La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose le regard de Nicolas Mouquet, Isabelle Gounand et Dominique Gravel sur la relation entre la diversité biologique et le fonctionnement des écosystèmes.
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires après cet article. Les auteurs vous répondront et une synthèse des contributions sera ajoutée après chaque article.
Biodiversité et fonctionnement des écosystèmes
Nicolas Mouquet1, Isabelle Gounand1 et Dominique Gravel2
1. Université Montpellier 2, CNRS, Institut des Sciences de l’Évolution, CC 065, Place Eugène Bataillon, 34095 Montpellier Cedex 05, France.
2. Département de biologie, chimie et géographie, Université du Québec à Rimouski, 300 Allée des Ursulines, Rimouski, Québec, Canada. G5L 3A1.
( Fichier PDF )
Regard R3, édité par Anne Teyssèdre
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Mots clés : Ecosystèmes, fonctionnement, biodiversité, espèces, niche écologique, productivité, complémentarité, interactions.
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Le maintien du fonctionnement des écosystèmes et des services qu’ils rendent à l’humanité fait partie des arguments principaux en faveur de la protection de la biodiversité (Figure 1). Le terme « fonctionnement » réfère aux propriétés et/ou processus biologiques et physiques au sein des écosystèmes, comme par exemple le recyclage ou la production de biomasse. Les « services » représentent tous les bénéfices que les populations humaines obtiennent des écosystèmes, notamment la production de nourriture, la régulation du ruissellement, la pollinisation, etc.
Transcendant les questions éthiques associées à l’impact de l’homme sur la nature, notre société a trouvé dans cette notion de « service » une rationalisation quasi économique du concept de diversité biologique. Au delà des limites et des dérives d’une simple approche comptable de la diversité (et qui seront discutées dans un autre regard), il y a un vrai raisonnement liant diversité et fonctionnement des écosystèmes. Raisonnement souvent méconnu voir inconnu de ceux-là même qui en défendent l’importance pour notre société ! Ce regard donc, pour, indépendamment du débat sur l’économie de la biodiversité, mieux expliquer les mécanismes biologiques qui lient la diversité des espèces (ou diversité spécifique) au fonctionnement des écosystèmes.
Deux décennies de recherche accompagnés d’une synthèse entre plusieurs sous-disciplines de l’écologie, essentiellement l’écologie des communautés et celle des écosystèmes[1], ont permis d’explorer ces mécanismes (cf. Figure 2). De cette synthèse, on sait maintenant que les facteurs abiotiques (physico-chimiques) et les interactions biologiques déterminent la diversité en espèces que peut contenir une communauté, et que la composition de cette communauté affecte en retour le fonctionnement de l’écosystème. La vaste quantité d’expériences réalisées depuis le début des années 1990 a permis aux chercheurs de confirmer un effet généralement positif de la diversité des espèces sur le fonctionnement des écosystèmes.
Les écologues ont aussi étudié comment la diversité influençait la stabilité des communautés écologiques. Des études théoriques ont ainsi montré que la diversité des espèces pouvait jouer le rôle d’une « assurance » face aux perturbations environnementales (par exemples les aléas climatiques ou la fragmentation des habitats). On compare cet effet à celui de la diversité des investissements en finances et au vieil adage qui suggère de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ! Ces résultats sont fondamentaux car ils soulignent un effet de la biodiversité qui ne pouvait pas être détecté dans les approches classiques qui se plaçaient à un endroit et un moment donnés. Peu d’études ont essayé de mesurer in situe cette relation entre diversité biologique et stabilité du fonctionnement des écosystèmes mais les quelques données disponibles (notamment les expériences effectuées sur les prairies dans le Minnesota, cf. Figure 3b) suggèrent un fort effet tampon de la diversité face à une perturbation environnementale (ici la sécheresse).
Trois mécanismes ont été proposés pour expliquer cette relation positive. D’abord, l’effet d’échantillonnage qui est purement « statistique ». Les écosystèmes riches en espèces seraient plus productifs, c’est-à-dire que leur biomasse augmente rapidement, simplement parce qu’ils ont plus de chance d’abriter une espèce très productive. Ensuite, la complémentarité des espèces qui est le résultat d’un agencement favorable des traits écologiques présents au sein des communautés.
