La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose une critique du documentaire de Sandrine Feydel et Denis Delestrac, « Nature, le nouvel Eldorado de la finance », par un groupe d’économistes et d’écologues impliqués en sciences de la conservation.
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions sur les forums de discussion qui suivent les articles; les auteurs vous répondront.
« Nature, le nouvel Eldorado de la finance » : Peut-on dépasser les idées reçues ?
par Harold Levrel et al.
Signataires de ce texte :
Signataires économistes : Harold Levrel, Catherine Aubertin, Alain Karsenty, Jean-Michel Salles, Michel Trommetter.
Signataires écologues : Anne Teyssèdre, Luc Abbadie, Gilles Bœuf, Denis Couvet, Nathalie Frascaria.
——-
Mots clés : Biodiversité, économie, finance, relation Homme-Nature, préservation de la biodiversité,
méthodes, gouvernance, stratégies et politiques, marchés de biodiversité
——–
Diffusé en février sur Arte, le documentaire de Sandrine Feydel et Denis Delestrac « Nature, le nouvel Eldorado de la finance » se veut une enquête sur les marchés de la biodiversité (la financiarisation de la biodiversité), aux Etats-Unis en particulier. Depuis sa diffusion, ce documentaire est utilisé pour dénoncer la « marchandisation de la biodiversité » dans de nombreuses arènes de discussions, y compris scientifiques. Plusieurs chercheurs en sciences de la conservation cependant, travaillant notamment sur l’analyse des marchés de la biodiversité, ont été surpris par la superficialité et la partialité de ce documentaire. Si le sujet est vraiment important, et si l’on ne peut que partager l’idée qu’il est nécessaire de réfléchir (et contribuer) à une analyse critique des risques de « financiarisation » de la biodiversité, on attend de journalistes d’investigation qu’ils abordent les questions difficiles de la combinaison entre environnement, économie et société, afin d’éclairer le débat public. Or c’est loin d’être le cas avec ce film, qui se réfugie dans une dénonciation un peu simpliste voire manichéenne, réduisant de manière beaucoup trop partielle ou partiale la complexité de ce sujet de société majeur.
Ce documentaire pèche par quatre caractéristiques: la quantité d’affirmations erronées ; un flou sémantique utilisé dans un même sens, qui soutient la « démonstration » des journalistes ; le traitement partiel des entretiens réalisés ; enfin, des montages d’images au service de cette démonstration, qui bloquent la réflexion et l’action au lieu de les stimuler.
De nombreuses erreurs et idées reçues
Parmi les affirmations fausses et idées reçues de ce documentaire, qui convergent toutes dans la même direction, voici les plus étonnantes pour les signataires de cette note :
– L’évocation de fonds d’investissement qui proposent des « portefeuilles d’espèces » aux Etats-Unis. A notre connaissance, ce type de produit financier n’existe pas.
– L’affirmation que les « crédits biodiversité pourraient permettre de spéculer sur la date d’extinction d’une espèce ». Les crédits de biodiversité (en l’occurrence de zones humides ou d’espèces menacées) ne sont pas cessibles sur des marchés secondaires (marchés sur lesquels on achète et on vend des actifs déjà existants), encore moins sur des marchés à terme. Ils ne peuvent pas non plus donner lieu à la création de produits dérivés. A la différence de ce qui peut se passer avec les crédits carbone, il ne peut donc y avoir de spéculation financière sur les crédits de compensation pour les zones humides ou les espèces menacées. Ces derniers ne peuvent être vendus qu’à un porteur de projet ayant un impact sur les zones humides ou les espèces menacées, au titre de son obligation de compensation, dans un espace limité. La vente des crédits de compensation doit être validée par les régulateurs pour pouvoir être utilisée en tant que compensation d’un projet, et seulement pour cela.– Les affirmations que « le no net loss pose la base des marchés de l’environnement », et qu’« à partir de Bush les entreprises vont pouvoir détruire des zones humides, à condition de compenser leurs dommages ». Le « no net loss » (pas de perte nette) est une norme réglementaire mise en place aux Etats-Unis dès les années 1970, soit près de 20 ans avant l’apparition des banques de compensation américaines. Visant à limiter les impacts des entreprises et collectivités sur l’environnement, cette norme n’a jamais été un outil permettant de faire émerger un marché. Le malentendu vient très probablement du fait que George Bush père a été le premier homme politique à utiliser ce concept, en 1989, dans le cadre d’un discours sur son projet de politique environnementale.
D’autres erreurs ou ambiguïtés parsèment le film :
– Il est affirmé que ce sont les « banques » de compensation qui choisissent quelles espèces protéger, à travers leurs investissements dans la restauration de certains habitats d’espèces qui ont un bon prix. Etant donné le caractère réglementaire de la politique de protection des espèces menacées, ce ne sont évidemment pas les banques qui décident du statut de conservation des espèces. C’est l’autorité publique (souvent fédérale) qui classe ces espèces en fonction des menaces qui pèsent sur elles. Les « banques de compensation » restaurent ce que la réglementation les incite à restaurer. Il s’agit d’un outil de mise en œuvre d’une politique publique environnementale et pas d’un marché de biens standard. La différence est essentielle !
– Selon les auteurs du film, « la baisse des moyens publics et le recul des lois environnementales auraient permis l’émergence de marché de l’environnement ». Cette affirmation est surprenante car les investissements privés dans la restauration d’écosystèmes ont émergé uniquement à la faveur du renforcement de la réglementation environnementale. Les banques de compensation pour les zones humides font des bénéfices élevés aujourd’hui, car il y a une réglementation environnementale qui oblige beaucoup plus qu’avant les développeurs à compenser pour leurs destructions, ce qui garantit un niveau de demande élevé pour les entreprises qui ont investi dans la restauration de zones humides. Par ailleurs, si les budgets de l’EPA (Environmental Protection Agency) ont bien été réduits à l’arrivée du Président Reagan, comme cela est mentionné dans le reportage, ils repartent à la hausse deux ans plus tard. Hausse qui se poursuit de manière constante depuis. Donc on ne peut pas dire que les moyens publics dédiés à l’environnement ont baissé. Ils ont augmenté. Pas assez cependant pour faire face à tous les enjeux associés aux nouvelles politiques environnementales.
– Il est aussi dit que les banques d’affaires seraient à l’origine du système des banques de compensation. Cette affirmation, pour le moins surprenante, n’est pas à notre connaissance corroborée par les travaux universitaires sur l’histoire des banques de compensation.
Un flou sémantique source de confusion
Tout au long du reportage, les journalistes entretiennent un flou sémantique qui va dans le sens des idées reçues.
Des exemples issus à la fois de la réglementation et de démarches volontaires sont évoqués simultanément en utilisant des notions spécifiques, généralisées ou employées hors propos. Le terme « bio-banque » (biobank) par exemple, largement utilisé dans le reportage, désigne des initiatives précises sur les forêts (comme celle de la Malua BioBank mentionnée par les auteurs), concernant en particulier la compensation carbone. Ce terme ne doit pas être confondu avec celui de « BioBanking » (Biodiversity Banking and Offsets Scheme), programme de banques de compensation pour la biodiversité (espèces menacées) de l’Etat de Nouvelle-Galles du Sud en Australie, ni avec les « mitigation banks » (banques de compensation pour les zones humides) ou encore les « conservation banks » (banques de compensation pour les espèces protégées) américaines. Or ces projets et programmes renvoient à des systèmes de régulation très différents. (Nous invitons par ailleurs le lecteur à taper « biobank » ou « bio-banque » dans un moteur de recherche pour voir à quoi peut aussi renvoyer ce concept dans un tout autre domaine.)On passe ainsi de la pollution des usines de la société brésilienne Vale et de son impact sur la santé humaine aux investissements associés à des plantations d’eucalyptus, aux « banques de compensation » pour les zones humides, aux marchés du carbone, aux évaluations monétaires de la nature réalisées par des administrations publiques, etc. Sans nuance, sans clarification. Il semble que les journalistes n’ont pas cherché à faire le tri, et encore moins à expliquer les différences aux téléspectateurs. Pourtant, il y a des différences essentielles entre tous ces sujets.
A titre d’exemple, l’évaluation monétaire de la nature en lien avec des projets d’investissement public n’est pas un outil de marché, mais de planification publique. Un autre exemple est le mélange entre les marchés de compensation pour la biodiversité et les marchés carbone, alors que ces systèmes ne fonctionnent pas du tout selon les mêmes règles. Les marchés de carbone impliquent l’échange de droits d’émission (échanges de droits à polluer, non utilisés), tandis que les « marchés de
compensation pour la biodiversité » sont fondés sur des actions de restauration d’écosystèmes.
S’il existe bien des marchés financiers pour les compensations carbone qui fonctionnent à de larges échelles spatiales, les marchés de la compensation des impacts pour les zones humides ou les espèces menacées sont de très petite taille (équivalent à un petit département français), très encadrés par l’autorité publique, et encore une fois ne donnent lieu à aucun échange sur des marchés financiers. De nombreuses banques de compensation pour la biodiversité sont d’ailleurs des banques publiques. De fait, la bibliographie scientifique est sans équivoque : le système des banques de compensation pour la biodiversité aux Etats-Unis est un système hybride et non pas marchand.
Plus généralement le problème est celui-ci : malgré un vocabulaire marchand (crédits, banques, marchés), les opérations évoquées sont le plus souvent associées à des politiques publiques visant à protéger des actifs naturels non marchands. Par exemple, le terme de « banque de compensation » pour la biodiversité est utilisé comme synonyme de « réserve » d’habitats restaurés. Evidemment, le mot « banque » prête à confusion, mais si le film se voulait pédagogique il aurait expliqué les différences au lieu d’entretenir la confusion. Or le documentaire semble prendre les mots au pied de la lettre pour mieux nourrir sa critique, sans les mettre en regard avec les pratiques.Un traitement partiel ou partial des entretiens
Le montage des interviews rend compte de manière sélective des positions des personnes interviewées – biais que l’on peut vérifier soit en examinant les argumentations complètes de ces personnes, qu’on peut lire ailleurs, soit en visionnant les interviews complètes sur internet :
– A partir d’un témoignage, le film met en parallèle les stratégies d’investissement des grandes banques d’affaires et les « banques » de compensation. Que les banques d’affaires puissent un jour s’intéresser aux investissements dans la restauration de la nature pour des raisons stratégiques est une chose, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Par ailleurs, pourquoi passer ensuite autant de temps sur les scandales de Goldman Sachs, de JP Morgan, sans plus jamais parler de relation avec la biodiversité et la réalité du marché des « banques » de compensation ?
– Geoffrey Heal, économiste qui a beaucoup travaillé sur les limites de la monétarisation du vivant, est présenté de manière partiale. On ne le laisse pas développer ses explications autour du diagnostic économique de l’érosion de la biodiversité. On a juste repris une de ses phrases pour faire une belle transition. L’interview entière de Geoffrey Heal (qui dure plus de 6 min) a été mise en ligne par ViaDécouvertes Production : https://www.youtube.com/watch?v=2TRwpQkYVfg. Le visionnage de l’interview permet de se rendre compte à quel point les réalisateurs n’ont pas cherché à retranscrire la subtilité de son analyse et ont pris un extrait rendant son propos caricatural.
– A l’inverse, Pablo Solon Romero, présenté comme un ancien ambassadeur bolivien auprès des Nations-Unies, apparaît dans le reportage comme un des principaux « experts » sur le sujet de la financiarisation de la biodiversité et bénéficie d’un temps de parole important par rapport aux autres interviewés. Or Pablo Solon Romero est avant tout le directeur d’une ONG altermondialiste, ce qui n’est jamais mentionné dans le documentaire – alors que les réalisateurs ne se privent pas de mentionner le parcours de banquier de Pavan Sukhdev, initiateur de The Economics of Ecosystems and Biodiversity. Certes on ne peut qu’adhérer à la plupart des valeurs que Pablo Solon Romero défend, mais la manière dont le reportage présente ses propos mélange l’avis d’expert et le discours militant.
– De même Geneviève Azam, présentée comme chercheuse en économie à l’Université de Toulouse II, énonce de nombreuses généralités sans les étayer autrement que par des arguments de « bon sens ». Cependant les journalistes taisent le fait que G. Azam est aussi porte-parole d’Attac France, une information qui pourrait susciter des doutes sur le caractère objectif de ses propos.
– L’interview de Vandana Shiva est un peu sur le même modèle. La philosophe et militante écologiste indienne évoque des questions très générales fondées sur son expérience des OGM, le brevetage du vivant, etc., mais qui n’ont que peu à voir avec les exemples développés dans le reportage.
On peut se demander aussi pourquoi aucun entretien avec des représentants d’administrations publiques en charge de la gestion des marchés de la biodiversité – par exemple l’US Environmental Protection Agency, l’US Army Corps of Engineers ou le Fish and Wildlife Service, aux Etats-Unis – ne figure dans le film. Cela aurait pu donner des informations importantes sur la nature de ces marchés, sachant que ce sont ces acteurs qui les régulent.
Du côté des journalistes, de nombreuses affirmations n’ont manifestement pour objectif que de marquer les esprits: « La nature n’est pas faite pour être vendue », « Faire payer les destructeurs de forêt primaire peut-il sauver les grands singes ?», « Faire de la nature un bien économique », « Même machinerie que la finance spéculative avec le nouveau jouet : la nature », « Il n’a fallu que 20 ans pour que le banquier, la multinationale et le politique parlent d’une même voix ».
Une utilisation des images qui bloque la réflexion
Un dernier point qu’il nous semble important de noter est le montage des images, sons et commentaires en voix off, souvent très suggestif – et qui confine parfois à la manipulation des téléspectateurs. Par exemple, dans une vue plongeante sur la ville de New York, un énoncé de scandales financiers de grandes banques d’affaires américaines mêlé à des rugissements de lions se conclut sur cette métaphore: « une plante carnivore peut-elle cesser d’être carnivore ?» – variante botanique de la mise en garde contre les requins de la finance. Sans vouloir offenser les journalistes, la mise en scène est un peu grossière…
En bref, l’idée reçue qui sous-tend l’ensemble de la « démonstration » des auteurs est que l’argent, dans le domaine de l’environnement, serait forcément corrupteur. Mais alors, quelles sont les alternatives proposées ? Comment prendre en compte la biodiversité dans les politiques sectorielles et les activités socio-économiques, sachant que celles-ci affectent l’ensemble des écosystèmes terrestres et marins, aux échelles locale, régionale et mondiale ? Le documentaire en reste à une critique en bloc, plus paralysante que constructive.
