Lucie Mahaut, nommée par Cyrille Violle, a été récompensée pour la qualité du travail valorisé dans l’article suivant :
Mahaut, L., Pironon, S., Barnagaud, J. Y., Bretagnolle, F., Khoury, C. K., Mehrabi, Z., … & Renard, D. (2022). Matches and mismatches between the global distribution of major food crops and climate suitability. Proceedings of the Royal Society B, 289(1983), 20221542. https://doi.org/10.1098/rspb.2022.1542
A la différence des forêts tropicales ou des récifs coralliens, les écosystèmes cultivés ont rarement inspiré les chercheurs en écologie. Pourtant, comme je l’ai très vite compris pendant ma thèse, ces agroécosystèmes sont des objets d’études passionnants, du fait des enjeux socio-économiques qu’ils portent, mais aussi et surtout du fait de leur fonctionnement en tant que systèmes écologiques.
Etudier ce fonctionnement – ne serait-ce que pour pouvoir prédire leur capacité à produire des biens de consommation – nous oblige en effet à considérer des processus originaux générés par les interactions qui se sont développées pendant plus de 12 000 ans entre les Hommes et les espèces peu à peu domestiquées. Ces interactions impliquent des mécanismes évolutifs (exemple : sélection) et écologiques (exemple : interactions biotiques) ainsi que des facteurs socio-économiques (exemple : recours aux intrants) et culturels (exemple : préférence alimentaire). Face à ce constat, une question s’est très vite imposée : les théories écologiques – principalement issues de l’observation d’écosystèmes non cultivés – s’appliquent-elles aux cas des agroécosystèmes ? Si oui, comment s’en inspirer pour diminuer les impacts négatifs de l’agriculture sur la biodiversité et l’environnement, et atténuer les effets délétères des changements climatiques sur l’agriculture (les fameuses « Solutions Fondées sur la Nature »)? Et si non, que nous apprennent les agroécosystèmes quant aux règles qui régissent le fonctionnement d’écosystèmes de plus en plus anthropisés ?
L’article récompensé par le prix jeune chercheur de la SFE² est directement issu de ces réflexions partagées avec l’ensemble des co-auteurs que je remercie ici. Plus particulièrement, nous sommes partis d’une idée a priori simple : peut-on appliquer la théorie de la niche écologique aux cas des espèces cultivées ? Cette théorie, centrale en écologie des communautés et des écosystèmes, suppose que l’abondance et le succès reproducteur d’une espèce dépendent des conditions environnementales – notamment le climat. Ces deux paramètres démographiques sont supposés atteindre leur maxima là où les conditions sont optimales pour l’espèce. Appliquée aux espèces cultivées, cette théorie implique que la distribution des surfaces cultivées (un proxy de l’abondance des espèces) et les rendements (un proxy de leur succès reproducteur) i) dépendent des conditions climatiques, ii) soient corrélés positivement et iii) soient maximisés dans les mêmes climats.
Pour tester ces hypothèses, j’ai utilisé des données sur la répartition géographique mondiale des surfaces cultivées et des rendements des 12 principales espèces cultivées dans le monde. J’ai croisé ces cartes de distributions avec des données climatiques pour caractériser la niche climatique de chacune de ces espèces, c’est à dire, la gamme des conditions climatiques où elles sont cultivées. J’ai également considéré le rôle de facteurs pédologiques, topographiques, agricoles et socio-économiques sur l’étendue des surfaces cultivées et les rendements. Ce faisant, j’ai pu modéliser les relations climat – rendements d’une part, et climat – surfaces cultivées d’autre part, et ainsi identifier les conditions climatiques associées aux plus forts rendements et celles associées aux plus grandes surface cultivées, toutes choses égales par ailleurs.
Nos résultats indiquent que la répartition mondiale des surfaces cultivées n’est pas toujours optimisée par rapport à la qualité du climat pour le rendement et soulignent le rôle de plusieurs facteurs limitant cet ajustement. Nous observons par exemple que les plus grandes surfaces cultivées en manioc, pomme de terre, riz et sorgho sont dans des zones où le climat est loin d’être optimal pour le rendement de ces cultures. Nos recherches suggèrent que les facteurs socio-économiques génèrent inadéquations entre étendues des surfaces cultivées et qualité du climat, les régions du monde à haut revenu présentant une meilleure adéquation. L’héritage issu de la domestication des cultures semble aussi être un facteur important, les plus grandes surfaces cultivées étant observées sous les mêmes climats que ceux qui caractérisent les centres de domestication des espèces considérées, alors même que ces climats ne sont pas – ou plus – les meilleurs pour les rendements.
Cette étude appelle à une meilleure caractérisation des multiples dimensions de la niche écologique des espèces cultivées, à savoir les conditions abiotiques (climat, sol), les interactions biotiques (pathogènes) mais également une dimension anthropique et sociologique. Considérer l’ensemble de ces dimensions sera essentiel pour garantir le succès des stratégies d’adaptation de l’agriculture au changement climatique. Enfin, d’un point de vu plus fondamental, cette étude nous questionne sur le rôle des Hommes en tant que nouveau moteur de l’évolution et de la distribution des espèces.
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