La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose cette semaine le regard de Guillaume Lemoine et Maxime Pauwels, respectivement ingénieur écologue et maître de conférences à l’Université de Lille, sur les pelouses calaminaires du Nord – Pas de Calais.
Ce « regard » est une version adaptée pour cette plateforme SFE d’un article des mêmes auteurs paru dans le numéro 12 d’ESpèces, revue partenaire de la SFE pour ce projet.
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions sur les forums de discussion qui suivent les articles; les auteurs vous répondront.
Pollution et biodiversité: Les pelouses calaminaires du Nord – Pas-de-Calais
Guillaume Lemoine (1) et Maxime Pauwels (2)
(1) Chargé de mission ingénierie écologie à l’Établissement public foncier Nord – Pas de Calais, g.lemoine@epf-npdc.fr
(2) Maître de conférences, Laboratoire Génétique et Évolution des Populations végétales, CNRS UMR 8198, Université Lille1, maxime.pauwels@univ-lille1.fr
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Mots clés : Habitats, biodiversité, pollution, métaux, ETM, adaptation, plantes métallicoles,
biodiversité locale, relation Homme – Nature.
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Les changements globaux en cours représentent généralement une menace pour la biodiversité. Nous nous attendons en effet à ce que les modifications de l’environnement associées aux activités humaines fragilisent les espèces végétales et animales et menacent leur survie à plus ou moins long terme. Cependant, les perturbations environnementales peuvent aussi favoriser l’installation locale de nouvelles espèces ou sous-espèces, voire être à l’origine d’assemblage d’espèces originaux et participer à l’enrichissement de la biodiversité. Ce qui mène à un troublant questionnement : Faut-il remédier à la perturbation, au risque de menacer la biodiversité nouvelle, ou protéger cette biodiversité, en maintenant la perturbation qui en est à l’origine ? Ce dilemme est particulièrement bien illustré par le cas des pelouses calaminaires de la région Nord – Pas-de-Calais (France) et de la province de Liège (Belgique).
Les sols calaminaires : un héritage des activités métallurgiques
L’histoire et les paysages de la région Nord – Pas-de-Calais ont profondément été marqués par une intense activité minière d’exploitation du charbon (cf. le regard n°49 de Guillaume Lemoine, et ESpèces n° 8). La région a aussi accueilli pendant près d’un siècle et demi une industrie métallurgique intense, avec trois pôles d’activités majeurs. Le premier était à Noyelles-Godault (Pas-de-Calais), avec l’usine de production de zinc et de plomb de la Société minière et métallurgique de Peñarroya-Metaleurop, construite en 1893, et qui, jusqu’à sa fermeture en 2003 et sa destruction en 2005, fut l’une des plus grandes usines productrices de plomb en Europe.
Le deuxième pôle, situé à seulement quelques kilomètres de là, à Auby (Nord), “capitale du zinc”, correspondait à l’usine de production de zinc de la Compagnie royale asturienne des mines Nyrstar-Umicore, actuel numéro un mondial du zinc ; créée en 1869, elle produit aujourd’hui encore environ 220 000 tonnes de zinc par an. Le troisième pôle était, quant à lui, à quelques dizaines de kilomètres au nord-est des deux premiers, à Mortagne-du-Nord (Nord) ; il correspondait à une autre usine de production de zinc de la Compagnie royale asturienne des mines, nommée “la zinguerie”, ouverte en 1901 et fermée en 1963, et qui fut associée dans les années 1920 à une “usine à plomb”.L’environnement immédiat de ces sites industriels a été très fortement pollué par des dépôts de stériles et de scories (haldes) issus des déchets de la transformation du zinc et du plomb. Mais, à côté des zones de dépôts toxiques, les retombées de particules issues des fumées mal filtrées et transportées par les vents ont aussi contaminé les sols des espaces naturels et agricoles sur des centaines, voire des milliers d’hectares.
Des sols pollués et toxiques
La pollution des sols se caractérise notamment par l’augmentation en concentration des trois métaux zinc (Zn), cadmium (Cd) et plomb (Pb), métaux parfois dits lourds du fait de leur forte masse volumique. Egalement désignés comme “éléments traces métalliques” (ETM), ces métaux sont naturellement présents dans les sols en raison notamment de l’érosion des roches-mères sous-jacentes, mais les concentrations ne dépassent alors généralement pas quelques dizaines de milligrammes par kilogramme (mg/kg) de sol pour le Zn et le Pb, 1 mg/kg pour le Cd. Dans certains sols d’Auby, de Noyelles-Godault ou de Mortagne-du-Nord, les concentrations en Zn et en Pb sont cent fois, voire mille fois supérieures aux concentrations habituellement enregistrées, tandis que les concentrations en Cd sont plusieurs dizaines de fois supérieures. Ces sols pollués par le Zn, le Pb et le Cd sont dits “calaminaires” du nom de la calamine, un minerai de zinc riche en silicate.