Etant donné le sujet très important et sérieux que le film proposait d’aborder – celui des risques et opportunités associés aux nouveaux instruments économiques mobilisés autour de la biodiversité (marchés, évaluations monétaires, etc.), que ces derniers le soient pour gagner de l’argent, faire respecter une réglementation ou communiquer de manière générale sur la valeur de la biodiversité – il est finalement dommage de constater que les auteurs ont avant tout cherché à imposer leur vision a priori négative des « marchés de biodiversité », quels qu’en soient les motivations, objectifs, bases et modes de fonctionnement, sans explorer véritablement le sujet par une enquête approfondie. Il est d’ailleurs frappant que le documentaire ne comporte aucun exemple positif, ni ne suggère une quelconque alternative.
Parmi les expériences présentées dans le documentaire, certaines mériteraient qu’on s’y attarde pour essayer de comprendre ce qu’elles pourraient apporter – ou ce qu’elles apportent déjà – dans le domaine de la protection de la biodiversité. Agiter l’économie de marché comme un épouvantail nous semble une démarche stérile. Le Prix Nobel d’économie Amartya Sen, fervent défenseur de la démocratie, de la justice et des libertés (« capabilités »), souligne depuis des années que l’économie de marché « n’est jamais que ce que ses acteurs en font ». Si les signataires de cette note partagent les inquiétudes des auteurs du film sur les risques d’une financiarisation de la biodiversité, il nous semble aussi important de ne pas produire des critiques qui mélangent tout comme c’est le cas ici, dans un raisonnement binaire décourageant la réflexion.(1) Signataires de ce texte :
Signataires économistes : Harold Levrel, Catherine Aubertin, Alain Karsenty, Jean-Michel Salles, Michel Trommetter.
Signataires écologues : Anne Teyssèdre, Luc Abbadie, Gilles Bœuf, Denis Couvet, Nathalie Frascaria.
—
Iconographie et mise en ligne : Anne Teyssèdre
Bienvenue, chers amis écologues et économistes, dans le monde merveilleux de la manipulation cinématographique et télévisuelle. Je n’ai pas vu ce reportage, mais les travers que vous dénoncez ressemblent incroyablement à ceux qui entachent la plupart des reportages sur l’agriculture (sous couvert, le plus souvent, d’une fibre sociale ou écologique, qui s’apparente à de la confiscation). J’ai donc la plus grande empathie a priori pour votre réaction !
Sur le fond, pourriez-vous indiquer une référence synthétique et abordable sur l’organisation actuelle de ces rapports entre finance et préservation de la biodiversité ?
Merci d’avance
Bonjour Thierry,
Bonne question… à laquelle il n’est pas facile de répondre, car les thématiques sont multiples et les recherches évoluent vite dans ce domaine..
Harold : Il faudrait préciser ce qui est entendu par « finance ». S’il s’agit de la finance comme « les activités de financement pour réaliser un investissement », il y a plein de choses sur le financement de la conservation de la biodiversité, et depuis quelques années sur la manière de mobiliser des financements additionnels privés. S’il s’agit de la finance dans le sens « le monde de la finance » (bourse+banque+fonds d’investissement, etc.) il y a très très peu de choses (je n’ai pas de référence qui me viennent à l’esprit sur le sujet). Si c’est la question des nouveaux « marchés » de la biodiversité, cela renvoie encore à une littérature différente (je mettrais les « mitigation banks » dans cette catégorie même s’il s’agit de systèmes hybrides). Là il y a pas mal de choses. Enfin, ça peut être aussi entendu comme les outils financiers ayant une finalité incitative (je mettrais les PSE dans cette catégorie). Là encore il y a une grande quantité de publications. Bon j’oublie surement plein de choses et mes catégories ne sont pas forcément celles que retiendraient des collègues travaillant sur le sujet, mais c’est juste pour souligner que le mot « finance » peut renvoyer à différentes réalités et qu’il est donc difficile de répondre à la question…
Jean-Michel : La réponse d’Harold fait de façon synthétique un bon panorama et j’approuve donc l’idée de distinguer dans le vocable « finance » la pluralité des objets. Je ne connais même pas de document « simple » de synthèse comme le demande Thierry sur chacun des trois ensembles identifiés par Harold, il en existe plein sur chacun et comme ce sont des sujets récents, ils sont rapidement dépassés par les réalités qui évoluent très vite… Donc, je ne sais pas trop qu’ajouter à la réponse d’Harold et qui reste dans l’épure d’une réponse en ligne concise…
Denis : Peut-être faudrait-il ajouter d’autres thèmes importants pour la finance: de manière générale, la gestion du futur et, pour la biodiversité, la gestion du risque. Comme référence, par exemple, le livre de Godard et al. « Traité des nouveaux risques », qui date de 2002 mais est clair et encore d’actualité..
Alain : Personnellement, j’ai bien aimé le bouquin de Frédéric Denhez « La Nature, combien ça coûte ? » sorti il y a quelques années. Ecrit par un journaliste extrêmement talentueux (chroniqueur à France Inter dans l’émission de Cheyssoux, ‘CO2 mon amour’ ), ce livre est drôle et plaisant à lire…
Bonjour,
Merci pour vos retours. J’entendais plutôt des références sur les marchés de la biodiversité.
Bien à vous,
Thierry
Je pense que vous pourriez lire, par exemple, un petit ouvrage de synthèse d’économistes sur le sujet : « Faut-il donner un prix à la Nature ? » de Jean Gadrey et Aurore Lalucq, 2015. Edition les Petits Matin, 121 pages. Vite lu. Cordialement.
Vous veillez à réparer la qualité de l’information selon vous, mais pourriez-vous développer vous même votre quatrième préconisation, en termes d’encouragement à la réflexion à propos d’exemples positifs et alternatives ?
Merci.
J’ai eu la possibilité de regarder ce documentaire. Si je peux rassurer les auteurs, qu’ils sachent que son ton et son montage grossiers suffisent largement à avertir le public sur sa pauvre qualité intellectuelle. On le regarde juste comme on lirait la presse people. Je suis un peu étonné que ce documentaire soit utilisé dans des « arènes de discussions […] scientifiques ». Est-ce vrai?
Ce docu a tout de même eu un point positif : votre réaction! Merci donc pour ce regard renforçant notre esprit scientifique et incisif.
Juste une question par rapport à votre texte : Quand je vous lis, j’arriverais à penser que les scientifiques ne doivent pas être militants. Ou qu’être militant discrédite sa personne et son travail scientifique. Comment positionner son militantisme alors?
Bravo à l’équipe des auteurs de cet article. Le travail de déconstruction de ces types de documentaires est indispensable. Il faut le faire et l’argumenter comme vous l’avez fait. Dans le monde des enseignants du secondaire et des militants voire des politiques, ce sont ces documentaires qui font souvent référence. Votre critique est très solide. Je crois que des références mériteraient d’être présentées, avec des références à de la littérature scientifique mais aussi des ouvrages comme celui édité en 2014 par Naturparif « Economie et biodiversité. Produire et consommer dans les limites de la biosphère » (Marc Barra, Laurent Hutinet, Gilles Lecuir), ouvrages qui apportent des synthèses pour un public avide de s’informer et de s’instruire sur ces questions en plein essor mais n’ayant pas accès au corpus des articles scientifiques.
Amicalement, Pierre
L’idée relative à un système de compensation apparait assez intéressante de prime abord. Les soucis viennent par la suite. En effet, à un moment, pour des raisons de gestion à court terme se posera très probablement la question de l’utilité de telle ou telle espèce à protéger. Utilité qui bien naturellement ne pourra être évaluée qu’à l’éclairage de la connaissance du moment. C’est donc probablement à partir de ce moment ou le questionnement sur l’utilité se développe que les risques deviennent majeurs.
Comme nous l’apprend chaque jour l’histoire, le concept même d’utilité qui fait référence de façon implicite à la notion de finalité pose problème. En effet quelle est la finalité de la vie sur terre ? personne ne le sait à ce jour. En l’absence de détermination de cette finalité ne peuvent être déterminés que des objectifs intermédiaires qui eux ne peuvent être basés que sur des croyances.
Faire d’une croyance une finalité peut se révéler catastrophique et est à même de légitimer un passage de la paix vers la guerre comme nous le montrent chaque jours les partisans de la secte Boko Haram (l’enseignement interdit). Secte dont la seule finalité est de prendre le pouvoir pour y instaurer un régime proche de l’animalité ou l’asservissement de l’homme par l’homme est une des bases de fonctionnement à l’antipode des lumières.
Le problème avec cette critique c’est qu’elle est formulée par des économistes et des écologues baignés dans la compensation écologique et la biologie de la conservation. Leur préoccupation principale n’est pas « Comment peut-on changer le système afin de faire en sorte de ne pas continuer à dégrader le milieu ? » mais « Comment peut-on limiter les effets du système actuel, surtout sans rien changer, sur l’environnement ? ».
Vous corrigez donc les informations, c’est très bien et nécessaire, mais ça manque tout de même de perspectives sociétales, philosophiques, anthropologiques … A travers cette publication vous donnez essentiellement l’impression de défendre (au tout du moins ne pas critiquer) le système marchand et libéral qui pousse les sociétés humaines à donner un prix à des choses qui ne devraient pas en avoir, à produire de façon démesurée, à bétonner des surfaces en prétendant les « compenser » …
Le fond du problème, je pense, n’est pas vraiment de savoir qui fait quoi, de quelle façon dans cette machine qu’est le système financier et libéral, mais plutôt comment penser la société pour que ces questions et ce genre de documentaire n’aient plus lieu d’être.
Il me semble que le dernier commentaire posté par Lucy renvoie aux questionnements déjà abordés en 2010 lors de la publication du Regard n°4 sur les services écosystémiques par Anne Teyssèdre et à la nombreuse correspondance, parfois polémique, qui s’en est suivie. Il pourrait-être utile que les personnes souhaitant intervenir relisent ces échanges et nous donnent leur point de vue dans le contexte de la critique du documentaire d’Arte en 2015…
Bonjour,
Merci pour cette lecture instructive. L’art est difficile et toujours objet de critiques.
J’ai quelques petits domaines de compétence (je l’espère 😉 !) et lorsque que je lis des magazines et journaux ( à part les revues spécialisées) je n’y trouve que des approximations et raccourcis. Pas étonnant que le reportage soit insatisfaisant.
Je me dis que si les autres articles (en dehors de mes centres d’intérêts) sont de la même qualité, c’est que tout n’est que désinformations ou mésinfomations permanentes.
A contrario, lorsque j’écris et publie un texte sur un thème spécialisé… je ne suis jamais à l’abri d’un plus spécialiste que moi qui va se vexer de ne pas avoir été sollicité pour une relecture et/ou s’offusquer de voir des imperfections ou des thèses contraires à ses propres analyses…
Bref, les experts n’apprécient pas forcément le chemin parcouru (sensibilisation à un problème ou une thématique) mais ne se focaliseront que sur l’imprécis en refusant l’ensemble du travail effectué et son éventuel intérêt. Communiquer n’est jamais simple sauf à avoir du temps et une bonne équipe de relecteurs/contributeurs comme c’est le cas de la SFE.
Merci donc pour cet éclairage et cette contribution, même si le reportage (que je n’ai pas vu) a au moins le mérite de nous faire réagir.
Cordialement
Bonjour, voici quelques éléments de réponse à une question de Michel :
« Quand je vous lis, j’arriverais à penser que les scientifiques ne doivent pas être militants. Ou qu’être militant discrédite sa personne et son travail scientifique. Comment positionner son militantisme alors? »
Vaste question. Ce qui est sûr c’est que les militants auront un discours d’autant plus puissant et percutant qu’ils pourront s’appuyer sur des travaux scientifiques robustes et perçus comme « objectifs » par le public non militant (disons les citoyens). Une des fonctions des scientifiques est de fournir des informations qui offrent des outils de preuve et d’argumentation dans les débats publics. Cette information, si elle est dans un format accessible offre un langage commun pour pouvoir communiquer et négocier. Un militant va choisir les informations scientifiques qui vont le plus dans le sens de ses idées, et c’est bien normal. Mais un scientifique, même s’il a une vie militante en tant que citoyen, ne devrait pas avoir le même type de stratégie. Ou alors il y a aura nécessairement des biais dans sa manière de travailler. Même si l’objectivité et la neutralité d’une information n’existe sans doute pas, il existe des « règles scientifiques » qui permettent de tendre vers le plus d’objectivité. La démarche scientifique est ainsi basée sur le doute méthodique et la construction de dispositifs, expérimentaux ou intellectuels, visant à faire avancer notre compréhension du monde. Bon, il ne s’agit pas là de rentrer dans un cours épistémologique mais juste de souligner qu’effectivement le militantisme ne devrait pas avoir sa place à ce niveau là et que ce n’est pas servir les militants que de leur fournir des résultats qui ne sont pas fondées sur des méthodes scientifiques robustes.
Cordialement, Harold et al.
Pour les références :
Il y a effectivement le bouquin de NatureParif. Il y a aussi le rapport du Centre d’Analyse Stratégique sur L’approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes (téléchargeable en ligne). Les rapports du TEEB (The Economics of Ecosystems and Biodiversity) qui sont aussi en ligne pour une part.
Une référence récente : Buch-Hansen, H. (2014). Capitalist diversity and de-growth trajectories to steady-state economies. Ecological Economics, 106, 167-173.
Quelques éléments de réponses au commentaire de Lucy : « Les économistes et les biologistes de la conservation n’ont pas pour préoccupation principale « Comment peut-on changer le système afin de faire en sorte de ne pas continuer à dégrader le milieu ? » mais « Comment peut-on limiter les effets du système actuel, surtout sans rien changer, sur l’environnement ? » »
Effectivement c’est un point de vue d’économistes et de biologistes de la conservation.
Mais ni les économistes, ni les biologistes qui ont signé ce papier n’ont envisagé de répondre à l’une de ces deux questions dans ce regard. L’objet de ce topo n’est pas de faire un point philosophique sur la question de l’utilité ou de la compensation (sur lequel il existe d’autres « regards » par ailleurs). L’objectif était juste d’avoir un document en ligne auquel on puisse faire référence lorsqu’on nous renvoie à ce reportage pour critiquer une soi-disant « financiarisation de la nature ».
Pour autant les auteurs (y compris les économistes) de cette note passent le plus clair de leur temps à travailler sur la manière de « changer le système »… Sinon les économistes signataires se seraient dirigés plus tôt dans leur carrière vers les métiers de la finance ou autres activités économiques plus rémunératrices.
