La Société Française d’Ecologie et d’Evolution (SFE2) vous propose ce Regard d’Hélène Soubelet et Philippe Billet, respectivement Directrice de la FRB et Professeur de Droit à l’Université de Lyon, sur l’objectif ZAN (Zéro Artificialisation Nette).

MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions sur les forums de discussion qui suivent les articles; les auteurs vous répondront.

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Regard sur l’objectif ‘ZAN’,
de Zéro Artificialisation Nette

Hélène Soubelet (1) et Philippe Billet (2)

(1) Directrice générale de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB)
(2) Directeur de l’Institut de Droit de l’Environnement, Université de Lyon
Regard édité par Anne Teyssèdre

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Mots clefs : Préservation de la biodiversité, sols, imperméabilisation, artificialisation,
fonctions écologiques, services écosystémiques

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Résumé

L’artificialisation des sols est un enjeu majeur pour l’humanité. Mais, en fonction des définitions qu’on lui attribue, elle concerne soit 75% de la surface totale des terres émergées non désertiques, soit 3% de cette même surface. Dans le premier cas, les actions politiques qui lui seront consacrées ont une chance d’avoir un impact majeur, de participer à un changement transformateur ; dans le second cas, les actions politiques, même fructueuses, resteront marginales et quantitativement peu transformatrices.
Nous formulons ici neuf propositions pour que l’action publique considère l’artificialisation des sols au sens écologique du terme, tel qu’il a été adopté par la loi Climat et résilience, c’est-à-dire l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques des sols, en particulier de leurs fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de leur potentiel agronomique.


Introduction – Qu’est-ce que l’artificialisation des sols?

Pour le Petit Larousse illustré, est artificiel ce qui est produit par une technique et non par la nature. Au sens écologique du terme, un sol artificialisé est un sol qui a perdu son intégrité biologique et qui ne fonctionne plus correctement. Avec cette définition, un champ cultivé en monoculture, avec usage d’intrants chimiques et de force mécanique pour permettre la production de biomasse, repose sur un sol hautement artificialisé. A contrario, ce n’est pas le cas d’une zone humide qui épure l’eau douce sans intervention humaine, ou d’une prairie permanente qui selon le GIS Sol (2006) peut stocker dans les 30 premiers centimètres de sol autant voire plus de carbone qu’une forêt (jusqu’à 70 à 80 tonnes à l’hectare).

De son côté, la loi française n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets, dite Loi Climat et résilience (cf. (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043956924), a défini l’artificialisation d’un sol comme « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage » (article 192). Si on rapporte cette définition à notre exemple précédent, le champ cultivé en monoculture avec labour profond et usage massif d’intrants devrait donc également être considéré comme un sol artificialisé. Cependant, le législateur a formellement exclu du champ d’application du régime de l’artificialisation les surfaces utilisées « à usage de cultures ». Une approche très artificielle, en somme, destinée à assurer une certaine paix dans les campagnes, plus qu’une approche scientifique.


Encart : Une prise en compte tardive par le droit

La question de l’artificialisation des sols a mis longtemps à émerger dans le discours politique et juridique français et plus largement européen, plus enclin à traiter de la densification pour éviter une consommation des sols à des fins de construction et d’aménagement (en France: Loi Solidarité et renouvellement urbains du 10 décembre 2000, Loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové du 24 mars 2014). Le projet européen du 22 septembre 2006 définissant un cadre pour la protection des sols ignore jusqu’au terme, lui préférant celui d’imperméabilisation (« recouvrement permanent du sol par un matériau imperméable »).

