Sébastien Boinot, nommé par Audrey Alignier, a été récompensé pour la qualité du travail valorisé dans l’article suivant :

Boinot, S., & Alignier, A. (2022). On the restoration of hedgerow ground vegetation: Local and landscape drivers of plant diversity and weed colonization. Journal of Environmental Management, 307, 114530. https://doi.org/10.1016/j.jenvman.2022.114530

Au cours de ma formation universitaire en écologie, j’appris à quel point la vie des humains dépend de la biodiversité. J’appris également que certaines activités humaines, trop soudaines et intensives, sont à l’origine de l’actuelle crise d’extinction de la biodiversité. Parmi ces activités figure l’agriculture industrielle d’après-guerre, qui repose sur l’utilisation massive de produits chimiques. Cette forme d’agriculture s’accompagne d’une simplification souvent extrême des paysages agricoles et une forte érosion de la biodiversité domestique et sauvage. J’ai donc décidé de m’orienter vers l’agroécologie, qui répond à l’enjeu majeur auquel les humains font face aujourd’hui : réconcilier production agricole et conservation de la biodiversité. Au cours de mon stage de Master Ingénierie en Ecologie et Gestion de la Biodiversité (IEGB), j’ai intégré l’unité Agrosystèmes Biodiversifiés (ABSys) de INRAE Montpellier et j’ai commencé à travailler en agroforesterie intra-parcellaire, qui consiste à réintroduire les arbres dans le fonctionnement des systèmes agricoles. Une question majeure était d’évaluer si les alignements d’arbres constituent un refuge pour la biodiversité et/ou un réservoir d’espèces végétales ou animales menaçant la production agricole. J’ai poursuivi ces travaux en thèse au sein de la même unité, puis j’ai effectué un postdoctorat au sein de l’unité Biodiversité, Agroécologie et Aménagement du Paysage (BAGAP) de INRAE Rennes pour travailler sur un autre type d’agroforesterie : le bocage breton. J’ai pu ainsi élargir mon champ de recherche en évaluant l’influence relative de la structure des haies, des pratiques agricoles des parcelles adjacentes, et du contexte paysager sur la diversité et la composition végétale des haies.

Des études récentes ont signalé une augmentation des espèces compétitives et nitrophiles dans les haies au cours de ces dernières décennies, probablement en raison de l’eutrophisation causée par la dérive de fertilisants chimiques depuis les champs cultivés, et du manque de gestion lorsque la haie n’a plus vraiment sa place dans la conception du système agricole. La destruction et l’altération de la végétation des haies compromettent leurs fonctions écologiques, telles que la provision d’habitats et de ressources trophiques pour la biodiversité. Une des ambitions de mon postdoctorat était donc de trouver des leviers qui favorisent la diversité végétale des haies tout en empêchant leur colonisation par des adventices problématiques ; notre hypothèse étant que la préservation des habitats semi-naturels et le déploiement de l’agriculture biologique à l’échelle du paysage jouent un rôle clé. Une telle étude demande tout d’abord d’identifier un large échantillon de haies aux structures variées, situées à côté de champs conduits en agriculture conventionnelle vs biologique, et localisées le long de gradients paysagers indépendants. Il faut ensuite effectuer des enquêtes auprès des agriculteurs pour récupérer les informations sur leurs pratiques de gestion, puis réaliser des relevés de flore et décrire la structure des haies sur le terrain. J’ai pu ainsi analyser des jeux de donnés conséquents issus de la Zone Atelier Armorique ; un dispositif de suivi à long terme de la biodiversité et des pratiques agricoles sur un large réseau de parcelles en Ille-et-Vilaine.

Notre étude montre que l’agriculture biologique à l’échelle du champ est le facteur clé favorisant la diversité végétale des haies, parmi l’ensemble des variables considérées liées à la structure de la haie, aux pratiques agricoles des parcelles adjacentes et au contexte paysager. De plus, l’agriculture biologique favorise nettement le développement des espèces végétales pollinisées par les insectes. Ces résultats suggèrent que la perte de diversité végétale liée à l’agriculture conventionnelle n’est pas uniquement due à la dérive des produits chimiques, mais aussi à un appauvrissement des communautés de pollinisateurs dans les haies et leur voisinage. De plus, notre étude montre que c’est bien le contexte paysager qui joue un rôle primordial sur le contrôle des adventices problématiques dans les haies – largement représentées par le gaillet gratteron et la folle avoine sur notre site d’étude. En effet, l’abondance en adventices problématiques est réduite dans les paysages combinant des forts pourcentages d’habitats semi-naturels et de parcelles en agriculture biologique. Ces résultats montrent que la gestion agroécologique des adventices doit aller au-delà des pratiques de gestion à l’échelle du champ en considérant également le rôle de la composition et de la configuration des habitats dans le paysage.

Plus largement, l’ensemble de ces résultats a porté mes réflexions sur les processus écologiques majeurs qui déterminent la composition des communautés végétales dans les paysages agricoles, en particulier le rôle de l’hétérogénéité environnementale abiotique et biotique. Ces réflexions ont abouti à la création du projet ‘EcoWEEDS’ impliquant l’unité BAGAP et Rothamsted Research et soumis à l’appel pour les bourses postdoctorales Marie Sklodowska-Curie. L’ambition du projet ‘EcoWEEDS’ est d’améliorer l’état de nos connaissances concernant le rôle du paysage dans l’assemblage des communautés adventices, les processus écologiques sous-jacents, et les solutions pour améliorer la gestion durable des adventices – un des enjeux majeurs pour le développement de l’agroécologie.

Contact : sebastien.boinot@ecomail.fr