Dans ce cas, en augmentant la diversité, on augmente le nombre fonctions réalisées par les espèces, car plus de niches écologiques[2] sont utilisées au sein de l’écosystème et les ressources sont mieux exploitées. Par exemple deux espèces de plantes équipées l’une de racines de surface, l’autre de racines profondes, utiliseront mieux qu’une seule les ressources d’un sol, accroissant la productivité locale, car elles ont des traits écologiques complémentaires.
Enfin, la facilitation est définie comme une interaction positive entre deux espèces. Par exemple, en les abritant du rayonnement direct du soleil, les ronciers créent en plein milieu d’une prairie un habitat favorable pour des espèces végétales telles que certains arums qui ne fréquentent que des milieux sombres et humides. Ces espèces « favorisés » permettant à leur tour de mieux utiliser les ressources disponibles localement et donc augmentant la productivité.
Ces différents mécanismes peuvent s’exprimer localement mais aussi sur des échelles spatiales et temporelles plus larges, depuis l’assemblage des espèces de bactéries et de champignons du morceau de fromage au fond du frigo, jusqu’aux forêts tropicales et aux océans. La plupart des nombreuses expériences qui ont testé ces hypothèses ont par contre utilisé des communautés végétales, surtout pour des raisons pratiques. Deux d’entre elles ont particulièrement marqué la communauté scientifique : l’expérience paneuropéenne Biodepth et celles menées à Cedar Creek au Minnesota. Ces expériences ont montré un effet positif de la diversité sur l’accumulation de biomasse dans les communautés (Figure 3).
Si le rôle de la diversité horizontale (au sein d’un même niveau trophique) sur le fonctionnement des écosystèmes semble prédictible, il en va tout autrement du rôle de la diversité au sein de plusieurs niveaux trophiques (diversité verticale). Un point de départ pour comprendre les interactions entre un prédateur et sa proie est ce que les écologues appellent l’effet « top-down ». Cette expression réfère au contrôle de l’abondance d’une proie par son prédateur. Dans les réseaux trophiques plus diversifiés, l’effet top-down entraîne une cascade d’effets trophiques. Si un herbivore va réduire la biomasse de plantes dans un écosystème, il sera lui-même contraint par la présence d’un carnivore. Cette cascade se répercutera du prédateur jusqu’au bas de la chaine, de sorte que le carnivore « libère » la plante de son herbivore et par conséquent augmente sa productivité.
Dans certains cas également, la présence des consommateurs supérieurs peut accélérer le recyclage des nutriments et par conséquent la productivité des écosystèmes. Ainsi, la structure et la diversité des réseaux trophiques auraient un effet majeur sur la productivité. Sachant que les grands prédateurs sont souvent les organismes les plus exploités et les plus sensibles aux activités humaines, on comprend bien les conséquences que cela peut entraîner sur le fonctionnement des écosystèmes ! »
En définitive les écologues ont élucidé d’une part les facteurs écologiques qui modulaient la biodiversité et d’autre part comment la diversité modulait à son tour la biomasse produite. Il reste encore à intégrer ces connaissances pour mieux comprendre si la diversité peut favoriser… la diversité ! A ce sujet, les premiers écologues des écosystèmes ont proposé dans les années 60 l’idée que des processus de rétroaction positive contribuaient à l’organisation des écosystèmes.Par exemple la théorie Gaïa lancée par le britannique Lovelock a durant une nombreuse année alimentée la controverse. Selon cette hypothèse, la Terre serait analogue à un système physiologique dynamique qui maintient l’environnement de la planète dans des conditions favorables au développement de la vie. L’ensemble des organismes vivants seraient les composantes d’un vaste organisme, comme le sont les cellules d’un corps humain, assurant la régulation de l’environnement pour maximiser son fonctionnement.
Un exemple souvent cité pour illustrer la théorie Gaïa est la stabilisation de la composition de l’atmosphère, laquelle contrôle à la fois le climat, la production primaire (dépendante du gaz carbonique) et la production secondaire (dépendante de l’oxygène). Cette théorie pêche sans doute par ses hypothèses trop fortes, et par un certain anthropocentrisme de sa notion centrale d’harmonie. Néanmoins, on peut considérer des effets de rétroaction aux échelles des écosystèmes à la lumière des mécanismes reliant diversité biologique et fonctionnement des écosystèmes, que nous avons détaillés dans ce regard.
