La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose le regard de de Catherine Cibien et Martine Atramentowicz sur les réserves de la biosphère.
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires après cet article. Les auteurs vous répondront et une synthèse des contributions sera ajoutée après chaque article.
Ce regard sera également publié dans le n°40 de LaRevueDurable – partenaire de la SFE pour ce projet – à paraître vers le 20 décembre.
Le MAB et les réserves de biosphère, à la recherche
de relations durables entre nature et sociétés
Catherine Cibien (1) et Martine Atramentowicz(2)
(1) Directrice du comité MAB France
(2) Chargée de mission au comité MAB France
( Fichier PDF )
Regard R7, édité par Anne Teyssèdre
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Mots clés : Réserve de Biosphère, MAB, UNESCO, préservation de la biodiversité, sociétés, développement durable, recherche, communication, gestion – gouvernance.
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A l’heure où 6,5 milliards d’hommes peuplent notre planète, peut-on sérieusement envisager de conserver la nature en se cantonnant à la préservation de quelques lieux ?
Il ne s’agit évidemment pas de nier l’intérêt évident des espaces protégés, mais de constater que seuls, ils ne sont pas suffisants pour maintenir à long terme la biodiversité et les diverses ressources et services indispensables à la vie de l’humanité qu’elle recèle. Les hommes aujourd’hui plus nombreux doivent explorer activement des voies alternatives de développement, et inventer ou se réapproprier des modes de gestion durable de la nature. Des mesures doivent être prises tant aux niveaux international et national que localement, permettant une adaptation à la diversité des situations.
Voilà le but des réserves de biosphère : la reconnaissance par l’UNESCO de l’engagement d’acteurs de régions du monde et de leurs gouvernements nationaux à explorer des voies de développement durable adaptées à leur contexte géographique, écologique, social et culturel.
Le programme l’homme et la biosphère de l’UNESCO
Dès 1971, le Programme « l’Homme et la biosphère » (Man and Biosphere, dont le sigle anglais est MAB) était lancé par l’UNESCO, avec pour principale mission de réduire la perte de biodiversité par des approches écologiques, sociales et économiques. Ce programme vise à améliorer les relations entre les hommes et les femmes qui peuplent la terre et leur environnement, au niveau mondial. Il s’intéresse au développement durable, privilégiant ainsi la conservation et l’utilisation rationnelle de la biodiversité. En s’appuyant sur l’interdisciplinarité et l’interculturalité inhérentes à la mission de l’UNESCO, le MAB favorise la recherche scientifique et la collecte d’informations, tout en considérant les savoirs traditionnels en matière d’exploitation des ressources.
Le MAB contribue ainsi à la mise en œuvre des engagements internationaux issus de la Conférence de Rio de Janeiro en 1992 : agenda 21 et convention sur la biodiversité.
Les réserves de biosphère
Modèles de gestion imaginés des le début des années 70 pour faire face à la dégradation des ressources biologiques et aux criantes inégalités de développement entre régions du globe, les réserves de biosphère (RB) sont à l’interface entre la science et la société. Ce sont des territoires d’application du programme MAB de l’UNESCO, où promouvoir un mode de développement économique et social, basé sur la conservation et la valorisation des ressources locales ainsi que sur la participation citoyenne.
En 2010, 564 réserves de biosphère sont réparties dans 109 pays. Désignées par le Conseil international de coordination du programme MAB à la demande des Etats concernés, ce sont des zones recouvrant un écosystème ou une combinaison d’écosystèmes terrestres et côtiers/marins, reconnues au niveau international. Au plan juridique, chacune ne relève que de la seule autorité de l’Etat sur le territoire duquel elle est située.
Ces parcelles de biosphère forment ensemble un réseau mondial, auquel les Etats participent à titre volontaire. Le cadre que représente l’UNESCO a permis à des pays extrêmement divers de se mettre d’accord sur une vision du développement durable, et sur des principes et critères communs d’action. Echanges et coopérations en sont facilités : le réseau des réserves de biosphère constitue un dispositif coordonné, où les personnes responsables sont identifiées, et ont des moyens de collaborer sur une base volontaire et équitable. Les multiples coopérations et partenariats inter-réserves et la constitution de sous-réseaux régionaux (Euromab, Afrimab, Iberoma…) permettent des échanges d’expériences sur de problématiques souvent comparables.
