La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose cette semaine le regard de Louis de Redon, Maître de conférence à AgroParisTEch, sur les prochains développements du Droit français de l’Environnement.
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions sur les forums de discussion qui suivent les articles; les auteurs vous répondront.
2014, année décisive pour le Droit français de l’Environnement ?
par Louis de Redon
Maître de conférences et co-responsable du Master spécialisé ALISéE à AgroParisTech
Chercheur associé en Droit de l’environnement au CEDAG, EA 1516, Université Paris Descartes
Avocat au barreau de New York
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Mots clés : Droit de l’Environnement, Agence française pour la Biodiversité, Code civil, préservation de la biodiversité, habitats, société, relation Homme-Nature, dommages-intérêts, Loi, Parlement, préjudice environnemental, réparation et responsabilités.
Introduction
Le droit français de l’environnement est paradoxal. Son ancienneté est une réalité de terrain remontant au moins aux édits de Colbert de 1669 sur la protection de la forêt, mais son affirmation comme discipline juridique est très récente. En effet, c’est dans le sillage du premier Sommet de la Terre de 1972 que l’écologie politique se fait connaître des français grâce à la candidature de René DUMONT, professeur à l’Institut national agronomique de Paris-Grignon, aux élections présidentielles de 1974. Si le score obtenu est faible (1,32%), l’écologie a cependant marqué des points et c’est dans la continuité de cette candidature que les premières grandes lois environnementales sont prises et assumées comme telles. Dès 1976, deux lois sont ainsi adoptées : la grande loi sur la protection de la nature (voir ce lien) et la loi sur les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE, voir cet autre lien). La construction du droit de l’environnement est en marche.
Loi après loi, décret après décret, le millefeuille juridique que nous connaissons aujourd’hui se construit. Les normes se multiplient parfois sans réelle cohérence d’ensemble. Vingt-cinq années se sont écoulées depuis la naissance du droit de l’environnement quand il est décidé en 2000 de moderniser et de faciliter l’accès à cette discipline technique en la dotant d’un code.
Le Code de l’Environnement sera construit à « droit constant » durant sept années par voie d’ordonnances. Cela signifie que le Parlement a autorisé le Gouvernement à réorganiser le droit de l’environnement au sein d’un code dédié en lui interdisant de toucher aux normes elles-mêmes. Il s’agit donc d’une réorganisation purement formelle et logique excluant tout changement au fond. En 2008, le premier Code de l’environnement complet est donc disponible, garantissant une meilleure efficacité du droit sur le terrain à travers un accès facilité pour les usagers à la norme juridique.Entre-temps, en 2004, la Charte de l’environnement a constitutionnalisé quatre grands principes du droit de l’environnement : principe de prévention, principe de précaution, principe pollueur-payeur et principe de participation. Adossée à la Constitution, la Charte de l’environnement garantit que la Loi s’inscrit dans le respect des obligations du développement durable. La loi nouvelle, à travers la saisine a priori du Conseil constitutionnel, tout comme la loi ancienne, grâce à la nouvelle procédure de contrôle a posteriori, la « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) instaurée en 2009, ont désormais une obligation de compatibilité avec ces grands principes du droit de l’environnement.
Que de chemin parcouru en presque 40 ans ! Le bilan est cependant amer. Si les outils juridiques sont désormais disponibles, leur efficacité est très relative. Le droit de l’environnement est un droit complexe et peu connu. Etudié à la faculté de droit uniquement au niveau master par ceux qui font la démarche d’aller à sa rencontre, la grande majorité des praticiens du droit n’abordent jamais cette discipline jamais avant leur entrée dans la vie active. Ainsi, un certain nombre de réformes sont demandées par les spécialistes notamment dans le domaine de la protection de la biodiversité afin de moderniser le droit de l’environnement, mais aussi pour le simplifier et renforcer son effectivité.
Parmi les pistes proposées, trois devraient se concrétiser dans les mois qui viennent :
– Inscription du préjudice écologique dans le Code civil (A),
– Adoption d’une loi-cadre pour la biodiversité prévoyant la création d’une Agence française pour la Biodiversité (B),
– Généralisation de la procédure de transaction pénale à l’ensemble du Code de l’environnement (C).
L’année 2014 sera donc chargée et pourrait être un tournant pour les politiques de protection de la biodiversité.