Qu’ils soient essentiels (c.-à-d. nécessaires au métabolisme des organismes biologiques) comme le zinc, ou non essentiels (c.-à-d. sans fonction biologique connue) comme le cadmium et le plomb, tous les ions métalliques sont toxiques pour les êtres vivants à partir d’un certain seuil de concentration, dépendant de l’espèce (ou de la sous-espèce). Une conséquence directe de la pollution des sols par ces métaux est donc l’apparition d’une forte toxicité envers les organismes qui y sont exposés. Cette toxicité est souvent trop forte pour permettre le maintien de la plupart des espèces locales, animales ou végétales présentes avant la pollution : celles-ci disparaissent des sites contaminés et on observe généralement une réduction locale drastique du nombre d’espèces (ou richesse spécifique).
Pelouses métallicoles
Les sols calaminaires de la région Nord – Pas-de-Calais ne sont pas pour autant des déserts biologiques desquels toute vie aurait disparu. Bien au contraire, un promeneur conscient de la pollution des sols pourra être surpris d’observer par endroits des îlots d’une végétation originale, dont l’abondante floraison offre une mosaïque de couleurs (blanc, rose, jaune) variant du printemps à l’été. Cette végétation remarquable est celle de pelouses dites métallicoles lorsqu’elles sont associées à des sols riches en ETM (cf. regards n°32 et 47), et calaminaires lorsque les ETM sont le Zn, le Cd et le Pb. Les pelouses métallicoles sont dites primaires lorsqu’elles se développent sur un sol naturellement riche en métaux lourds. En région Nord – Pas-de-Calais, où la pollution métallique des sols est d’origine anthropique, les pelouses calaminaires sont soitsecondaires, lorsque la pollution du sol est due à l’accumulation de déchets industriels (haldes), soit tertiaires lorsqu’elle résulte des retombées de particules métalliques issues de fumées d’usines proches.
Les fleurs rencontrées sont celles de quatre espèces ou sous-espèces (taxons) d’angiospermes dicotylédones : l’Arabette de Haller (Arabidopsis halleri, Brassicaceae) et le Silène humble (Silene vulgaris var. humilis, Caryophyllaceae), aux fleurs blanches, l’Armérie de Haller (Armeria maritima subsp. halleri, Plumbaginaceae), aux fleurs roses, et la Pensée calaminaire (Viola calaminaria, Violaceae), aux fleurs jaunes parfois bordées de bleu. Ce sont des plantes métallophytes, c’est-à-dire des végétaux qui se rencontrent sur des sites pollués et montrent une forte tolérance aux concentrations élevées d’ETM (cf. les regards n°32 et n°47). Au niveau régional, ces taxons sont des métallophytes absolus (eumétallophytes ou encore métallo-endémiques), parce qu’ils sont inféodés aux sites calaminaires générés par les activités industrielles métallurgiques. On ne les retrouve en effet qu’en de rares lieux à proximité de Noyelles-Godault, Auby et Mortagne-du-Nord.
Les pelouses calaminaires du Nord – Pas-de-Calais se rencontrent donc exclusivement sur des sites anthropisés, modifiés par les activités métallurgiques à partir du XIXe siècle. Il est fort probable que les plantes qui les composent étaient auparavant absentes de la région. Considérées comme d’introduction récente en Nord – Pas-de-Calais, ces plantes sont qualifiées d’allochtones, ou de xénophytes. Quand sont-elles apparus dans la région, et d’où viennent-elles ?
L’Arabette de Haller, descendue des montagnes ?
Le cas le mieux documenté est probablement celui de l’Arabette de Haller (Arabidopsis halleri). C’est une espèce de montagne, distribuée majoritairement dans les grandes chaînes de montagnes d’Europe centrale, des Alpes pennines aux Carpates méridionales. Il faut donc faire plusieurs centaines de kilomètres à partir du Nord de la France avant de retrouver l’espèce dans son milieu naturel. En région Nord – Pas-de-Calais, l’Arabette de Haller fut observée pour la première fois en août 1944, à Auby, par le médecin et botaniste A. Berton. Selon un témoignage recueilli par l’auteur auprès d’un ancien employé de l’usine de la Compagnie royale asturienne des mines, cette plante aurait été volontairement introduite par l’un des directeurs de l’usine comme plante mellifère vers 1920-1925.