Il faut attendre le 7° Programme d’action pour l’Environnement de l’Union européenne à l’horizon 2020 pour que l’artificialisation des sols et la neutralité comptable soient prises en compte dans les politiques de l’Union : « d’ici à 2020, les politiques de l’UE tiendront compte de leur incidence directe et indirecte sur l’utilisation des sols dans l’UE et ailleurs dans le monde, et nous serons en bonne voie pour atteindre notre objectif consistant à supprimer d’ici à 2050 toute augmentation nette de la surface de terres occupée; l’érosion des sols aura été réduite et leur teneur en matières organiques aura augmenté, alors que les travaux d’assainissement des sites contaminés auront bien progressé. ». Cependant, l’expression anglaise employée – « No net land take » – s’attache au « prélèvement » net des terres, pas à l’artificialisation. Il faut attendre, en France, le « Plan Biodiversité » de 2018 pour que soit fixé l’objectif « de parvenir à zéro artificialisation nette, c’est-à-dire faire en sorte que chaque fois qu’une surface est artificialisée, la même superficie est rendue à la nature ailleurs. », sans pour autant définir ce qu’il faut entendre par « artificialisation ».


 

La loi Climat et Résilience, qui a formalisé en 2021 l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) sur la base du Plan Biodiversité de 2018 (cf. l’encart ci-dessus), ne considère que les phénomènes d’imperméabilisation des sols par un bâti, un revêtement (stabilisation, compactage ou constitution de matériaux composites). Cette approche se distingue nettement de la caractérisation écologique de l’artificialisation des sols présentée plus haut, et minimise donc l’ampleur et les enjeux socio-écologiques] du phénomène. De fait, aujourd’hui, les espaces imperméables (c’est-à-dire bétonnés, principalement par la ville et les infrastructures) représentent en moyenne moins de 1% de la surface du globe et environ 4% des terres émergées non désertiques (Ipbes, 2018 et 2019), avec de grandes différences en fonction des régions (voir la carte 1).

Or, selon la plateforme scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes), c’est 75 % de la surface des terres émergées non désertiques qui est fortement dégradée par les activités humaines (voir la carte 2 ci-dessous). Cela signifie que cette surface est constituée d’écosystèmes qui ne peuvent plus, en raison des pressions anthropiques exercées sur eux, assurer les mêmes fonctionnalités que des écosystèmes naturels ou semi-naturels. Cette artificialisation à des degrés divers leur a fait perdre une grande partie de leur diversité biologique, leur équilibre s’est modifié, ils subissent une homogénéisation biotique (c’est-à-dire qu’ils se sont simplifiés) à tous les niveaux de la biodiversité : génétique, spécifique, paysagère, écosystémique. Dans ces écosystèmes anthropisés, le nombre d’espèces vivantes, leur abondance, leur diversité sont réduits, ce qui modifie les interactions entre espèces, les habitats et même le microclimat local.

En conséquence, ces écosystèmes deviennent favorables aux espèces exotiques envahissantes, aux émergences infectieuses. Ils ne sont ainsi plus en capacité de soutenir gratuitement (c’est-à-dire sans intervention humaine) la fertilité des sols, la pollinisation, l’épuration de l’air et de l’eau, la régulation des événements climatiques extrêmes, la production de nourriture, de matériaux, d’énergie. Ils ne sont plus non plus en capacité de stocker du carbone et de contribuer à l’adaptation au changement climatique.

En 2019, dans son évaluation mondiale de la biodiversité, l’Ipbes (2019) a proposé un cadrage pour comprendre quelles sont ces pressions, quelles sont les activités humaines responsables et quels sont les facteurs sous-jacents indirects qui les aggravent. Le rapport mentionne cinq facteurs principaux de pression sur la biodiversité : (1) le changement d’usage des terres et des mers, (2) l’exploitation des ressources naturelles, (3) la pollution, (4) le changement climatique), (5) les espèces exotiques envahissantes.

L’artificialisation des sols relève clairement de la première pression ainsi que, souvent, de la troisième (ex: pollution par excès d’intrants chimiques).

=> PREMIÈRE PROPOSITION :
  • Élargir l’action publique sur l’artificialisation des sols à l’ensemble des terres qui ont été transformées par les actions humaines et qui ne peuvent plus, du fait des pressions exercées sur elles, assurer leurs fonctions écologiques, elles-mêmes à la base des services écosystémiques indispensables à une bonne qualité de vie des humains (et de maintes autres espèces). Sans cet élargissement, les actions de lutte contre l’artificialisation n’auront, en termes surfaciques (3 %), qu’un impact très limité sur l’érosion de la biodiversité.