A. Inscription du préjudice écologique dans le code civil
En droit civil général, un dommage est l’ensemble des atteintes portées à un bien ou à une personne. Il peut donc être source de préjudices en affectant des victimes dans leurs droits patrimoniaux comme extrapatrimoniaux. Tout dommage peut donc être à l’origine d’un certain nombre de préjudices juridiquement réparables : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » (Art. 1382 C. Civ.) La réparation s’effectue soit en nature, soit monétairement avec des dommages-intérêts.
En conséquence, si un dommage est causé mais que personne n’en subit un préjudice, le Code civil ne prévoit pas de réparation. Cela n’est pas sans conséquence dans le domaine de l’environnement car la Nature, comme l’ensemble des êtres vivants non humains, ne dispose pas de la personnalité juridique et ne saurait donc recevoir une indemnisation pour un dommage subit. Le seul moyen d’obliger à réparer un dommage environnemental est d’identifier des personnes, sujets de droit, qui subissent un préjudice. Ces personnes sont de deux types : des personnes physiques et morales lésées dans leur patrimoine par ledit dommage environnemental, sur la base de l’article 1382 du Code civil; et des associations, personnes morales dont l’objet est la protection de l’environnement, sur la base de l’article 142-2 du Code de l’environnement (« Les associations agréées (…) peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre (…) »).
La jurisprudence « Erika », bien qu’étant une avancée certaine dans la reconnaissance du préjudice écologique, a montré les limites de ce système de responsabilité pour une réparation efficace des préjudices portés à l’environnement lui-même (Baflush 2013, Boutonnet 2013, Trébulle 2013). La responsabilité n’existant qu’à travers des personnes morales ou physiques agissant pour leur propre compte, le préjudice écologique « pur » est rarement réparé intégralement, contrevenant ainsi au principe de la réparation intégrale des préjudices : « doit être réparé tout le préjudice, mais rien que le préjudice ». Ainsi dès février 2012, le Club des Juristes, important groupe de réflexion dans le domaine du droit, proposait, à travers un rapport publié par sa commission « environnement », l’inscription du préjudice écologique dans le Code civil (Aguila 2012).
L’idée a fait son chemin jusqu’au Sénat où une proposition de loi déposée par M. Bruno RETAILLEAU, sénateur de Vendée, inscrivant ledit préjudice écologique au Code civil a été adoptée à l’unanimité le 16 mai 2013. Le texte composé d’un article unique disposait que « toute personne qui cause un dommage à l’environnement est tenue de le réparer » et affirmait un principe de réparation à effectuer prioritairement en nature (c’est à dire par une remise en état avant le paiement de dommages-intérêts).
Le texte a été transmis à l’Assemblée nationale mais n’a pas été inscrit par le Gouvernement à l’ordre du jour. En effet, la Garde des Sceaux, Mme Christiane TAUBIRA, a chargé une commission dirigée par M. Yves JEGOUZO, professeur de droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, de rédiger un rapport sur la réparation du préjudice écologique, de manière à soumettre au Parlement un projet de loi sur le sujet au printemps 2014. Le document a été remis à la Chancellerie en septembre dernier et une consultation publique a été engagée autour des propositions faites à la Ministre.
Parmi celles-ci, il est utile de noter que la commission préconise la création d’une haute autorité environnementale pour gérer un fonds environnemental qui serait alimenté par les dommages-intérêts collectés pour la réparation des préjudices écologiques. En effet, le devenir des sommes allouées par la justice est une des grandes questions soulevées par le rapport comme par un grand nombre de praticiens.
Enfin, si le projet de loi était adopté, des besoins importants en expertise environnementale seraient créés : la question de l’évaluation du dommage environnemental deviendra l’élément clef des actions à venir. Il s’agira de réparer le dommage causé à l’environnement mais pas plus, ni moins… Les aspects méthodologiques seront donc centraux et les scientifiques devront donc, par exemple, fournir des protocoles précis et validés pour évaluer financièrement les atteintes portées à la biodiversité.