Des études récentes (de phylogéographie) renseignent plus précisément sur l’origine géographique des Arabettes d’Auby. L’analyse, à l’aide de marqueurs moléculaires, de l’identité génétique des populations régionales et d’un ensemble de populations européennes, suggère une introduction à partir du Harz (Allemagne). L’espèce s’y rencontre sur des sites également pollués par les métaux Zn, Cd, et Pb à la suite d’activités d’extraction minières (Pauwels et al., 2005 ; Pauwels 2012). Cependant, à la différence du Nord de la France, les conditions écologiques rencontrées dans le Harz semblent plus proches de la niche écologique de l’espèce. Le Harz est d’ailleurs situé à la limite de l’aire de distribution naturelle de l’espèce sur des sols non pollués. Enfin, l’existence d’anciennes mines suggère que des sols primaires naturellement riches en métaux ont pu exister dans le Harz, avant la pollution par les activités humaines. Il est donc possible que la présence de l’Arabette dans le Harz soit antérieure aux activités métallurgiques régionales.L’Armérie de Haller, une plante difficile à suivre
L’histoire des populations calaminaires de l’Armérie de Haller est, pour le moment, moins bien comprise. Un doute persiste, notamment, sur le niveau taxonomique représenté par cette plante. On ne sait si l’Armeria halleri doit être considérée comme une espèce ou une sous-espèce adaptée aux sols pollués de l’Armérie maritime (Armeria maritima), typiquement littorale. D’après le centre régional de phytosociologie de Bailleul, l’origine de l’Armérie de Haller est médio-européenne et le taxon fut introduit en Europe occidentale à la suite des activités industrielles. A. Berton mentionne déjà en 1946 l’Armérie de Haller à Auby et indique, d’après les dires d’un vieil employé, que l’espèce devait être déjà présente sur le site à la fin du XIXe siècle. D’après C. Van Haluwyn et ses collaborateurs (1987), l’espèce aurait été par la suite introduite à Mortagne-du-Nord vers 1950 à partir de graines récoltées à Auby.
Des études de génétique des populations menées par X. Vekemans et C. Lefèbvre puis par H. Baumbach et F. H. Hellwig (2007) suggèrent que les différences génétiques entre populations d’Armeria maritima subsp. maritima et subsp. halleri dans le nord-ouest de l’Europe ne s’expliquent qu’en fonction de leurs origines géographiques, c’est-à-dire sans lien avec la nature des substrats sur lesquels elles se développent. Dans ce cas, les populations calaminaires pourraient avoir été directement fondées à partir des populations relativement proches d’Armeria maritima subsp. maritima poussant sur les falaises et rochers sur des côtes nord-ouest européennes. Les populations côtières montrent une capacité à supporter les embruns salés, ce qui suggère une capacité à accommoder des stress environnementaux associés à des formes de sécheresse, comme le sont les pollutions par les métaux.
La Pensée calaminaire, une relique périglaciaire ?
La Pensée calaminaire (Viola calaminaria) complète la flore exceptionnelle des pelouses calaminaires. Sa particularité est d’être une plante endémique des sols calaminaires primaires en Belgique et en Allemagne. Elle fut observée à Auby pour la première fois en 1995. D. Petit sous-entendait, en 2002, que les chercheurs qui travaillent sur les espèces métallophytes et qui se déplacent de site en site pourraient avoir involontairement introduit des graines à Auby. Les études de génétique des populations réalisées par J.-P. Bizoux en 2006 sur les différentes populations de Viola calaminaria de Belgique, d’Allemagne et d’Auby, montrent que cette dernière population est peu différente de certaines populations belges.La Pensée calaminaire est phylogénétiquement proche de la Pensée jaune (Viola lutea), une espèce montagnarde (Alpes et Massif central) et certains auteurs prétendent même qu’elle n’en serait qu’une sous-espèce (Viola lutea subsp. calaminaria). Étonnamment, d’autres taxons endémiques des sols calaminaires en Belgique se retrouvent également en montagne, comme la Cochléaire des Pyrénées (Cochlearia pyrenaica) qui se rencontre dans les Pyrénées et les Carpates où elle affectionne tout type de sol. La proximité des taxons calaminaires avec des taxons de montagne a amené les naturalistes à avancer l’hypothèse que leur installation en plaine pourrait remonter au Pléistocène. Ces espèces plus adaptées se seraient maintenues sur des sites calaminaires primaires sous forme de reliques périglaciaires.
