La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose cette semaine le regard d’Anne-Caroline Prévot, chercheuse en sciences de la conservation au Muséum National d’Histoire Naturelle, sur la dynamique des représentations de la nature dans nos contrées.
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions sur les forums de discussion qui suivent les articles; les auteurs vous répondront.
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Les représentations de la nature se simplifient-elles depuis 70 ans ?
Anne-Caroline Prévot
Chercheuse en sciences de la conservation au CESCO (UMR 7204), Muséum National d’Histoire Naturelle
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Mots clés : sciences de la conservation, déconnexion à la nature, communication
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Une hypothèse de déconnexion à la nature …
« Nos enfants sont beaucoup moins en contact avec la nature que nos grands-parents » ; « au temps de nos grands-parents, on connaissait beaucoup plus la nature »… Ces adages nous sont familiers, que nous les ayons pensés, formulés ou entendus. Ils ont d’ailleurs été plus ou moins récemment formalisés dans les concepts ou hypothèses scientifiques d’« extinction de l’expérience » (Pyle 2003) ou d’« amnésie environnementale générationnelle » (Kahn 1999) : dans nos sociétés occidentales, nous perdons peu à peu le contact avec notre environnement naturel proche, par nos modes de vie de plus en plus urbains, mais aussi par l’adhésion au paradigme dominant qui considère que le progrès technique permet de nous affranchir du monde naturel. La conséquence prédite de cette déconnexion est que, la nature faisant de moins en moins partie de leur construction identitaire (surtout en tant qu’enfant), nos concitoyens sont de moins en moins en demande de nature, ce qui permet aux politiques et autres décideurs de se sentir de moins en moins concernés. Selon ces hypothèses, nous sommes entrés dans un cercle vicieux qui participe à la crise de la protection de la nature et de l’environnement en général.
Cette hypothèse d’extinction de l’expérience est intellectuellement très attractive. Pour autant, elle n’est pas toujours facile à appréhender de manière concrète, surtout quand on évolue dans un cercle de personnes toutes concernées par la protection de la biodiversité, et donc a priori toutes « connectées » à la nature. C’est pourquoi, avec deux collègues, j’ai voulu tester cette hypothèse de l’extinction de l’expérience dans l’histoire contemporaine des sociétés occidentales, par une approche un peu décalée (Prévot-Julliard et al. 2014).
… Testée dans la filmographie Walt-Disney
Nous avons fait l’hypothèse que, si les adultes des générations qui se succèdent sont de moins en « connectés » avec la nature, leur représentation mentale de l’environnement naturel est de moins en moins riche et précise. Nous avons testé cette hypothèse chez une catégorie professionnelle très différente des conservationnistes, les créateurs de films d’animation. Nous avons choisi une société de production de films d’animation suffisamment représentative de la pensée occidentale et avec une histoire suffisamment longue, les studios Walt Disney. Nous avons donc étudié la représentation de la nature dans les 60 longs-métrages Walt-Disney (et Pixar) sortis en salle entre 1937 (Blanche-Neige) et 2010 (Raiponce). Nous avons considéré comme scène de nature tout paysage extérieur présentant au moins un élément végétal (arbre, plante, etc.). Plus précisément, nous avons considéré la représentation de la nature sous deux angles :
1) La présence de nature dans le film, c’est-à-dire la durée relative des scènes de nature parmi les scènes en extérieur.
2) La complexité de la nature représentée. Nous avons choisi comme indicateur de complexité le nombre d’« espèces » (i.e. de formes différentes) d’animaux présentés dans les décors, à l’exclusion des animaux-personnages, qui parlent ou qui ont un rôle dans l’action du film.
Nos résultats parlent d’eux-mêmes :
– Représentation de la nature : la durée relative des scènes dans des paysages de nature diminue avec l’année de production (P=0.001), passant de 80% en moyenne dans les années 1940 à 50% environ dans les années 2000 (cf. schéma ci-contre). Plus précisément, les années 1980 ont vu l’apparition de films où presque aucune scène d’extérieur n’incluait de nature (ex : Oliver et Cie 1988 ; Aladin 1992 ; Le Bossu de Notre Dame 1996 ; Monstres et Compagnie 2001 ; Ratatouille 2007).
