. Cette pratique remonte probablement à la Chine ancienne et aux civilisations précolombiennes, mais son application à l’étude des migrations est beaucoup plus récente. Suite aux travaux de pionniers tels que l’Allemand Johannes Tienemann, qui le premier explora les déplacements migratoires de la cigogne blanche, le 20ème siècle fut l’âge d’or du baguage des oiseaux.Aujourd’hui encore, quatre millions d’oiseaux sont bagués chaque année en Europe afin d’étudier leurs mouvements migratoires et leur capacité à survivre d’une année à l’autre. Ceci nécessite néanmoins qu’un oiseau soit bagué en un point A, puis observé en un point B, afin d’établir qu’il s’est déplacé (d’Europe en Afrique, par exemple). Il est donc bien difficile de suivre les migrations d’oiseaux vers des habitats peu fréquentés par les humains, tels que l’océan et les îles océaniques. Presque impossible, en pratique, de repérer et déchiffrer de loin aux jumelles la bague numérotée d’un grand albatros qui passe l’hiver dans l’océan austral, ou celle d’un minuscule océanite tempête en route de sa Bretagne natale vers des zones inconnues des mers du sud. [Le comportement en mer de cette deuxième espèce (qui ne pèse qu’une vingtaine de grammes et vient à terre de nuit, pour nicher sous terre.) est encore peu connu, même dans son aire de reproduction.]
Depuis plus de vingt ans les balises électroniques reliées au système ARGOS (*) permettent de suivre les mouvements d’oiseaux de grande taille, mais elles sont encore trop lourdes pour les oiseaux de moins de 300g, qui sont pléthore.
(*) Système de télédétection par satellite. Les signaux radios émis par une balise ARGOS, captés et retransmis par satellite, permettent de localiser l’animal porteur de cette balise avec une précision de quelques centaines de mètres, au mieux.
La géolocation par mesure de la lumière reçue : une idée simplement géniale
Le Professeur Rory P. Wilson, de l’Université de Swansea au Pays de Galles, s’est souvenu que les premiers navigateurs ne disposaient ni de GPS, ni de balises ARGOS, mais observaient la course du soleil afin d’estimer leur position en mer : la longueur du jour indique en effet la latitude et l’heure du zénith, la longitude. A la fin des années 1980, il a développé des appareils miniaturisés permettant d’enregistrer les niveaux de lumière (Wilson et al. 1992).
Cette mesure de l’intensité lumineuse consommant très peu d’électricité, les appareils sont suffisamment petits et légers (quelques grammes) pour être attachés à la bague des oiseaux migrateurs. Posés sur des oiseaux nicheurs, ils seront portés par ceux-ci pendant une ou plusieurs années, avant d’être récupérés sur ce même site de nidification et les données analysées afin de découvrir les voies migratoires des plus petites espèces. Des collègues scandinaves ont ainsi pu suivre le fabuleux voyage de 70 000 km des sternes arctiques (100g), qui chaque année font l’aller-retour entre les deux pôles de la planète, depuis leurs sites de nidification au Groenland jusqu’à leurs aires d’hivernage en bordure du continent Antarctique.La méthode de géolocalisation (ou géolocation) du Professeur Wilson n’est bien sûr pas aussi précise qu’un positionnement GPS ; son erreur moyenne est de 180km. C’est assez pour savoir que les macareux moine d’Ecosse partent hiverner au beau milieu de l’Atlantique nord, mais pas suffisant pour éviter les railleries dont Rory Wilson fut l’objet pendant une bonne dizaine d’années. Entre-temps, sa méthode faillit sombrer dans l’oubli.
Une nouvelle technologie au service de la conservation
Désormais, grâce à l’acharnement de quelques chercheurs et aux progrès de la microélectronique, les enregistreurs de lumière pèsent moins d’un gramme et ne coûtent plus 1000, mais 150€ l’unité. La communauté scientifique s’est finalement entièrement appropriée la méthode Wilson, au point presque d’en oublier son ingénieux inventeur. Chaque année, plus de 10 000 oiseaux dans le monde sont équipés d’enregistreurs de lumière miniaturisés. Ce chiffre est encore modeste en comparaison des millions de bagues posées, mais les avancées scientifiques sont spectaculaires.
