LE GRAND PRIX de la SFE est destiné à récompenser une ou un écologue pour l’ensemble de ses travaux et son dévouement aux Sciences de l’Ecologie au sens large.
Cette année, Il est attribué à Isabelle Olivieri, Professeur à l’Université de Montpellier 2
Cette année, il est décerné à Isabelle OLIVIERI, Professeure à l’Université de Montpellier II. Travaillant à l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier où elle dirige l’équipe « Métapopulations », Isabelle est une chercheuse de grand renom qui a largement contribué à faire de l’écologie scientifique une discipline de premier plan en France. Elle a conduit des recherches importantes sur toute une gamme de questions à l’interface entre écologie et évolution, notamment celles qui concernent la dispersion, les régimes de reproduction, et l’adaptation locale. Son dévouement aux Sciences de l’Ecologie en général est immense, et s’exprime régulièrement par des interventions dans le débat public pour faire connaitre aux décideurs et aux citoyens les enjeux de la « destruction programmée la nature au profit de quelques-uns, et du danger qu’il y a à laisser dans l’ignorance la société », selon ses propres termes. Isabelle a reçu la Médaille d’Argent du CNRS en 2008.
Site web : http://www.metapop.univ-montp2.fr/?page_id=82
Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Isabelle_Olivieri
Tribune Libre : Extinction, adaptation et spéciation
Isabelle Olivieri, Montpellier, Octobre 2012
Les êtres vivants ont toujours vu leur habitat se transformer, par exemple du fait de changements climatiques passés. Les transformations d’habitats auxquelles sont actuellement soumises les espèces contemporaines sont accélérées et amplifiées par les activités humaines. L’évolution récente des paysages se caractérise en particulier par une fragmentation croissante, une augmentation des surfaces d’habitats plus ou moins profondément transformés par l’homme, et l’introduction de cultures et d’espèces exotiques susceptibles d’interagir directement avec les espèces sauvages locales. Nous étions 5 millions d’êtres humains aux débuts de l’agriculture, il y a environ 10 000 ans, nous sommes 6 milliards aujourd’hui. Une telle expansion démographique a bien sûr eu des effets sur les autres espèces animales et végétales. En raison de la nature exponentielle de la croissance démographique humaine, les effets de l’homme sur la biodiversité n’ont commencé à se faire sentir que récemment : la moitié des extinctions connues depuis 1600 sont intervenues au 20ème siècle. Au cours des 50 prochaines années, la moitié des espèces actuelles pourrait être amenées à disparaître. Les mécanismes qui sous-tendent les cinq crises d’extinctions passées sont mal connus et sujets à controverses. En revanche, comprendre les mécanismes qui gouvernent les extinctions actuelles est un des enjeux clés pour concilier activités humaines et biodiversité.
Gérer la biodiversité, ce n’est pas seulement ralentir, ni même empêcher les extinctions d’espèces. C’est aussi, et peut-être surtout, mettre en place les conditions de l’émergence et du maintien de la diversité au sein des espèces, condition sine qua non de leur diversification, c’est-à-dire de l’apparition de nouvelles espèces (spéciation). Une grande partie de mes recherches vise précisément à comprendre les mécanismes d’émergence et de maintien de diversité au sein des espèces. Je m’appuie pour cela sur trois approches principales : (i) des travaux de modélisation, (i) des expériences d’évolution expérimentale, et (iii) des études de populations naturelles de divers organismes (plantes, bactéries, Arthropodes). J’ai en particulier la chance de pouvoir étudier un écosystème très particulier d’Afrique du Sud, le Fynbos, point chaud de biodiversité végétale. La diversité spatiale et temporelle des milieux étant probablement le principal moteur de diversification des espèces, je considère dans la plupart de mes modèles un ensemble de populations plus ou moins connectées, habitant un environnement hétérogène et instable. Ceci m’amène à réfléchir à l’évolution des traits impliqués non seulement dans l’adaptation aux conditions locales particulières, mais aussi dans la connectivité entre populations, comme le comportement de dispersion. Cette dispersion peut être passive et aléatoire, ou bien active et basée sur une préférence pour un habitat particulier.
Ainsi, le but de mes recherches est de comprendre comment évoluent les espèces dans un système d’habitats instables et hétérogènes, quelles circonstances favorisent leur persistance, leur adaptation à de nouvelles conditions, et leur diversification. Je développe des modèles théoriques généraux afin de mieux décrire comment flux de gènes et phénomènes de sélection interagissent dans des populations subdivisées et hétérogènes. D’un point de vue expérimental, j’étudie les relations entre adaptation, dispersion et spéciation dans le contexte de divers systèmes biologiques, présentant chacun des avantages et des inconvénients particuliers.
Comme sans doute la plupart des chercheurs, je suis souvent confrontée à la question de l’utilité de mes recherches. Je ne souhaite pas que mes recherches soient uniquement déterminées par les applications pratiques qu’elles pourront trouver. Cependant, il me semble nécessaire de faire l’effort de me demander à quoi pourraient servir ces recherches.
Une première application évidente de mes recherches consiste en la transmission immédiate de mes découvertes, lors de conférences, séminaires, et cours aux étudiants de tous niveaux. Lors de mes enseignements, je m’efforce en outre de défendre l’importance d’une approche pluri-disciplinaire. En particulier, j’insiste sur l’importance de la formalisation mathématique en biologie, sur l’importance de la théorie, sur l’importance des allers-retours entre modélisation, expérimentation, observation de la nature.
Peut-être parce que j’ai une formation d’agronome et parce que j’ai passé neuf ans à l’INRA dans une station de Génétique et d’Amélioration des Plantes avant d’enseigner à l’Université, j’ai toujours été sensible à l’application de mes recherches à la gestion des populations, domestiquées ou naturelles, menacées d’extinction ou envahissantes. J’ai ainsi créé à l’Université un enseignement de M1 dans ce domaine (« Gestion des populations et biodiversité »). Mes conférences récentes portent précisément sur les applications des Sciences de l’Evolution. La création en 2008 de la revue Evolutionary Applications, à laquelle je participe activement, témoigne de la prise de conscience récente que les échelles de temps auxquelles évoluent les espèces ne sont pas incommensurables. En particulier, les changements environnementaux rapides de notre époque, dont beaucoup sont induits par les activités humaines, provoquent des évolutions rapides au sein des espèces qui y sont soumises. Je crois sincèrement que les recherches en sciences de l’évolution, bien que souvent fondamentales dans leur questionnement, aident à comprendre et maîtriser les conséquences de ces activités.
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