La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose cette semaine les regards de deux écologues et d’un économiste, Sandra Lavorel, Robert Barbault et Jean-Charles Hourcade, sur deux sujets voisins : l’impact du réchauffement climatique sur les (socio)écosystèmes et les enjeux associés.
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions à la suite de ces articles et vidéos. Les auteurs vous répondront et une synthèse des contributions sera ajoutée après chaque regard.
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- Impact du changement climatique sur les écosystèmes et les services écosystémiques, par Sandra Lavorel,
- Bibliographie et liens Internet
- Vidéo: Quels sont les enjeux du changement climatique ? Question à R. Barbault et J-C. Hourcade (vidéo)
- Regard de Robert Barbault (transcription)
- Regard de Jean-Charles Hourcade (transcription)
- Forum de discussion sur ces trois regards
R30a : Impact du changement climatique sur les écosystèmes
et les services écosystémiques
Sandra Lavorel
Directrice de recherche au Laboratoire d’Ecologie Alpine (LECA),
CNRS UMR 5553, Grenoble
Regard R30a, traduit et adapté par Anne Teyssèdre
(Fichier PDF)
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Mots clés : Ecosystèmes, fonctionnement, climat, changements globaux, impacts, enjeux, société, socio-écosystèmes, services écosystémiques, interactions biotiques, effets de seuil, économie, agriculture, forêt, récifs coralliens.
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Les services écosystémiques sont les bénéfices que les humains tirent de la biodiversité et du fonctionnement des écosystèmes (Daily et al. 1997, et voir le Regard n°4). Comme tels, ils constituent un lien direct entre les modifications de la biosphère – notamment en réponse au changement climatique mondial – et la société. Dans certaines régions, la perspective du réchauffement climatique a été bien accueillie parce qu’elle augure la production de nouvelles cultures parmi lesquelles des céréales ou des vignes de haute valeur marchande, ou une augmentation de la production de certaines essences forestières, ou encore des conditions climatiques plus favorables pour le tourisme. Cependant, de tels changements positifs et les opportunités qui y sont associées ne semblent pas la règle. En effet, des changements soudains de services écosystémiques associés au changement climatique sont déjà observés tout autour du Globe, tandis que de nombreux autres sont attendus.
Disparition d’écosystèmes et des services associés
Dans les Andes et ailleurs en région tropicale, la fonte de glaciers est en train de priver les populations agraires d’eau d’irrigation pour la production agricole (Mooney et al., 2009). De tels changements sont d’autant plus dramatiques que l’approvisionnement en eau augmente pendant les premières années de fonte des glaciers, ce qui encourage le développement de l’irrigation tandis que la ressource en eau diminue puis s’épuise brutalement avec la disparition du glacier.
La destruction d’écosystèmes entiers est la forme la plus extrême d’impact du changement climatique sur les services écosystémiques. Ainsi le blanchissement des coraux (lié à la mort d’algues symbiotiques), en réponse à l’augmentation de la température de l’eau et à son acidification, traduit une dégradation des écosystèmes coralliens qui s’accompagne de la perte de nombreux services écologiques.
Fig.1a et 1b : Dans les mers tropicales, les récifs coralliens intacts (à gauche) hébergent une grande diversité d’espèces et fournissent d’inestimables services écosystémiques aux populations locales et à la planète. Leur blanchissement en réponse au réchauffement climatique (à droite) signe la fin brutale de ces services.
Cette dégradation prive les populations locales d’importantes ressources liées à la pêche, étant donné le rôle de « nurserie » des coraux pour de nombreuses espèces de poissons et d’invertébrés marins (Hoegh Guldberg et al. 2007). Elle expose également les populations locales à un accroissement des dommages liés aux tempêtes, étant donnée la contribution des récifs coralliens à la protection des côtes, îles et atolls tropicaux. Les revenus du tourisme asssociés à la présence et à la richesse en espèces de ces écosystèmes sont aussi perdus, alors que lorsqu’ils sont préservés ceux-ci donnent une forte incitation à la gestion durable de ces récifs, qui sont des biens culturels irremplaçables à l’échelle mondiale.