B. Projet de loi cadre pour la biodiversité
Comme annoncé dès septembre 2012 à la première conférence environnementale du président François HOLLANDE, et malgré quelques retards, un projet de loi-cadre pour la biodiversité devrait être déposé au Parlement au mois de mars prochain après avis du Conseil d’Etat. Le projet de loi comporte six titres (Redon 2012) :
Titre Ier – Grandes orientations
Le texte modifié datant de la loi sur la Nature de 1976 précédemment citée, cette « mise à jour » était attendue. L’idée est d’étendre les politiques de protection de la biodiversité à la nature ordinaire en affirmant dans la Loi le caractère dynamique des écosystèmes et évolutif des espèces.
Pour la protection des sols, dernier milieu naturel non protégé par la Loi tant au niveau national qu’européen, la porte d’entrée choisie est celle de géodiversité. Ce choix est à saluer. Enfin, deux principes nouveaux sont ajoutés au Code l’environnement : (1) le « principe de compensation » complètera « les principes visant à l’évitement puis à la réduction des atteintes portées à la biodiversité » en incluant « la valeur écologique de la biodiversité impactée » ; et (2) le « principe de solidarité écologique » permettra de « prendre en compte l’interdépendance des êtres vivants, dont l’homme, entre eux et avec les milieux naturels ou aménagés, dans toute prise de décision publique ayant une incidence sur les écosystèmes ».
(*) : Selon Serrano et Ruiz-Flaño (2003), la « géodiversité » peut être définie comme les éléments constitutifs de l’environnement physique qui participent à la richesse des biotopes, écosystèmes et paysages.
Titre II – Gouvernance
Un chapitre « Institutions relatives à la biodiversité » sera créé dans le Code de l’environnement. Parmi ces institutions figurera un « Comité national de la biodiversité » (CNB) et six missions lui seront dévolues : (1) il donnera « un avis sur les projets de loi, d’ordonnance et de décret » concernant « la gestion, la préservation et la restauration de la biodiversité continentale et marine » ; (2) il élaborera et suivra « la mise en œuvre de la stratégie nationale pour la biodiversité » ; (3) il donnera un avis sur « les projets de documents de stratégie ou de planification nationale, ou projets relevant du national dès lors qu’ils traitent expressément de la biodiversité, ou sont susceptibles d’avoir un effet direct et significatif sur celle-ci » ; (4) il constituera « un lieu d’information et d’échange sur les questions stratégiques liées à la biodiversité » ; (5) il donnera « son avis sur les conditions d’exercice de la chasse et des équilibres cynégétiques » ; et (6) il pourra enfin « être consulté par le Gouvernement sur tout sujet relatif à la biodiversité ». Le CNB se substituera par ailleurs au Comité national « trames vertes et bleues ».
Titre III – Création de l’Agence française de la biodiversité (AFB)
La création tant attendue d’une « Agence française pour la biodiversité » est prévue dans projet de loi-cadre. Malheureusement, dans un contexte de disette budgétaire, ce sera un agence a minima bien loin des grands espoirs que l’annonce de sa création avaient suscités (Redon 2014, Redon 2013a). En effet, dès février 2013, MM. Jean-Marc MICHEL et Bernard CHEVASSU-AU-LOUIS avaient rendu un rapport de préfiguration au Ministre de l’environnement explorant divers scenarios plus ou moins ambitieux (Redon 2013b). De leur proposition d’une grande agence fusionnant les multiples acteurs de la protection de la biodiversité (Conservatoire du littoral, parcs nationaux, Office national des Forêts-ONF, Office national de la Chasse, de la Faune et de la Flore sauvages-ONCFS, Office national de l’Eau et des Milieux aquatiques-ONEMA, etc.), il ne reste finalement qu’une structure de coordination dépourvue, à ce jour, de tout financement.
En date du 7 novembre 2013, le projet de loi-cadre contient dix articles créant notamment des nouveaux principes du droit de l’environnement et un conseil d’administration pour l’Agence. Ainsi il est créé un « principe de rattachement » inséré dans le chapitre « Institutions intervenant dans le domaine de la protection de l’environnement » du Code de l’environnement. L’objectif de cet article est de permettre à l’Agence française pour la biodiversité (AFB) une mise en commun de compétences et de moyens avec d’autres établissements ayant, parmi leurs missions, des objectifs de protection de la biodiversité. Cet article fait donc office de compromis entre les organismes existants et la nouvelle agence. De nombreux experts regrettent l’absence du « principe de non-régression ».