Dans le contexte actuel des changements globaux, l’influence de l’homme sur les cycles écologiques pourrait court-circuiter cette auto-régulation et faire basculer la dynamique d’un grand nombre d’écosystèmes vers des états moins fonctionnels et/ou moins stables et donc moins favorables à notre espèce. Cette idée fait actuellement son chemin, à l’aube d’une théorie intégrée de la biodiversité à l’interface entre l’écologie des communautés et des écosystèmes.
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[1] L’écologie des communautés se réfère aux interactions entre les espèces au sein des systèmes écologiques. Elle met l’accent sur l’assemblage des communautés et place la diversité biologique au centre de la compréhension du fonctionnement des systèmes écologiques (le contenu des boîtes dans la figure 2). Le concept à la base de la discipline est la théorie de la niche écologique, qui explique la composition des communautés à partir de la complémentarité des espèces et des contraintes environnementales. L’écologie des écosystèmes intègre les propriétés physico-chimiques des systèmes écologiques et se réfère aux liens entre les organismes et l’environnement physique dans lequel ils interagissent. Elle met l’accent sur la caractérisation des flux d’énergie et de matière au travers des organismes et dans l’environnement pour comprendre les propriétés générales des systèmes écologiques (les flèches entre les boîtes dans la figure 2). Cette discipline propose une vision globale de l’organisation des écosystèmes en considérant souvent l’environnement physique comme l’un des principaux moteurs de la diversité biologique.
[2] Une niche écologique d’une espèce est la position qu’occupe cette espèce dans un écosystème donné en fonction des ressources qu’elle exploite et de ses relations avec les autres espèces.
[3] Les écosystèmes sont aussi de complexes assemblages d’espèces qui interagissent entre elles par la prédation, la compétition, la facilitation, etc. On décrit souvent cette complexité avec l’analogie d’un réseau : chaque espèce est un point (nœud) du réseau, et les liens de consommation entre les espèces sont les lignes qui unissent les nœuds. Très souvent on simplifie cette complexité en considérant des compartiments du réseau: les producteurs, les herbivores, les détritivores etc. La diversité horizontale réfère à la diversité au sein d’un compartiment, la diversité verticale réfère à la diversité de compartiments (on réfère parfois au nombre de niveaux trophiques).
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Pour en savoir plus :
En français :
Le rôle de la diversité dans le fonctionnement des écosystèmes. Gravel D., Gounand I. et Mouquet N. (2010). Ciencia & Ambiente 39. Télécharger le pdf ici.
Écologie et biodiversité : Des populations aux socioécosystèmes. Couvet D. et Teyssedre A. (2010). Editions Belin, Paris.
En anglais :
Biodiversity, Ecosystem Functioning and Ecosystem Services. Naeem S., Bunker D., Hector A., Loreau M. et Perrings C. (2009). Oxford University Press.
« Au delà des limites et des dérives d’une simple approche comptable de la diversité (et qui seront discutées dans un autre regard), il y a un vrai raisonnement scientifique liant diversité et fonctionnement des écosystèmes. »
et pourtant il va falloir si pencher sur les dérives comptables … et vite : quand on voit que cette semaine le muséum d’histoire naturelle à Paris organise un colloque « Business and Biodiversity » …
En réaction au commentaire d’Amphiprionae, je pense que l’approche comptable de la biodiversité est une dérive inévitable de l’approche économique qui s’impose en revanche aujourd’hui pour appréhender la dynamique de la biodiversité en relation avec les sociétés humaines.
On peut distinguer aujourd’hui deux grands types de mécanismes régissant la dynamique des écosystèmes : des mécanismes directs, biologiques et écologiques, tels ceux explorés dans ce texte de Nicolas Mouquet et ses collaborateurs ; et des mécanismes indirects : économiques, anthropologiques, sociologiques, juridiques, … qui orientent les activités humaines et donc la pression des humains sur les écosystèmes. Pour comprendre le fonctionnement global des (socio)écosystèmes, et donc pour préserver leur fonctionnement, il est important d’explorer tous ces mécanismes…
Dans ce ‘regard’, Nicolas Mouquet et ses collèques examinent la relation entre structure et fonctionnement des écosystèmes… disons ‘à pression humaine constante’. Cette approche me paraît nécessaire de manière générale pour comprendre le fonctionnement biologique et écologique des écosystèmes, mais aussi dans un but appliqué, pour mieux définir les objectifs de gestion et de préservation de la biodiversité confrontée à nos sociétés.