Enfin, l’origine du Silène humble (Silene vulgaris var. humilis) reste inconnue. Néanmoins, ce taxon est présenté comme une sous-espèce calaminaire du Silène enflé (Silene vulgaris), espèce très répandue dans la région Nord – Pas-de-Calais. Le plus probable est que les échanges génétiques entre Silène humble et Silène enflé soient fréquents et que la colonisation des sites calaminaires se soit effectuée à partir des populations voisines de Silène enflé. En d’autres termes, Silène humble et Silène enflé appartiendraient à la même espèce et seraient génétiquement très proches.Pour des raisons inconnues il manque toutefois, dans les pelouses calaminaires de la région Nord – Pas-de-Calais, un taxon caractéristique des pelouses calaminaires de Belgique: le Tabouret calaminaire (Noccaea carulescens subsp. calaminare).
Une faune appauvrie mais originale
La pollution de sols par les métaux et la toxicité associée ont inévitablement des effets drastiques sur la faune et les microorganismes du sol (voir par ex. le regard n°28 de S. Barot et F. Dubs). Les sols calaminaires sont par conséquent pauvres en invertébrés et autres organismes, et le recyclage de la matière organique produite y est difficile. Cependant, certaines espèces (d’invertébrés, notamment) peuvent fréquenter les pelouses calaminaires en y trouvant un avantage grâce à l’abondante floraison ou au caractère sec et chaud du milieu actuellement installé sur d’anciens remblais industriels. Il est même envisageable que la végétation nouvelle formée par la pelouse calaminaire représente une niche nouvelle pour des pollinisateurs autrefois absents. C’est ainsi que l’on a pu observer un papillon, le Demi-Argus (Cyaniris semiargus), sur trois sites calaminaires régionaux lors d’un suivi des pelouses, alors que sa répartition actuelle en région est confinée à l’Avesnois (sud-est du département du Nord). Ces observations suggèrent une corrélation entre les végétations métallicoles et le Demi-Argus.
Les données bibliographiques montrent que, bien qu’inféodé aux Fabacées, le Demi-Argus peut utiliser marginalement des espèces du genre Armeria comme plantes hôtes, et notamment le Gazon d’Espagne, Armeria maritima. Bien qu’aucune chenille ou œuf n’ait été observé sur les arméries de Haller en région Nord – Pas-de-Calais, il apparaît possible que le Demi-Argus utilise cette sous-espèce dans les pelouses calaminaires régionales (Lemoine, 2013). Ces données complètent d’autres observations faites en Belgique dans les pelouses calaminaires de Wallonie où le Petit Nacré (Issoria lathonia) pond ses œufs sur les pensées calaminaires, tandis que la Coccinelle à 24 points (Subcoccinella 24-punctata) se nourrit de pucerons sur les silènes calaminaires.Un habitat protégé
La communauté végétale formée par l’Armérie de Haller, l’Arabette de Haller et le Silène humble représente la déclinaison en plaine d’une association végétale rare connue sous le nom de pelouse métallicole ou calaminaire des Violetalia calaminariae. En France, seuls quelques sites présentent des pelouses calaminaires. Dans les Pyrénées et les Cévennes, ce sont des pelouses calaminaires dites montagnardes, dont la composition spécifique est légèrement différente. Les sites présents autour d’Auby, de Noyelles-Godault et de Mortagne-du-Nord accueillent les seules pelouses calaminaires de plaine (planitiaires) recensées en France.
Les pelouses calaminaires apparaissent parmi les habitats d’intérêt communautaires mentionnés dans l’Annexe 1 de la Directive Européenne “Habitats-Faune-Flore”, pour la protection desquels les États de l’Union Européenne sont tenus de s’engager. Dans ce sens, l’État français a désigné deux zones spéciales de conservation (ZSC) du réseau Natura 2000, à Auby et Roost-Warendin, et à Mortagne-du-Nord et Château-l’Abbaye ; ces sites sont gérés (sur tout ou partie) respectivement par la commune d’Auby et le Département du Nord d’une part, et par le parc naturel régional Scarpe-Escaut d’autre part. Par ailleurs, l’Armérie de Haller bénéficie, par arrêté du 1er avril 1991, du statut d’espèce protégée en région Nord – Pas-de-Calais.
Conclusion
Peu ou mal connues, les pelouses calaminaires sont une spécificité de la région Nord – Pas-de-Calais et de la province de Liège. Elles correspondent à un héritage du passé industriel de la région. Leur conservation pose toutefois de vraies questions. Est-il opportun de conserver des espaces pollués, toxiques, créés de toutes pièces par l’Homme et sur lesquels se développent en France des espèces non indigènes ? Peut-on considérer que les pelouses calaminaires appartiennent au patrimoine naturel ou écologique de la région ?