Mais effectivement notre commentaire laisse totalement de côté les dimensions sociétales, philosophiques et anthropologiques. Un élément qui lie les signataire de cette note est une certaine méfiance vis-à-vis des discours qui visent à systématiquement dénoncer une histoire des relations homme-nature qui irait uniquement dans un sens de « plus d’économie » dans la gestion de la nature, en se référant à un « avant » où il existait une démarche conservationniste « pure », dénuée de positionnement utilitariste. Premièrement, nous ne pensons pas que la relation homme-nature, y compris dans le domaine de la conservation, était nécessairement moins « économique » avant. Ainsi on retrouve tout au long des 18ème, 19ème et 20ème siècles des discours utilitaristes sur la conservation de la biodiversité (voir par exemple l’ « économie ornithologique » de la fin du 19ème). Tenir compte de facteurs et mécanismes socio-économiques dans son approche (notamment conservationniste) des socioécosystèmes ne signifie d’ailleurs pas pour autant partager ou privilégier les valeurs utilitaristes; c’est simplement une approche analytique et fonctionnelle nécessaire pour explorer ces socio-écosystèmes et favoriser la mise en oeuvre de stratégies d’adaptation aux limites de la biosphère (cf. par ex. le regard n°51 sur cette plateforme).
Deuxièmement, dans un contexte où les préoccupations conservationnistes croissent (et où les systèmes de valeurs qui sont associées à ces préoccupations se diversifient et se complexifient), nous avons le sentiment que différentes formes de positionnements éthiques peuvent cohabiter, parmi lesquels le positionnement utilitariste. Il y a certainement des dynamiques de substitution entre elles, qui peuvent être identifiées et critiquées, mais on ne peut pas affirmer que les logiques utilitaristes vont systématiquement s’imposer au détriment des autres.
Troisièmement, il n’y a pas, contrairement à ce que laisse penser le documentaire sur la finance de la biodiversité, une dynamique institutionnelle unique qui tendrait à marchandiser, privatiser, monétariser la diversité du vivant. Elle existe évidemment, mais il existe simultanément des dynamiques de « démonétisation » (exemple des compensations pour les marée noires aux Etats-Unis qui sont passées d’équivalences monétaires à des équivalences biophysiques), de « démarchandisation » (exemple de la gestion de l’eau et des bassins versants qui revient dans le domaine public) et de « déprivatisation » (création de conservation easements, ou servitudes environnementales, sur des terres agricoles privées aux Etats-Unis) des écosystèmes.
Tout cela nécessiterait cependant la rédaction d’un nouveau regard sur ce thème des marchés de biodiversité.
La nature, le nouvel Eldorado de la finance. J’ai beaucoup apprécié ce reportage pertinent d’Arte.
Vos explications sur ce qui est « possible » ou « cessible » en 2015 apparaissent naïves car toutes les règles fluctuent au gré des besoins des lobbies.
On a compris que les spécialistes es écologie, c’est vous et pas les journalistes. C’est incontestable.
Quand Elise Lucet (Antenne 2) dénonce courageusement les dérives financières de l’Etat et de l’UE, elle n’est expert-comptable. C’est aux spécialistes qui n’ont pas lancé de prospectives et encore moins soulevé les dérives, de travailler a posteriori sur les sujets soulevés.
Marchandiser la nature par ceux-là même qui l’ont martyrisée est une réponse aux souhaits socio-écologiques qui s’expriment depuis la fin du 20ème siècle.
L’expression sociale qui milite à bon escient en faveur de la protection de la nature et qui fait écho, au 21ème siècle, a conforté l’idée chez les financiers de développer ce marché illimité en termes de volumes et de cours: « vous voulez de la nature ? Nous pouvons vous la vendre ; vous exigez des labels ? Nous allons en créer des centaines ».
Cette prise de conscience environnementale s’est retournée contre ceux qui la prônent… et contre la nature qui pourra continuer à être durablement pillée.
Les défenseurs de la nature dont je suis, se sont fait rouler dans la farine en trois actes:
• une phase pillage et destruction : récolte forcenée des ressources naturelles (bois, poisson) et extraction intensive de toutes les matières premières au mépris des impacts environnementaux depuis le milieu du 19ème,
• une phase hautement spéculative : les permis de polluer. La marchandisation d’actifs immatériels. Les normes de protection consécutives à la raréfaction suscitent un marché. Car il s’agit bien d’un marché de services virtuels, créé uniquement à des fins spéculatives. Le paroxysme du business : vendre du vent et de l’eau présumés biens communs… La prochaine perspective, car les marchés ont toujours un coup d’avance : développer des produits financiers, toujours attachés aux règles de protection (ce qui est protégé devient cher) : faune, flore, espèces. La baleine, l’ours blanc, l’éléphant, l’abeille… In fine, cela peut conduire à raréfier la ressource pour en augmenter la valeur marchande.
• une phase « compensation » : les permis de détruire. Elle autorise et donne l’absolution aux projets qui invalident l’environnement de pouvoir quand même être mis en œuvre.
Le maître d’ouvrage, au prix d’un surcoût, a l’autorisation de construire en zone humide ou de détruire une forêt. Le budget dédié est englouti dans des frais d’études dispendieuses, puis dilué chez les maîtres d’œuvre successifs. Le solde va à l’opération de « compensation ».
Or, la supercherie consiste à faire croire qu’il y a compensation effective: quand un écosystème est détruit, on ne le reconstruit pas ailleurs, surtout avec un cahier des charges plus soucieux de normes que d’écologie. Ce qui est perdu l’est bel et bien.
Le responsable est l’homme, ingénieux, cupide et cynique. Sur ce facteur, rien ne changera.
La destruction des écosystèmes continentaux et halieutiques, de la biodiversité sont insupportables. Elle va se poursuivre jusqu’à l’asphyxie des milieux…mais cette fois dans un cadre bien normé : le « rendement financier maximum durable ».
Les vraies questions :
– que pensez-vous du marché du crédit-carbone, de ses dérives financières à l’aune du gain environnemental ?
– êtes-vous favorable/opposé à l’estimation à dire d’expert des actifs naturels en vue de leur marchandisation mondiale?
– si vous êtes « favorable » quels indicateurs préconisez-vous pour le contrôle?
– si vous y êtes « opposé » quels sont les moyens de les interdire ?
Cordialement
Philippe
Bonjour,
Réponse à Benoist / Philippe :
Sauf erreur de ma part, je pense que tu te fourvoies en partie. En gros, quand tu achètes un « crédit », ça prouve seulement que tu as bien payé une ONG pour restaurer la nature, ce qui te permet de remplir tes obligations de compensation. Tu n’es propriétaire de rien. Dans ce cas on ne voit vraiment pas qui spéculerait avec ça. Si l’adhésion à Attac était obligatoire, qui spéculerait sur son montant ? Tout le monde chercherait au contraire à payer le moins cher possible, bien que contraint de le faire. La raréfaction de l’espèce ne fera pas monter le prix, puisque l’achat dépend d’une obligation : suivant l’intérêt économique, les boites cherchent avant tout à ne pas payer, c’est-à-dire à échapper à l’obligation, donc le prix sera, comme la tonne de carbone, toujours aussi bas que possible.
On peut par contre critiquer le choix des espèces, habitats, la manière dont c’est fait, que ça dépolitise les enjeux, qu’on esquive la question du mode de vie etc. Mais à n’attirer l’attention que sur la financiarisation on passe aussi tout ça largement sous silence.
« Biobank » est à rapprocher des banques d’organes ou de gènes (cf Google) : risque de marchandisation financiarisation certes mais au marché noir, qui est résiduel, en France, car tout est très encadré.
Mais tu n’as pas entièrement tort non plus, au sens où Wildlands Inc ou EcosystemMarketPlace aux États-Unis sont des organismes à but lucratif, on peut donc penser qu’ils sont motivés par les gains permis par l’intermédiation financière. En tout cas le statut de leur personne morale ne l’interdit pas. Est-ce le cas ou pas ? On doit exiger que ce soit le Crédit Coopératif ou une ONG qui fasse l’intermédiation. Là encore cependant dans le domaine des banques d’organes il y a de nombreuses entreprises privées qui opèrent, sans que l’on arrive systématiquement à une sorte de spéculation sur les organes, même si le danger guette parfois (voir le n°10 de la RFSE à ce sujet). On est à la frontière du marchand et du non-marchand.
Le film dit bien en tout cas qu’il n’y a pour le moment personne qui gagne de l’argent. Une spéculation sans gagner de l’argent en est-elle encore une ? Le film dit aussi que si les gens investissent, notamment dans le carbone, c’est pour moins payer plus tard, et non pas gagner de l’argent. C’est logique : le carbone est un déchet, qui par définition n’a pas de valeur économique. C’est un marché du « essayer de remplir ses obligations juridiques à moindre coût », et non un marché du « essayer de gagner plus »… Sans l’obligation de réduire ses émissions, il n’y aurait pas d’incitation. Ce qui prouve bien que l’incitation première n’est pas le profit ni l’économie : bon gré (volontaire) ou mal gré (obligation juridique), c’est l’environnement.
Deux remarques sur ce passionnant débat:
– Les auteurs du documentaire savent-ils qu’on est en train de casser du sucre sur leur dos ? Ça aurait été intéressant d’avoir leur point de vue…. Est-ce que quelqu’un à leur adresse mél pour leur envoyer le lien ?
– Il me semble que la question n’est pas de savoir seulement si la financiarisation et la valorisation (au sens de PIBSE) des services écosystémiques est une bonne chose ou pas. Maintenant que l’idée est lancée elle fera son chemin, certains vont s’en emparer, pour le meilleur ou pour le pire, agir au niveau international pour que ça prenne corps et il faudra d’une manière ou d’une autre aller se battre sur ce terrain, que ça plaise ou non. Ces choses-là ont déjà été dites….
Bonjour et merci pour vos commentaires et questions.
– Pour la première question : Oui, Sandrine Feydel a été avertie de la mise en ligne de cette critique collective.
– Pour la deuxième : Elle est plus complexe et on peut en discuter les prémisses… Par exemple: Reconnaître la valeur = l’importance pour les humains des « services écosystémiques », cela n’implique pas du tout de leur attribuer une valeur monétaire. Mais cela permet aux sociétés de les prendre en compte dans leur gestion collective des écosystèmes, pour tenter de les préserver. Car c’est en comprenant le fonctionnement et la dynamique d’un écosystème surexploité qu’on peut agir de façon adaptée pour le ménager, le préserver. C’est en cela que les services écosystémiques peuvent être « valorisés » par les sociétés. La gestion des écosystèmes et territoires par les sociétés, qui implique concertation et coordination pour une action collective, entre usagers aux avis/intérêts divergents, a nécessairement une facette économique, mais aussi sociale, juridique, politique.. D’où l’importance des systèmes et instruments de régulation des activités/actions humaines sur les écosystèmes, activités qui relèvent de tous les secteurs économiques (dont agriculture, pêche, industrie, commerce…), et concernent aussi bien sûr la consommation d’espace et d’énergie par les « acteurs » que nous sommes !
Un économiste du groupe devrait pourrait répondre plus largement sur les aspects économiques du sujet – mais tous sont débordés depuis quelques semaines…
Bien cordialement,
Anne
Suite du message précédent: au-delà de la salutaire critique d’un mauvais documentaire, j’ai impression très forte de déjà vu: on tourne un peu en rond, et il me semble que la question est maintenant plutôt de savoir où sont les arènes politiques où il faut faire des propositions concrètes dans un sens ou dans un autre, et finalement quelles sont les instances qui ont les cartes en main. Si certains des lecteurs de ce regard ont cette connaissance ou sont déjà eux-mêmes engagés dans ces processus, ça serait très utile s’ils pouvaient en informer la « communauté ». Merci beaucoup…
Quelles arènes politiques ? Toutes ! Au sens où la question de la biodiversité se pose à tous les étages possibles de l’action. Difficile donc de répondre plus précisément à cette question. Exemple : sauvegarder de la biodiversité par soi-même ; « compenser » ses impacts inévitables à court terme en choisissant soigneusement les destinataires ; aider les faucheurs volontaires contre le modèle actuel d’agriculture ; manifester prochainement pour le climat ; se faire élire député en essayant d’être meilleur (ou moins mauvais) que les précédents etc.
Bonjour,
On peut concevoir que les arènes politiques sont diverses et variées. Et que nous disposons de nombreux moyens d’intervention dans ces arènes politiques :
– tout d’abord évidemment, et à ne pas négliger, par leurs publications scientifiques (car elles sont reprises par les médias, utilisées dans l’expertise, l’enseignement…)
– par leurs expertises éclairant les décisions politiques (par exemple HCB, CNPN, CNTE, CGDD….)
– par l’enseignement (notamment en présentant la nécessité et les grandes lignes d’une pensée systémique, l’importance à éviter les pièges du réductionnisme et de la spécialisation)
– par la diffusion scientifique vers des publics variés, dont public spécialisés : entreprises, think tanks, partis politiques….
Cordialement, DC
Bonjour,
A mon avis, il n’y a rien à attendre des péroraisons « des arènes politiques ». Le business, c’est ailleurs. Allez plutôt voir chez Goldman Sachs.
Cordialement
Bonjour,
Cette réponse est assez irresponsable… Si personne ne fait de l’entrisme dans ces « arènes politiques » pour y faire valoir d’autres points de vue alors les décisions prises (et appliquées un jour…) seront laissées précisément à ceux qui ont les pires intentions à propos de la marchandisation de la nature.
Évidemment, tout ceux qui ne seront pas allés se battre dans ces arènes auront leur bonne conscience pour eux, car ils pourront toujours taxer ceux qui les ont prises d’être à la solde de Goldman Sachs et consorts…. S’ils ont des propositions alternatives, qu’ils le fassent savoir !
Bonjour,
Je voudrais préciser aux lecteurs de ce Regard, et tout particulièrement aux membres de la SFE, que les points de vue exprimés dans les Regards ne reflètent pas nécessairement ceux de la SFE et ne reflètent que le point de vue des auteurs, même si parmi ceux-ci figurent quelques membres de la Société.
Il est évidemment utile d’initier un débat sur les risques et les conséquences prévisibles d’une financiarisation de la protection de l’environnement, notamment en France où le projet de loi relatif à la biodiversité semble prévoir le développement d’une « offre de compensation », et le Regard d’Harold et al aurait été une belle invitation au dialogue … s’il avait été accompagné d’une réponse de la part des auteurs du documentaire, ou mieux, des auteurs du livre paru après la diffusion du documentaire et cosigné par Sandrine Feydel, réalisatrice du documentaire, et Christophe Bonneuil, historien au CNRS (http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Predation-9782707185853.html).
Sans cette réponse, sans cet échange, sans vrai débat autour des sujets qui fâchent, il est difficile de voir dans ce Regard autre chose qu’une critique, fondée, de la manipulation médiatique généralisée qui touche non seulement le public mais souvent aussi les auteurs.