La gouvernance de l’Agence sera assurée par conseil d’administration composé de deux collèges. Le « premier collège » sera constitué de représentants des ministères et des établissement publics nationaux représentant au moins la moitié du conseil. Le « deuxième collège » comprendra des représentants des collectivités territoriales, des représentants d’associations agréées de protection de l’environnement, des gestionnaires d’espaces naturels et un représentant élu des personnels de l’agence. Alors que deux députés et deux sénateurs siègeront aussi dans ce conseil, il sera permis de regretter l’absence de scientifiques. Enfin, dans un contexte économiquement difficile, de nombreuses pistes de financement sont lancées mais elles ne sont ni convaincantes ni suffisamment détaillées pour savoir de quoi il s’agira vraiment et il est à craindre que l’Agence ne soit pas pourvue des moyens de son ambition.
En outre, il est regrettable qu’aucune réflexion d’ensemble n’ait été menée sur la place réelle à prendre par la future AFB dans le futur cadre juridique de la responsabilité civile environnementale. En effet, comme nous l’avons vu plus haut, si la réparation du préjudice écologique venait à être consacrée dans le Code civil, la question de l’allocation des dommages-intérêts par le juge serait posée. On aurait pu imaginer que l’AFB puisse être la haute autorité environnementale préconisée par le rapport Jégouzo dans le domaine de la protection de la biodiversité. Ainsi, dans le cadre de dommages causés à la biodiversité, atteintes aux écosystèmes ou à des espèces protégées par exemple, l’Agence aurait pu porter l’action en justice et recevoir la compensation financière qu’elle pourrait ainsi réinvestir dans ses politiques de protection. Il n’en est malheureusement rien à ce jour.Titre IV – Accès aux ressources génétiques
Des arbitrages sont encore attendus sur ce sujet qui a pour objet l’intégration du protocole de Nagoya dans notre corpus juridique interne (le Protocole de Nagoya concerne l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation) ;
Titre V – Outils de préservation de la biodiversité
Ce titre sera sans conteste le plus long et le plus technique de la loi. Alors que la diversité des outils juridiques dans le domaine de la protection de l’environnement, conjuguée à leur complexité technique, est devenue insupportable à beaucoup d’acteurs de la biodiversité, le titre aura deux objets. Premièrement, il s’agira d’« apporter de la lisibilité et simplifier la gestion des espaces naturels et la protection des espèces » à travers (1) l’adaptation des procédures du Code de l’environnement aux enjeux de la protection de la biodiversité et (2) la simplification des moyens d’action des différents acteurs. Secondement, la loi devra « renforcer l’action en faveur de la biodiversité » notamment grâce (a) à la création de nouveaux outils efficients et adaptés à la protection du milieu marin et littoral, (b) à l’élargissement des dispositifs actuels et pertinents de gestion et de protection de la biodiversité aux situations qui le nécessitent, et (c) à la recherche d’une meilleure efficacité des polices de l’environnement;
Titre VI – Paysages
La partie « Paysage » du Code de l’environnement actuel sera développé et divisé en trois sections. La section 1 « Définition et reconnaissance des paysages » comportera une définition des paysages : « Partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations ». Les paysages remarquables comme ordinaires ou dégradés sont visés, incluant les espaces naturels, ruraux, urbains et périurbains. La section 2 : « Engagements généraux » consacrera l’« objectif de préserver durablement la qualité et la diversité des paysages » et la nécessité de mettre en place des « atlas de paysages » aux échelles régionales et départementales qui seront des outils pour l’intégration d’une politique des paysages aux actions menées par l’État, ses collectivités et leurs établissements publics. Enfin, la section 3 « Protections particulières » sera constituée des deux articles déjà existant relatifs aux plans d’occupation des sols et à la mise en valeur des territoires.