– Complexité de la nature représentée : Même en contrôlant pour la durée des scènes d’extérieur, le nombre d’espèces animales dans les décors des films d’animation diminue avec l’année de production (P=0.001 : 22 espèces dans Blanche Neige en 1937, 26 dans Pinocchio en 1940, mais 6 espèces dans Mulan, 7 dans Lilo et Stich, 0 dans Chicken Little, 1 dans Indestructible…)
Ces résultats révèlent l’existence d’une extinction de l’expérience de nature chez les dessinateurs des films de Walt Disney, qui au cours des années, ont représenté la nature de moins en moins souvent et d’une façon de plus en plus simple (alors même que les discours explicites des films sont pro-nature). Ces représentations simplifiées peuvent avoir des effets auprès des publics jeunes auxquels ces films sont destinés et participer à leur échelle à l’extinction de l’expérience des générations futures. Mais pour autant, nous ne voulons pas imaginer que les seuls contacts avec la nature des jeunes occidentaux passent par les films Walt Disney…
Ce qui m’intéresse pourtant particulièrement dans cette étude, c’est qu’elle a mis en lumière une modification temporelle des représentations mentales de la nature chez une catégorie de personnes que nous pouvons considérer comme « naïve » par rapport aux enjeux de conservation. Peut-être représentative du fameux « grand public » que nous, conservationnistes, voudrions tant sensibiliser ?
Des implications pour la communication vers le « grand public » ?
Si ces personnes se représentent la nature de façon de plus en plus simple (voire simpliste ?), quel grand écart sommes-nous en train de faire, avec nos discours sur la complexité des relations entre les êtres vivants et leur environnement ?
Bien sûr, il n’est pas question de simplifier nos discours. Mais les psychologues et les éducateurs l’ont déjà montré, une notion trop en dissonance avec les représentations mentales préexistantes a peu de chances d’être acceptée et intégrée dans nos attitudes ultérieures. C’est le phénomène de dissonance cognitive de Festinger (1957), ou la notion de conceptions initiales de de Vecchi et coll. (1989).
Le fait que les représentations de la nature par les citoyens se simplifient est un processus sur lequel nous (scientifiques) avons peu de prise. A nous cependant de ne pas l’oublier, et d’adapter nos communications et discours pour ne pas être considérés de plus en plus comme des êtres à part, en marge de la société moderne.
Bibliographie
De Vecchi G. et Giordan A., 1989. L’enseignement scientifique, comment faire pour que « ça marche » ? Z’Editions
Festinger L., 1957. A theory of cognitive dissonance. Evanston, Row Peterson.
Kahn P.H, Jr 2002. Children’s affiliations with nature: structure, development, and the problem of environmental generational amnesia. Dans Children and nature: psychological, sociocultural, and evolutionary investigations (eds: P.H. Kahn Jr. et S.R. Kellert), MIT Press: 93-116.
Pyle R.M., 2003. Nature matrix: reconnecting people with nature. Oryx 37: 206-214.
Prévot-Julliard A.C., Julliard R. et Clayton S. 2014. Historical evidence for nature disconnection in a 70-year time series of Disney animated films. Public Understanding of Science, en ligne.
Et ces deux « regards » en ligne sur cette plateforme :
Prévot-Julliard A-C, J. Clavel & P. Teillac-Deschamp, 2011. Les quatre R de la conservation. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°14, 22 mars 2011.
Skandrani Z., 2013. Connais-toi toi-même (Socrate). Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°43, 14 mars 2013.
Article édité par Anne Teyssèdre.
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Mais où sont les vulgarisateurs nécessaires à l’accompagnement de la progression des connaissances ?