Comment lutter contre l’imperméabilisation des sols?

Les sols sont un patrimoine commun de l’humanité : ils hébergent une bonne fraction de la biodiversité mondiale (notamment en invertébrés et microorganismes, sans parler des racines de toutes les plantes terrestres) (cf. Selosse, 2021) et assurent de nombreuses fonctions écologiques essentielles. Or, la réglementation protège peu les sols, qu’elle considère toujours comme une surface exclusivement productive sans prendre en compte, à quelques nuances près, les autres services écosystémiques dont ils sont la base (stockage et recyclage du carbone, épuration de l’eau, fertilité, habitat pour la biodiversité, …).
Les espaces naturels, agricoles et forestiers français sont parmi les plus taxés d’Europe. Leur rentabilité faible, nulle, voire négative entraine des tentations d’artificialisation pour en augmenter le revenu ou la plus-value (Dupuis & Sainteny, 2021; Sainteny & Dupuis, 2022).

La France est l’un des seuls pays à avoir un impôt spécifique sur les espaces naturels avec des taux d’imposition, variables selon les communes, qui vont de 0 (espaces protégés) à 1,5 % (autres espaces naturels) calculé sur la base de leur valeur foncière (cadastrale) et non sur leur valeur productive.
Elle est l’un des pays qui impose le plus de taxes non liées au revenu des espaces naturels (ou semi-naturels), pour les trois types d’espaces (naturels, forestiers, agricoles) et des taux relativement élevés pour les taxes liées au revenu (alors que le rendement annuel moyen du foncier non bâti est nul, voire négatif). En particulier, la taxe foncière sur les propriétés non bâties est élevée sur ces trois types d’espaces. A l’exception des forêts, les espaces dits « naturels » hors aires protégées – tels que zones humides, bosquets, prairies, parcs et jardins communaux ou privés – sont les seuls espaces (habitats) à ne bénéficier d’aucune exonération foncière. Au contraire, ils font l’objet dans certaines communes de pénalités – avec des majorations de la valeur locative (servant de base pour le calcul de l’impôt) de 1 à 3 euros par m2, pour les terrains constructibles situés en zone locative – ce qui incite les propriétaires à les artificialiser [cf. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000034116225/2017-03-02].

La comparaison des taux d’imposition de ces différents espaces avec la détention d’actions du même montant dans une entreprise pétrolière est, à ce titre, assez édifiante :

Tableau 1 : Tableau tiré de la proposition de loi visant à “modifier l’impôt sur la fortune immobilière afin de préserver le foncier non-bâti, les espaces naturels et les propriétés rurales », déposée à l’Assemblée nationale le 19 décembre 2018 par Marc Le Fur. TFNB : taxe foncière sur les propriétés non bâties. TCA : taxe spéciale sur le chiffre d’affaires. DTMO : droits de mutation à titre onéreux. IFI : Impôt sur la fortune immobilière.

Par ailleurs, il existe aussi des incitations directes à artificialiser, notamment les exonérations temporaires ou réductions de fiscalité pour les constructions neuves à usage d’habitation (qui ne font pas la distinction entre construction neuve sur un espace déjà artificialisé ou sur un espace naturel, agricole ou forestier) et aucune exonération pour la rénovation en cœur de bourg. Cette approche fiscale est contre-productive, à l’heure où l’on promeut la rémunération des services écosystémiques et l’investissement dans le capital naturel.