C. La transaction pénale étendue à l’ensemble du code de l’environnement
Le bilan sur l’efficacité du droit pénal de l’environnement dressé par le rapport interministériel sur le renforcement et la structuration des polices de l’environnement en 2005 est catastrophique. Ainsi en Ile de France, bien que 81% des infractions à l’environnement soient « poursuivables » (c’est à dire que les auteurs des infractions soient connus), contre 24% en moyenne générale, la proportion des atteintes à l’environnement faisant l’objet de sanction est très faible : environ 10%. Alors que 71% des affaires effectivement poursuivies sont passibles de peine d’emprisonnement, peu de peines privatives de liberté sont prononcées (270 peines de prison dont 230 avec sursis – NB : tous les chiffres qui suivent sont des statistiques de 2003 pour l’ensemble de la France). Le montant moyen des amendes prononcées est en outre faible (2.400 €). Les peines de substitutions existent, comme les travaux d’intérêt général, mais sont peu utilisées (216) et les mesures éducatives quasi-inexistantes (12). Des dispenses de peine sont aussi prononcées par les juges (285)… Par ailleurs, entre 1996 et 2002, le nombre de condamnations pour des délits est passé de 1.200 à 800, et celui des contraventions de 4.500 à 2.000.
Le législateur a donc décidé de renforcer l’efficacité du droit pénal de l’environnement sans pour autant surcharger des tribunaux déjà dépassés et encombrés. Il existe en effet, depuis l’Ancien Régime, un moyen contestable pour punir les contrevenants et éteindre l’action publique sans recourir pour autant aux lourdeurs judiciaires : il s’agit de la « transaction pénale ». En procédure pénale, la transaction est une alternative aux poursuites : une autorité publique habilitée propose à l’auteur présumé d’une infraction de payer une certaine somme d’argent et, s’il accepte, il ne sera pas poursuivi.
Cette procédure est utilisée depuis longtemps dans le cadre d’infractions fiscales mais aussi dans le domaine des eaux et des forêts pour les atteintes à l’environnement. A défaut de donner des moyens supplémentaires à la justice pour traiter les infractions environnementales, ou de créer des juridictions spécialisées dans l’environnement (comme cela existe pour le droit du travail avec les Prud’hommes ou pour le droit commercial avec le tribunal de commerce), le Gouvernement a donc décidé de généraliser la transaction pénale à toutes les infractions du Code de l’environnement par voie d’ordonnance (donc sans débat parlementaire sur le sujet).
Il est important de noter que cette transaction est très avantageuse pour les délinquants présumés dans la mesure où, s’ils décident de transiger, ils ne risqueront au pire qu’une amende transactionnelle ne pouvant pas excéder le tiers du montant encouru (par exemple, le délit de pollution des eaux, puni de 75.000 € d’amende par l’article L. 216-6 du Code l’environnement, ne pourra être sanctionné que d’une amende transactionnelle maximale de 25.000 €).Beaucoup d’associations voient dans la généralisation de cette procédure une profonde régression du droit pénal de l’environnement et une réponse inadaptée à son inefficacité. Ceci explique la grande difficulté pour le Gouvernement à publier le décret d’application qui se fait attendre depuis plus d’un an. Ce décret fixe la procédure de transaction et désigne le préfet comme l’autorité administrative compétente. Ce choix est discutable dans la mesure où les préfets ne sont pas des autorités environnementales et qu’ils ont toujours d’autres intérêts à considérer, parfois prioritaires. Peut-être le lien avec la future Agence française pour la biodiversité aurait-il pu être fait. En effet, comme autorité administrative indépendante et compétente dans le domaine de la biodiversité, celle-ci aurait pu être chargée de transiger avec les auteurs d’infractions entrant dans son champ de compétences.
Par ailleurs, telle que prévue dans le projet de décret, la transaction sera secrète. Or, comme le souligne Me Christian HUGLO, dans son ouvrage « Avocat pour l’environnement » (Huglo 2012), le droit de l’environnement s’est avant tout construit devant le juge. Il ne fait par ailleurs aucun doute que les délinquants environnementaux préfèreront payer rapidement et discrètement une transaction que de se retrouver exposés publiquement par une mise en examen ou un procès, à plus forte raison s’ils sont de grands groupes soucieux de leur image. Enfin, beaucoup d’indemnisations de victimes de délits environnementaux ont été rendues possibles grâce à la procédure d’instruction. Il est difficile pour des victimes d’établir les faits par eux-mêmes, et le dépôt d’une plainte permet d’activer l’action publique et la nomination d’un juge d’instruction qui apporte ainsi le concours des nombreux moyens d’investigation dont il dispose. La transaction pénale sera secrète et surtout inopposable lors d’un procès civil. Conséquemment, en transigeant, les auteurs présumés de dommages environnementaux écarteront aussi potentiellement toutes condamnation civile en évitant toute instruction alors même que le législateur est sur le point d’inscrire l’obligation de réparation des préjudices écologiques dans le Code civil...