Dans le Sud-Ouest des Etats-Unis, le dépérissement de nombreux arbres dans les forêts semi-arides à la suite de la sécheresse de l’année 2000 a été vu comme l’effondrement d’un écosystème, où la mort d’arbres se répercute par cascade à d’autres espèces de ces forêts de pins et genévriers (Breshears et al. 2011). Les chercheurs mettent en garde le public et les autorités contre les conséquences d’un événement aussi soudain sur la plupart des services écosystémiques rendus par ces forêts. Leur disparition devrait avoir un impact positif à court terme sur le rendement des parcours pour les ranchers, mais aussi des impacts négatifs à court terme sur l’abondance de produits importants au plan culturel tels que les pignes de pin et sur la valeur culturelle du paysage, ainsi que des effets négatifs à long terme sur l’érosion du sol et sur le climat régional (par le biais d’un changement d’albedo*).
A l’échelle de la planète, et bien que les projections du modèle soient conflictuelles, il a été montré que la disparition de la forêt tropicale amazonienne due au réchauffement climatique, amplifiée par une boucle de rétroaction positive sol-atmosphère, pourrait avoir des conséquences dramatiques sur le système climatique mondial (Mahli et al, 2009).
Désorganisation et pertes fonctionnelles
Des changements moins spectaculaires pour les non spécialistes peuvent avoir des conséquences tout aussi dramatiques. Sachant que les habitats et les communautés vivantes fournissent de nombreux services écosystémiques, les changements de distribution géographique d’espèces importantes au plan fonctionnel peuvent porter atteinte à ces services.
Les distributions de plantes et de leurs pollinisateurs peuvent varier indépendamment les unes des autres en réponse aux changements du climat, soit parce que les vitesses de leur réponse sont différentes, soit parce que ces réponses sont contrôlées par des variables climatiques différentes. Plus encore, avant même les changements de distribution géographique, la perte de l’ajustement fin des cycles de vie locaux (phénologie) entre les plantes et leurs pollinisateurs en réponse aux changements du climat cause le déclin du service de pollinisation associé, avec des conséquences coûteuses pour la production agricole et pour les espèces rares de forte valeur patrimoniale.
Recolonisation et cascades écologiques
A l’inverse, le changement climatique est une opportunité en or pour certaines espèces nuisibles qui prolifèrent lorsque leur cycle de vie (phénologie) vient à s’ajuster à celui de plantes hôtes. Plusieurs événements de ce type ont déjà été observés, dans des écosystèmes forestiers et agricoles notamment. Citons l’expansion altitudinale de deux espèces parasites des pins dans les Alpes européennes, l’une animale : la chenille de la processionnaire du pin Thaumetopoea pityocampa (un papillon), et l’autre végétale : le faux gui Arceuthobium abietinum.
Un autre exemple spectaculaire et bien documenté est celui de l’expansion du dendroctone du pin (Dendroctonus ponderosae) en Amérique du Nord. Ce petit scarabée (scolyte) perce l’écorce des pins pour pondre, se nourrir et construire avec sa descendance des galeries dans la couche vivante du bois (phloëme). Avec le réchauffement climatique, les conditions sont devenues favorables à l’expansion de cette espèce vers le nord, affectant des millions d’hectares de forêts de conifères (fig.3a).
Confrontées aux risques accrus d’incendies lors des étés plus chauds et plus secs, ces forêts très inflammables dégradées par les scolytes ont contribué à une augmentation dramatique des surfaces brûlées dans la région (fig.3b).
Cette modification des régimes d’incendies a un impact considérable sur les budgets régionaux de carbone (moyenne des émissions attendues pour l’Ouest du Canada : 36 g C/m2/an), qui pourrait exercer un effet rétroactif potentiel sur le climat avec une augmentation de la température atmosphérique (Kurz et al. 2008).
Le même type de dynamique temporelle s’applique aux espèces invasives favorisées par le changement mondial du climat. Ainsi, l’expansion de plantes exotiques telles que les graminées à métabolisme en C4* dans les écosystèmes de brousse (en Australie ou dans la Région du Cap en Afrique du Sud) modifie profondément les régimes d’incendies sur le long terme (Bowman et al. 2009).