Bonjour,
Mis en ligne sur une plateforme de débat sur la biodiversité et les relations Homme-Nature, ce regard n°64 est ouvert depuis deux mois aux réactions de tous, y compris bien sûr des auteurs et conseillers scientifiques du film en question. Lecteur et demandeur de cette critique collective dès ses premières versions, en juin 2015, le philosophe politique Fabrice Flipo a averti plusieurs membres d’ATTAC en relation avec les auteurs du film, dès le 21 août. Sébastien Barot a en outre envoyé un email à Sandrine Feydel il y a quelques semaines pour l’en informer, au cas où elle ne l’aurait pas été. Je peux envoyer un email à Christophe Bonneuil pour l’informer de la mise en ligne de cet article et de ce forum de discussion, au cas où personne encore ne l’aurait fait.. Je ne vois pas très bien ce que nous pouvons faire de plus pour annoncer cet article collectif et ce forum de discussion…
Cordialement, Anne
PS: L’un des signataires de ce regard n°64 vient de me confirmer que Christophe Bonneuil – conseiller scientifique du film – a été informé de la diffusion de cet article ouvert au débat, sur cette plateforme SFE, dès sa mise en ligne le 21 août.
Par ailleurs, dans l’attente de réponses d’économistes du groupe, j’ai posté ci-dessus un début de réponse à EncoreMoinsNaïf, sous sa question du 21 septembre à propos de la « valorisation » des services écosystémiques (visant à préserver le fonctionnement des écosystèmes, et donc à ménager la biodiversité..).
Bonjour,
Nous confirmons que les auteurs et le conseiller scientifique du film ont bien été informés de et invités à répondre à ce « regard » critique collectif. Ils n’ont apparemment pas souhaité répondre.
Nous comprenons que leur démarche -pour la réalisation et les messages du film- se justifie dans un désir d’alerte, plus que d’exactitude. De notre côté, s’agissant de sciences de la conservation, il nous est paru nécessaire de souligner l’approche binaire des auteurs, porteuse selon nous de confusion et peu propice à la réflexion. Mais nous ne voulons pas pour autant jouer aux gardiens du temple. Ce n’est bien sûr pas aux scientifiques d’apporter l’unique légitimité des actions dans la lutte contre la destruction de la nature. Cette lutte ne peut être qu’une construction hybride science-société.
Bien cordialement à tous,
Anne, Catherine, Harold et al.
Bonsoir,
Pour être scientifique on n’en est pas moins citoyen, et on peut donc avoir un avis sur la manière de communiquer avec la société en général (et avec les téléspectateurs en particulier). Et regretter que les auteurs du documentaire eux-mêmes n’aient pas jugé bon de nous expliquer leur démarche. Ils prennent ainsi le risque qu’on considère leur silence comme une impossibilité de répondre à des critiques parce qu’elles seraient justifiées à 100%. Dans tous les cas de figure, leurs arguments auraient été intéressants.
Par ailleurs, il me semble que pour alerter l’opinion il faut des arguments en béton, sinon c’est contreproductif. A moins qu’on fasse du militantisme comme de la politique de bas niveau: on avance des slogans et des demi-vérités pour susciter l’adhésion plus que la réflexion… Le problème n’est pas nouveau, on peut simplement regretter que ceux qui veulent défendre de nobles causes se contentent de ce type de pratiques…
Bonjour,
Les signataires de cette critique sont bien sûr tout à fait d’accord avec le dernier commentaire d' »Encore moins naïf ». Personnellement -et je pense que les autres signataires seront d’accord- il me semble que mélanger les concepts et les arguments dans une démarche de démonstration a priori, même s’il s’agit d’alerter le public sur un sujet de société important, obscurcit le débat plutôt qu’il ne l’éclaire.
Harold va bientôt poster un commentaire de synthèse sur ce sujet…
Anne (Teyssèdre)
Les personnes qui ont participé directement ou indirectement à ce documentaire n’ont pas souhaité participer au débat que propose le format des Regards. En « off », elles reconnaissent certaines inexactitudes du documentaire, mais justifient la démarche dans un désir d’alerte. Ainsi plusieurs personnes ont mentionné, dans des discussions extérieures, que le documentaire « Nature, le nouvel Eldorado… » répond à une autre logique de communication et à d’autres formes de légitimités que celle des scientifiques. Le regard proposé ici adopterait donc une posture de « scientifiques sachants » s’opposant aux sentiments du public et à des tentatives de vulgarisation militante.
Je dois avouer que je m’interroge (et m’inquiète aussi quelque peu) sur cette « autre logique de communication ». Ce que j’en retiens, en substance, c’est que sous prétexte qu’on s’adresse à un large public et qu’on adopte une position militante, on pourrait dire et écrire des choses fausses…
Bon après je sais que l’on ne peut plus écrire ou dire que certaines choses sont « fausses » ou « vraies » car tout résultat scientifique est relatif aux conventions qui se flushnt derrière la démonstration scientifique (démontré par Latour et consorts depuis longtemps). Je partage totalement la critique constructiviste concernant les outils scientifiques et je suis d’accord qu’il existe plusieurs mondes communs et ordres de justification… mais il y a aussi des limites au recours à ce type d’arguments.
Il n’est jamais bon de faire parler les morts, mais j’ai tout de même envie d’évoquer les propos que tenait Alain Desrosières, sociologue ayant passé une grande partie de sa carrière à travailler sur les conventions dans le domaine de la statistique publique, dans ses interventions sur ce sujet (et qu’il a retranscrit dans plusieurs papiers où il évoque notamment le « paradoxe des métadonnées »). Il soulignait fort justement qu’à force de déconstruire et de revenir en permanence aux conventions, on créait systématiquement du doute autour d’objets frontières (ou intermédiaires) qui offrent, quoi qu’on en dise, un langage commun pour alimenter les débats public. Or les résultats scientifiques offrent bien des objets de communication (et de preuve) permettant d’alimenter les discussions collectives.
Ainsi, considérer que tout travail scientifique (comprendre : un travail qui propose une méthode d’analyse transparente conduisant à des résultats réfutables) peut être mis sur le même niveau qu’un travail engagé de journaliste qui n’adopte aucune méthode et n’accepte pas la réfutation, sous prétexte qu’on adopte « une autre logique de communication », me semble discutable. D’autant plus que le second est souvent considéré comme beaucoup plus légitime car correspondant au « sentiment général » (de bon sens pourrait on dire) sur un sujet pourtant éminemment complexe.
Evidemment on observe cela dans de nombreux documentaires et il est vrai que les journalistes cherchent souvent à raconter une histoire plutôt qu’à retranscrire la complexité d’un sujet (ce qui rendrait le message plus complexe). C’est pourquoi le vrai problème associé à ce documentaire est qu’il a été vu par un nombre incroyable de personnes et qu’il est devenu La référence sur la question (mes étudiants l’utilisent quasi systématiquement pour faire des exposés sur le sujet et de nombreuses personnes travaillant dans le champs de la biologie de la conservation en parlent comme d’un outil de preuve parmi d’autres lorsqu’ils évoquent le sujet des liens économie/nature).
Il ne faut donc pas oublier que l’origine de ce regard était avant tout de disposer d’un document qui réfute un grand nombre d’affirmations et sur lequel il soit possible de s’appuyer lorsque le documentaire est mentionné dans différentes arènes (ce qui ne nécessitait d’ailleurs pas de travail scientifique à proprement parler mais de se renseigner un tout petit peu).
Ce regard n’avait pas d’autres fonctions et sûrement pas d’imposer le point de vue du « scientifique sachant ».
Bonjour,
Je suis co-réalisatrice de « Nature, le nouvel eldorado de la finance », film documentaire diffusé sur Arte en février 2015 et mis en cause dans cette tribune. Je réponds dans un premier temps point par point aux critiques émises, avant de donner mon opinion plus générale sur ce texte.
Extrait de la tribune : « Parmi les affirmations fausses et idées reçues de ce documentaire, qui convergent toutes dans la même direction, voici les plus étonnantes pour les signataires de cette note :
– L’évocation de fonds d’investissement qui proposent des « portefeuilles d’espèces » aux Etats-Unis. A notre connaissance, ce type de produit financier n’existe pas.
– L’affirmation que les « crédits biodiversité pourraient permettre de spéculer sur la date d’extinction d’une espèce.»
Réponse:
Au moment de mon enquête et du tournage du film, un financier américain ayant fait toute sa carrière à Wall-Street, venait de monter un fonds d’investissement pour pouvoir proposer ce type de transaction, « les portefeuilles d’espèces », à ses clients. J’ai parlé avec lui à plusieurs reprises. Il était déjà en contact avec des banques de compensation américaines pour pouvoir leur acheter des titres liés aux espèces et habitats protégés et les proposer à des investisseurs intéressés. Ce nouveau fond d’investissement était déjà en relation avec une des principales banques européennes de compensation biodiversité, leur idée commune étant de développer ce marché en Europe. Ce patron a décliné une interview filmée. Comme le produit n’était pas encore public au moment du bouclage du film, j’ai choisi ne pas donner les noms de ces 2 sociétés pour pouvoir continuer à enquêter par la suite, mais j’ai évoqué leur proposition dans une phrase du film.
Ce n’est donc pas parce qu’à votre connaissance, « ce type de produit financier n’existe pas » que c’est une invention des réalisateurs. Il suffisait de demander…
Qu’est-il dit précisément dans le film concernant la spéculation sur les espèces vivantes ?
Le film dure 90 minutes. Cet aspect est abordé à la toute fin, dans les 10 dernières minutes, et juste après avoir expliqué certains des mécanismes de la dernière crise financière.
Une première personne interviewée (membre d’une association de défense de l’environnement) dit : « Il ne faut pas faire un gros effort d’imagination pour utiliser la même logique, diviser les crédits biodiversité, diviser ainsi la biodiversité elle-même, et dire de cette manière ‘vous pouvez désormais spéculer sur la date d’extinction de telle espèce’ ».
Une seconde (économiste) : « On voit se développer des propositions importantes aux États-Unis pour développer de façon très très large tout un système de produits dérivés qui sont des produits d’assurances pour préserver des espèces, pour préserver des habitats ».
Donc la première personne ne dit pas que la spéculation sur les espèces vivantes existe, mais en évoque la possibilité.
La seconde parle de « propositions », (les propositions en question font référence à des articles d’économistes américains qui demandent la mise en place de ces produits financiers dérivés liés aux espèces).
Aucune affirmation là-dedans. Juste l’évocation -en conclusion du film- des dangers du développement de produits financiers liés aux espèces vivantes.
Vous affirmez en revanche que les « affirmations fausses et idées reçues de ce documentaire convergent toutes dans la même direction », en omettant bien de préciser les 2 extraits d’interviews qui suivent directement ce passage. Pourquoi donc ? Alors que justement elles ne convergent pas dans la même direction et discréditent donc votre critique ?
Un économiste y affirme pourtant : « Pour moi, ces peurs sont des peurs idéologiques. Il y a ceux qui voudraient vendre la nature, ils adoreraient avoir la possibilité d’acheter et vendre des espèces. Mais c’est dommage parce que ce n’est pas notre travail. Notre travail, c’est de nous assurer que la valeur de la nature soit reconnue et intégrée. Et puis il y a ceux qui sont politiquement mal disposés envers toute forme de reconnaissance du capital. Pour eux c’est une religion, ils se battront contre tout ceux qui disent « économie » ou « capital ».
Et un ancien député Vert européen et ancien Ministre délégué au Développement d’ajouter: « Si vous laissez la question de ‘Quelle est la valeur économique de la nature?’ aux financiers, aux fonds d’investissements, aux fonds spéculatif, aux banques, leur approche, ça va être une approche purement financière de la nature et ça, c’est très négatif.
Je ne vois pas au nom de quoi le politique ne pourrait pas dire oui à une valeur économique, comme c’est le cas pour une immense majorité des biens que nous produisons et que nous consommons, mais pas de valeurs spéculatives, pas de mécanisme qui permettent à cette valeur de l’économie réelle, hop, d’être détournée par une financiarisation excessive ».
Extrait de la tribune : « D’autres erreurs ou ambiguïtés parsèment le film :
– Il est affirmé que ce sont les « banques » de compensation qui choisissent quelles espèces protéger, à travers leurs investissements dans la restauration de certains habitats d’espèces qui ont un bon prix. Etant donné le caractère réglementaire de la politique de protection des espèces menacées, ce ne sont évidemment pas les banques qui décident du statut de conservation des espèces. C’est l’autorité publique (souvent fédérale) qui classe ces espèces en fonction des menaces qui pèsent sur elles. Les « banques de compensation » restaurent ce que la réglementation les incite à restaurer. Il s’agit d’un outil de mise en oeuvre d’une politique publique environnementale et pas d’un marché de biens standard. La différence est essentielle ! »
Réponse:
Si l’autorité publique américaine décide effectivement des espèces qui doivent être protégées, ce sont les banques de compensation qui choisissent dans cette liste celles dans lesquelles elles vont investir. Il n’y a qu’à réécouter l’interview dans le film du patron de Wildlands, la plus importante banque de l’Ouest américain : «Le choix de protéger ou non une espèce dépend de la demande du marché. Acheter des terrains, les protéger, en acheter des nouveaux… C’est une chance exceptionnelle d’avoir un modèle économique qui défend la nature. Si nous n’étions pas rentables, nous n’aurions pas les moyens de réinvestir dans des nouveaux projets ».
Parmi les séquences que nous avons filmées avec lui dans sa société, il y en a plusieurs que nous n’avons pas gardées dans le montage final dont celle-ci : il nous montre une carte de la Californie, avec de gros points rouges dessus, ces points correspondent aux espèces en danger qu’il protège avec ses investissements et ses propositions de compensation. La carte est flagrante, dans la moitié Sud de la Californie, il y a plein de points rouges. Dans la moitié Nord, presque pas. Nous lui demandons pourquoi. Sa réponse :
« Parce qu’il y a du développement économique dans la partie Sud, et beaucoup moins dans
la partie Nord
– Ah il y a donc moins d’espèces en danger dans le Nord ?
– Pas forcément, mais il n’est pas rentable pour nous d’investir dans leur protection, car il n’y a personne, aucun développeur, pour nous acheter des titres
– Que deviennent celles alors qui ne sont pas rentables ?
– C’est le problème de l’Etat ».
Je maintiens que les banques choisissent les espèces et les habitats naturels dans lesquels elles investissent et prennent celles qui sont rentables.
Extrait de la tribune : Selon les auteurs du film, « la baisse des moyens publics et le recul des lois environnementales auraient permis l’émergence de marché de l’environnement ». Cette affirmation est surprenante car les investissements privés dans la restauration d’écosystèmes ont émergé uniquement à la faveur du renforcement de la réglementation environnementale.
Les banques de compensation pour les zones humides font des bénéfices élevés aujourd’hui, car il y a une réglementation environnementale qui oblige beaucoup plus qu’avant les développeurs à compenser pour leurs destructions, ce qui garantit un niveau de demande élevé pour les entreprises qui ont investi dans la restauration de zones humides.
Réponse:
Les investissements privés dans la restauration d’écosystèmes n’ont pour moi pas émergé à la faveur du renforcement de la réglementation environnementale, mais à la faveur d’un changement de ces réglementations. La législation a autorisé la destruction d’espaces naturels, en ouvrant la possibilité d’en dégager une source de financement pour la protection d’autres zones, favorisant ainsi la création de banques de compensation et de ce marché.