La France compte quant à elle dix réserves de biosphère en 2010, dont sept métropolitaines (Mer d’Iroise, Fontainebleau Gâtinais, Luberon Lure, Camargue – Delta du Rhône), Vallée du Fango, Cévennes, Ventoux), une transfrontalière franco-allemande (Vosges du Nord-Pfalzerwald) et deux ultra-marines (Guadeloupe, Commune de Fakarava enPolynésie française). La coordination et l’animation du réseau qu’elles forment est assuré par le comité MAB France.
Construction et gouvernance des RB
Le Réseau mondial des RB est régi par un cadre statutaire adopté en 1995 par la Conférence générale de l’UNESCO. Ce document précise la définition, les objectifs, les critères et la procédure de désignation et de renouvellement des réserves de biosphère.
Chaque réserve est établie selon 3 zones :
– la zone centrale, seule zone réglementée. Elle comprend un ou plusieurs espaces protégés par la loi du pays dans lequel elle se trouve. Elle permet une conservation à long terme de ce qui fait la valeur de la réserve (paysages, écosystème, espèces, etc.). L’activité humaine y est limitée aux actions en faveur de la biodiversité (éducation à l’environnement, recherche, suivi scientifique.). L’importance des zones centrales est maintenant bien connue : nombre d’entre elles contribuent à la qualité des eaux (les espaces forestiers par exemple) et à en réguler les flux. Certaines favorisent la reproduction de la faune dont une partie peut être chassée ou pêchée… Ce sont aussi des lieux de promenade ou de rêverie.
– la zone tampon, comme son nom l’indique, correspond à la zone entourant la zone centrale. Elle a pour but d’atténuer les perturbations et pollutions venant de l’extérieur. Les activités humaines y sont également contrôlées. Les activités et pratiques écologiquement viables y sont favorisées.
– l’aire de transition (ou de coopération) comprend villes et villages. Les activités sont orientées vers un développement durable et la participation de la population locale aux décisions concernant la gestion du territoire y est encouragée. Tous les domaines d’activités sont présents dans une optique de dégradation minimale du milieu naturel.
Les villes, villages et zones d’activités des aires de transition font l’objet de projets visant à plus de durabilité : urbanisme, aménagement du territoire, agriculture, foresterie, pêche, tourisme… Ce principe de zonage est très flexible et s’adapte aux conditions géographiques et écologiques de chaque site : il peut ainsi y avoir plusieurs aires centrales.
Chaque réserve de biosphère doit combiner conservation de la diversité naturelle et culturelle avec développement économique et social des populations, en mobilisant à la fois les savoirs locaux et la recherche, et en développant la formation, l’information et la sensibilisation. La participation des acteurs socio-économiques et des habitants à l’élaboration du projet de la réserve de biosphère est indispensable, générant des débats, mettant parfois en exergue des conflits d’usage ou d’intérêts. Plate forme de dialogue, elle permet de les expliciter et de les dépasser.
Le réseau mondial des réserves de biosphère fourmille d’expériences pratiques et de savoir-faire qui ne demandent qu’à être mieux valorisés, pour peu que l’on admette que face à l’ambition des concepts de réserve de biosphère et de développement durable, les réalités de mises en œuvre sont forcément modestes.
Dans un contexte de mondialisation infiniment complexe, leur gestion doit mobiliser au mieux les capacités d’analyse et de simulation et privilégier la créativité. Cela implique la mise en place des dispositifs spécifiques : conseils scientifiques pluridisciplinaires, mobilisation de chercheurs intéressés par des « recherches impliquées », recherche de moyens de médiation entre eux et le public…
Ce réseau constitue un outil d’échange de connaissances, de recherche et de surveillance continue, d’éducation et de formation, ainsi que de prise de décision participative. Les réserves de biosphère peuvent ainsi être comparées à des laboratoires où sont testées et démontrées des pratiques nouvelles, plus favorables à la biodiversité, pour concilier nature et activités humaines.