De tels changements abrupts dans les services écosystémiques sont un défi sérieux à la capacité adaptative des sociétés, des écosystèmes et de leurs interactions au sein des « socio-écosystèmes » (cf. le regard R4). Il est essentiel aujourd’hui de tirer les leçons des événements passés, de détecter les signaux d’alarme précoces et d’y répondre pour favoriser la résilience de ces écosystèmes.
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Glossaire
Albedo : L’albédo est la fraction de l’énergie lumineuse incidente réfléchie ou diffusée par un objet, par exemple une surface terrestre. Cette fraction varie avec la couleur de l’objet, de 5 à 10% pour une forêt de conifères (sans neige) à plus de 80% pour une surface enneigée, et peut être moyennée sur l’année dans le cas des écosystèmes terrestres et marins. La fraction restante étant absorbée par l’objet et restituée sous forme de chaleur (et de rayons IR), l’albédo de la Terre est un indicateur de sa température de surface (AT).
Métabolisme en C4 : Le métabolisme en C4 de certaines plantes dissocie à l’intérieur des cellules les phases photochimique et non photochimique de la photosynthèse. Cette adaptation permet d’éviter la photorespiration et est un moyen pour les plantes de limiter les pertes d’eau par la fermeture de leurs stomates, ce qui permet la croissance estivale. Ce type de photosynthèse existe notamment chez des graminées d’origine tropicale et aride (AT).
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Article traduit et adapté pour cette plateforme SFE par Anne Teyssèdre
Bibliographie et liens Internet
Bibliographie :
Bowman, D.M.J.S. et al. (2009) Fire in the Earth System. Science, 324, 481-484.
Breshears, D.D., Lopez-Hoffman, L. & Graumlich, L.J. (2011) When ecosystem services crash: Preparing for big, fast, patchy climate change. Ambio, 40, 256-263.
Daily, G.C. et al. (1997) Ecosystem services : benefits supplied to human societies by natural ecosystems. Issues in Ecology, 2, 1-16.
Hoegh Guldberg, O. et al. (2007) Coral Reefs Under Rapid Climate Change and Ocean Acidification. Science, 318 (5857), 1737-1742
Kurz, W.A. et al. (2008) Mountain pine beetle and forest carbon feedback to climate change. Nature, 452, 987-990.
Mahli, Y. et al. (2009) Exploring the likelihood and mechanism of a climate-change-induced dieback of the Amazon rainforest PNAS 106 (49) 20610-20615.
Mooney, H. et al. (2009) Biodiversity, climate change, and ecosystem services. Current Opinion in Environmental Sustainability, 1, 46-54.
Sites et pages Internet pour en savoir plus
sur l’ampleur du réchauffement climatique actuel, ses mécanismes et ses enjeux :
- Portail du GIEC (IPCC en anglais), avec l’ensemble des rapports en français.
- Rapport du GIEC 2007, dont résumé pour les décideurs.
- Rapport Stern (2007) en français.
Série video en ligne : Changement climatique et biodiversité, Anne Teyssèdre, MNHN – GIS Climat – La Huit, 2008.
Regards et débats en ligne sur cette plateforme, sur des sujets connexes :
- Julliard R. et Jiguet F., 2011. Les oiseaux et la biodiversité face au changement climatique. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°22 du 11 octobre 2011.
- Masson-Delmotte V., 2011. Le climat de notre biosphère. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°10 du 20 janvier 2011.
- Teyssèdre A., 2010. Les services écosystémiques, notion clé pour explorer et préserver le fonctionnement des socioécosystèmes. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard n°4 du 25 octobre 2010.
R30 b et c : Quels sont les enjeux du changement climatique actuel ?
Question à Robert Barbault(1) et à Jean-Charles Hourcade(2)
(1) : Directeur du Département d’Ecologie et Gestion de la Biodiversité (DEGB) du Muséum national d’Histoire naturelle
(2) Directeur du Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement (CIRED)——-
Mots clés : climat, changements globaux, écosystèmes, société, enjeux, éthique, économie, développement
——-Vidéo : Quels sont les enjeux du changement climatique?