Extrait de la tribune : Par ailleurs, si les budgets de l’EPA (Environmental Protection Agency) ont bien été réduits à l’arrivée du Président Reagan, comme cela est mentionné dans le reportage, ils repartent à la hausse deux ans plus tard. Hausse qui se poursuit de manière constante depuis. Donc on ne peut pas dire que les moyens publics dédiés à l’environnement ont baissé. Ils ont augmenté. Pas assez cependant pour faire face à tous les enjeux associés aux nouvelles politiques environnementales.
Réponse:
Reagan serait donc un fervent défenseur de l’environnement, il aurait donc corrigé une erreur de début de mandat et se serait rattrapé par la suite ? Nous aurions délibérément caché cela dans le film ?
Je ne peux que conseiller à celles et ceux que le sujet intéresse de se pencher sur la politique environnementale de Reagan alors qu’il était gouverneur de Californie, et à toutes ses déclarations alors qu’il était en campagne présidentielle, ses attaques contre les réglementations environnementale, les nominations des personnes qu’il a effectuées aux plus hauts postes de responsabilité, une fois élu, et qui se sont directement attaquées aux mouvements et combats écologistes de l’époque, les think tanks qui l’ont financé… Reagan s’est bel et bien attaqué aux politiques de préservation de l’environnement.
D’ailleurs, le documentaire ne dit pas que tout nouvel instrument de marché résulte toujours d’une dérégulation, mais il se trouve que le projet pilote de banque de biodiversité a été lancé en 1982, en période de dérégulation et de régression de l’EPA. Que le budget soit reparti à la hausse ultérieurement n’efface en rien les attaques programmées et bien réelles contre le mouvement environnemental et les législations de protection. Il se trouve aussi que c’est bien la fronde des ONG environnementales en 1983, et le mécontentement généré par la politique de casse environnementale de Reagan, qui a contraint le Président à revoir sa politique et réallouer des budgets. Encore serais-je curieuse de voir ces chiffres à la hausse dont vous parlez, corrigés de l’inflation, et mis en perspective avec les besoins croissants, avant d’affirmer que, même après correction, ces « moyens ont augmenté ».
Extrait de la tribune : Il est aussi dit que les banques d’affaires seraient à l’origine du système des banques de compensation. Cette affirmation, pour le moins surprenante, n’est pas à notre connaissance corroborée par les travaux universitaires sur l’histoire des banques de compensation.
Réponse:
Il n’est nul part dit cela dans le documentaire. Dans le film, nous parlons de l’Ecosystem Marketplace, « la place de marché des écosystèmes », une société qui se présente comme le « Bloomberg des marchés de l’environnement». Son but, en créant de l’information financière, est de stimuler ces marchés. Or, lorsque l’on regarde qui se trouve derrière l’Ecosystem Marketplace, dans ses différents conseils, on trouve des banques d’affaire. Comme le dit son PDG : « La prochaine vague de gros profits financiers pourrait bien venir de ces marchés environnementaux. Avec une banque, vous regardez aussi bien les risques que les opportunités liés à ces questions, je pense que toutes reconnaissent maintenant que les ressources naturelles sont très importantes. Alors JPMorgan Chase, Merril Lynch, Bank of America, toutes ces banques majeures, ce sont ces institutions qui investissent dans les entreprises qui ont des projets qui auront un impact sur la biodiversité, positif ou négatif. Alors elles sont une pièce très importante de notre coalition ».
Nous montrons dans le film que ces nouveaux marchés intéressent les banques d’affaires, pas qu’elles sont à l’origine des banques de compensation biodiversité.
Extrait de la tribune : Tout au long du reportage, les journalistes entretiennent un flou sémantique qui va dans le sens des idées reçues.
Des exemples issus à la fois de la réglementation et de démarches volontaires sontévoqués simultanément en utilisant des notions spécifiques, généralisées ou employées hors propos. Le terme « bio-banque » (biobank) par exemple, largement utilisé dans le reportage, désigne des initiatives précises sur les forêts (comme celle de la Malua BioBank mentionnée par les auteurs), concernant en particulier la compensation carbone. Ce terme ne doit pas être confondu avec celui de « BioBanking » (Biodiversity Banking and Offsets Scheme), programme de banques de compensation pour la biodiversité (espèces menacées) de l’Etat de Nouvelle-Galles du Sud en Australie, ni avec les « mitigation banks » (banques de compensation pour les zones humides) ou encore les « conservation banks » (banques de compensation pour les espèces protégées) américaines. Or ces projets et programmes renvoient à des systèmes de régulation très différents. (Nous invitons par ailleurs le lecteur à taper «biobank » ou « bio-banque » dans un moteur de recherche pour voir à quoi peut aussi renvoyer ce concept dans un tout autre domaine.)
Réponse:
Effectivement, la traduction exacte en français du modèle des « mitigation banks » est «banque de compensation ». Sauf que « banque de compensation » en France renvoie à des réalités bien plus sombres encore que celles du film. C’est justement pour éviter les confusions post-affaire Clearstream que nous avons –après de longues discussions- choisi d’utiliser le terme biobanque (nous sommes d’ailleurs loin d’être les seuls). Pas pour entretenir une confusion donc, mais justement pour éviter un amalgame.
Extrait de la tribune : On passe ainsi de la pollution des usines de la société brésilienne Vale et de son impact sur la santé humaine aux investissements associés à des plantations d’eucalyptus, aux « banques de compensation » pour les zones humides, aux marchés du carbone, aux évaluations monétaires de la nature réalisées par des administrations publiques, etc. Sans nuance, sans clarification. Il semble que les journalistes n’ont pas cherché à faire le tri, et encore moins à expliquer les différences aux téléspectateurs. Pourtant, il y a des différences essentielles entre tous ces sujets.
A titre d’exemple, l’évaluation monétaire de la nature en lien avec des projets d’investissement public n’est pas un outil de marché, mais de planification publique.
Un autre exemple est le mélange entre les marchés de compensation pour la biodiversité et les marchés carbone, alors que ces systèmes ne fonctionnent pas du tout selon les mêmes règles. Les marchés de carbone impliquent l’échange de droits d’émission (échanges de droits à polluer, non utilisés), tandis que les « marchés de compensation pour la biodiversité » sont fondés sur des actions de restauration d’écosystèmes.
Réponse:
Voilà pour moi un exemple où l’hyperspécialisation, dans ce cas, passe à côté de l’essentiel.
Il faut des ouvrages entiers (qui existent déjà) pour détailler les fonctionnements des « mitigation banks », « conservation banks », du « biobanking », des différents marchés du carbone (car il en existe beaucoup)… Effectivement, je l’assume, notre propos n’était pas de faire un inventaire, un feuilleton-catalogue audiovisuel détaillant les différences, les avantages et les inconvénients de chacun de ces systèmes, mais de regarder ce que la plupart ont en commun dans leur logique, leurs propositions politiques, éthiques et philosophiques, et leurs dérives possibles. Dans ce sens oui je compare LES marchés du carbone entre eux, et ces marchés du carbone aux propositions de compensation biodiversité, je parle des marchés de la nature, de la biodiversité, du climat d’une façon générale car j’ai voulu me concentrer sur leur logique commune, parce que des propositions sont à l’étude, voire pour certaines déjà à l’oeuvre, qui méritent selon moi débat public et information des citoyens. Je suis d’accord avec la critique de votre texte par un internaute dans ce forum : « Ca manque tout de même de perspectives sociétales, philosophiques, anthropologique ».
Extrait de la tribune : Le montage des interviews rend compte de manière sélective des positions des personnes interviewées – biais que l’on peut vérifier soit en examinant les argumentations complètes de ces personnes, qu’on peut lire ailleurs, soit en visionnant les interviews complètes sur internet.
Réponse:
Dire qu’un montage rend compte de façon sélective revient à enfoncer des portes ouvertes.
C’est une critique qui peut s’appliquer à tous les films et reportages existants. Un montage est par définition une sélection subjective. Tout le monde sait qu’un montage de 5 minutes d’interview ne rendront jamais compte des nuances d’un entretien in extenso, encore moins d’une collection d’ouvrages écrits par quelque interviewé, et n’en a jamais eu la prétention d’ailleurs… Tout dépend donc des choix qui sont faits. A lire les critiques qui suivent, nous aurions donc fait dire à certaines personnes filmées l’inverse de ce qu’elles pensaient. Ce que je réfute complètement.
Extrait de la tribune : A partir d’un témoignage, le film met en parallèle les stratégies d’investissement des grandes banques d’affaires et les « banques » de compensation. Que les banques d’affaires puissent un jour s’intéresser aux investissements dans la restauration de la nature pour des raisons stratégiques est une chose, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Réponse:
En l’occurrence si.
Et, d’autre part, vous mettez en cause ici non pas une partie de commentaire que j’ai écrite, mais les propos d’une personne interviewée.
Extrait de la tribune : Par ailleurs, pourquoi passer ensuite autant de temps sur les scandales de Goldman Sachs, de JP Morgan, sans plus jamais parler de relation avec la biodiversité et la réalité du marché des « banques » de compensation ?
Réponse:
« Autant de temps » ? Il n’y a qu’une seule phrase concernant chacun de ces établissements…
Extrait de la tribune : Geoffrey Heal, économiste qui a beaucoup travaillé sur les limites de la monétarisation du vivant, est présenté de manière partiale. On ne le laisse pas développer ses explications autour du diagnostic économique de l’érosion de la biodiversité. On a juste repris une de ses phrases pour faire une belle transition. L’interview entière de Geoffrey Heal (qui dure plus de 6 min) a été mise en ligne par ViaDécouvertes Production : https://www.youtube.com/watch?v=2TRwpQkYVfg. Le visionnage de l’interview permet de se rendre compte à quel point les réalisateurs n’ont pas cherché à retranscrire la subtilité de son analyse et ont pris un extrait rendant son propos caricatural.
Réponse:
Geoffrey Heal revient à CINQ reprises dans le documentaire, sur des thèmes différents. C’est lui qui donne la définition du capital naturel, lui qui parle de l’intérêt non marchand de l’évaluation économique de la nature. Comment oser écrire « On a juste repris une de ses phrases pour faire une belle transition » ? Et à la question que je lui ai posée sur la spéculation financière future possible sur les espèces vivantes, c’est aussi lui qui m’a répondu : « Au cours de ma vie, j’au connu beaucoup de krachs boursiers. Alors est-ce que ces marchés environnementaux pourraient s’effondrer de la même façon ? La réponse est oui ». Concernant M. Heal, je m’insurge donc contre vos propos. Les parties de son interview que nous avons utilisées sont en majorité descriptives et pédagogiques, permettant d’abord dans la première partie du film d’expliquer ce que signifie l’évaluation économique de la nature. Et il se trouve que son analyse sur les dangers de la financiarisation de la nature (dernière partie utilisée de son intervention dans le film) m’a confortée dans l’idée que ces craintes étaient fondées, car elles n’étaient pas l’apanage justement de militants ou d’économistes engagés dans le sens qui n’a pas l’air d’être celui des signataires de cette tribune.
Enfin, il se trouve que l’interview complète dure presque une heure. C’est bien parce que j’étais frustrée de ne pas utiliser plus de cette interview passionnante, et pour permettre à ceux que les propos de M. Heal intéressait d’aller plus loin, que j’ai moi-même fait le montage de 6 minutes dont vous parlez et demandé à ce qu’il soit mis en ligne.
Extrait de la tribune : A l’inverse, Pablo Solon Romero, présenté comme un ancien ambassadeur bolivien auprès des Nations-Unies, apparaît dans le reportage comme un des principaux « experts » sur le sujet de la financiarisation de la biodiversité et bénéficie d’un temps de parole important par rapport aux autres interviewés.
Réponse:
Ce passage jette un doute sur la véracité de cette présentation. Pablo Solon a effectivement été l’Ambassadeur de Bolivie auprès des Nations Unies. Sa vision politique des enjeux globaux de la marchandisation de la nature fait effectivement de lui un intervenant majeur du débat. N’en déplaise aux auteurs de cette tribune, nul n’a besoin d’un titre universitaire d’économiste ou d’écologue pour avoir une opinion fondée et une expérience solide sur le sujet.
D’autre part, votre affirmation concernant le temps de parole est fausse, encore une fois. Le documentaire se base sur l’opposition principale entre l’économiste Pavan Sukhdev et Pablo Solon. Pablo Solon intervient 8 fois dans le documentaire. Pavan Sukhdev à 10 reprises, et plus longuement.
C’est non seulement faux. Mais en plus sans aucun intérêt à mon avis. Il s’agit d’un documentaire, présentant une analyse certes subjective, mais découlant d’une investigation poussée. Nous n’avons pas cherché l’égalité des temps de parole. Pourtant, vous n’en parlez jamais, le premier tiers du film est plutôt descriptif, avec peu de critiques, à tel point que beaucoup de spectateurs en projection publique me disent à la fin « pendant longtemps dans le film, nous avons pensé que oui, en fait les marchés économiques et financiers avaient un rôle positif à jouer dans la préservation de la nature ».
Extrait de la tribune : Or Pablo Solon Romero est avant tout le directeur d’une ONG altermondialiste, ce qui n’est jamais mentionné dans le documentaire – alors que les réalisateurs ne se privent pas de mentionner le parcours de banquier de Pavan Sukhdev, initiateur de The Economics of Ecosystems and Biodiversity. Certes on ne peut qu’adhérer à la plupart des valeurs que Pablo Solon Romero défend, mais la manière dont le reportage présente ses propos mélange l’avis d’expert et le discours militant.
De même Geneviève Azam, présentée comme chercheuse en économie à l’Université de Toulouse II, énonce de nombreuses généralités sans les étayer autrement que par des arguments de « bon sens ». Cependant les journalistes taisent le fait que G. Azam est aussi porte-parole d’Attac France, une information qui pourrait susciter des doutes sur le caractère objectif de ses propos.
L’interview de Vandana Shiva est un peu sur le même modèle. La philosophe et militante écologiste indienne évoque des questions très générales fondées sur son expérience des OGM, le brevetage du vivant, etc., mais qui n’ont que peu à voir avec les exemples développés dans le reportage.
Réponse:
C’est très très intéressant… Donc nous aurions caché les titres et positions de certains interviewés en omettant volontairement une partie de leur parcours. Dans quel but sous entendu? De dissimuler leurs intentions, et les nôtres par la même occasion ? L’explication est bien plus simple que cela. Elle est même bêtement technique. En télévision, quand un interlocuteur parle, on inscrit son nom en bas de l’écran, son prénom et sa fonction. Et le temps de lecture fait qu’il n’y a la place, pour CHAQUE interviewé, que pour UN SEUL titre. D’autant plus quand les films sont diffusés sur Arte et que ces titres doivent être écrits en français, puis en allemand. Il est alors d’usage de prendre le plus haut « grade » que la personne ait eu dans sa vie.