L’explication scientifique du fonctionnement des écosystèmes est passionnante, nécessaire et a fait avancer l’écologie de façon impressionnante.
Ceci étant dit, il me paraît rapide de déclarer que:
« l’approche comptable de la biodiversité est une dérive inévitable de l’approche économique qui s’impose ». Et de faire une coupure franche entre mécanismes directs et indirects.
Car cette vision comptable, justement, qui l’impose?, qui la cautionne? Avons nous réfléchit aux conséquences? Y a t-il eu un débat? Est-ce vraiment si efficace, si inévitable? Qui a montré que c’était vraiment ce chemin qu’il fallait poursuivre sur le plan pratique et théorique? Les scientifiques se précipitant vers la notion de services sont-ils vraiment en dehors des problèmes, autres que scientifiques, posés par cette notion?
Il est étonnant que ces questions semblent à ce point résolues une fois pour toute. De plus, mettons qu’adopter une vision techno scientifique de la nature ne soit pas en soi un problème. Mais c’est pour faire quoi? Aujourd’hui, le buisness de la biodiversité se développe pour et grâce au concept de service. Est-ce vraiment pour enrayer la crise de la biodiversité?
Il est étonnant que la communauté scientifique ne ce soit pas approprié ces questions, et que nous soyons obligé « d’y croire » plus ou moins. Ou d’affirmer « on a pas le choix ».
Il est aussi étonnant qu’on oublie que la science est aujourd’hui récupérée, transformée, vénérée. Etudions les écosystèmes, surtout n’empéchons pas cette recherche !
Mais ne soyons pas trop dupe non plus.
Il me semble que le problème numéro un n’est pas tant la science (dire qu’on ne sait pas assez de choses pour éclairer les actions à prendre concernant la biodiversité, et que donc en attendant on ne peut pas prendre parti, me semble d’un attentisme suicidaire) que l’articulation entre la science et la politique. J’inclus ici la gouvernance économique dans le politique. Et c’est précisément ce point que soulève le texte qui nous est proposé, quoiqu’il s’en défende: « Ce regard donc, pour, indépendamment du débat sur l’économie de la biodiversité, mieux expliquer les mécanismes biologiques qui lient la diversité des espèces (ou diversité spécifique) au fonctionnement des écosystèmes. ». En fait, je pense qu’on ne peux à aucun moment ignorer complètement le débat pour simplement se focaliser sur les mécanismes parce que tout simplement, les quantités qu’on évalue pour mesurer l’impact de tel ou tel niveau de biodiversité sur le « fonctionnement » de tel ou tel écosystème ne sont pas neutres et relèvent déjà d’un choix très orienté. Ainsi le mot « productivité » se trouve employé 6 fois dans le texte. Mais de quelle productivité s’agit-il ? de biomasse mesurable sous forme de carbone réduit quelle qu’elle qu’en soit la forme ? de biomasse « stable » fixant du carbone et construisant l’écosystème ? de biomasse accessible aux activités humaines ? de biomasse « concentrée » accessible aux niveaux trophiques supérieurs ou bien de biomasse abondante mais peu énergétique ou peu calorique ? Ou bien encore d’autre type de productivité ?
Donc il me semble que dès le début, on est en plein dans le débat, que celui-ci est inévitable, qu’il contient une grande part de subjectivité et qu’il faut y aller, aux différents niveaux où les décisions politico-économiques se prennent, avec toute la force de l’argumentation scientifique pour dire : «attention, si vous choisissez tel ou tel critère à optimiser pour prétendument prendre en compte les problèmes de biodiversité de la planète (p.ex. la taxe carbone, ou toutes les questions de valorisation des services écosystémiques), alors vous allez avoir tel ou tel effet pervers sur tel ou tel compartiment, ce qui engendre ceci et cela en cascade, par contre si vous changez de critère ou de mode d’évaluation, alors telle ou telle autre politique devient rationnelle.