Bonjour,
Les vulgarisateurs sont là, et ils font bien leur travail, il me semble. Mais peut-être (sans doute) que la seule transmission de connaissances naturalistes n’est pas suffisante pour permettre à la plupart des personnes de se rapproche de la nature. C’est à mon avis pour trouver de nouvelles formes de communication et d’échanges sur la nature qui nous entoure que nous devons innover collectivement, et vite!
Anne-Caroline
D’où l’intérêt des projets de médiation scientifique et culturelle autour de la biodiversité et du fonctionnement des écosystèmes, en expansion (à l’échelle planétaire) depuis une quinzaine d’années, qui contribuent à la culture écologique des citoyens et favorisent leur « reconnexion à la nature ».
Parmi eux, je citerais en bonne place les observatoires citoyens et opérations de science participative, qui contribuent à « reconnecter » les citoyens avec la nature de deux façons: physiquement (par l’observation et les mesures sur le terrain) et intellectuellement (par l’information, le partage des analyses, la réflexion sur les résultats des recherches,… cf. le regard 11 à ce sujet). En France, les observatoires Vigie-Nature et l’observatoire des saisons comptent de nombreux participants, qui font à leur tour des adeptes de l’observation de terrain…
Sans oublier les projets alliant information scientifique dans de multiples domaines et dialogue sur la biodiversité entre experts et non experts… tels que cette plateforme « Regards et débats » de la SFE !
Merci pour cette analyse sur « la simplification de la représentation de la nature » à laquelle je ne peux que souscrire à 100%. Paradoxalement, alors que les moyens de connaitre la richesse et la complexité de celle-ci se sont considérablement développés, je note chaque jour l’incapacité d’une certaine catégorie de personnes à s’enrichir de toutes ses informations. Sur certains sujets critiques il se produit même comme une saturation dans leur esprit. Comme si elles vivaient elles-mêmes dans un monde parallèle à celui des êtres vivants qui leur est proposé de mieux connaître, et que leur mode de vie n’avait aucune incidence sur l’extinction des espèces. C’est souvent désespérant d’être confronté à cette imperméabilité. Je pense qu’il y a un énorme effort de communication à faire dans ce domaine. Je ne suis pas scientifique, mais je me situe exactement à la charnière de l’univers des scientifiques et de celui du grand public, puisque je suis dessinateur naturaliste, et particulièrement soucieux d’une représentation réaliste de la nature.
Certes il n’est pas question pour vous scientifiques de simplifier vos discours, mais ce serait aussi une erreur de s’appuyer sur des codes simplistes comme ceux dénoncé dans cette analyse, sous prétexte de réduire cette fameuse dissonance. J’ai été par exemple sidéré, lors de ma récente visite du nouveau Parc zoologique de Paris, de voir avec quelle puérilité ces sujets de sensibilisation de la nature ont été représentés graphiquement. Il n’y a pas un grand écart entre l’imaginaire développé dans les dessins animés de Walt Disney, et les représentations que j’ai pu voir sur les panneaux explicatifs. Il faut réinventer de nouvelles représentations, et laisser faire les artistes de talent qui sont nombreux. À chacun son métier.
Bien à vous,
Marcello
Bonjour,
et merci pour ce regard sur la filmographie Walt Disney. L’approche et les résultats me semblent très intéressants, mais la conclusion générale sans doute excessive. Si cette étude montre bien que les réalisateurs ou/et producteurs des films Disney se « déconnectent » progressivement de la nature depuis 70 ans, elle ne démontre pas une simplification générale des représentations de la nature (destinées aux enfants), même en considérant que les films d’animation sont « représentatifs de ces représentations ». Les productions Disney pourraient en effet ne pas refléter les tendances actuelles du cinéma d’animation en se tenant à une « niche filmographique » loin de la nature, et en laissant une place importante – en termes de places de cinéma vendues – à d’autres sociétés de production de films d’animation plus intéressées par la biodiversité.