Donc oui, Pablo Solon a été Ambassadeur de Bolivie à l’ONU comme nous l’avons écrit, et ce pendant plusieurs années, et il a notamment dirigé la délégation bolivienne à la COP de Copenhague. Mais il a aussi ensuite dirigé une ONG tiers-mondiste basée à Bangkok, a organisé le Sommet des Peuples de Cochabamba …
Geneviève Azam est économiste et enseigne à l’Université de Toulouse, comme indiqué. Elle est aussi effectivement porte-parole d’ATTAC et a écrit plusieurs livres. Vandana Shiva a obtenu ce qu’on appelle le Prix Nobel alternatif. Elle a fondé une ONG. Elle se bat contre les OGM, mais contrairement à ce que vous écrivez, elle est aussi très engagée dans la lutte contre la financiarisation de la nature. Il suffit de faire une recherche de quelques secondes sur Internet pour obtenir leur CV.
Mais pourquoi vous arrêter ainsi en si bon chemin ? Pourquoi n’avoir choisi que ces 3 exemples là, appartenant à une même famille politique pour le dire clairement ?
Geoffrey Heal est présenté dans le film en tant qu’économiste avec son titre universitaire à l’Institut de la Terre à Columbia. Pourquoi ne trouvez-vous pas aussi étrange qu’il n’ait pas été fait mention de son rôle auprès de la Banque mondiale, de l’OPEP, de Phillips Petroleum, de son ancien titre d’administrateur de Petromin Holdings, une compagnie minière en Papouasie ?
Pavan Sukhdev, présenté dans le film comme économiste, ancien banquier et à la tête d’une société de conseil, est aussi un spécialiste des produits financiers dérivés et a travaillé toute sa vie activement pour développer les marchés financiers dans le monde. Ces informations étaient-elles moins pertinentes pour votre démonstration ?
Extrait de la tribune : On peut se demander aussi pourquoi aucun entretien avec des représentants d’administrations publiques en charge de la gestion des marchés de la biodiversité – par exemple l’US Environmental Protection Agency, l’US Army Corps of Engineers ou le Fish and Wildlife Service, aux Etats-Unis – ne figure dans le film. Cela aurait pu donner des informations importantes sur la nature de ces marchés, sachant que ce sont ces acteurs qui les régulent.
Réponse:
Je me demande pourquoi toutes ces questions ne m’ont pas été posées avant la publication de votre tribune. Les réponses vous intéressaient-elles vraiment ? Ou ces sous-entendus non vérifiés ne servent-ils qu’à valider une thèse pauvre en arguments ?
Il se trouve que j’ai sollicité une interview de l’EPA en Californie. Interview qui a été acceptée. Deux responsables devaient me rejoindre à Colton, la ville en Californie où nous avons filmé le travail d’une biobanque concernant la préservation d’une mouche en voix de disparition. Ils devaient non seulement répondre à nos questions, mais aussi s’assurer de nos ‘bonnes pratiques’ professionnelles : la mouche étant protégée, il y a des règles strictes à respecter pour être autorisés à aller sur son territoire et la filmer. Ils ont eu un empêchement la veille au soir et ont chargé Ken Osborne, un naturaliste certes indépendant mais qui travaille comme consultant exclusif pour l’EPA sur cette mouche. C’est lui qui est interviewé dans le film et que l’EPA a donc chargé d’intervenir au nom de l’administration.
Qu’a-t-il dit sur le film après l’avoir vu ? « I have, on many occasions been interviewed and/or filmed by news organizations on various issues of our endangered species here in California, and on every occasion up to now, there have always been glaring errors and sometimes truly egregious abuses and mischaracterizations of what was said or presented. I am truly impressed with this production, for not only is it presented with clarity and sobriety, but I can find no departures from the facts! From my perspective, this is a real accomplishment! »
Par ailleurs, les patrons des deux biobanques américaines qui ont été interviewés dans le film m’ont écrit après avoir aussi vu le documentaire. Pour le responsable de la biobanque protégeant la mouche de Colton : « I think the video is very good and represents a rational look at the pros and cons of banking. Colton was featured significantly and portrayed well. Fly continues to be preserved and we continue to sell credits. I very much enjoyed working with you and your team. »
Et pour le patron de Wildlands, la plus importante biobanque de l’Ouest américain : «Thank you so much for remembering us. I just watched your documentary, your team did a brilliant job, congratulations! Let us know when it is released in the US so I can tell everyone to watch it. Stay in touch and congratulations once again. »
Extrait de la tribune : Un dernier point qu’il nous semble important de noter est le montage des images, sons et commentaires en voix off, souvent très suggestif – et qui confine parfois à la manipulation des téléspectateurs. Par exemple, dans une vue plongeante sur la ville de New York, un énoncé de scandales financiers de grandes banques d’affaires américaines mêlé à des rugissements de lions se conclut sur cette métaphore: « une plante carnivore peut-elle cesser d’être carnivore ?» – variante botanique de la mise en garde contre les requins de la finance. Sans vouloir offenser les journalistes, la mise en scène est un peu grossière…
Réponse:
En dehors de mon intérêt pour les questions d’environnement, il se trouve que mon travail à temps plein consiste à réaliser des reportages économiques et sociaux. Voilà donc plusieurs années maintenant que je traite avec mes collègues des conséquences de la dernière crise économique et financière. Bien loin de calculs et d’évaluations sur la compensation biodiversité et la contemplation du vivant, mon quotidien est de rendre compte du chômage, des dégradations des conditions de vie, des fermetures d’entreprises, des conséquences des prêts financiers pourris sur les particuliers et les collectivités locales… En France, et partout ailleurs. Nous n’avons effectivement pas la même définition de ce qui est grossier.
Extrait de la tribune : En bref, l’idée reçue qui sous-tend l’ensemble de la «démonstration » des auteurs est que l’argent, dans le domaine de l’environnement, serait forcément corrupteur. Mais alors, quelles sont les alternatives proposées ?
Comment prendre en compte la biodiversité dans les politiques sectorielles et les activités socio-économiques, sachant que celles-ci affectent l’ensemble des écosystèmes terrestres et marins, aux échelles locale, régionale et mondiale ? Le documentaire en reste à une critique en bloc, plus paralysante que constructive.
Etant donné le sujet très important et sérieux que le film proposait d’aborder – celui des risques et opportunités associés aux nouveaux instruments économiques mobilisés autour de la biodiversité (marchés, évaluations monétaires, etc.), que ces derniers le soient pour gagner de l’argent, faire respecter une réglementation ou communiquer de manière générale sur la valeur de la biodiversité – il est finalement
dommage de constater que les auteurs ont avant tout cherché à imposer leur vision a priori négative des « marchés de biodiversité », quels qu’en soient les motivations, objectifs, bases et modes de fonctionnement, sans explorer véritablement le sujet par une enquête approfondie. Il est d’ailleurs frappant que le documentaire ne comporte aucun exemple positif, ni ne suggère une quelconque alternative.
Réponse:
Ce film montre les dangers de la marchandisation et de la financiarisation de la protection de la nature. A aucun moment votre avis sur le fond n’est donné. A vos yeux, ne pas avoir été assez précis sur les différences entre « mitigation banks » et « conservation banks », avoir dit « biobanque » au lieu de « banque de compensation » est donc plus important que de critiquer l’entrée dans la danse de multinationales destructrices de l’environnement ?
Aucun avis sur le Conseil mondial des entreprises pour le Développement durable, lobby qui rassemble parmi les 200 plus grosses sociétés au monde, qui est enchantée de pouvoir développer la compensation biodiversité ? Aucun avis sur les exemples déjà existants de compensation de ces entreprises ? Vous ne dites rien sur le fait que l’entreprise chimique Dow Chemical soit ravie de payer des naturalistes pour compenser les impacts de ses usines sur ses oiseaux aux Etats-Unis ? Rien à dire sur la présence de lobbies industriels et chimiques auprès de la Commission européenne pour façonner la future législation sur la compensation biodiversité en Europe ? Sur l’utilisation politique de la compensation biodiversité en France ? A l’étranger ? Les exemples foisonnent déjà pourtant. Aucun avis sur la destruction de la forêt primaire à Bornéo en échange de titre de compensation ?
Rien à dire sur ces femmes et ces hommes au Brésil et en Ouganda que vous avez pu voir dans le documentaire, victimes des compensations (certes carbone et non pas biodiversité, cela semble plus important à vos yeux). Quel point de vue sur les associations qui couvrent ces pratiques ? Quel positionnement d’économiste sur ces propositions de « titriser la biosphère » ? Quelles critiques des conséquences des marchés du carbone ?
Vous trouvez le film plus paralysant que constructif ? Je vous invite à assister aux débats publics qui suivent les projections. Il ne se passe pas une semaine depuis sa diffusion sans qu’il ne soit projeté dans une ville.
Le film ne donne pas de solutions ? Etre informé des dangers de la financiarisation et faire en sorte de les empêcher est en soi une solution. J’espère que ce documentaire sera utile en ce sens.
Quant à d’autres solutions pratiques, c’est un film entier qu’il faudrait, ce sera peut-être le prochain.
Si l’intention de départ des auteurs de cette tribune avait vraiment été celle de rétablir des inexactitudes ou des erreurs, il aurait été plus judicieux de nous en faire part avant la publication.
Je lis dans les commentaires de la part des auteurs que nous avons été mis au courant de
cette tribune et que nous n’avons pas souhaité y répondre. C’est faux. J’ai été officiellement mise au courant de l’existence de ce texte le 7 octobre 2015 par un membre de la SFE, après sa publication donc. Et si 10 auteurs ont mis 6 mois après la diffusion du film pour l’écrire, qu’il nous soit au moins permis de ne pas cesser toute activité affaire pressante et de prendre quelques semaines avant d’y répondre. Encore une fois, si le débat avec les auteurs du film avait vraiment été recherché, ce temps là aurait été accordé. N’aurait-il pas été plus équilibré d’organiser un débat pluraliste dès le début comme la SFE le fait parfois sur son site?
Je lis également qu’en « off », nous avons reconnu « certaines inexactitudes du documentaire », mais que nous aurions « justifié la démarche dans un désir d’alerte ». J’en reste bouche bée. Je n’ai jamais parlé directement à aucun des signataires de ce texte depuis sa publication. Vos sources ne sont pas bonnes, et vous ne les avez en l’occurrence pas vérifiées avant de rendre public des propos inventés. Non seulement je n’ai jamais dit cela, mais en plus je ne le pense pas une seconde. Aucune inexactitude volontaire ne saurait être au fondement de notre démarche. Elle la desservirait au contraire. Je remercie toute personne pouvant apporter les corrections nécessaires si erreurs il y a. En revanche, la longue liste des pseudo-inexactitudes à laquelle j’ai dû présentement répondre me laisse dubitative. Vous affirmez que « plusieurs personnes ont mentionné, dans des discussions extérieures, que le documentaire « Nature, le nouvel Eldorado… » répond à une autre logique de communication et à d’autres formes de légitimités que celle des scientifiques ».
Ah. C’est l’homme qui a entendu l’homme qui a entendu l’homme… Heureusement que je ne diffuse pas des rumeurs de ce type… Je suis la réalisatrice qui défend en France le film lors des projections où je réponds aux questions du public. Je n’ai jamais tenu de tels propos.
Je m’étonne enfin d’avoir trouvé la signature de Gilles Boeuf en bas de cette tribune. L’ayant interviewé pour ce documentaire, je l’ai croisé au Ministère de l’environnement peu de temps après la diffusion du film et suis allée le voir pour savoir ce qu’il en avait pensé. Il m’a dit qu’il l’avait trouvé intéressant, développant un angle inhabituel et inquiétant, et qu’il l’avait même conseillé à la Ministre… Il a d’ailleurs présenté le film en Roumanie il y a quelques semaines à peine.
Le film « Nature, le nouvel eldorado de la finance » a été sélectionné dans près d’une trentaine de festivals de documentaires dans le monde, ce qui est très rare. Il a déjà obtenu de nombreux prix (Prix de l’exposition Universelle de Milan, Italie ; meilleur film documentaire, festival du film de l’environnement de Kuala Lumpur en Malaisie ; meilleur film documentaire du festival du film de Toronto, Canada ; meilleur film documentaire, festival du film de Barcelone, Espagne ; prix de la faculté des sciences de Prague, République tchèque ; Grand Prix de la ville d’Insbruck, Autriche… ).
Sandrine Feydel
Bonjour Sandrine,
Nous allons bientôt poster une réponse à votre commentaire, sur le contenu du film.
Pour ce qui est du retard à vous contacter: Aucun d’entre nous ne vous connaissant directement, mais plusieurs connaissant le conseiller scientifique du film ou des chercheurs interviewés dans le film, ce sont ces personnes -ainsi que le site d’Attac- que nous avons averties fin août et début septembre de la mise en ligne de ce « regard » collectif, les invitant à intervenir sur le forum et pensant qu’elles vous préviendraient… mais aucune de ces personnes n’a posté de commentaire ni ne vous a apparemment prévenue.
(C’est d’ailleurs pourquoi, dans le doute, j’ai cherché début octobre vos coordonnées sur Internet et ai prié Sébastien B. de vous prévenir..)
Les discussions « off » sur le film n’impliquent pas vous-même, mais les personnes que nous connaissons ayant collaboré à ce film.
Désolée pour cette liaison trop indirecte, j’aurais dû chercher vos coordonnées dès la mise en ligne de cet article pour vous contacter, sans supposer que le conseiller scientifique ou les intervenants contactés joueraient les messagers ou/et réagiraient eux-mêmes à cette critique du film – ce qui est une erreur de ma part.
Cordialement,
Anne Teyssèdre
Je viens de lire la réponse de Sandrine Feydel. Ben je lui présente mes excuses (même si je n’ai aucune excuse). Mon commentaire est si stupide…
Je reformule la question qui n’avait pas reçu de réponse de la part des auteurs du regard. Quand vous dites : « Depuis sa diffusion, ce documentaire est utilisé pour dénoncer la « marchandisation de la biodiversité » dans de nombreuses arènes de discussions, y compris scientifiques ». Ici, le problème n’est-il pas du côté des arènes scientifiques qui reprendrait un docu devant être censé, d’après la science, ne pas être repris? Pourquoi prendre comme raison de faire un procès au docu le mauvais comportement supposé des scientifiques? Je ne comprends pas. Et puis, qu’en est-il de Gilles Boeuf?