Bibliographie et liens Internet
Bibliographie
Aguila Y., 2012. De l’intérêt d’inscrire dans le Code civil le principe de la réparation du préjudice écologique. La semaine juridique, édition générale n°17.
Baflush M., 2013. Quelle réparation pour le préjudice écologique ? Environnement et développent durable, LexisNexis, n° 3, mars 2013.
Boutonnet M., 2013. L’Erika : une vraie-fausse reconnaissance du préjudice écologique, Environnement et développement durable, LexisNexis, n° 1.
Huglo C., 2013. Avocat pour l’environnement, LexisNexis.
Redon (de) L., 2012. Urgence pour la biodiversité ? Environnement et développement durable, LexisNexis n°12.
Redon (de) L., 2013a. Les derniers arbitrages pourraient changer la donne, Environnement et développement durable, LexisNexis n°8.
Redon (de) L., 2013b. Publication d’un rapport de préfiguration d’une agence française de la biodiversité, Environnement et développement durable, LexisNexis n°4.
Redon (de) L., 2014. Une agence pour la biodiversité a minima, Environnement et développement durable, LexisNexis n°1.
Serrano, E. & Ruiz-Flaño P., 2003. Geodiversity: a theoretical and applied concept, Geographica Helvetica, 62(3), 140.
Trébulle F.G., 2013. Quelle prise en compte pour le préjudice écologique après l’Erika ? Environnement et développent durable, LexisNexis n° 3.
Documents et medias téléchargeables
Club des juristes, 2012. Rapport « Mieux réparer
le dommage environnemental »
Guihal D & Trebulle FG, 2013. Environnement et polices (conférence au Cosnseil d’Etat), http://www.conseil-etat.fr/fr/colloques/environnement-et-polices.html
Jégouzo Y, 2013. Rapport pour la réparation du préjudice écologique, http://www.justice.gouv.fr/art_pix/1_rapport_prejudice_ecologique_20130914.pdf
Michel M & Chevassus-au-Louis B, 2013. Rapport de préfiguration de l’Agence française pour la biodiversité, http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Prefiguration_Agence_francaise_biodiv_31_janv_2013-1.pdf
Rapport interministériel, 2005. Le renforcement et la structuration des polices de l’environnement, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/054000633/0000.pdf
Et voir ces regards en ligne, sur des sujets connexes :
Barbault R., 2010. La biodiversité, concept écologique et affaire planétaire. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, regard n°1, 10 septembre 2010.
Barbault R. et A. Teyssèdre, 2013. Les humains face aux limites de la biosphère. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, regard n°51, 23 novembre 2013.
Burylo M. et R. Julliard, 2012 : Regard critique sur la compensation écologique. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, regard n°36, 26 septembre 2012.
Kéfi S., 2012. Des écosystèmes sur le fil : transitions catastrophiques. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, regard n°37, 19 octobre 2012.
Quétier F., 2012 : La compensation écologique. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, regard n°34, 3 juillet 2012.
Redon (de) L., 2012. Biodiversité et droit international. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, regard n°27, 25 janvier 2012.
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Article édité par Anne Teyssèdre.
Bonjour,
et merci pour ce regard. Concernant la réparation des dommages causés à l’environnement, est-ce que la création de multiples fonds, chacun particulier à chaque affaire, ne serait pas préférable à celle d’un unique fonds général, qui me semble la porte ouverte à tous les abus? (Et ce, d’autant plus qu’il est précisé que les budgets de réparation doivent correspondre exactement aux dommages, « pas plus, ni moins ».)
Par ailleurs, quel pourra être l’efficacité ou le domaine d’action de la future Agence Française pour la Biodiversité, si elle n’obtient pas de financement ?
Bien cordialement,
Marthe
Bonjour,
Merci pour votre commentaire. Concernant la création de multiples fonds, la solution peut sembler intéressante mais elle est malheureusement inefficace pour la majorité des cas où l’on constate des atteintes à l’environnement. En effet, pour des grands préjudices (heureusement exceptionnels) comme l’Erika, cela peut avoir un sens, mais pour tous les petits préjudices de tous les jours, c’est impossible !