Initialement, les « géolocateurs » ont été utilisés pour le suivi des espèces d’oiseaux marins de grande taille, tout particulièrement les albatros. Les scientifiques ont ainsi démontré que les grands albatros des Iles Crozet visitent les mers du sud au large de l’Australie entre deux périodes de reproduction (Weimerskirch & Wilson 2000), alors que les albatros à sourcils noirs des Iles Malouines (où nichent plus de 70% des individus de cette espèce) se nourrissent sur le plateau continental argentin tout au long du cycle annuel (Grémillet et al. 2000). Cette seconde population dépend donc intégralement des ressources marines présentes dans cette zone où elle est en compétition avec les pêcheries.Au fur et à mesure de la miniaturisation des appareils des espèces plus petites ont été étudiées, comme les puffins fuligineux (Shaffer et al. 2006). Ceci a permis de démontrer que ces oiseaux, qui nichent au cours de l’été austral en Nouvelle Zélande, passent l’hiver austral au large de l’Alaska : leurs allers-retours entre le sud et le nord du Pacifique leur permettent de vivre dans un été perpétuel et de bénéficier de conditions clémentes et riches en nourriture toute l’année. Plus près de nous, au Iles Canaries, des chercheurs catalans on utilisé des géolocateurs posés sur des puffins cendrés afin de suivre leurs migrations en Atlantique (González-Solís et al. 2007): les oiseaux étudiés ont effectués d’élégantes figures de huit sur des milliers de kilomètres entre l’Afrique de l’Ouest, le Brésil et l’Afrique Australe, au gré des alizés.
Conclusion
Désormais, ce sont les limicoles, les passereaux et autres oiseaux de petite taille que les chercheurs désirent étudier au moyen de géolocateurs. Des chercheurs américains ont ainsi pu récemment découvrir les aires d’hivernage jusqu’alors inconnues des hirondelles noires (Progne subis) (55g) : celles-ci-ci nichent en Amérique du nord mais passent l’hiver au Brésil, parcourant ainsi plus de 10 000km dans l’année.
Toutes ces informations sont d’une grande importance en conservation car elles permettent de confirmer les grandes voies migratoires des oiseaux entre les continents et de découvrir des itinéraires insoupçonnés (Fort et al. 2012). Elles permettent aussi de définir des zones dans lesquelles certaines espèces sont, ou seront prochainement, affectées par les activités humaines. Ceci est par exemple le cas pour les aires d’hivernage des mergules nains en Atlantique nord, qui se situent dans des zones potentiellement perturbées par les nouvelles voies de trafic maritime et d’exploration pétrolière en Arctique (Fort et al. 2013). Les informations recueillies grâce au géolocateur du Professeur Wilson aident ainsi chercheurs et gestionnaires de l’environnement à identifier des zones irremplaçables pour le bon état de santé des populations d’oiseaux, sur la base desquelles des espaces préservés telles que les aires marines protégées peuvent être définies (Péron et al. 2013 ; www.aires-marines.fr/).Bibliographie
Egevang C. et al., 2010. Tracking of Arctic terns Sterna paradisaea reveals longest animal migration. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America 107: 2078–2081.
Fort J. et al., 2013. Multicolony tracking reveals potential threats to little auks wintering in the North Atlantic from marine pollution and shrinking sea ice cover – Diversity and Distributions 19: 1322-1332.
Fort J. et al. 2012. Meta-population evidence of oriented chain migration in northern gannets (Morus bassanus) – Frontiers in Ecology and the Environment 10(5): 237-242.
Fraser K.C. et al., 2013. Continent-wide tracking to determine migratory connectivity and tropical habitat associations of a declining aerial insectivore. Proceedings of the Royal Society B – Biological Series 279: 4901-4906.
Gonzalez-Solis J., Croxall J.P., Oro D. and Ruiz X., 2007. Trans-equatorial migration and mixing in the wintering areas of a pelagic seabird. Frontiers in Ecology and the Environment 5: 297–301.
Grémillet D., Wilson R.P., Wanless S. and Chater T., 2000. Black-browed Albatrosses, international fisheries and the Patagonian Shelf. Marine Ecology Progress Series 195: 269-280.
Péron C. et al., 2013. Importance of coastal Marine Protected Areas for the conservation of pelagic seabirds: The case of Vulnerable yelkouan shearwaters in the Mediterranean Sea – Biological Conservation 168: 210-221.
Shaffer S.A. et al., 2006. Migratory shearwaters integrate oceanic resources across the Pacific Ocean in an endless summer. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America 103: 12799–12802.
Weimerskirch H. and Wilson R.P., 2000. Oceanic respite for wandering albatrosses. Nature 406: 955–956.
Wilson R. P., Duchamp J. J., Rees W. G., Culik, B. M. and Niekamp K., 1992. Estimation of location: global coverage using light intensity. In: Wildlife telemetry: remote monitoring and tracking of animals (ed. I. M. Priede & S. M. Swift), pp. 131-134. Chichester: Ellis Howard.
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Article édité par Anne Teyssèdre.
Bonjour David,
et merci pour ce regard vers des horizons lointains… Pour les personnes non expertes en navigation (qui sont nombreuses il me semble), pourriez-vous expliciter le principe de la méthode de géolocalisation de Rory Wilson ?