Vidéo extraite de la série « Changement climatique et biodiversité » d’Anne Teyssèdre
(MNHN – GIS Climat – La Huit, 2008), en ligne sur Canal-U30b: Regard de Robert Barbault
Professeur émérite au Muséum National d’Histoire naturelle
Le réchauffement climatique a un impact sur les êtres vivants et sur les écosystèmes qu’ils constituent : il tend notamment à les désynchroniser et à les désorganiser. Sachant que, parmi ces êtres vivants en interaction les humains sont une espèce dominante omniprésente, on comprend les conséquences que cela peut avoir, tant au plan écologique qu’économique et social.
Prenons l’exemple d’une désertification. C’est une catastrophe écologique, puisqu’il s’agit de la destruction d’un écosystème. Mais cela a aussi des conséquences sur les gens qui vivent dans la région. Par exemple dans la zone du Sahel, en Afrique, il y aura manque d’eau, manque de végétation, manque de nourriture. Donc une catastrophe écologique entraîne une catastrophe sociale, et bien évidemment une catastrophe économique.Ce qu’il faut bien voir, c’est que derrière cette prise de conscience de la dégradation écologique de la planète suite au réchauffement climatique, dont nous avons la responsabilité, il y a une dimension éthique, puisque nous avons la possibilité d’agir contre ce réchauffement. Tout faire pour réduire le réchauffement climatique, c’est faire en sorte de diminuer la dégradation écologique, la dégradation sociale et les dégradations économiques dont vont souffrir les populations des secteurs les plus vulnérables. En d’autres termes un enjeu considérable, de civilisation, est mis en lumière par ce réchauffement climatique. Un enjeu stimulant : à franchir les obstacles, on se grandit !
Bibliographie
Barbault, R. et Foucault, A. (eds) 2010. Changements climatiques et biodiversité. Paris, Vuiber-AFAS.
Devictor, V. et al. 2008. Birds tracking climate warming, but not fast enough. Proc. Roy. Soc. B 275 : 2743-2748.
Hegland, S. Y. et al. 2009. How does climate warming affect plant, pollinator interactions ? Ecology Letters, 12 : 184-195.
R30c : Regard de Jean-Charles Hourcade
Directeur du Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement (CIRED)
Les enjeux économiques du réchauffement climatique sont liés à la vision que l’on a des dommages qui pourraient affecter l’humanité en cas de ‘non action’, ou en tout cas d’action insuffisante pour le ralentir.
Nous avons des exemples récents autour de nous. Il y a eu depuis 2008 des pénuries d’eau à Barcelone : cette grande ville très moderne a dû importer de l’eau ! Il y a le conflit du Darfour – on sait aujourd’hui que la sécheresse dans cette région n’est pas pour rien dans la montée des tensions entre les différentes tribus. Il y a aussi la répétition de fortes pluies en Amérique Centrale, qui a fait dire au Premier Ministre du Honduras que son pays avait pris vingt ans de retard dans le développement. On a donc déjà des exemples de ce qui peut se passer. La question maintenant est de savoir ce qui se passera quand la Terre aura chauffé de plus de deux, trois, quatre, voire six degrés par rapport au climat d’aujourd’hui.
Maintenant, et c’est peut-être ça l’enjeu fondamental, vous trouverez beaucoup de gens qui ne sont pas convaincus par la réalité des risques – cela se lit dans certains journaux. Beaucoup pensent que les sécheresses, inondations et pénuries que l’on observe aujourd’hui ne sont que des épiphénomènes, des catastrophes que le monde a connu depuis toujours de façon très périodique. Le problème est que pour agir, on ne peut pas attendre que tout le monde soit convaincu que le changement climatique est une affaire très importante. Aux sceptiques, je voudrais dire la chose suivante : Si l’on ne fait rien aujourd’hui, ce n’est pas trois degrés de réchauffement moyen que l’on aura à la fin du siècle. C’est quatre, cinq, six, peut-être sept ! Plus on imagine un réchauffement rapide, et plus on crée des situations potentiellement dangereuses.