Un peu comme l’histoire du classement de Shangaï, si certains voient ce que je veux dire…
Luttons contre l’hypocrisie en quelque sorte, et faisons admettre que les quantités à « optimiser » sont elles-mêmes l’objet de choix pas exempts de subjectivité et ouvertes à débat !
ps: pourquoi publier ces pages en gris si pâle ! comme on ne les imprime pas de toutes façons…
En réponse à la question de ‘Mouai’ sur mon commentaire, je dirais que cette dérive comptable et marchande n’est ni souhaitable ni efficace, et qu’il est important maintenant de combattre ses effets pervers écologiques et socioéconomiques par des politiques et instruments économiques et juridiques adaptés. Mais rejeter l’approche économique des écosystèmes avec ses dérives reviendrait à jeter notre biosphère avec l’eau sale du bain ! Il faut bien comprendre que les systèmes économiques humains s’appuient sur et s’inscrivent donc dans le fonctionnement de la biosphère, et non pas en dehors.
Il est par ailleurs bien évident que les objectifs et mesures de gestion de la biodiversité s’appuient et s’appuieront sur des choix… et des ‘regards’ de spécialistes en sciences de l’homme seront mis en ligne dans les mois qui viennent sur ces aspects. Mais le regard ci-dessus de Nicolas M. et ses collaborateurs relève de leur spécialité : l’exploration et l’analyse des mécanismes biologiques et écologiques du fonctionnement des écosystèmes… ce qui est déjà un vaste sujet de recherche !
Effectivement l’homme et les activités humaines s’inscrivent bien dans le fonctionnement de l’écosystème et non en dehors. C’est un changement de pensée non négligeable qui est à l’oeuvre.
Mais dans cette histoire de lien entre économie et écosystèmes au travers de la notion de services écosystémiques, le plus important c’est plutôt lequel force l’autre. Est-ce que l’économie tourne indépendamment des ressources disponibles (et de leur partage), fait du top down ? Ou est-ce que nos sociétés ont adapté leurs productions à ce que peuvent supporter les écosystèmes dans lesquels elles s’insèrent, du bottom up ?
La crise économique nous a appris que la finance roule pour elle-même et je ne vois pas en quoi la marchandisation des services des écosystèmes pourra nous faire retourner vers un système plus bottom up. Sans compter que cela reviendrai à ignorer les particularités locales des écosystèmes. A quand l’explosion d’une bulle spéculative sur la mangrove ?
C’est toujours la même histoire en économie, on nous vend un système de régulation très compliqué (le marché carbone, les Quotas Individuels Transférables, etc…), auquel personne ne comprendra rien ; sauf les plus malins pour s’enrichir. Rien de bien nouveau.
P.S. Un doute me vient à la fin de mon élan, est-ce bien de cela que vous parlez ?
Décidément, la question de l’approche économique des écosystèmes et des services écosystémiques passionne beaucoup de monde ! Plusieurs ‘regards’ sont prévus sur cette question : l’un sur la notion de service écosystémique, l’autre sur les résultats du Millennium écosystem Assessment, un autre sur le thème ‘biodiversité et économie de marché’, un autre encore sur les problèmes soulevés par le mécanisme de la déforestation évitée et les paiements pour services écosystémiques…
Mais pour prendre en compte les ‘services’ écologiques au plan économique, encore faut-il les identifier et les analyser. Le regard ci-dessus porte sur la relation entre diversité des espèces d’un côté, productivité et fonctionnement des écosystèmes de l’autre. Et c’est sur cette relation entre structure et fonctionnement des écosystèmes que les auteurs vous proposent de réfléchir et éventuellement réagir !
J’ai du mal m’exprimer, mais je pense qu’écrire « sur la relation entre diversité des espèces d’un côté, productivité et fonctionnement des écosystèmes de l’autre »
nécessite qu’on clarifie ce qu’on appelle ou regarde comme « productivité » et « fonctionnement », et qu’en fonction des critères et indicateurs choisis, on peut avoir des résultats différents. Peut-être que Nicolas M. et coll. pourraient préciser leur pensée sur ce point ?
La productivité est effectivement une notion souvent mal définie en écologie et avec laquelle les chercheurs prennent beaucoup de liberté.
Nous remercions ici le lecteur (Bonhomme) qui nous demande de définir la productivité ! et donc nous « produisons » ici quelques lignes sur ce thème (désolé pour le jargon) :
En théorie elle est mesurée comme un flux de matière entre deux compartiments, ces compartiments étant par exemple la concentration d’azote dans le sol et dans les plantes. Cette mesure exprime la vitesse à laquelle circulent les nutriments et donc donne une idée du taux de renouvellement de la biomasse dans l’écosystème. Par exemple un écosystème productif est un écosystème avec une forte circulation d’azote entre le sol et la plante. S’il n’y a pas d’herbivore alors cela se traduira par de l’accumulation de biomasse chez les plantes (dans les feuilles, les tiges mais aussi dans les fruits, les graines, etc.).