Bibliographie
Biodiversité et acteurs : des itinéraires de concertation. Réserves de biosphère – Notes techniques 1, 2006, UNESCO, Paris
Le Dialogue dans les réserves de biosphère. Repères, Pratiques et expériences. Réserves de Biosphère – Notes techniques 2, 2007, UNESCO, Paris
Entre l’Homme et la nature, une démarche pour des relations durables. Réserves de biosphère – Notes techniques 3, 2008, UNESCO, Paris. Ouvrage collectif coordonné par Lisa Garnier.
Pour en savoir plus
Le comité MAB France : http://www.mab-france.org/
Agir pour la biodiversité, destiné aux enseignants : http://www.agirpourlabiodiversite.fr/
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Article édité par Anne Teyssèdre.
Cet exposé présente clairement les objectifs de conciliation ‘Hommes-Biodiversité’ – c-à-d. tout à la fois de préservation de la biodiversité, de développement durable, de recherche sur et d’éducation à la biodiversité – reconnus par le MAB, ainsi que les méthodes mises en oeuvre pour atteindre ces objectifs dans les réserves de biosphère. Les uns et les autres semblent fondés et bien conçus.
Mais qu’en est-il des résultats ? Les objectifs de recherche et d’éducation à la biodiversité sont sans doute approchés sinon atteints, puisque les ‘efforts’ de recherche et d’éducation se traduisent de façon immédiate par ‘plus de recherche et plus d’éducation’. Mais la préservation effective de la biodiversité et le développement durable des sociétés ne peuvent être validés par les seules actions et mesures entreprises dans ce but.
Il s’agit dans ce cas de mesurer et suivre au fil du temps non pas les tentatives, actions et autres réponses des sociétés jugées favorables au fonctionnement des écosystèmes, mais bien l’état de la biodiversité elle même et des ‘services’ écologiques qu’elle rend aux sociétés, pour vérifier le bien fondé des actions entreprises.
D’où cette question : Est-ce que les suivis de biodiversité aux échelles nationales et internationals confirment la validité « des pratiques nouvelles, plus favorables à la biodiversité », élaborées et testées dans les réserves de biosphère ?
Cette présentation des RB et des objectifs est très clair mais correspond aux objectifs fixés dans les sites Natura 2000 (conciliation économie, social et environnement).
J’aimerais donc savoir quelle est la différence entre ces deux outils de gestion?
La question que soulève Anne Teyssèdre – qu’en est-il des résultats ?- est on ne peut plus pertinente. Elle se pose pour toutes les actions qui sont entreprises pour obtenir un objectif, infléchir ou changer le cours des choses.
Elle doit être couplée à la question complémentaire : quels moyens alloue-t-on à ce contrôle ? Et qui doit le faire ?
Force est de reconnaître que dans le champ de la « conservation de la nature et de sa restauration », tout cela est rarement pris en compte car les moyens manquent. Les gestionnaires « gèrent », parent au plus pressé : c’est donc à la « recherche » de s’y coller, sous réserve qu’il y ait des sources de financement !
Quoi qu’il en soit, oui il est essentiel de se pencher sur cette question, ne serait-ce que pour développer ce type d’actions ; il faut convaincre et les bonnes intentions ne suffisent pas.
Voilà pourquoi, outre des suivis des actions de « développement », il est nécessaire de développer des suivis de biodiversité, et cela dans tous les espaces protégés (avec des témoins extérieurs) et d’en rendre les résultats accessibles …
Bref, il y a beaucoup de pain sur la planche !
En réponse à Faure
Les réserves de biosphère, comme le souligne l’UNESCO, sont « plus que des espaces protégés », ce sont des « territoires de démonstration du développement durable ». Elles incluent, dans leur zone centrale et souvent leur zone tampon, des espaces protégés (cœur de Parc nationaux, réserves naturelles, sites Natura 2000, etc. ), de grandes parties de leurs territoires sont situées en dehors, et incluent même des zones urbaines.
Les réserves de biosphère correspondent à un projet de société durable, dans lequel l’éducation et la recherche ont une place prépondérante.
Elles englobent à la fois les territoires, les populations, et l’ensemble des interactions pour la conservation de la biodiversité et le développement humain.
