Charline Pinna, nommée par Marianne Elias, a été récompensée pour la qualité du travail valorisé dans l’article suivant :

Pinna, C. S., Vilbert, M., Borensztajn, S., de Marcillac, W. D., Piron-Prunier, F., Pomerantz, A., … & Elias, M. (2021). Mimicry can drive convergence in structural and light transmission features of transparent wings in Lepidoptera. Elife, 10. https://doi.org/10.7554/eLife.69080

J’aimerais pouvoir dire que j’ai toujours adoré les papillons, que je suis passionnée par ces petites bêtes depuis toujours et que je suis capable de tous les identifier. Mais l’histoire est tout autre. Étant une citadine, je ne suis pas tombée dans la marmite du naturalisme étant petite, mais c’est en étudiant la biodiversité et en découvrant sa richesse que j’ai appris à l’aimer et que j’ai choisi de faire un master intitulé « Ecologie, Biodiversité, Evolution ». Finalement, c’est un peu par hasard que je me suis retrouvée à travailler sur les papillons, mais c’est surtout grâce à la rencontre avec Marianne Elias qui m’a proposé ce superbe projet, à l’interface entre la biologie évolutive et l’optique. Cela a débuté par un stage de master qui a débouché sur une thèse encadrée par Marianne Elias, Christine Andraud et Doris Gomez, que je remercie au passage.

Les papillons sont des insectes connus pour leurs larges ailes aux colorations diverses et parfois spectaculaires allant du bleu électrique des papillons du genre Morpho au rouge du paon du jour. Ces patrons de coloration sont dus à la présence d’écailles contenant des pigments qui recouvrent la membrane des ailes. A la manière d’une mosaïque, l’agencement des écailles permet de former une grande diversité de patrons de coloration. Ces patrons de coloration peuvent par exemple permettre aux papillons de se camoufler et d’échapper ainsi aux prédateurs. Au contraire, certains papillons, qui sont toxiques du fait de la présence de composés chimiques dans leur corps, échappent aux prédateurs en exhibant leurs ailes aux couleurs vives et contrastées : c’est ce qu’on appelle l’aposématisme. Les prédateurs apprennent à associer le patron de coloration avec la toxicité et n’attaquent pas les proies portant ce patron de coloration. Dans une même localité, des individus d’espèces différentes bénéficient donc de partager le même patron de coloration aposématique car cela dilue la pression de prédation entre tous les individus : plus il y a d’individus, plus la pression individuelle est faible. C’est ce que l’on appelle le mimétisme müllérien et les espèces impliquées dans cette interaction mutualiste sont appelées co-mimes et forment ce que l’on appelle un cercle mimétique. La plupart des papillons mimétiques ont les ailes colorées et opaques. Mais, de façon surprenante, il existe des papillons mimétiques dont les ailes sont partiellement ou totalement transparentes, comme les ailes d’une mouche ou d’une abeille, et dont le degré de transparence est variable. Parmi ces papillons, on trouve notamment les Ithomiini, un groupe de papillons néotropicaux appartenant à la famille des Nymphalidés ainsi que leurs co-mimes qui peuvent appartenir à d’autres familles de papillons. L’existence de papillons mimétiques aux ailes transparentes soulève donc trois questions majeures :

  • Les zones transparentes des ailes sont-elles ressemblantes entre espèces co-mimes à l’image des zones opaques ?
  • Quelles sont les structures à la base de la transparence chez ces papillons ?
  • Quel est le lien entre le niveau de transparence et les structures sous-jacentes ?

Pour répondre à ces questions, j’ai étudié 62 espèces de papillons mimétiques répartis en plusieurs cercles mimétiques. D’une part, j’ai utilisé des outils optiques pour mesurer les spectres de transmission de la lumière des zones transparentes des ailes de chacune des espèces. D’autre part, j’ai utilisé des images en microscopie optique et électronique pour décrire les structures qui recouvrent la membrane alaire. Enfin, j’ai utilisé des modèles de vision pour estimer comment les oiseaux, considérés comme les principaux prédateurs des papillons, percevaient les zones transparentes des ailes des papillons.

  • Les zones transparentes des ailes sont-elles ressemblantes entre espèces co-mimes à l’image des zones opaques ?

Des études précédentes ont montré que les couleurs des patrons de coloration opaques sont très ressemblantes entre individus co-mimes et sont perçues comme identiques par les prédateurs. Toutefois, aucun travail n’avait jamais été mené sur les ailes transparentes. Mon étude a donc permis de montrer que tout comme les zones colorées opaques, les zones transparentes d’espèces co-mimes sont perçues comme identiques par les prédateurs. Cela suggère donc que les zones transparentes font partie du patron de coloration aposématique, au même titre que les zones opaques, et qu’elles ne sont donc pas simplement impliquées dans le camouflage.

  • Quelles sont les structures à la base de la transparence chez ces papillons ?

Mon étude a permis d’explorer à la fois les structures micrométriques, c’est-à-dire les écailles, et les structures nanométriques qui recouvrent la membrane alaire au niveau des zones transparentes. Globalement, l’étude a montré qu’il existait une diversité de microstructures et de nanostructures à l’origine de la transparence. Les écailles peuvent avoir différentes formes (lamellaires ou piliformes), être insérées différemment sur la membrane (parallèlement ou perpendiculairement) et avoir différentes pigmentation (opaques ou transparentes). En ce qui concerne les nanostructures, nous avons mis à jour une diversité inattendue et avons même décrit pour la première fois un type de structure inédit : les nanostructures en forme d’éponge.

  • Quel est le lien entre le niveau de transparence et les structures sous-jacentes ?

Nous avons pu observer que le niveau de transparence était variable entre les papillons, à la manière d’un verre parfaitement transparent et d’un verre poli par exemple. Etant donné qu’il existe une grande diversité de structures sous-jacentes à la transparence, nous avons supposé qu’il y avait un lien entre les structures et le niveau de transparence. En effet, nous avons pu montrer que le degré de transparence augmente quand la couverture de la membrane par les écailles diminue. Cette couverture peut diminuer parce que la densité d’écailles diminue ou parce que les écailles occupent chacune individuellement moins de surface (soit parce qu’elles sont réduites comme dans le cas des écailles piliformes, soit parce qu’elles sont insérées perpendiculairement au niveau de la membrane). Nous avons également montré que le degré de transparence augmente quand la densité de nanostructures recouvrant la membrane augmente. En effet, bien que cela puisse sembler contre-intuitif, ces nanostructures sont en réalité des structures anti-reflets qui sont d’autant plus efficaces qu’elles sont denses.

Pour en savoir plus et avoir accès à des illustrations des structures : Charline Sophie Pinna, Maëlle Vilbert, Stephan Borensztajn, Willy Daney de Marcillac, Florence Piron-Prunier, Aaron Pomerantz, Nipam H Patel, Serge Berthier, Christine Andraud, Doris Gomez & Marianne Elias (2021) Mimicry can drive convergence in structural and light transmission features of transparent wings in Lepidoptera. eLife 10:e69080. https://doi.org/10.7554/eLife.69080

Contact : ch.pinna [at] gmail.com