C’est une définition dérivée de l’agronomie, où la productivité d’un champ s’exprime souvent en biomasse récoltée (tonne de blé récoltée par hectare et par année par exemple).
Son utilisation en écologie s’explique entre autres par le fait que c’est un critère relativement facile à mesurer (par exemple par la récolte de biomasse entre deux pas de temps) et synthétique. Il s’agit d’une mesure fort intuitive, notamment dans notre société « utilitariste ». Elle a, par conséquent, été largement utilisée dans une optique de conservation de la biodiversité avec l’argument biodiversité = productivité.
Néanmoins, contrairement à ce que pourrait sous-entendre son acception agronomique, une forte productivité ne rime pas toujours avec forte biomasse. En effet, les espèces sont rarement isolées ! (voir la note [3] de notre regard) ; par exemple les plantes sont souvent consommées par des herbivores, qui eux-mêmes sont consommés par des carnivores, etc. (voir notre figure 2). La matière va alors circuler d’un compartiment écologique à un autre en suivant cette « chaîne trophique » qui unie les espèces dans les écosystèmes. Certains compartiments auront tendance à « retenir » la biomasse plus que d’autres, en fonction de leurs caractéristiques (vitesse du métabolisme, comportement, etc.) et de la consommation par les compartiments supérieurs. L’intensité des flux de matière (la productivité) peut être élevée alors que la taille (biomasse) des compartiments reste faible. Cela peut conduire à des situations contre-intuitives : ainsi une prairie broutée peut-être beaucoup plus productive qu’une forêt mature !
Nicolas, Isabelle et Dominique
Bonjour à tous,
Merci aux auteurs pour cette synthèse, délicate à réaliser en si peu de lignes. Restons sur les concepts si vous le voulez bien.
Le premier point qui m’ait choqué et rejoins certaines des précédentes remarques est que la fig. 1 place l’homme en dehors de l’écosystème. Au delà des besoins de simplicité didactique, je pense qu’il ne s’agit pas là d’une remarque de forme.
La seconde remarque que j’aimerais faire concerne notre quasi « fascination » pour la biodiversité, une importance que je m’explique mal en fait. Vous l’avez écrit, la communauté scientifique a montré que la structure des réseaux trophiques ou les flux de matières par ex. sont probablement aussi importants pour comprendre le fonctionnement des écosystèmes.
L’article donne d’ailleurs la fausse idée que, ça y est, on commence à comprendre le fonctionnement des écosystèmes, mais c’est se mentir à soi-même : si on le savait, on saurait prédire le devenir d’un écosystème soumis à des changements (climatiques, comme sociétaux) drastiques ; si on le savait, on saurait dire quels sont les services écosystémiques d’un écosystème possédant telle structure trophique, tels flux abiotiques… qui ne craignent pas de disparaître si ces propriétés changeaient un tant soit peu. On en est loin. Nous devons poursuivre nos investigations tout azimuts.
Enfin, j’aimerais dire combien j’ai aimé l’offre finale du papier, appelant à une « théorie intégrée » du fonctionnement des écosystèmes. Aujourd’hui, une telle théorie n’est plus une idée utopique. Elle n’est plus une profession de foi, tant les écologues sont nombreux à penser qu’il est temps de commencer à réunir nos connaissances dispersées sur les écosystèmes (voir « The Challenges of Biodiversity Science », Loreau 2010). Une telle théorie nous fait défaut, et nous devons continuer à travailler à l’interface entre Biologie et Physique, à l’interface entre Évolution et Thermodynamique !
Où sur terre l’homme fait-il encore partie des écosystèmes si ce n’est les indiens de l’amazonie, quelques tribus africaines et océaniennes … ?
Comment pourrait-on étudier l’impact de l’homme sur les écosystèmes si on l’y inclut lui et son action perturbatrice. Comment pourrait-on envisager la restauration des écosystèmes perturbés si on ne les connaît pas à l’état natif ?
L’écologie ne peut certes rester aveugle à l’action de l’homme et doit la mettre en parallèle.
Une question reste trouble pour moi, même si l’écosystème – ou le biome – est une entité stable et donc à bilan énergétique et matériel nul, comment et où trouver des informations sur la productivité des biomes ? Comment les comprendre ?