Aux Etats-Unis, de nombreux films d’animation évoquant la biodiversité ont été produits depuis une quinzaine d’années, par des Sociétés de production telles que Dream Works (FourmiZ, Shrek 1 et 2, Madagascar 1 et 2, …) et Blue Sky Studios (L’Age de glace n°1 à 4, Rio 1 et 2, …), avec un grand succès international. Des millions (au bas mot) d’enfants dans le monde ont vu plusieurs de ces films. Même chose avec les films d’animation du japonais Hayao Miyazaki (Studios Ghibli), centrés sur la nature… Il n’est donc pas certain que la tendance « déconnexion à la nature » des films Walt Disney, mise en évidence dans cet article, soit représentative de l’ensemble des films d’animation vus par les enfants depuis 20 ans, en France et ailleurs.
Amicalement,
Anne
Bonjour,
Merci pour ces commentaires concernant les différents studios de production de dessins animés, aux Etats-Unis comme au Japon. Je ne peux que souscrire avec vous en espérant que les studios Walt Disney ne représentent pas la seule source d’inspiration des enfants occidentaux!
Si nous avons utilisé cette source d’information, c’est parce que c’est le plus vieux studio, et donc le seul qui nous permettait d’avoir une vision sur 70 ans.
Il serait intéressant de faire un travail similaire sur les films de Myasaki, où les décors naturels sont représentés avec beaucoup plus de détails et de profusion… Quant aux studios américains comme Dreamworks, certes ils représentent des scènes de nature (comme ceux de Disney), mais je ne suis pas si sûre que les décors (et non pas l’histoire) soient plus riches.
Mais là n’est pas la question: ce que nous montrons ici confirme juste ce qui est proposé dans d’autres sphères, à savoir une modification progressive de ce que les citoyens considèrent comme étant de la nature… et donc le fossé qui se creuse entre les naturalistes/écologues et le reste de la société. Notre propos ne voulait pas aller plus loin que cela.
Anne-Caroline
Merci pour cette analyse qui confirme une tendance générale de la société. Ce serait intéressant de faire la même analyse comparativement sur les dessins animés de Miyazaki et consorts du studio Ghibli, qui, certes, ne sont pas regardés par les enfants issus des mêmes milieux socio-pro, mais très connus quand même… La flore en particulier y est détaillée, précise et très riche.
bien à vous
Nina
Bonjour,
J’ai par ailleurs une autre remarque, sur la complexité de la relation entre représentation de la nature/information du public d’une part, et préservation de la biodiversité d’autre part. Dans une enquête sur l’efficacité des films d’animation à succès porteurs de messages conservationnistes (tels que Nemo, Rio, Madagascar..), mettant généralement en scène des animaux « anthropomorphisés » (langage et psychologie humaine), des chercheurs de l’Université de Singapour ont montré que l’impact de ces films peut être l’inverse de celui escompté, notamment en stimulant le désir d’animaux de compagnie des spectateurs – c’est le syndrome « Bambi » – et donc le trafic d’espèces (Yong et al., 2011).
Ainsi, les ventes de poissons-clowns (Amphiprion sp.) ont significativement augmenté dans la région Indo-Pacifique après la diffusion en 2003 du film d’animation Nemo, qui dénonce pourtant les dangers du trafic de poissons « d’aquarium » pour les récifs coralliens et pour les nombreuses espèces vulnérables qui y vivent. [De même, la possession d’une chouette Harfang par le héros Harry Potter des films éponymes a stimulé le trafic de chouettes et hiboux dans divers pays, dont l’Inde.]
Cinéma d’animation sur la nature ne rime pas nécessairement avec « reconnexion » du public à la nature. Jouer sur la corde « sensibilité aux espèces attachantes » des spectateurs peut être destructeur pour les écosystèmes et la biodiversité, via le syndrome Bambi. (Et l’anthropomorphisation des animaux et végétaux semble un outil à double tranchant…)
[Notons que cet effet paradoxal d’une action conçue comme « conservationniste » sur la biodiversité est comparable à celui, mis en évidence par F. Courchamp et al. en 2006, de l’inscription par la CITES de nouvelles espèces animales ou végétales sur sa liste d’espèces interdites de capture, transport et vente : une reconnaissance officielle internationale de la rareté d’une espèce augmente de facto sa valeur pour les collectionneurs, donc la demande sur le marché (illégal) des espèces rares, donc le prix de vente de cette espèce sur ce marché, donc les efforts de capture par les braconniers et de trafic par les revendeurs…]
Bonjour,
Serait-il possible d’avoir la référence de l’enquête dont vous parlez, s’il-vous-plait ?