A ceux qui ne croient pas à la réalité du réchauffement climatique, ce que je voudrais dire est très simple : Supposez que vous êtes dans une voiture, en fin d’hiver, dans un col, vous ne savez pas s’il y aura de la neige au prochain virage. On ne va pas vous demander de vous arrêter pour voir s’il y a de la neige, mais vous comprenez bien que ce serait très imprudent de faire comme si de rien était. Qu’allez-vous faire ? Tapoter sur la pédale de frein. Et bien l’enjeu, aujourd’hui, c’est que l’humanité commence à tapoter sur la pédale de frein, qu’elle ralentisse ses émissions de gaz à effet de serre pour que, le jour où l’on se rendra compte que les choses sont extrêmement sérieuses, on puisse piler, s’arrêter, sans coût économique et social dramatique.
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Interviews réalisées, transcrites et adaptées par Anne Teyssèdre
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Question à Sandra Lavorel :
Vous dites dans votre introduction que dans certaines régions l’impact du réchauffement climatique sur la productivité des écosystèmes et sur les sociétés sera plutôt positif, tandis que dans d’autres – qui font l’objet de l’article – cet impact sera négatif, et vous soulignez que les changements positifs ne semblent pas la règle. Y a-t-il des projections ou scénarios sur l’impact global du changement climatique sur le fonctionnement et la productivité des écosystèmes à l’échelle plus vaste des continents ou de la planète, et sur la population mondiale ?
Merci d’avance pour votre réponse,
Marthe
Bonjour,
et merci aux auteurs de ce « regard » pour leur effort, mais je souhaite leur dire qu’il n’est pas suffisant ! A ceux du grand public qui les auront lu, ils leur auront sans doute rappelé ce qu’on leur aura déjà dit ; à ceux des écologues francophones, spécialistes ou non de la question, ils ne les auront pas convaincus.
Ce texte ne convainc malheureusement pas parce qu’il ressemble à une liste à la Prévert, sans démonstration. Qui nous dit en effet qu’une liste similaire ne peut être proposée à partir de conséquences positives du changement climatique ? Qui nous dit que ces conséquences négatives sont avérées ? En fait, rien ! Rien ne nous dit aujourd’hui que la perte de services écosystémiques ne sera pas « compensée » par un gain au moins aussi important d’autres services ?
Rien ne nous le dit, pour une simple raison : on ignore encore tout du fonctionnement de nos écosystèmes. On comprend bien certains des mécanismes qu’ils abritent, mais on manque cruellement de modèles intégrés/holistiques, on manque d’expériences à grande échelle, qui permettraient de prévoir (avec incertitudes) le devenir de ces écosystèmes soumis au changement climatique (et à d’autres facteurs plus humains, aussi).
Pour lutter contre cet état de fait, pas de solution miracle : il faut travailler sans relâche pour comprendre ces écosystèmes dans leur ensemble (et non par morceau). Depuis les travaux d’Odum et de ses successeurs sur les bilans d’énergie et de matières au sein des écosystèmes, presque aucune avancée significative ne nous permet d’affiner la compréhension globale de tels systèmes. Il faut utiliser l’écotron, il faut modéliser des trajectoires, il faut penser le concept unificateur…
Bien sûr, il faut aussi continuer à tirer la sonnette d’alarme. Merci de l’avoir fait.
C.G.
Bonjour,
En attendant les réponses de Sandra, Robert et Jean-Charles , j’aimerais intervenir dans ce débat.
Des scénarios d’impact du changement climatique sur la productivité primaire (c-à-d. végétale + phytoplancton) des écosystèmes ont été développés à différentes échelles géographiques. Même si le bilan global est incertain, ces scénarios prévoient en général :
– une réduction de la productivité primaire nette dans les régions tropicales (Amérique du Sud, Afrique subsaharienne, Inde, Australie…) et circum-méditerranéennes, liée à l’aridification du climat dans ces régions ;
– une augmentation de cette productivité végétale aux hautes latitudes (Canada, Alaska, Groenland, Scandinavie, Sibérie…), liée à l’augmentation de la température moyenne et des précipitations.
L’un des problèmes, pour les sociétés humaines, c’est que les écosystèmes disons « nordiques » qui vont bénéficier du changement climatique sont actuellement peu peuplés (puisque jusqu’à présent peu favorables à la colonisation et au développement de sociétés), tandis que les régions tropicales et méditerranéennes qui vont pâtir de l’aridification du climat sont à l’inverse souvent très peuplées (surtout l’Inde et l’Afrique).