Au-delà de l’intérêt patrimonial, dans une contexte d’évolution critique de la biodiversité face aux changements globaux, les végétations calaminaires et leurs espèces métallophytes montrent les capacités du vivant à s’adapter aux perturbations anthropiques, lorsque les conditions écologiques deviennent extrêmes. Laboratoires à ciel ouvert, les pelouses calaminaires sont un matériel d’étude des mécanismes d’adaptation des espèces. En terme de services écosystémiques, ces pelouses, qui recouvrent les sols d’un tapis végétal, limitent l’envol des poussières polluées et par la même l’exposition des populations humaines. Enfin, les communautés calaminaires jouent le rôle d’indicateur biologique de la pollution des sols par les métaux. Elles renseignent donc également sur la dissémination de la pollution lors du recyclage des déchets industriels comme, par exemple, lorsque les stériles furent utilisés pour la stabilisation d’accotements routiers. Témoins gênants de nos pratiques, elles interrogent la qualité de l’héritage que nous allons léguer aux générations qui vont nous suivre.
Encadré : La difficile protection des pelouses calaminaires : le cas du Parc Péru
Bien que certaines étaient connues historiquement dans le bois des Asturies, le plus bel ensemble de pelouses calaminaires à Auby a été mis en évidence en 2006 avec le développement de la gestion différenciée sur un espace voisin, un parc urbain nommé Parc Péru, lors de l’arrêt des tontes intensives (Lemoine, 2012). La richesse patrimoniale du site a très vite été reconnue et la question de sa préservation vite posée. Cependant, la préservation d’une formation végétale sur un sol pollué par le Zn, le Cd et le Pb fut une importante source d’interrogations de la part des élus de la ville d’Auby et des habitants du quartier. En effet, comment et pourquoi conserver une végétation qui se développe exclusivement sur un sol pollué et toxique, c’est-à-dire qui n’est pas sans danger pour la santé publique et que, pour cette raison, l’on souhaite habituellement voir disparaître ? Une négociation avec l’État a permis d’envisager le maintien de la pelouse calaminaire alors que sa destruction était programmée suite à une obligation préfectorale de remédiation faite à l’entreprise métallurgique encore présente à proximité.
Pour faire accepter la protection du site, la ville a organisé une campagne d’information suivie d’une concertation du public avec l’aide du conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement (CAUE) du Nord et des services départementaux. Lors de cette campagne furent organisés des visites guidées, des ateliers de quartier, la rédaction d’une charte de bons usages du parc et des animations scolaires. Les démarches visèrent principalement à expliquer aux habitants du secteur pourquoi les parties les plus polluées aux métaux lourds des espaces publics, accessibles à la population, n’étaient pas excavées et évacuées pour être confinées dans les anciens bassins de décantation déjà pollués de l’usine proche, alors que les jardins privés et d’autres espaces publics étaient, quant à eux, dépollués (Delahaye et al. 2011). Il semblait également important de faire reconnaître ces pelouses calaminaires comme un « patrimoine” naturel et une partie du patrimoine de l’Histoire industrielle et de l’identité du quartier, afin d’en assurer la protection sur le long terme et de permettre d’y développer des opérations de gestion et de restauration écologique.
Le site du parc Péru, comme celui de la pelouse de Mortagne-du-Nord, fait maintenant l’objet d’un projet de recherches universitaires baptisé OrDyNord (origine et dynamique de la biodiversité sur les milieux calaminaires du Nord – Pas-de-Calais), financé par la Région Nord – Pas-de-Calais en association avec la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB). Ce projet vise à connaître l’origine géographique des taxons métallophytes, leur date probable d’introduction et à mieux comprendre le fonctionnement de ces systèmes. Divers tests sont également réalisés pour une restauration efficace et une gestion optimale des pelouses.
Le parc et les espaces voisins font également l’objet de différentes opérations de restauration écologique entreprises par le Département du Nord au titre de la politique des espaces naturels sensibles, avec l’aide des services techniques de la ville, cogestionnaire du site (Lemoine, 2011, 2012). La gestion des espaces herbacés vise à maintenir les pelouses calaminaires à l’aide de tontes ou de fauches où les foins produits sont évacués afin d’éviter une trop grande colonisation du milieu par les graminées présentes, Agrostide capillaire (Agrostis capillaris) et Fromental (Arrhenatherum elatius). Il est, en effet, intéressant de constater que la pelouse calaminaire du parc Péru montre un épanouissement maximal avec une gestion intensive et des tontes rases !