Merci d’avance.
Bonjour,
(Il y a bien sûr plusieurs articles sur le sujet.) Voici la référence détaillée de l’article de Yong et al. cité dans mon commentaire:
Yong D.L., Fam S.D & S. Lum, 2011. Reel conservation: Can big screen animation save tropical biodiversity? Tropical Conservation Science Vol.4 (3):244-253, 2011.
Bien cordialement,
Anne
Je suis très impressionné par cette approche originale sur les représentations de la nature. Je regrette de ne pas avoir accès à l’article original.
Si je peux apporter une (très modeste) contribution, votre approche montre aussi que les films d’animation récents ont des plus grandes variations de durée de représentation de la nature que les films anciens. Il y a une variété dans la représentation (ou non-représentation) plus grande. Ce qui différencie le présent du passé est ainsi peut être plus l’existence de films quasiment sans représentation de la nature – qui existent désormais mais qui étaient à peu près inexistants auparavant -plutôt que la diminution de la valeur moyenne.
Il me semble que ce phénomène est lié à la vie du public des films d’animation qui est désormais plus urbain. Les créateurs de films d’animation pensent peut-être inconsciemment que l’identification des enfants dans leur film est ainsi plus facile. Un conte de fée a toujours un côté merveilleux et irréel, mais le monde de la campagne dans lequel son héros ou son héroïne évolue le plus souvent était finalement encore assez familier pour les enfants du début du XXème siècle. De nos jours, ce n’est évidemment plus le cas. Pour que le merveilleux opère et surprenne le jeune spectateur, les créateurs de films d’animation estiment peut-être qu’il faille partir d’une situation qui soit familière. C’est malheureusement rarement le cas de la campagne pour les jeunes spectateurs actuels qui sont souvent très urbains. Dans les films récents, le merveilleux apparait donc à partir de situations plus quotidiennes et plus urbaines (e.g. comme dans Toy Story).
Une façon de confirmer cette hypothèse de l’identification serait de vérifier si le succès de ces films est lié à la proximité culturelle du spectateur, en cherchant par exemple si les films les plus naturalistes ont plus de succès dans les départements ruraux que les films les plus urbains.
Avec mes meilleures salutations,
Bonjour,
Votre commentaire est très pertinent, la tendance que nous observons est effectivement due à l’apparition dans les années 80-85 de films dans des décors sans nature verte du tout (ou très peu).
C’est peut-être du à une tendance de placer les histoires dans des mondes connus des spectateurs visés (de plus en plus citadins)… Mais tout cela va dans le même sens.
Bien cordialement
Anne-Caroline
Bonjour
Je trouve le principe de cette étude très intéressant. Parmi les biais possibles, il y a la technologie de fabrication des images : l’image de synthèse, qui remplace désormais le dessin animé, a beaucoup progressé, mais il n’en reste pas moins plus difficile d’animer de manière crédible un animal, qui peut changer de forme de manière complexe, plutôt qu’une voiture qui sourit. D’instinct, sans vérifier, j’ai l’impression qu’on anime moins de chats que de chiens, or ces deux animaux sont également connus du public et tous deux populaires, mais la souplesse du chat le rend autrement difficile à représenter en mouvement de manière convaincante. Enfin c’est une hypothèse, mais ça n’explique pas tout : la 3D progresse, justement (on a commencé à représenter des jouets, puis des insectes,…).