Une réserve de biosphère est créée à la demande des habitants et acteurs d’une région. Elle n’a pas en soi de valeur réglementaire mais s’appuie sur les règlements existant dans le pays concerné. Elle correspond à un engagement moral des autorités locales et de l’Etat devant l’Unesco. Le réseau Natura 2000, lui, correspond à la mise en œuvre de directives européennes.
Les objectifs et approches du MAB mis en œuvre dans les réserves de biosphère sont très séduisants au plan théorique, mais l’exposé ci-dessus manque un peu d’exemples. Pourriez-vous illustrer cette approche au plan pratique par quelques exemples d’expérimentations en cours ou de pratiques nouvelles, testées dans un ou plusieurs de ces territoires, qui semblent favorables tout à la fois à la biodiversité et au bien-être durable – notamment au plan économique – des populations concernées ?
Par ailleurs, l’implication des populations et acteurs locaux dans la création des réserves de biosphère devrait être un facteur déterminant du succès des actions de préservation de la biodiversité ou de développement durable qui y sont entreprises. Ou du moins, cette implication devrait favoriser la mise en oeuvre rapide des projets proposés et la réactivité des acteurs aux « réponses » locales de la biodiversité. Est-ce le cas ?
Comme le demande Anne Teyssèdre, quelques exemples de démarches entreprises dans le cadre du MAB seraient intéressants à analyser, et peut-être donneraient-ils des pistes pour mieux gérer des milieux dits ordinaires, dont la biodiversité pourrait probablement être mieux respectée ou même améliorée par des pratiques appropriées.
Je pense au domaine agricole par exemple : les expériences réalisées dans les réserves de biosphère pourraient « tirer » dans le bon sens des pratiques agricoles qui n’évoluent pas assez vite, malgré une demande européenne en produits alimentaires moins traités, qui n’est pas assortie d’une offre suffisante de la part des agriculteurs, en France tout particulièrement.
Les pratiques du MAB parviennent-lles à changer les mentalités puis les pratiques, par quels processus, avec quelles incitations des états concernés ?
Chaque réserve de biosphère recèle des exemples, difficiles à détailler ici. Citons en quelques uns :
Dans le domaine agricole, les actions de promotion des produits de vergers hautes tiges (fruits, jus…) et des partenariats originaux (avec des chantiers d’insertion, une banque alimentaire, des collectivités, des écoles…) sont mis en place dans la réserve de biosphère des Vosges du Nord, pour limiter le déclin des habitats de la Chouette chevêche, dont la régression a été mise en évidence par plusieurs travaux de recherche (dynamique de populations, disponibilités en proies, lien avec la structure des paysages…).
En Camargue, un jeu de rôle permet d’améliore la connaissance et favorise la concertation à propos de la gestion durable des roselières. D’autres modélisations et jeux ont été développés sur l’enfrichement (en Iroise, Cévennes, Vosges du Nord).
Des recherches ont porté sur la châtaigneraie des Cévennes : des séminaires ont réuni des usagers et des acteurs du territoire , des documents techniques ont été produits pour son renouveau (tant pour les fruits que pour le bois).
Le groupe de travail sur la forêt des réserves de biosphère françaises travaille au développement et à une utilisation plus large (notamment pédagogique) d’outils de dialogue pour une gestion forestière durable, les marteloscopes.
A Minorque (Espagne), le nettoyage des plages n’est plus systématique : des informations sont faites aux touristes sur les laisses de mer et leur intérêt pour favoriser la biodiversité.
Sur une île au large de l’Estonie, des formations à la découpe et la cuisine de la viande de bovins ont été organisées, afin de développer une filière économique en aval de la gestion des vaches paissant dans des zones humides (à la biodiversité menacée) , filière inexistante au moment de la sortie de ce pays du bloc soviétique.
Au Bénin, dans la réserve de biosphère de la Pendjari, des associations villageoises gèrent les accès au parc national et la chasse dans ses réserves. Depuis, le braconnage a très sensiblement baissé et les populations de grands animaux se sont développées.
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De nombreux exemples sont présentés dans les Notes techniques des réserves de biosphère, disponibles en pdf sur http://www.unesco.org/mab
Et à la page :
http://www.mab-france.org/fr/publi/C_publi_mabf.html