Bibliographie
Baumbach H. & Hellwig F. H., 2007 – “Genetic differentiation of metallicolous and non-metallicolous Armeria maritima (Mill.) Willd. taxa (Plumbaginaceae) in Central Europe”, Plant Systematics and Evolution, 269, p. 245-258
Berton A., 1946 – “Présentation des plantes Arabis Halleri, Armeria elongata, Oenanthe fluviatilis, Galinsoga parviflora discoidea”, Bulletin de la société de botanique de France, 93, p. 139-145.
Lemoine G., 2011 – “Le Conseil général protège ses pelouses calaminaires”, Espaces naturels, n° 33, p. 51-52.
Lemoine G. 2012 – “De l’importance des pelouses calaminaires d’Auby et notamment du parc Péru”, Bulletin de la société
botanique du nord de la France, 2012, 65 (1-4) : 51-58.
Lemoine G., 2013 – “Le Demi-argus Cyaniris semiargus (Rottemburg, 1775) apprécie les pelouses calaminaires de la région Nord – Pas-de-Calais !”, Le Héron, 2012-45(1), p. 59-70.
Pauwels M., Saumitout-Laprade P., Holl A.-C., Petit D. & Bonnin I., 2005 – “Multiple origin of metallicolous populations of the pseudometallophyte Arabidopsis halleri (Brassicaceae) in central Europe : thecpDNA testimony”, Molecular Ecology, 14, p. 4403-4414.
Petit D., 2002 – “Viola calaminaria dans le bois des Asturies (Auby, 62)”, Bulletin de la société botanique du nord de la France, 2002, 55 (1-2), 48 p.
Van Haluwyn C., Petit D. & Mériaux J.-L., 1987 – “Végétation métallicoles dans la région Nord – Pas-de-Calais”, Bulletin de la société botanique du nord de la France, 40 (1-2), p. 7-15.
Et ces regards en ligne sur cette plateforme SFE :
Faucon M.P., 2012. Trésor minéral et diversité végétale. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°32, 23 mai 2012.
Grison C., 2013. Chimie verte et ingénierie écologique. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°47, 6 juin 2013.
Lemoine G., 2013. La biodiversité des terrils. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°49, 16 septembre 2013.
Prévot-Julliard A-C., J. Clavel et P. Teillac-Deschamps, 2011. Les quatre R de la conservation. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°14, 22 mars 2011.
Thompson J. et O. Ronce, 2010. Fragmentation des habitats et dynamique de la biodiversité. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°6, 18 novembre 2010.
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Article édité par Anne Teyssèdre (pour cette plateforme SFE) et Cécile Breton (pour la version parue dans ESpèces n°12),
mis en ligne par Anne Teyssèdre.
Travail intéressant par son originalité. La recherche de l’origine des plantes, en particulier, montre à quel point le vivant reste mobile et opportuniste.
Les problèmes de gestion singuliers qui se posent méritent également qu’on s’y attarde (biotope pollué aux espèces précieuses…)
Pour ce qui concerne le lépidoptère, en revanche, il est extrêmement peu probable qu’il ait accepté une autre famille botanique (Plumbaginaceae) sur ce site – sa plante-hôte habituelle est une Fabaceae !
Bonjour,
Merci pour votre commentaire.
Lorsque j’ai touvé ce lépidoptère et imaginé qu’il pouvait être inféodé à autre chose que des Fabacées, on a, comme vous, émis de sérieux doutes… J’ai cherché d’autres données et pistes et il est très très probable que l’espèce utilise Armeria maritima.. j’ai quelques sources biblio qui tendent à le confirmer. Je vous envoie l’article que j’ai écrit si vous le souhaitez. Mon adresse courriel est en début d’article.
Cordialement,
Guillaume Lemoine
Bonjour,
La sensation d’une écologie un peu différente qui ressort de votre regard est agréable: L’histoire du lieu (des mines et des tontes) et celle du vivant (un amateur de miel, un papillon pensant « outside-the-box ») s’y retrouvent pour former une écologie vue comme une civilisation du vivant. Je pense cette logique civilisationnelle du vivant meilleure que celle systémique.
Seules les notions de services écosystémiques et de roche-mère m’ont légèrement gênées. Je trouve que ces deux mots transportent trop de story-telling (pour moi, un système ne peut pas être éco et une roche ne peut pas être mère ailleurs que dans des fables). Je me rassure en me disant que ces « story-telling » sont comme un passage obligé et qu’elles feront aussi un jour partie de notre patrimoine culturel au même titre que le géo-centrisme.