Pour sortir du dessin animé, j’ai le souvenir terrible de la réouverture de la Grande Galerie du Muséum, il y a vingt ans. J’avais un peu connu la galerie fermée, et je sais que, à l’occasion de la réouverture, on a jeté à la benne plusieurs dizaines de milliers d’animaux empaillés, car ils étaient abîmés ou en doublon (notamment parmi les espèces d’oiseaux). Le résultat est un musée moins scientifique/exhaustif qu’une jolie image de la nature, avec un défilé d’animaux connus de tous les enfants (la girafe, l’éléphant,…) qui défilent deux par deux, à la manière des représentations de l’Arche de Noé. Le ciel, lui, est devenu une peinture (la verrière était dangereuse). Résultat : une nature simplifiée, un musée scientifique transformé en chromo pseudo-pédagogique… Cette réfection m’avait désespéré, et j’y voyais un refus de la science, mais votre travail y apporte un éclairage neuf, pour moi.
Je ne suis pas assez compétente en muséologie pour apporter un quelconque commentaire à vos remarques sur la Grande galerie du Muséum. Le Muséum national d’histoire naturelle a aussi des chercheurs..!
Bonjour,
si j’ai bien compris, on dit souvent qu’aujourd’hui une « déconnexion de la nature » participe[rait] à la crise de la protection de la nature et de l’environnement en général. L’idée implicite ici est donc qu’une [re]connexion à la nature aiderait à résoudre la crise de la protection de la nature et de l’environnement en général. Cependant, j’ai au contraire l’impression (complètement non fondée) que pour s’intéresser à la protection de la nature, il ne faut pas en avoir directement besoin. En gros, plus on l’utilise, et plus on est réticent aux mesures de protection. Et si, « avant », on y était plus « connectés », c’était dans une relation de services, qui aurait donc au contraire été un frein à la protection.
Je pense que ma position est totalement naïve, aussi je me demandais si vous auriez des références à me conseiller sur la question, et notamment des études du profil socio-professionnel et des trajectoires des personnes qui s’intéressent à la protection de l’environnement ?
Bien à vous,
Elise
Bonjour,
En attendant la réponse d’Anne-Caroline, j’aimerais réagir à ce commentaire-question d’Elise par cette remarque et réponse partielle: En tant qu’être vivant, chaque être humain est immergé dans un écosystème (ouvert) dont les variables physiques, chimiques et biologiques résultent et dépendent de l’activité de réseaux d’espèces, en interaction entre elles et avec leur biotope. Aucun organisme, humain ou non, ne peut survivre isolé, hors d’un écosystème – ou hors de la nature en d’autres termes. Bref, tous les humains ont « besoin » de la nature : ils ne peuvent vivre par exemple sans respirer (l’oxygène diatomique de l’air est un produit de la photosynthèse végétale), boire (la pérennité de la ressource en eau douce résulte d’un cycle hydrogéologique « naturel », modifié ou non par l’activité de nombreux organismes) ou manger (nourriture organique, d’origine principalement végétale et animale).
[En développant le concept de « service écosystémique », des écologues ont exploré les grandes fonctions des écosystèmes dont dépendent les humains (cf. par exemple les regards n°4 et 30). Ils ont ainsi pointé aux yeux des médias et du public les multiples liens/interdépendances entre biodiversité et sociétés.]
La déconnexion des humains à la nature, qui reflète notamment l’appauvrissement en biodiversité des habitats humains, renvoie aux représentations mentales de la nature. Les citadins sont plus exposés à cette déconnexion, mais pas pour autant moins dépendants de la « nature », c-à-d. du fonctionnement et de la diversité des écosystèmes.
Article de synthèse conseillé:
Miller J.R., 2005. Biodiversity conservation and the extinction of experience. Trends in Ecol. Evol. 20(8) : 430-434.
Bonjour
Pour moi, la « déconnexion » avec la nature est liée à la perte de la reconnaissance des liens que nous avons avec la nature et la biodiversité. Les humains ont en effet des liens forts avec la biodiversité, qui sont décrits par la notion de services écosystémiques (MEA 2005). Mais dans les sociétés occidentales, ces liens sont de plus en plus distendus, ils passent par beaucoup d’intermédiaires, et chaque individu peut avoir l’image d’une vie indépendante de la nature et de la biodiversité. Le paradigme du progrès technique comme solution à tous les problèmes est encore très présent.