[Autres socio-écosystèmes très peuplés, menacés par le réchauffement climatique : Les villes et villages bordant le littoral des îles et continents, qui devront se déplacer en réponse à la montée du niveau de la mer…]
En outre, ces projections sur la productivité végétale en 2100 ne prennent pas en compte d’autres impacts du changement climatique en cours sur les écosystèmes, tels que l’augmentation en fréquence des événements climatiques extrêmes (inondations, tempêtes, canicules…) et la fragilisation (perte de résilience) progressive des écosystèmes, jusqu’au point de basculement vers un autre régime.
La destruction d’un socio-écosystème peut-être très rapide (ex. : impact de l’ouragan Katrina sur La Nouvelle Orléans, lié à la fragilisation des mangroves du Sud-Est des USA), mais la construction de nouvelles sociétés/villes dans des régions plus hospitalières devrait prendre du temps, tandis que la disparition des ressources dans les régions arides soulèvera des conflits intra et interrégionaux…
Impossible de modéliser l’impact du changement climatique sur les socio-écosystèmes dans un écotron ! L’écologie doit s’allier aux sciences humaines pour analyser cet impact et élaborer des stratégies et réponses adaptatives acceptables par les sociétés…
Bonjour,
Compte tenu du caractère très « introductif » de mon intervention, je comprends le point de vue de Cédric …
et partage pleinement l’analyse-réponse d’Anne !
Ce qu’écrit Cédric Gauterel démontre que le débat a lieu entre les auteurs d’un article et des lecteurs, sans tabous.
La réaction de Robert Barbault est très élégante. Ce qui rend le débat constructif.
Or Cédric G. souligne un paradoxe qui je crois devient de plus en plus criant dans la Société en crise de modèles.
L’Ecologie scientifique n’est pas en mesure aujourd’hui de proposer mieux que les modèles empiriques et métaphoriques des Odum des années 50-70 (excusez la caricature) pour parler d’écologie à ceux qui tentent une intégration de l’économie et de la politique. Le paradoxe réside dans la tendance à ce que les théories sur une économie écologique, voire une politique écologique de la planète, est construite actuellement par des gens qui n’ont pas en tête les développement récents de l’écologie scientifique, notamment sur les limites de ce que l’on sait…
Si je puis me permettre un billet d’humeur (enthousiaste sans équivoque).
Pour avoir effectué un long périple dans les sciences naturalistes (écologie appliquée dans les années 80), puis dans la récente écologie industrielle, l’émergente économie écologique, puis le management des transitions pour la soutenabilité et responsabilité dans l’économie (MTSR), je constate que le cloisonnement entre écologie naturaliste et quantitative, sciences de l’environnement (et écologie industrielle) et enfin l’économie (en crise structurelle et intellectuelle) ont tendance à s’ignorer ou se bouder, l’un copiant mal les concepts de l’autre (entre écologie et économie ce n’est pas nouveau).
Pourtant, le processus de renouveau intellectuel qui peut accoucher bientôt d’une théorie harmonisée, à défaut d’être unificatrice, est en cours.
En faisant la chasse aux « gaps » ou incohérences entre sciences s’intéressant au fonctionnement de la Biosphère avec l’Homme, on pourrait formuler une synthèse transdisciplinaire qui serait un progrès. Bon, l’essentiel des références de cette synthèse seront anglosaxonnes par des anglosaxons.
Peut-on envisager de développer à la SFE ce que C. Gaucherel évoque, c’est urgent.
Le point de départ me semble être la remise en cause des modèles simplificateurs des Odum de l’interaction entre systèmes « naturels » (les écosystèmes) et les Sociétés humaines ou leur métabolisme. Les nouvelles représentations rigoureuses d’un système planétaire des flux d’énergie et de matière viennent d’économistes (Folke…) et de physiciens (Ayres, Giampietro, Liao) . Et pourtant Mragalef avait donné les clés pour faire évoluer ces représentations, citées mais pas développées par Jorgensen en 2004).