Félicitations pour ce regard et vos travaux, cordialement,
Michel Maruca
Bonjour Michel Maruca,
Je suis moi-même dubitatif sur la valeur scientifique et la pérennité du concept de service écosystémique, dont le nom sonne comme un nouveau buzzword (même s’il prend déjà de l’âge sans faiblir). Cependant, il y a autour de la question des pelouses métallicoles une discussion politique sur la nécessité de leur conservation. Dans ce contexte, la notion de service écosystémique est peut-être le moyen d’une bonne traduction de notre compréhension fondamentale du fonctionnement de ces communautés en interaction avec l’environnement abiotique en termes compréhensibles par les décideurs publics, et qui peuvent éveiller leur intérêt. Ici, l’efficacité justifie peut-être l’emploi du terme.
Cordialement,
Maxime
Merci pour ce bel article sur une biodiversité, surtout végétale, peu connue mais oh combien originale. J’espère que vous pourrez poursuivre vos études sur ces taxons et apportés encore des solutions pour la préservation de ces milieux.
cordialement,
Jean-Philippe
Bonjour Jean-Phillipe,
Merci pour ton commentaire. Je suis content d’apprendre que tu suis toujours (et défends!) cette thématique. L’histoire de la pensée calaminaire n’est pas terminée… J’espère que nous saurons l’écrire un peu plus encore.
Amicalement,
Maxime
Bonjour,
et merci pour cet article/regard, qui peut sous plusieurs aspects être rapproché du regard n°49 du même Guillaume Lemoine, sur la biodiversité des terrils du Nord de la France. En particulier, ces deux articles illustrent la grande mobilité d’une bonne partie des espèces animales et végétales, capables de coloniser rapidement (avec une vitesse variable selon les taxons) tout nouvel habitat répondant à leurs exigences écologiques – même s’il est situé à plusieurs centaines de kilomètres de leur aire habituelle de répartition.
Au plan théorique, dans ces deux cas, la modification importante des habitats imposée par les activités humaines devrait favoriser l’installation de deux grandes catégories d’espèces: d’une part des espèces spécialistes de ces nouveaux habitats (ou dont la niche écologique/climatique correspond aux paramètres de ces nouveaux habitats), et d’autre part des espèces généralistes, aux exigences écologiques très peu précises. C’est tout au moins ce que prédisent les modèles non neutres assumant une variation du degré de spécialisation des espèces à l’habitat (cf. Teyssèdre et Robert, Oikos 132, 2014).
Dans cet article, et dans le regard n°49 sur la biodiversité des terrils, vous semblez mentionner surtout des espèces spécialistes de ces nouveaux habitats. Avez-vous également observé la présence d’espèces généralistes, capables de s’adapter à ces habitats très anthropisés (mais présentes aussi dans d’autres habitats, plus ou moins modifiés par les activités humaines) ?
Bien cordialement,
Anne
Merci pour le commentaire.
Il y a en efet des quantités d’espèces généralistes sur les terrils miniers (bien que plutôt thermophiles), par contre je n’ai pas trouvé de similitude dans la faune des terrils et des pelouses.
Les espèces intéressantes/caractéristiques des terrils sont celles des espaces pionniers et minéraux (abeilles et guêpes sabulicoles), amphibiens des espaces minéraux (calamite, alyte, pélodyte), orthoptères des ourlets thermophiles et zones pionnières (oedipode turquoise, grillon domestique et grillon d’Italie) , oiseaux des pelouses et prairies sèches (tarrier pâtre, petit gravelot, alouette lulu, engoulevent d’Europe, pipit des arbres dans les boulaies.. ) et lézard des murailles..
Sur les pelouses calaminaires quelques orthoptères de friches herbacées.. mais à part le parc Péru (sur remblais calaminaires donc secs et drainants mais sur de très petites surfaces) les pelouses du bois des Asturies et de Mortagne du Nord, ce sont plutôt des prairies-ourlets à graminées (avoine élevée) sur terrains frais voire humides.. et c’est , en partie, sous couvert de peupleraies à peupliers euroaméricains… donc peu de similitudes.
Seul point d’intersection, c’est lorsque la pollution atmosphérique a touché des terrils miniers situés à proximité des usines de production de plomb ou zinc.
La belle végétation de Silène en photo dans le « Regard » s’est développée sur un terril situé juste au nord- est du site de Métaleurop (sous les vents dominants) !