Créer un fonds pour quelques centaines d’euros sera inapplicable et les petites atteintes devraient donc rester sans réparation. Enfin, l’avantage d’un super-fonds est que celui-ci peut alimenter un véritable service juridique capable de mener des actions judiciaires et de diligenter des expertises. L’action en justice sera donc plus facile, voire automatique. Les dommages-intérêts pourront être utilisés pour financer de la recherche, des actions terrain, etc.
Concernant votre deuxième question… C’est bien ce que je reproche à cette future Agence, et nous n’avons à ce jour aucune réponse du gouvernement…
Bien à vous, LdR.
Bonsoir,
et merci Louis pour ce bel article à la fois descriptif et critique sur les développements imminents du Droit français de l’Environnement. Un des objectifs du projet de loi sur le préjudice écologique énoncé dans cet article et cité par Marthe m’étonne. Il s’agit de « réparer le dommage causé à l’environnement mais pas plus, ni moins ».
Cette formule ne me semble pas avoir grand sens, aux plans écologique et éthique : Comment « réparer exactement » – pas plus ni moins – après une marée noire par exemple, le dommage causé par la mort de milliers d’oiseaux de mer et autres organismes, et la destruction d’un écosystème littoral dont la restauration peut prendre des années, voire dizaines d’années ? [La réparation totale, qui serait de ramener rapidement à la vie l’ensemble des organismes touchés, dans des écosystèmes fonctionnels, ne me semble pas vraiment possible ! ]
Une décision juridique moins ambitieuse ((ou prétentieuse?)), plus réaliste et opérationnelle, ne pourrait pas plutôt être d’évaluer largement – sans enquête « précise », longue et coûteuse – l’ensemble des coûts de restauration des habitats (milieux de vie) détruits, et d’ajouter à cette somme une large amende (50%? davantage?), destinée à alimenter le fonds général évoqué ci-dessus ou d’autres projets « verts » soutenables, développés par les collectivités ?
Sans prétendre à la réparation totale des dommages écologiques, cette méthode me paraîtrait efficace pour financer les coûts de restauration des écosystèmes lésés et subventionner d’autres projets d’écodéveloppement des territoires concernés. Est-ce qu’une réponse juridique de ce type te paraît envisageable (et opportune) ?
Bien cordialement,
Anne
Bonjour Anne,
Merci pour ta question. Tu mets le doigt exactement là où ça fait mal ! C’est LE problème clef de la réparation du préjudice écologique. Le droit est construit sur des principes fondamentaux qui doivent être respectés. Le principe de la réparation intégrale est l’un d’eux.
La revue « Environnement et Développement durable » a consacré un très bon dossier sur le sujet en juin dernier :
Environnement n° 7, Juillet 2012, dossier 1 : « Mieux réparer le dommage environnemental ». Réflexions autour du rapport de la Commission Environnement du Club des juristes.
Club des juristes (http://www.leclubdesjuristes.com/ ) : Think-thank juridique français.
Dans ce dossier :
• Dix propositions pour mieux réparer le dommage environnemental, par Yann Aguila
• État de la jurisprudence après l’Erika, par Françoise Nési
• Inclure dans la formation des décideurs un module sur les écosystèmes, par Denis Couvet et Louis Redon
• Une action en cessation environnementale sur le modèle du droit belge ? par Pascale Steichen
• Définir les modalités de la réparation du préjudice écologique devant le juge, par Mireille Baflush
• Créer un fonds pour la protection de l’environnement, abondé par les dommages-intérêts des actions en responsabilité environnementale, par Anne Guégan
• Pour l’inscription dans le Code civil d’une responsabilité civile environnementale, par Marie-Pierre Camproux-Duffrène
• Réflexions sur une clarification du rôle des parties au procès environnemental, par Béatrice Parance
• Faut-il créer des dommages et intérêts punitifs ? par Marina Teller
Finalement ce que l’on peut dire c’est qu’il n’y aura réparation du préjudice écologique que si et seulement si le principe de réparation intégrale est respecté. Les conséquences seront importantes notamment dans le domaine de la formation : formation des juristes à l’écologie (cf. Article avec Denis Couvet dans ce même dossier) et nécessité de développer des outils en ingénierie écologiques dans le domaine de l’évaluation. La recherche et la formation en écologie seront donc l’enjeu de cette réforme du Code civil si elle aboutit.