=> DEUXIÈME PROPOSITION :

  • Réformer la fiscalité soit en indexant les taxations foncières sur les revenus des espaces agricoles, semi-naturels ou forestiers, soit en exonérant les espaces agricoles, naturels ou forestiers de tout ou partie des taxes (taxes foncières, impôts sur le revenu, impôt sur la fortune immobilière, droits de mutation à titre gratuit, droits de mutation à titre onéreux, taxe additionnelle pour chambres d’agriculture), pour reconnaitre que ce sont des espaces indispensables au bon fonctionnement des écosystèmes et fournissant de nombreux services écosystémiques. A minima, il faudrait rétablir une égalité de traitement entre les terrains productifs et les terrains non productifs et bien considérer les avantages sociétaux « cachés » de ces derniers.


A quelle échéance et comment faut-il agir?

Dans sa première évaluation mondiale, l’Ipbes (2019) nous rappelle que la crise de la biodiversité est grave, que nous assistons à une véritable extinction du vivant, tant en termes d’espèces animales et végétales – 1 million sont menacées aujourd’hui – qu’en termes de biomasse vivante : selon Bar-On et al. (2018), 50 % de la biomasse des plantes et 83 % de la biomasse des mammifères sauvages ont disparu depuis 100 000 ans, c’est-à-dire depuis les sorties d’Afrique de l’homme moderne.

L’Ipbes nous disait aussi, en 2019, que nous avions 10 ans pour agir avant la manifestation de conséquences irréversibles pour l’humanité. Il faut donc accélérer le processus de lutte contre la perte de biodiversité, d’une part par la mise en protection d’espaces et, d’autre part, par la diminution des pressions qui s’exercent sur la biodiversité dans les habitats anthropisés. Ce qui est important pour la biodiversité, ce sont la diversité et la connectivité, deux éléments que l’artificialisation des sols au sens biologique du terme détruit efficacement.

=> TROISIÈME ET QUATRIÈME PROPOSITIONS : 


  • Introduire une triple obligation pour chaque activité humaine : (1) concourir à la diversité du paysage, (2) concourir aux trames vertes et bleues sur leurs emprises et, enfin, (3) réduire les pressions sur la biodiversité, d’ici 2030 (Voir le schéma ci-dessous).
  • Supprimer toute subvention nuisible au fonctionnement des (socio-)écosystèmes, ou/et qui induit une homogénéisation des paysages (voir Sainteny, 2011). Supprimer notamment les exonérations de taxe foncière pour les logements neufs construits sur des espaces semi-naturels, agricoles ou forestiers.

Schéma 1 : La triple obligation des activités humaines pour parvenir à un monde soutenable, préservant la biodiversité, et exemples d’actions pour y parvenir.

 

Sur quels espaces faut-il agir? Peut-on compenser partout?

Certains écosystèmes menacés par les activités humaines ne peuvent pas faire l’objet de compensation, car la restauration de leur intégrité après destruction (i.e., le rétablissement de réseaux écologiques fonctionnels) demande des dizaines, voire des centaines ou des milliers d’années. Il est urgent de stopper leur destruction. Par exemple, 80 % des zones humides ont disparu au niveau mondial, alors que ces milieux sont indispensables pour le stockage et l’épuration de l’eau et hébergent une biodiversité remarquable (Ipbes, 2019). Une étude récente (Garibaldi et al., 2021) démontre que préserver au moins 20% d’habitats naturels dans les agrosystèmes contribuerait à maintenir les fonctions écologiques essentielles et, donc, les services écosystémiques comme la production de nourriture, le stockage du carbone. Par ailleurs, ces espaces pourraient renforcer la connectivité et l’efficacité des réseaux d’aires protégées.

=> CINQUIÈME ET SIXIÈME PROPOSITIONS :

  • Les espaces écologiquement riches devraient être placés sous protection forte sans possibilité d’artificialisation. Il s’agit par exemple des prairies permanentes, des zones humides, des écosystèmes de montagnes, des haies, des mares, des vieilles forêts etc. Le zonage Natura 2000 constitue déjà un bon diagnostic de la richesse en biodiversité, comme la localisation en secteur de type 1 (grand intérêt biologique ou écologique) dans l’inventaire des zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).
  • Les sols de grande qualité agronomique devraient faire l’objet de restriction d’imperméabilisation et de la mise en œuvre de pratiques agricoles soutenables limitant leur artificialisation. Il est, en particulier, possible d’y restreindre l’usage d’intrants chimiques, de limiter le labour profond, d’y introduire des infrastructures agroécologiques, d’y conserver 20% d’espaces naturels.