Autre point, je ne suis pas satisfait de votre réponse entre l’action militante et l’action scientifique. Je veux dire je ne l’ai pas comprise. Je connais très bien la démarche scientifique et il est si flagrant qu’elle défend implicitement des présupposés culturels, qu’elles s’appuient forcément sur des conventions et non des vérités prouvées, qu’en tant que grosse machine elle oblige les juniors à se conformer à leur séniors plus qu’à la science, etc. Personnellement, je trouve bien plus péremptoire et manipulateur le monde scientifique et sa logique de communication qu’un documentaire qui lui ne s’affiche pas comme une vérité mais après tout bien comme une information.
Bonjour Michel,
Nul bien sûr n’est objectif, mais certains experts/chercheurs s’appuient beaucoup plus, dans leurs analyses ou « plaidoiries » scientifiques, sur leurs convictions (politiques ou religieuses) a priori que sur les observations et la connaissance des multiples mécanismes (écologiques, anthropologiques, socioéconomiques..) régissant le fonctionnement des socioécosystèmes. Analyses biaisées dont les arguments simplifiés – pour la communication vers le grand public – et les fondements idéologiques peuvent séduire en priorité les médias, d’autant plus que la cause plaidée paraît juste face à d’autres analyses (pluridisciplinaires) moins visiblement engagées vers une « juste cause » et plus complexes…
Heureusement, ces derniers jours, d’autres voix ont pu s’exprimer dans les médias et ONG environnementales.
Par exemple:
– Cette dépêche de l’Agence France Presse datée du 27 janvier, signée Céline Serrat:
« Projets d’aménagements: la compensation des impacts sur la nature à la peine », AFP.
– Cet article en ligne de Yann Laurans et Renaud Lapeyre, publié par la Newsletter « TheConversation » le 27 janvier:
« Loi Biodiversité: Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ». http://theconversation.com/loi-biodiversite-ne-jetons-pas-le-bebe-avec-leau-du-bain-53703
– Cette vidéo de la table ronde sur la compensation écologique à l’Assemblée nationale, le 27 janvier:
http://videos.assemblee-nationale.fr/video.3579207_56a87dc75d539.-commission-du-developpement-durable–table-ronde-sur-la-compensation-ecologique-27-janvier-2016
– Cette (longue) note de Harold Levrel et Denis Couvet publiée le 29 janvier par la Fondation d’Ecologie Politique: « Les enjeux liés à la compensation écologique dans le projet de loi biodiversité », http://www.fondationecolo.org/activites/publications/Point-de-vue-d-experts-Janvier-2016-Compensation-et-biodiversite
– Cette tribune de H. Levrel et A. Teyssèdre en ligne sur le site du Monde depuis trois jours:
« Loi sur la Biodiversité: Ne tirez plus sur l’ambulance! » http://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2016/02/01/loi-sur-la-biodiversite-ne-tirez-plus-sur-l-ambulance_4857351_1652692.html
Une communication sur le même thème est en préparation avec Humanité et Biodiversité.
Bref, médias et ONGE commencent à faire entendre un autre son de cloche sur le sujet…
Bien cordialement,
Anne et al.
Bonsoir,
Au plan des recherches sur le thème « Compensation écologique et marchandisation de la nature », on peut mentionner en France des travaux/chercheurs qui relativisent énormément la dimension marchande des « marchés » de la compensation: Valérie Boisvert (un papier dans Ecosystem Services), Laurent Mermet et Yann Laurans (bouquin publié par l’AFD), Harold Levrel, AC Vaissière, Géraldine Froger et Philippe Méral (articles dans Ecological Economics et dans Ecosystem Services). Ces chercheurs ont des backgrounds et des approches différentes mais convergent vers l’idée qu’on est pas dans une situation de marchés classiques.
Ouf ! Enfin les wagons de la « disputatio » sont arrimés, mais que de temps perdu…on aurait effectivement aimé avoir la réponse en même temps que la critique. Ceci est une petite pierre dans le jardin des organisateurs de ces Regards…
Ceci dit, il y a un risque, inhérent à tout ce qui est controverses quand celles-ci sont correctement instruites à charge et à décharge: celle de ne jamais aboutir à des positionnements tranchés. Certes, « In medio stat virtus », mais au bout du compte, quelle morale en tirer pour l’action ? Personnellement je reste perplexe, et je salue ceux qui ont la possibilité (ou le courage) de faire de l’entrisme dans les « arènes politiques » (entendez par là les bacs à sable de M. Goldman-Sachs…), qu’ils nous fassent plus souvent part de ce qui s’y passe…
bien à vous…
EMN
Bonjour,
En attendant la réponse synthétique des coauteurs à la réaction de Sandrine Feydel (cf. commentaire ci-dessus, daté du 26 janvier), qui prend nécessairement un peu de temps, nous conseillons aux internautes intéressés par la question plus générale de la « marchandisation de la biodiversité » cet article en ligne de Catherine Aubertin, Denis Couvet et Fabrice Flipo, paru aujourd’hui dans le Journal du Mauss (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales) :
« Une marchandisation de la nature? De l’intégration de la nature en économie » : http://www.journaldumauss.net/./?Une-marchandisation-de-la-nature
Bonjour Sandrine,
Merci pour votre réponse, et voici notre propre réponse à vos remarques et questions.
En préambule, nous reconnaissons une difficulté importante de vocabulaire. Le mot « banque » comme le mot « finance » recouvrent des réalités diverses. Quoi de commun entre une banque d’organes, une banque de gènes (il en existe 1400 dans le monde, la plus célèbre étant peut-être Savlbard en Norvège, conçue pour résister à des catastrophes de grande ampleur), la BFCC (finance solidaire) et une banque s’adonnant à la spéculation boursière ? Les « banques » de gènes portent d’ailleurs d’autres noms : ce sont aussi des « réserves », des « conservatoires » etc. Les institutions financières sont aussi des entités complexes : Quoi de commun entre les produits financiers véreux ayant engendré la crise des subprimes et le mouvement de désinvestissement massif dans les énergies fossiles que nous observons actuellement ? Ce qui nous manque à tous à ce stade, comme vous le soulignez, c’est une perspective plus globale, qui, à partir de multiples cas saisis de manière peut-être trop parcellaire, nous permette d’arriver à une synthèse satisfaisante.
Cependant nous sommes toujours en désaccord avec un certain nombre d’affirmations contenues dans le film et qui sont bien comprises de cette manière-là par le public, à savoir que la nature représenterait un nouvel Eldorado pour la finance, et qu’on peut se demander si ce n’est pas extrêmement dangereux de confier la nature à ceux qui ont causé la crise des subprimes. Vous le dites vous-même plus bas d’ailleurs : « ce film montre les dangers de la marchandisation et de la financiarisation de la protection de la nature. ». C’est donc qu’il y a marchandisation et financiarisation.
Autre exemple : la fiche pédagogique du film en ligne sur alliance sud : http://www.alliancesud.ch/fr/infodoc/downloads/nature-eldorado-de-la-finance/FichePedagogique_FinanciarisationNature2015.pdf/view
Écartons aussi les faux procès : nous ne demandons qu’à débattre et sans hiérarchie. Nous n’avions pas vos coordonnées mais Christophe Bonneuil a été averti dès début septembre de la mise en ligne de ce Regard n°64. Nous aurions pu mieux chercher, Christophe aurait pu mieux transmettre, etc. Ne jetons la pierre à personne et concentrons-nous sur le fond.
(A suivre ci-dessous…)
Première remarque sur les portefeuilles d’espèces en tant que « produit financier » : Toute l’ambiguïté réside dans l’expression. Si spéculer veut dire acheter et revendre des biens ou actions avec des possibilités de transférabilité non contraintes (comme c’est le cas sur les marchés financiers) et dans le but exclusif de faire du profit – ce qui génère une perte de contact avec l’économie réelle et engendre potentiellement des crises telles que celle des subprimes (vous faites le parallèle tout le long du film) – alors non, nous ne voyons rien de tel dans les mesures et expériences de compensation écologique et votre exemple ne vient pas contredire notre position. Rappelons au passage que de nombreuses banques sont gérées par des organismes à but non lucratif. Dans le cas des banques de compensation étasunienne montrées dans le film, le titre n’est pas négociable sur les marchés d’actions. Et surtout le « titre » n’a pas de contenu : il ne s’agit pas d’un actif générant un rendement financier (comme dans le cas des subprimes) mais d’un certificat démontrant que vous avez versé de l’argent pour conserver une zone correspondant à des critères écologiques réglementés. C’est un peu comme les « permis de polluer » : l’appellation officielle est plutôt « quota » parce qu’il s’agit d’obligations réglementaires. Le financier dont vous parlez peut par contre être un intermédiaire entre ceux qui souhaitent verser de l’argent pour la conservation (notamment au titre de l’obligation légale de compenser) et ceux qui mettent en œuvre cette conservation.
(A suivre ci-dessous…)
Seconde remarque et réaction, sur la spéculation sur des espèces en voie de disparition. Tout d’abord précisons que l’argent ne peut être versé que dans le cadre de la réglementation écologique : « le marché » ne choisit rien du tout et la logique de priorisation qui prévaut est de nature écologique. Ensuite il y a un écart entre l’argent disponible et les objectifs de conservation, entendu dans un sens large. Evidemment ces derniers ceux-ci sont bien supérieurs aux financements disponibles via le système des banques de compensation. L’effet de « myopie » dans les objectifs de conservation n’est pas le fait du marché de la compensation. On observe le même problème dans le cas des instruments « hors marché » tels que les normes fixant le caractère « d’espèce en danger » ou les plans de gestion des parcs naturels. La conclusion sur ce sujet n’est pas simple : il est sans doute important de fixer des objectifs de conservation plus englobants (prenant en compte en particulier la nature ordinaire). On ne peut pas dire cependant que ce n’est le fait que du marché, ni même que c’est nouveau. L’espoir est que de nouveaux mécanismes suppléent à certaines faiblesses, pas qu’il y ait concurrence ou basculement.
Autre point important : Que les intermédiaires financiers vivent du financement des projets et actions de conservation, et même fassent des bénéfices autour de ces projets, ne réduit pas pour autant l’efficacité de leurs actions en termes de conservation. Pour répondre à une autre remarque, « être rentable » quand on travaille et qu’éventuellement on investit, c’est aussi tout simplement pouvoir se payer et ne pas finir l’année sous le zéro.
Vous dites que vous ne faites « qu’évoquer » les dangers, cette réponse nous semble malgré tout une manière de vous mettre en retrait : soit il y a danger, soit il n’y a en a pas, mais il faut le montrer dans les deux cas; Ne faire « qu’évoquer les dangers » rend la discussion difficile, de plus ce n’est pas ce qu’on comprend du titre du film, ni de sa thèse – cf. la fiche pédagogique citée plus haut et les réactions du public. Vous indiquez que votre film a laissé diverses personnes s’exprimer, mais encore une fois nous avons pu constater dans de nombreuses arènes que la réaction du public est sans nuance, reflétant le ton du documentaire. La fiche pédagogique citée plus haut en est un autre exemple. Tout cela confirment qu’il y a une thèse, et que les personnes interviewées n’ont pas les mêmes statuts dans votre documentaire : il y a les banquiers et monde de la banque, supposés tels, rapprochés des subprimes et des méfaits de la finance, de ses promesses illusoires, et de ses arnaques bien réelles ; et les autres, qui critiquent ce monde-là, et accréditent votre thèse du « danger » : la finance prend la nature pour un nouvel eldorado et l’enquête montrerait pourquoi ce n’est pas une bonne nouvelle. Si telle n’est pas votre thèse alors vous devez conclure que de nombreux spectateurs sont induits en erreur, et c’est tout ce que nous voulions souligner.
A titre d’exemple, vous maintenez que « les banques choisissent » mais le film ne montre pas clairement ni que ces « banques » ne sont pas des organismes de boursicoteurs assoiffés de rendements à deux chiffres ni que leur choix est extrêmement contraint.
La seule spéculation envisageable est celle qui porte sur les terrains. Mais spéculer sur le potentiel écologique d’un terrain crée un changement majeur au regard d’une spéculation basée sur sa seule « constructibilité », et la question mérite d’être discutée. Des propriétaires privés pourraient ainsi choisir de restaurer des habitats, en intégrant dans leur budget prévisionnel les bénéfices de la compensation écologique, face à l’artificialisation des sols.
(A suivre ci-dessous…)
Troisième remarque et réaction : A-t-on effectivement assisté à un « changement » dans la réglementation (laissons de côté le mot « renforcement », qui prête en effet à confusion), vers l’autorisation de destruction d’espaces pour ouvrir des marchés de la compensation ? En gros, a-t-on créé des droits à détruire qui n’existaient pas auparavant ou a-t-on renforcé les niveaux de contraintes ? Dans le premier cas il y aurait une logique de substitution entre deux modes de régulation, mais dans le second une logique de complémentarité.
Si l’on regarde ce qui se passe en France, on peut apporter quelques éléments de réponses. Les outils « historiques » de la protection de la biodiversité sont la création de réserves et d’outils de protection réglementaire, dont les directives Natura 2000, la Loi sur l’eau, la directive « Etude d’impact », etc. La plupart de ces outils/règlementations imposent de respecter une séquence Eviter-Réduire-Compenser pour tous les types d’habitats, y compris les plus ordinaires. Mais que se passe-t-il dans les faits ? L’administration en charge de la protection de l’environnement manque de moyens pour faire respecter ces cadres légaux et les volontés politiques sont systématiquement orientés vers la sacro-sainte croissance et la création d’emplois – sans jamais se rendre compte par ailleurs que le respect de la réglementation peut créer de la croissance et de l’emploi. Croire que les acteurs publics sont plus vertueux en matière de protection de la biodiversité est assez naïf. Il y a autant d’acteurs publics que d’acteurs privés, et s’en tenir à des descriptions binaires est contreproductif.
Un des atouts du système des banques de compensation est que les entorses à la réglementation environnementale génèrent des pertes de revenus pour ce secteur. C’est ainsi que de nombreuses procédures juridiques ont été intentées ces dernières années contre l’administration aux Etats-Unis, pour non respect de la réglementation environnementale, non pas par des ONG environnementales comme on aurait pu s’y attendre, mais bien par des banques de compensation. Ce que nous voulons dire par là c’est qu’il existe des logiques de complémentarités entre des rationalités publiques et privées, entre des objectifs de protection et de développement, et entre différents levier d’action en matière de conservation.
(A suivre ci-dessous…)
Aujourd’hui, le seul constat que nous faisons, c’est que le système des banques de compensation a contribué à renforcer l’application de la réglementation autour des mesures compensatoires. Nous ne nous prononçons pas sur la pertinence des mesures compensatoires entreprises, mais sur le fait qu’une forme de gouvernance spécifique a rendu une politique environnementale plus effective.