Bien cordialement,
Louis
Bonjour Louis,
Merci pour cette réponse… qui ne me satisfait pas vraiment toutefois, car cette notion de « réparation intégrale » des dommages écologiques me semble énigmatique et un peu vide de sens: un écosystème détruit, naguère formé de réseaux complexes d’organismes (dont humains) en interaction, ne peut être remplacé tel quel. Sa restauration, qui peut prendre des années, n’a pas la prétention de faire revivre les organismes qui le constituaient, ni de le remplacer par un écosystème identique, mais seulement par un écosystème semblable et fonctionnel. Qu’est-ce donc que la « réparation intégrale » d’un écosystème ou d’un habitat, pour les juristes ?
En outre, même si elle était possible, la réparation intégrale des dommages écologiques devrait se doubler d’une « réparation économique » pour les populations touchées, prenant en compte les pertes d’emplois, déménagements, etc., occasionnés par la catastrophe ou les dommages écologiques considérés.
C’est pourquoi il me semble que l’essentiel des sommes (dommages et intérêts) versées dans un fonds commun de protection de l’environnement après un dommage écologique devrait être employé à des actions et programmes « verts », impliquant les populations locales ou régionales (et soutenant les reconversions professionnelles), et marginalement seulement dans la formation de juristes en écologie… 🙂
Bonjour,
Je prends connaissance du site et de cet article grâce à Anne.
J’ai appris que le projet de loi sur la biodiversité, prévoyant notamment dans son titre III l’émergence d’une Agence Française pour la Biodiversité, doit donner de nouvelles perspectives et de nouveaux moyens d’action à la politique de préservation de l’environnement. Malheureusement, le projet d’Agence Française de la Biodiversité qui se dessine actuellement va à l’encontre d’un tel espoir […]
Pour information, voici le lien de la lettre du SNE – FSU adressée au Président de la République :
http://www.sne-fsu.org/sne/IMG/pdf/SNE201411_-_projet_de_loi_Biodiversite_AFB.pdf
Merci de donner l’occasion de s’exprimer et d’échanger
Excellente journée
Bonjour Anne,
La réparation intégrale comporte la réparation du préjudice écologique et la réparation des préjudices économiques et sociaux causés par le dommage environnemental. Il est clair qu’aujourd’hui nous ne savons pas réparer de manière intégrale*. Par contre si la loi venait à passer, le juge serait en demande d’expertise pour « viser juste » si je puis dire. Cette réparation intégrale peut se faire en « nature », i.e. une remise en état (pour le préjudice écologique comme le reste), ou en « argent ». Le droit considère que la réparation en nature est à privilégier mais, qu’à défaut, l’argent peut toujours faire l’affaire moyennant une expertise pour une juste évaluation. Il faudra donc progresser dans ce domaine de l’évaluation pour apporter des réponses concrètes à la Justice et permettre une réparation, sinon effective, au moins dissuasive pour le futur.
Concernant le fonds commun, je suis de ton avis. Il faut savoir qu’aux USA ces sommes représentent des millions de dollars : on peut donc tout à fait ventiler les moyens financiers. La pompe risque d’etre difficile à amorcer mais je pense que c’est le sens de l’Histoire. Une fois lancé, ça semblera « naturel » pour les générations futures que de réparer les dommages que nous causons à l’environnement. Ce n’est pas tant la question « est-ce que ça se fera ? » qui me préoccupe – je suis persuadé que ça se fera à cause de la nature meme de nos écosytèmes et de nos ressources – mais plutòt de « quand ça se fera ? ». Il me semble que par la formation à l’écologie des juristes et autres, nous pouvons avancer cette date.
Bien cordialement,
Louis
* C’est aussi le cas dans d’autres domaines : quid de la réparation intégrale du dommage créé par la perte d’un proche dans un accident causé par une personne tiers responsable ? Pourtant le juge est tenu de réparer les préjudices subis par les proches : préjudices matériels (pertes de revenus, de services, etc.) comme émotionnels (douleurs, chagrin, etc.) ». Le fameux « precio doloris » en droit romain.