Bien cordialement
Guillaume Lemoine
Merci pour ta réponse, Guillaume. L’absence d’espèces généralistes dans les pelouses calaminaires suggère que seules des espèces métallophiles sont capables de prospérer dans ces habitats pollués par le zinc et autres métaux lourds… Ce qui renvoie à la question du bien fondé de la préservation de ces pelouses !
NB: Cependant, si l’entretien des pelouses calaminaires du Parc Peru requiert des tontes pluriannuelles pour éviter la croissance de graminées pas particulièrment métallophiles, comme j’ai cru le comprendre, alors l’interprétation doit très être différente..
Amicalement,
Anne
Bonjour Anne,
Je connais mal les modèles non neutres dont vous parlez. Il est clair que dans notre cas, il y a une sélection à l’entrée très forte qui limite la colonisation aux espèces qui présentent la diversité génétique permettant de répondre à la sélection.
Je manie peu les concepts d’espèces généralistes et spécialistes. En ce qui nous concerne, l’arabette, l’armérie, le silene et même la pensée (ou ‘violette’) peuvent être considérées, en fonction de l’échelle géographique à laquelle on les observe (région? continent?) et du niveau taxonomique auquel on les place (espèce? sous-espèces? population localement adaptée), comme des pseudo-métallophytes (et c’est plutôt mon point de vue). C’est à dire présentes à la fois sur sols pollués et non pollués. D’une certaine façon, elles supportent des variations de concentrations en métaux dans le sol sur une gamme plus importante que la plupart des autres espèces. Peuvent-elles alors être considérés comme généralistes? L’espèce peut-être, la population localement adaptée surement bcp moins.
Symétriquement, les métallophytes absolues peuvent-elles être considérées comme spécialistes? Elles sont souvent présentes sur des sites métallifères primaires. Pas forcément des sites récemment perturbés donc car la pollution peut alors être très ancienne. L’adaptation sur le long terme a pu mener à la spéciation, la création d’une espèce spécialisée.
Y-a-t-il des modèles qui intègrent l’évolution des espèces et l’adaptation locale dans l’évolution des communautés? Ou qui intègre pour une espèce la possibilité de changer de catégorie (généraliste vs spécialiste)? il me semble qu’il y a une sorte de trade-off entre « généraliste » et « localement adapté », pas forcément visible dans la mesure où le premier concept, sans être fixiste, s’intéresse plutôt à l’espèce comme élément de la communauté, le second plutôt aux populations.
Cordialement,
Maxime
Bonsoir Maxime,
Ce qui compte, c’est la population concernée. (Ce sont les populations qui s’adaptent -ou non- et font évoluer les espèces…) Ainsi, une population/sous-espèce spécialiste peut évoluer au sein d’une espèce généralise, et vice versa, en fonction des conditions dominantes rencontrées. Au plan théorique et schématiquement, la stratégie « spécialiste » évolue en milieu stable, et inversement la stratégie « généraliste » évolue en réponse à un environnement variable. Cf. Futuyama et Moreno, 1988, The evolution of ecological specialization. Annu Rev Ecol Syst 19: 207–33.
Les modèles de communautés non neutres que j’étudie avec Alexandre Robert considèrent pour simplifier que les espèces d’une communauté peuvent être regroupées en plusieurs catégories de même degré de spécialisation écologique, avec une même dynamique démographique dans chaque catégorie.. Cette modélisation permet de rendre compte de nombreux patterns et processus observés sur le terrain depuis plus de vingt ans, dont notamment l’homogénéisation fonctionnelle croissante des communautés (cf. le regard n°16 de J. Clavel), mais aussi la relation aire-espèces empiriquement connue depuis plus d’un siècle. [Il s’agit d’ailleurs d’une variante du modèle neutre de Hubbell (2001), qui assume quant à lui l’équivalence écologique de toutes les espèces d’une communauté, et prédit également la relation aire-espèces.]
Un autre résultat intéressant de ces modèles, non prévu par les modèles neutres, est l’augmentation du nombre d’espèces locales et régionales en réponse à la modification du milieu en deçà d’un certain seuil de modification/perturbation (seuil qui dépend du groupe systémique considéré). Au plan empirique, une telle augmentation de la biodiversité locale a été mise en évidence en Europe (notamment dans les régions agricoles) et ailleurs depuis une douzaine d’années (et voir Dornelas et al., Science 344, avril 2014). Manifestement, ce seuil a été dépassé pour la plupart des groupes zoologiques dans « vos » pelouses calaminaires, puisque la biodiversité animale selon vos observations y est réduite…
Bien cordialement,
Anne