Les écologues scientifiques d’inspiration naturaliste peuvent rectifier quelques métaphores dépassées qui structurent actuellement le discours et les modèles des économistes, des agences d’expertise et des partis politiques. A commencer par la biodiversité comme objetcif en soi et par l’écosystème comme unité de gestion des territoires ou des services naturels…
L’écologie moderne (qui est dispersée) a les arguments pour démontrer que l’humain en tant que population n’est pas en bout de chaine alimentaire car son exploitation des ressources utilise des prothèses/énergies qui truquent le bilan métabolique des chaines ou réseaux. L’humain n’est plus un « prédateur » car son prélèvement ne contribue plus aux mêmes parterns d’évolution des écosystèmes exploités (je ne parle pas d’équilibre…). L’humain est une méta-espèce émergente qui appelle une autre définition générique des écosystèmes et de la complexification du système planétaire, sur fond de sixième extinction, de changement de la stoechiométrie et des fonctions cibles (forçages)…
Mais l’homme n’est pas mauvais, il apprend et il découvre ses intentions et son pouvoir (= énergie capable de libérer la puissance).
La philosophie décrivant « l’émergence humaine » a agité les religions, notamment après l’énoncé des théories de Darwin. Cette émergence a été décrite il y a longtemps (antiquité), les paléo-anthropologues y travaillent tous les jours, mais les écologues théoriciens ne savent pas encore comment faire évoluer les définitions fondatrices de l’écosystème, des communautés, des interactions évolutives ou des bilans d’énergies pour intégrer l’Homme industriel, citadin, mondial, monétarisé et globalement menacé, dans un modèle général utilisable. L’émergence humaine met en cause l’écologie des espèces, sauf à suivre les recommandations de Margaleff de comparer l’Homme-espèce aux coraux, insectes sociaux, phrigames et autres espèces non-pas ingénieurs mais surtout capables d’utiliser des prothèses et de domestiquer les ressources naturelles disponibles. Sortons dune écologie trop élémentaire et proposons à nos collègues économistes, anthropologues, citoyens un modèle et des représentations de comment l’Homme s’inscrit dans le processus de Vie (il est légitime à changer l’environnement et même la Biosphère) et peut être la première espèce à se donner des limites pour changer cet environnement.
Chers collègues écologues professionnels, pouvez-vous nous fournir une théorie plus riche que la New Ecology de Jorgensen et al.(2000)(qui n’est que de la thermodynamique sur des systèmes simplifiés et de plus en partie criticable sur ses calculs en exergie), ne reniant pas ses fondements naturalistes mais capable de produire la fameuse représentation « globale » dont les économistes, les ingénieurs de la soutenabilité, les politiciens (écologistes ou en train de se convertir) ont besoin pour avancer ?
Les français ont des atouts importants pour relever le défi : ils aiment les maths, ils sont de bons biologistes-naturalistes et ils s’intéressent plus à la théorie et aux concepts qu’aux applications (humour).
Au plaisir d’un échange sur les insuffisances des représentations des Odum (néanmoins brillants) qui ne respectent pas les principes de la thermodynamique et ont sous-estimé la complexité des systèmes biologiques.
Cordialement
SVoisin
Je ne suis pas davantage convaincu que Cédric Gaucherel et Sylvestre Voisin. L’argument catastrophiste avancé dans cet article demeure une figure rhétorique qui ne peut être prise que comme telle, et non comme un élément d’argumentation (cf. mythe grec de Cassandre). La référence organisationnelle relève quant à elle de la métaphore, rien ne démontrant que les communautés d’espèces fonctionnent à l’image des organismes (cf. Stephen Jay Gould).
Dès lors, que reste-t-il de l’argumentaire présenté ? Certes, les réseaux d’interaction entre espèces sont appelés à être modifiés par le changement climatique, et c’est une trivialité de l’affirmer. Certes, certaines espèces vont probablement voir leurs effectifs se raréfier, quand d’autres en bénéficieront au point de pulluler parfois. Mais le vivant y perdra-t-il ? Et qu’en sait-on véritablement ? Les introductions d’espèces et les dispersions à longue distance nous montrent combien les réseaux d’interactions entre espèces se réajustent en permanence sans qu’il y ait de « catastrophe » (voir par exemple Bjerkness et al., 2007, ou Kaiser-Burnberry & Müller, 2009). Pourquoi ne pas évoquer cette autre facette de la réalité ?