Des auteurs comme Dunlap et coll (1978, 2000) ont identifié cette vision du monde comme le Paradigme Social Dominant, et ont proposé une nouvelle vision du monde, le « New Ecological Paradigm » (NEP). Mais nos sociétés ne sont pas (encore) sur le chemin du changement.
D’autres auteurs ont cherché à comprendre les fondations de comportements pro-environnement. Je pense à Chawla (1999) par exemple, qui dit que les personnes engagées dans le militantisme pro-environnement disent avoir eu gout à ca pendant leur enfance et avec leurs proches. De nombreux psychologues relèvent l’importance de l’intégration de la nature dans la construction de sa propre identité, par des contacts et des imprégnations, des expériences de nature pendant l’enfance, pas toujours cadrées par les adultes et l’éducation.
J’espère que cela répond un peu aux questions posées. La suite – comment arriver à changer les choses- est à inventer ensemble, mais ca risque de demander au moins autant qu’une révolution ! 🙂
Bien à vous
Chawla, L. (1999). Life paths into effective environmental action. Journal of Environmental Education 31: 15-26.
Dunlap, R. E., K. D. Van Liere, et al. (2000). Measuring endorsement of the New Ecological Paradigm: a revised NEP scale. Journal of Social Issues 56: 425-442.
Bonjour,
et merci pour ces deux réponses. Je pense que l’article de Chawla est un bon début pour répondre à la question que je me posais. A la relecture je me rends compte que ma question n’était pas bien posée, aussi je la reformule de manière un peu plus claire.
Ayant moi-même travaillé au Muséum et sur les services écosystémiques, je suis bien consciente de l’enjeu que posent ces questions de biodiversité/rapport à la nature/représentations. Cependant, lors de certains entretiens que j’ai pu réaliser je me suis rendue compte que pour une certaine génération de ruraux, si la protection de la nature c’est important, cela concerne seulement les espèces « utiles » (selon leur point de vue) : il ne s’agirait pas de protéger des « nuisibles ». J’ai donc pensé que pour se permettre d’avoir un discours pro-environnemental il fallait être soi-même non-dépendant, pour ses revenus mensuels et son gagne-pain – pas dans l’absolu, bien sûr – des ressources naturelles. Si on va plus loin, on peut même imaginer que le lien « d’antan » à la nature était un lien d’exploitation, donc incompatible avec l’idée de préservation, etc. ; et que la « déconnexion » qu’on observe aujourd’hui peut paradoxalement permettre de revenir vers la nature avec des idées de protection.
Cependant ce point de vue me paraît très caricatural et grossier – en gros, agriculteurs d’un côté, professions intellos de l’autre – et complètement décontextualisé/a-historique. C’est pour cela que je souhaitais savoir si des travaux s’étaient penchés sur cette question de l’appétance pour la préservation de la biodiversité.
Merci à toutes les deux !
Elise
Bonjour,
D’abord merci pour ce travail véritablement original et très intéressant.
Je souhaite simplement poser une question à propos des films proposés par Disney : je suis étonné de voir une nouvelle production de long-métrages (que je n’ai pas vu) mais qui est spécialisée sur une nature majestueuse, symbolique et sauvage : les films récents sur les félins (2011), les chimpanzés (2012) et les grizzlis (2014). Ce constat n’enlève rien à la pertinence de votre analyse : les « classiques » de Disney qui participe à forger l’identité culturelle de nombreux enfants à travers le monde présentent une nature de plus en plus simplifiée. Cela étant dit, Disney, un peu à l’image de ce que nous observons dans la société, dissocie désormais la nature des sociétés humaines : la nature c’est loin, là-bas, dans les parcs nationaux. Elle est splendide et majestueuse mais l’homme n’y pas vraiment sa place. Mais on s’y intéresse quand même : à l’époque du Roi lion, seul Cousteau proposait des longs-métrages ayant la « wilderness » comme décor.
Peut-être que ce constat peut également compléter votre analyse.
Merci à vous,
Loïs.