Ainsi pour faire un diagnostic critique de ce système et affirmer qu’il s’est substitué à un autre système, il faut tout d’abord établir la réalité de cette substitution et ensuite souligner que le système précédent était plus efficace. Or, est-il certain que les premières approches traitaient- vraiment la nature comme un « bien commun », comme le suggère la fiche résumé pédagogique ? N’étaient-elles pas plutôt des alibis pour les pays industrialisés, protégeant surtout les zones sans intérêt économique immédiat ? Où est le droit à détruire dès lors ? : Faire croire qu’une petite fraction de la surface de la biosphère est protégée (dans les espaces protégés) et autoriser la destruction partout ailleurs, ou tirer parti de l’obligation de compensation pour réduire les niveaux d’artificialisation dans les zones à forte pressions économiques et générer des moyens pour plus de protection ? La réponse à cette question doit être systémique, c-à-d. prendre en compte l’ensemble du système, et non pas se focaliser sur une partie seulement du système de régulation. Le parti-pris du film de ne s’intéresser qu’à un aspect de la conservation empêche cette montée en généralité – que vous nous reprochez aussi, peut-être à juste titre d’ailleurs, nous reconnaissons volontiers que le sujet est complexe.
« L’ancien système » qui selon vous aurait évolué sous de nouvelles formes « néolibérales » de réglementation n’était pas du tout exempt d’effets financiers ou spéculatifs. Le cas du prix des terrains (« prix du foncier ») montre qu’on ne peut pas dire que des mécanismes comme la loi Littoral en France, pourtant parfaitement « non-marchands » en apparence, soient rigoureusement sans effet spéculatif. Plus les zones sont soumises à des pressions foncières, plus le prix monte sur les terrains adjacents. Les parcs naturels peuvent aussi avoir de tels effets. Nous aurions été intéressés par un bilan un peu moins partiel.
(A suivre ci-dessous…)
Autre réponse : Vous semblez nous prêter l’idée que le Président Reagan était « un fervent défenseur de l’environnement ». Nous ne pensons rien de tel, bien sûr. Reagan a bien été responsable d’un recul en matière de politique environnementale (dit « environnemental backlash »). Mais les budgets de l’EPA (Environmental Protection Agency), contrairement à ce qui est affirmé dans le documentaire, ont bel et bien augmenté (http://www.epa.gov/aboutepa/epa-history-1970-1985 ). Ce n’était simplement pas le bon argument à mettre en avant . Cela ne fait pas de Reagan un écolo, mais indique que le débat idéologique est plus compliqué que vous ne le suggérez.
« L’environmental blacklash » s’observe aussi en France, après des années 1970 très optimistes et accompagnée de nombreuses législations nouvelles, le retour de la course à la croissance a bien eu lieu sous les gouvernements socialistes et communistes.
(A suivre ci-dessous…)
En ce qui concerne l’Ecosystem Marketplace, nous ne disons pas que les banques sont absentes de ce projet (lancé par Forest Trends), mais qu’elles n’en sont pas à l’origine, et que leur rôle est extrêmement modeste – aucune banque n’était propriétaire d’une banque de compensation en Floride au moment de nos enquêtes en 2013. Il n’y a donc pas « d’Eldorado de la finance ». Ce n’est pas contradictoire avec la citation que vous mettez en avant. Celle-ci est extrêmement floue. De quoi parle-t-on ? De l’investissement dans la compensation, ou des investissements ayant un impact positif ou négatif sur la biodiversité ? Potentiellement tout investissement a un impact sur la biodiversité. Il est donc très important que les investisseurs en aient conscience. Préféreriez-vous que les investisseurs ignorent cette forme de richesse ? Sans doute non. Alors ? Qu’est-ce qui intéresse les banques dans cette affaire ? Vous ne le montrez pas, ni dans votre réponse ni dans le reportage, vous le suggérez, plutôt : c’est la thèse de « l’Eldorado » que tout le monde comprend de bonne foi. Plus bas vous dites que ce sont « les propos d’une personne interviewée » : c’est un peu court pour conclure non ? Des propos glanés valent-ils une enquête ? Vous dites plus bas que vous n’avez consacré « qu’une seule phrase » à chacune des grandes banques, sauf qu’elles reviennent en boucle, par les images, accompagnées du feulement d’un grand prédateur… Et, encore une fois, le public comprend toujours à peu près la même chose : qu’il y aurait un Eldorado pour la finance en mal de « bons coups », à la mode subprimes.
Le gros des investissements mondiaux dans « l’environnement » (terme encore plus vague et général que « biodiversité ») sont peut-être dans la transition énergétique (« désinvestissement », porté par des ONG comme 350.org), dans le logement (construction « efficace »), les voitures « propres » etc. On mesure là à quel point ce que dit Geoffrey Heal doit être précisé : les « marchés environnementaux », c’est quoi exactement ? Qui peut croire que les marchés environnementaux seraient la prochaine vague majeure d’investissement ? Si c’est les renouvelables ou le logement ou la voiture propre, oui en effet c’est colossal, et peut-être bon pour la planète, tout dépend des cas, mais vous n’en parlez pas dans le film.
(A suivre ci-dessous…)
Votre dernière remarque est juste : « A aucun moment votre avis sur le fond n’est donné ». Notre réponse est double : D’une part, l’objectif de ce regard collectif n’est pas de prendre parti pour ou contre les « marchés » de compensation, mais de mettre en perspective l’approche manichéenne aujourd’hui répandue de ces « marchés », contraire à leur exploration/ compréhension et à celle des enjeux associés. En outre, nous ne nous prononçons pas sur le bien-fondé ou « l’efficacité environnementale » générale a priori de ces marchés, car les socio-écosystèmes sont très complexes et sujets à de multiples boucles de réaction (dont effets rebonds), qui sans contrôle ou réglementation suffisante peuvent autoriser des contournements et autres dérives. De même que la valorisation des services écosystémiques peut être détournée de ses objectifs premiers de préservation de la biodiversité et développement durable (cf. les regards n°4 et 12 sur cette plateforme), les banques de compensation ne sont pas a priori à l’abri des mésusages et détournements.
L’exemple de la Malua Biobank au Sabah illustre les ambiguïtés et les dérives de certaines inititatives. C’est un exemple de ce que certains de nos collègues (J. Foyer, A. Viard-Crétat, V. Boisvert) nomment « l’économie de la promesse » (Market and environment in the economy of promises: neo-liberal institutionalisation and the “fictitious commodification” of nature, à paraître) c’est-à-dire une promesse d’un instrument de marché rompant radicalement avec les modèles traditionnels mais dont la réalité, détaillée dans le commentaire ci-dessous (de Alain Karsenty) est malheureusement bien plus prosaïque. Les « crédits de conservation » que la Malua Biobank a commercialisé en Malaisie et à l’étranger sont typiques des transactions volontaires utilisées quotidiennement par les entreprises qui veulent « verdir » leur image dans leur démarche de Responsabilité Sociale et Environnementale. S’agit-il des premiers pas d’un « marché de la biodiversité » (ou de l’atmosphère) ?
La Malua Biobank a été montée par le Service Forestier du Sabah, avec l’aide d’ONG nord-américaines. Andrea Brock explique que le Service Forestier du Sabah, dont les ressources financières s’asséchaient avec la conversion progressive des forêts restantes en plantations de palmier à huile, a adopté cette « innovation » prometteuse (qui comprend tous les éléments de langage nécessaires pour faire croire à la nature, enfin, marchandisée) pour, finalement, ponctionner les entreprises (pas toujours en règle avec les lois environnementales) à travers des ventes plus ou moins forcées de ce qu’à une autre époque on aurait appelé des « indulgences » : “The BioBank did not result in the free-market instrument that theory would predict. Only on the discursive level (e.g. in the narratives around the BioBank) have power and control over Sabah’s biodiversity been transferred to corporations and other market actors, externalities internalised, and nature been given a price by (invisible) market forces. It was the forestry department that not only priced conservation certificates, created demand (directly requesting corporations to purchase BCCs [les certificats de conservation de biodiversité]) and supply of these certificates, but with the BioBank established a new channel through which it can govern and discipline nature, local communities and corporations”. ( http://www.e-ir.info/2015/07/23/biodiversity-banking-from-theory-to-practice-in-sabah-malaysia/ ).
Il y a donc de bonnes chances que cette “Biobank” soit simplement une astuce un peu mafieuse pour permettre à une petite bureaucratie de s’enrichir en vendant « du vent » à des entreprises trop heureuses de pouvoir faire du greenwashing à bon compte ou à se prémunir contre des contrôles de la légalité de certaines de leurs activités. Nous sommes bien loin des -improbables- « marchés de services écosystémiques», dont Forest Trends et son « Ecosystem MarketPlace » voudraient nous faire croire l’avènement.
(Suite et fin ci-dessous…)
La thèse que véhicule votre documentaire est largement répandue dans le monde de la recherche, elle est aussi très critiquée. Le fait de venir du monde du travail induit peut-être un biais, selon lequel le capitalisme épuise la terre et le travailleur, pour paraphraser Marx. C’est sans doute ce qui fait le succès du film : il entre bien dans les catégories analytiques d’un public sensibilisé aux questions sociales, mais méconnaissant l’écologie. Le problème est que les choses sont moins simples que ça et c’est ce que montrent plusieurs décennies de travaux dans le domaine de ce qu’on appelle « l’économie écologique », où l’on trouve une multiplicité de tendances. On ne peut pas si facilement transposer le schéma de l’exploitation du travail à l’exploitation de la nature. Une raison est assez simple : la nature n’entre pas forcément dans le même type d’échange que le travail. Le pétrole permet des gains de productivité, et donc des profits, comme le travail – mais que produit la simple existence d’une espèce de papillon ? Directement : rien. Ce qu’on observe est donc plutôt que « le capitalisme » se désintéresse du sujet, loin d’en faire un « eldorado ». Le marché européen de carbone l’illustre : personne ne veut payer. Le mécanisme REDD comporte 95 % de financements publics… Les grands programmes de paiements pour services environnementaux également.
Quoi qu’il en soit, merci d’avoir ouvert dans les médias le débat sur des sujets aussi complexes, fondamentaux pour la transition écologique.
Bonjour,
Juste une information pour ce débat : Sandrine Feydel a informé l’un de nous qu’elle est en congé de maternité et ne pourra intervenir sur ce forum de discussion avant plusieurs mois.
Bien cordialement, Anne
Bonjour,
En réaction à l’email d’un internaute déplorant de ne pouvoir poster de commentaire sur ce « regard » collectif, j’ai constaté avant hier que les tous les forums de discussion sur ces regards étaient fermés, probablement depuis la nouvelle mouture du site fin avril. Je m’excuse de la part de la SFE pour cette erreur technique, qui a été corrigée hier: les forums sont donc à nouveau ouverts au débat (pour une durée d’un an par regard en ligne).
Au passage, je tiens à souligner que je ne m’occupe plus depuis janvier 2015 de la coordination de ce beau projet, faute de temps (et de financement). Je ne peux donc être tenue pour responsable des éventuels bugs ou défauts de fonctionnement de cette plateforme interactive. Ce n’est pas évident de faire tourner un projet interdisciplinaire, multi-acteurs et multimédia de ce type! Il me semble qu’un investissement à mi-temps (au moins) dans la coordination d’un tel projet -comme cela a été le cas entre 2010 et janvier 2015- est souhaitable sinon nécessaire. Malheureusement, je n’ai pu obtenir de subvention pour le fonctionnement de ce projet depuis 2013.
Bien cordialement,
Anne T.
Bonjour,
1) Il me semble superflu de consacrer autant de messages à chercher à vous disculper de ne pas avoir trouvé les coordonnées d’ARTE… comme si votre réaction égocentrée et tardive sur ce bon reportage vous servait de faire-valoir ;
2) chercher à inviter Sandrine Feydel à votre tribune ne manque pas de fatuité. Elle a été bien magnanime d’entrer dans ce dialogue et de consacrer du temps à vous expliquer la réalité que bon nombre d’observateurs déplore ;
3) quand une journaliste traite la « marchandisation de l’environnement » les scientifiques qui jargonnent entre eux se piquent, au motif qu’eux seuls connaitraient l’environnement. Le scientifique fait de gros nœuds à une corde : il explique que ‟le sujet n’est pas si simple” et que lui seul serait en mesure d’enlever les nœuds. Or ceux qui ‟marchandisent” n’ont cure de l’environnement : rien ne les empêche de tirer très fort une corde même pleine de nœuds. Et, ne vous en déplaise, depuis le 21ème siècle, le marché environnemental s’emballe.
A ce titre, merci à ARTE d’avoir donné un coup de projecteur aux dérives des marchés financiers toujours à l’affût de placements et de spéculation, bien en avance sur la science.
4) Tromper l’électeur à lui faire miroiter que l’entrisme pourrait avoir le moindre intérêt de levier fait le jeu de la finance :
– les parlementaires n’ont strictement aucune immanence environnementale (exemple récent au Sénat avec les néonicotinoïdes et à L’UE avec Monsanto),
– l’UE et le MEEN, dans leur fureur normative, font peser une chape de plomb quotidienne sur les professionnels… et ouvrent des perspectives mirifiques aux fonds de pension et aux sociétés françaises qui surfent opportunément sur la vague du marché juteux de la « compensation » du « climat »…
Au rythme du pillage de la planète et des ressources naturelles, il y a urgence.
Si l’entrisme pouvait avoir un début d’intérêt dans 50 ans, c’est mentir à l’électeur de lui faire croire qu’il a un impact en 2016.
Seul le consommateur pourra infléchir les marchés [exemples : reportage de Nicolas Daniel A2 (2013) sur l’élevage du saumon en Norvège ; voir aussi l’émission suisse ‟A BON ENTENDEUR ”].
5) Et si votre critique avait pour dessein de montrer votre capacité à émettre une recension sur le contenu du reportage d’ARTE?
C’est peu convaincant.
Cordialement
Devireux
La plateforme Internet « Regards et débats sur la biodiversité » de la SFE est dédiée au dialogue entre scientifiques et (autres) citoyens, experts et non experts, sur des problématiques variées liées à la biodiversité. Les forums de discussion de cette plateforme sont ouverts aux débats et critiques, mais les commentaires sont modérés: les commentaires agressifs n’ont pas leur place dans ces échanges.
Le comité éditorial a toutefois décidé de mettre en ligne le commentaire ci-dessus, qui est la deuxième formulation relativement « adoucie » d’un commentaire agressif. Et les auteurs du « regard » collectif incriminé ne voient pas quoi répondre aux accusations de ce commentaire, si ce n’est qu’elles sont infondées -cf. le texte ci-dessus et les échanges qui suivent- et traduisent manifestement l’énervement de leur auteur.
Par ailleurs, à la demande d’internautes, nous rappelons que la durée d’ouverture des forums de discussion sur cette plateforme d’échange est d’un an pour chaque « regard », à partir de la date de mise en ligne. Ce forum sera donc clos le 21 août prochain (sauf décision contraire du comité éditorial).
Cordialement,
Anne T, pour le comité éditorial SFE