Quel rôle pour la planification écologique?

La planification écologique a été placée un temps sous l’égide du Premier ministre, ce qui était une bonne nouvelle en raison de la transversalité de ses pouvoirs. En effet, seuls les ministères en charge d’activités impactant directement (usages des terres, pollutions) ou indirectement (via des effets rebonds..) les sols (voir ci-dessous) ont le pouvoir de réduire les nuisances de ces activités. Le ministère chargé de l’écologie n’a, à ce titre, aucun moyen d’action, sauf à pouvoir agir à la marge notamment par le jeu du contrôle des autorisations conduisant à artificialiser ou modifier la structure de certains sols (drainage, imperméabilisation des zones humides).

Les activités les plus impactantes pour la biodiversité sont bien identifiées par l’Ipbes. Il s’agit des activités qui :

  • induisent du changement d’usage des terres et homogénéisent les milieux, comme l’agriculture, les infrastructures, l’urbanisme ;
  • prélèvent des ressources naturelles comme la chasse, la pêche, l’agriculture, la foresterie ;
  • polluent, comme certaines formes d’agriculture, les industries notamment chimiques, les transports, le commerce international…

=> SEPTIÈME ET HUITIÈME PROPOSITIONS :

  • Rendre les ministères sectoriels et le ministère du budget redevables des impacts que leur soutien génère, et les premiers pilotes de la diminution de ces impacts.
  • Prioriser les actions de la planification écologique sur les activités les plus impactantes : l’agriculture, la pêche, l’aménagement urbain, la chasse, l’industrie, le tourisme, le commerce, les transports.

Quel rôle pour la ruralité ?

Le monde rural doit jouer sur l’un de ses attraits principaux : la qualité de vie.

Cette qualité de vie doit être redéfinie, non pas comme la possibilité toujours plus rapide d’acquérir des richesses et des biens matériels, mais comme la possibilité d’avoir accès à un espace de vie agréable, de pouvoir partager cet espace de vie avec d’autres personnes, mais aussi d’être en contact avec la biodiversité et ses bienfaits : un air pur, une eau propre, une identité culturelle et paysagère, le bien-être physique et mental. Les paysages ruraux doivent retrouver leur capacité d’inspiration et leur spécificité (leur unicité), partout en France, par :

  • la désartificialisation (au sens dé-bétonisation) effective des friches industrielles et commerciales et une analyse fine de la nécessité d’implantation d’activités commerciales ;
  • le développement d’une offre diversifiée en centre bourg, permettant de contenir le commerce dans des zones déjà artificialisées ;
  • la mutualisation de cette offre entre les villes et villages par le développement de transports en communs, fréquents, sûrs, pratiques en termes de placement des marchandises et abordables pour tous.

Les liaisons ferroviaires ou en bus entre les petits centres urbains et les grandes métropoles régionales doivent également être réhabilitées et systématisées. Le renforcement de ces réseaux peut créer de l’imperméabilisation, mais il va également renforcer l’attractivité des campagnes et favoriser ainsi le développement de l’offre de produits alimentaire locaux. Cette offre doit s’accompagner de la mise en place d’une politique de désartificialisation des espaces agricoles pour limiter leur impact sur la santé humaine (du fait de la contamination par les pesticides et les engrais de synthèse) et lutter contre la simplification des paysages qui détruit les identités régionales et perturbe certains cycles naturels (eau, carbone…).

=> NEUVIÈME PROPOSITION :


  • La planification écologique territoriale doit valoriser une bonne qualité de vie en zone rurale, tout en donnant aux ruraux accès à l’ensemble des services dont bénéficient les populations urbaines. Il semble nécessaire en particulier de mettre en place des réseaux de transports en communs fréquents et sûrs entre villes et villages, mais aussi de promouvoir et soutenir l’installation de petits commerces, initiatives et centres socio-culturels au coeur des villages.