On peut légitimement agiter la sonnette d’alarme en évoquant les risques avérés que représente le changement climatique pour l’homme, risques qui nécessitent une reconsidération profonde de nos modes de vie et de production. Mais que penser, au bout du compte, de cet exercice de ventriloque consistant à parler à la place du vivant (il me semble qu’en rhétorique, on appelle cela une prosopopée) pour tenter d’émouvoir nos décideurs indécis ?
Ces trois regards sur l’impact du réchauffement climatique sur les socio-écosystèmes et les enjeux associés ne sont pas catastrophistes. Les auteurs ne nient pas la résilience des écosystèmes en interaction avec les sociétés, mais affirment seulement que la résilience de tout écosystème a des limites, au delà desquelles l’écosystème bascule vers un autre régime de fonctionnement, souvent défavorable aux humains. Etant donné l’importance actuelle du sujet, l’étude des seuils critiques et points de basculement est à la pointe des recherche actuelles sur le fonctionnement des écosystèmes (et autres systèmes adaptatifs complexes). Un regard sur ce sujet – celui de Sonia Kéfi – sera bientôt publié sur cette plateforme.
Par ailleurs, aucun des trois auteurs – ni personne encore sur cette plateforme d’échanges sur la biodiversité – n’a comparé l’organisation des écosystèmes ou de la biosphère à celle d’organismes vivants. (L’hypothèse « Gaïa » n’a pas encore été présentée ni soutenue dans ces regards et débats..)
Enfin, puisque ces trois regards (dont celui d’un économiste!) concernent, pour le premier l’impact du changement climatique sur les « services écologiques » rendus aux humains par les écosystèmes, pour les deux autres les enjeux de ce changement global pour les sociétés, ils se placent explicitement dans une optique humaine. Les auteurs tout comme les intervenants savent pertinemment que les écosystèmes sous pression humaine (anthropique) aujourd’hui évolueront vers d’autres états et écosystèmes, composés d’autres réseaux d’espèces en interaction entre elles et avec leur milieu physique, et ne prétendent en rien ici parler pour l’ensemble du vivant.
Bien cordialement,
AT
1/ Le mot catastrophe apparaît tout de même cinq fois dans cet article… 2/ Il n’est pas nécesaire d’aller jusqu’à l’hypothèse Gaïa pour céder à une vision organismique de la nature (voir par exemple les écrits de Patrick Blandin sur la manière dont le concept d’écosystème procède lui-même d’une telle vision). 3/ L’argumentaire de cet article, certes déployé selon une « optique humaine », s’appuie tout de même sur la désynchronisation et la désorganisation des êtres vivants et des écosystèmes, d’emblée présentée comme exclusivement négative.
Bien cordialement, et vive la controverse !
JT
Bonjour,
Les spécialistes des systèmes adaptatifs complexes parlent de transition catastrophique quand un système complexe bascule d’un régime de fonctionnement à un autre. Ce qu’il faut bien comprendre, à mon avis, c’est que la probabilité de basculement augmente avec l’intensité des pressions exercées sur le système. Confrontés aux pressions croissantes des activités humaines, qui modifient largement les conditions physico-chimiques et biologiques (biotiques) rencontrées par les espèces en interaction, les écosystèmes actuels ont un risque accru de franchir une transition catastrophique.
Bien sûr, en termes courants, la « catastrophe » ne concerne que les organismes qui pâtissent de ce changement de régime de fonctionnement, et pas ceux qui en bénéficient. Ainsi le basculement d’un lac poissonneux aux eaux claires vers un état eutrophisé aux eaux troubles et pauvres en oxygène, sous l’apport croissant de nitrates ou autres engrais chimiques, peut être taxé en langage courant de « catastrophe » pour les poissons et autres vertébrés qui le peuplent, ainsi que pour les humains qui en dépendent, mais « d’aubaine » pour les bactéries méthanogènes qui peuvent y proliférer. (Même chose bien sûr pour le basculement d’un écosystème vers un autre état du fait de l’accroissement d’un facteur lié au changement climatique : concentration de CO2, température, pH…)