Par ailleurs, y a-t-il des résultats de suivis/reconstitutions de trajectoires (par balises argos ou géolocalisation), suggérant une adaptation comportementale en cours chez des populations d’oiseaux de mer privées de nourriture dans leur aire d’alimentation habituelle ?
Bien cordialement,
Anne
Chère Anne,
Merci pour vos commentaires. Voici une description succincte de la méthode utilisée, d’après Hill & Braun : les heures de lever et de coucher du soleil sont identifiées pour une journée donnée, sur la base des enregistrements des niveaux de lumière. Des calculs astronomiques standards sont alors utilisés afin de déterminer la longitude, sur la base de l’heure du zénith (à mis course entre le lever et le coucher du soleil), et la latitude sur la base de la durée du jour.
Il est important de noter que ce calcul n’est pas possible au moment des équinoxes, au cours desquelles il y a trop peu de variation dans la durée du jour. Les heures de lever et coucher du soleil calculées n’ont pas besoin de correspondre aux heures auxquelles le soleil passe sous l’horizon, ou apparaît; il suffit de définir une position arbitraire qui servira de référence. Celle-ci est définie au moyen de l’angle Z entre la verticale et le centre du disque solaire. Lever et coucher du soleil correspondent alors au moment au cours duquel le disque solaire passe par l’angle Z. Lorsque les enregistrements de niveaux de lumière sont traités, une phase essentielle du travail consiste à définir Z. Il existe plusieurs méthodes à cet effet, la plus simple consistant à ajuster une tangente à l’exponentielle tracée par les niveaux de lumière au lever du soleil, afin d’en déterminer le point d’inflexion.
David
En ce qui concerne la seconde question, les suivis électroniques des mouvements des oiseaux marins permettent en effet d’appréhender les effets d’un manque de nourriture. Voici un exemple tiré de recherches récentes effectuées en collaboration avec l’Université du Cap: Au large de l’Afrique du Sud, les fous du Cap dont nous suivons les mouvements au moyens de géolocateurs et d’enregistreurs GPS interagissent avec deux types de pêcheries : les senneurs qui capturent les anchois et sardines dont se nourrissent aussi les fous, et les chalutiers qui récoltent les merlus du Cap en profondeur et rejettent des déchets de pêche (les senneurs, au contraire, gardent tout à bord).
Lorsque sardines et anchois sont abondants, pêcheries et fous du Cap profitent de cette ressource : nos suivis des mouvements des oiseaux montrent qu’ils ignorent alors les bateaux de pêche, cherchant plutôt des bancs de petits poissons pélagiques que la flottille de pêche n’a pas détectés. Lorsque ces poissons se font rares, comme souvent ces dix dernières années, les fous du Cap modifient radicalement leur comportement de recherche alimentaire et se mettent à suivre les chalutiers, pour se nourrir de déchets de pêche. Cette ‘junk food’ plaît aux fous adultes mais sa valeur nutritive est trop faible pour les poussins qu’ils nourrissent à terre. Au cours de ces années de disette les adultes survivent mais leur succès reproducteur est souvent nul.
Références :
Tew-Kai, E., Benhamou, S., van der Lingen, C.D., Cotzee, J.C., Pichegru, L., Ryan, P.G. & Grémillet, D. (2013). Are Cape gannets dependant upon fishery waste? A multi-scale analysis using seabird GPS-tracking, hydro-acoustic surveys of pelagic fish and vessel monitoring systems – Journal of Applied Ecology 50: 659-670.
Grémillet, D., Mullers, R.H.E., Moseley, C., Pichegru, L., Coetzee, J.C., Sabarros, P.S., van der Lingen, C.D., Ryan, P.G., Kato, A. and Ropert-Coudert, Y. (2010). Seabirds, Fisheries, and Cameras – Frontiers in Ecology and the Environment 8: 401-402.
Grémillet, D., Pichegru, L., Kuntz, G., Woakes, A.J., Wilkinson, S., Crawford, R.J.M and Ryan, P.G. (2008). A junk food hypothesis for gannets feeding on fishery waste – Proceedings of the Royal Society, Biological Series. 275(1639): 1149-1156.
Bonjour,
Ma question est très courte: Pourquoi un cormoran déploie ses ailes au repos en plein soleil (quand il y en a) ?
Merci
Bonjour,
A question courte, réponse brève : Ce comportement permet aux cormorans de sécher leurs ailes après une activité de pêche, et donc les alléger avant de voler.
[En effet, contrairement à la plupart des oiseaux aquatiques (marins ou d’eau douce), les cormorans n’ont pas de glandes sébacées à la base des plumes; leur plumage n’est donc pas imperméable et se charge d’eau à chaque plongée..]
Bien cordialement,
Anne