Conclusion

La dégradation des sols et des terres, du fait des changements d’usages, de la pollution ou de l’extraction intensive de biomasse constitue une atteinte non seulement à l’équilibre des écosystèmes, mais aussi à la qualité de vie des humains. Les écosystèmes terrestres produisent l’essentiel de notre nourriture, stockent du carbone et de l’eau, hébergent une importante biodiversité. Or, aujourd’hui, 40% des terres non désertiques sont sévèrement dégradées par les activités humaines, affectant la moitié de l’humanité dans ses conditions d’existence. Cela entraîne une exposition accrue au risque d’incendies, à la prolifération d’espèces exotiques envahissantes, de parasites et d’agents pathogènes, générant également des émissions de gaz à effet de serre et une perte du potentiel de séquestration de carbone et d’eau.

Prendre en considération les phénomènes d’artificialisation des sols comme constitutifs d’une perte durable voire définitive de leur intégrité écologique conduit à reconsidérer certaines modalités de leur utilisation et mise en valeur afin de renforcer leur soutenabilité, appelant ainsi à des actions ambitieuses de diagnostic, de préservation et de restauration. Cela pourrait permettre d’atteindre l’objectif principal de la Convention sur la diversité biologique pour 2050 (COP 15, 2023) : vivre en harmonie avec la nature.

Champ d’agriculture intensive (Côte d’Or, avril 2018). Cliché Anne Teyssèdre

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Remerciements:

Nous remercions Louise Dupuis (FRB) pour sa relecture des éléments relatifs à la fiscalité et Denis Couvet, président de la FRB, pour sa participation à la réflexion globale sur le sujet. Un grand merci aussi à Anne Teyssèdre, éditrice de ce Regard, pour ses nombreuses remarques et suggestions.

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Bibliographie

  • Bar-On Y., Phillips R., and Milo R. (2018). The biomass distribution on Earth. PNAS Proceedings of the National Academy of Sciences 115 (25): 6506-6511.
  • Garibaldi, L. A., Oddi, F. J., Miguez et al., 2021. Working landscapes need at least 20% native habitat. Conservation Letters, 14(2), e12773.
  • GIS Sol (2006). « Gis Sol ». Le stock de carbone organique dans les 30 premiers centimètres des sols de France métropolitaine » (http://www.gissol.fr/donnees/cartes/le-stock-de-carbone-organique-dans-les-30-premiers-centimetres-des-sols-de-france-metropolitaine-1487).
  • IPBES. (2018). The IPBES assessment report on land degradation and restoration. Zenodo. https://doi.org/10.5281/zenodo.3237393
  • IPBES (2019): Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. S. Díaz, J. Settele, E. S. Brondízio et al. (eds.). IPBES secretariat, Bonn, Germany. 56 pages.
  • Sainteny, G., Salles, J. M., Duboucher, P., Ducos, G., Marcus, V., Paul, E., … & Pujaol, J. L. (2011). Les aides publiques dommageables à la biodiversité. Centre d’analyse stratégique, Paris.
  • Sainteny G. & Dupuis L. 2022. La taxation des terres agricoles en Europe : approche comparative. Fondation pour la recherche sur la biodiversité. 39p
  • Selosse, M.A. L’origine du monde. Une histoire naturelle du sol à l’intention de ceux qui le piétinent, Actes Sud Nature, 2021, p. 137.

Pour en savoir plus

Taxation des terres agricoles en Europe
Taxation des forêts européennes
Fiscalité et biodiversité
Le changement d’usage des terres et des mers
La séquence ERC comme clé pour limiter l’artificialisation
Dépliants messages-clés rapport 2019 de l’Ipbes

Regards connexes :

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Regard édité et mis en ligne par Anne Teyssèdre.

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Forum de discussion sur ce Regard RO26