La Société Française d’Ecologie et d’Evolution (SFE2) vous propose ce regard de Michel Loreau, Grand Prix 2020 de la SFE2, sur les différentes approches en biologie de la conservation.
Cet article est une version légèrement modifiée et adaptée pour cette plateforme SFE2 d’une tribune du même auteur mise en ligne en mars 2015 sur le site d’Humanité et Biodiversité, partenaire de publication et de diffusion de ces ‘regards’.
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions sur les forums de discussion qui suivent les articles; les auteurs vous répondront.
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Par delà l’éthique et l’économie :
l’homme au coeur de la biodiversité
Michel Loreau
Grand Prix 2020 de la SFE2. Directeur de Recherche au Centre de Théorie et Modélisation de la Biodiversité, Station d’Ecologie Théorique et Expérimentale, UMR 5321, CNRS & Université Paul Sabatier, 09200 Moulis, France. E-mail: michel.loreau@sete.cnrs.fr
Article édité par Anne Teyssèdre
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Mots clés : Biodiversité, approche éthique vs utilitariste, valeur intrinsèque,
valeur instrumentale, relation Homme-Nature,
services écosystémiques, besoins humains, mammifères, sociétés, empathie.
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- Deux approches contrastées
- Limites des approches éthiques et utilitaristes
- Au-delà des valeurs instrumentales et intrinsèques, les besoins humains fondamentaux
- Conclusion
- Bibliographie
- Regards connexes
- Forum de discussion sur ce regard
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La croissance démographique et économique des sociétés humaines vient se heurter de plus en plus frontalement aux limites écologiques de la planète Terre, engendrant une crise écologique globale. Cette crise se manifeste de multiples façons, notamment par un changement climatique de plus en plus perceptible et une érosion lente mais profonde de la biodiversité. Bien que la conscience de l’ampleur de cette crise ne cesse de croître, l’action collective pour la surmonter fait encore cruellement défaut.
Deux approches contrastées
La protection de la biodiversité et, plus généralement, de la nature fait appel à deux grand types d’approches. La première est non-utilitariste ; elle met l’accent sur les valeurs éthiques, esthétiques ou spirituelles de la nature. Les animaux, parfois les plantes, les espèces, les écosystèmes, voire même la biosphère dans son ensemble, sont considérés comme ayant une « valeur intrinsèque », c’est-à-dire comme étant des fins en soi, quelle qu’en soit l’utilisation faite par les hommes. Cette approche non-utilitariste fonde l’éthique environnementale, discipline qui cherche à définir de nouveaux principes éthiques gouvernant notre attitude vis-à-vis du monde vivant non-humain.
Au contraire, l’approche utilitariste considère ce dernier comme un ensemble de ressources qu’il convient de gérer prudemment afin d’éviter des conséquences économiques et sociales néfastes pour les sociétés humaines. Cette approche utilitariste, qui plonge ses racines dans l’économie des ressources naturelles et de l’environnement, jouit actuellement d’une grande popularité suite à l’engouement pour les « services écosystémiques » : les sociétés retirent un grand nombre de bénéfices directs et indirects des écosystèmes ; ces bénéfices sont alors conceptualisés comme autant de « services » rendus par la nature aux sociétés, par analogie à la notion de service utilisée en économie.
La tension entre les approches utilitaristes et non-utilitaristes est aussi vieille que le mouvement contemporain de conservation de la nature et ne montre aucun signe d’apaisement. Or, si elle peut être source de questionnements vivifiants, cette tension porte aussi préjudice au mouvement de protection de la biodiversité. Car non seulement elle l’affaiblit en le divisant, mais aussi et surtout, elle perpétue la confusion sur ses véritables objectifs et motivations. Il est donc essentiel d’aller au-delà de ces approches traditionnelles pour asseoir la protection de la biodiversité sur des fondements plus solides.
Tel est l’objectif de ma contribution. Je montrerai d’abord brièvement que ni l’approche éthique ni l’approche utilitariste ne fournissent un fondement suffisant pour surmonter la crise actuelle de la biodiversité car ni l’une ni l’autre ne remettent en cause la séparation entre l’homme et la nature qui engendre cette crise. Je montrerai ensuite que, pour surmonter cette crise et cette séparation, il s’agit de remettre l’homme dans la nature, au cœur de la biodiversité, et, par conséquent, de repenser la nature humaine et les besoins humains. Les besoins humains fondamentaux sont la source des valeurs qui motivent à la fois le développement des sociétés et la protection de la nature. Ils transcendent donc la dichotomie entre éthique et utilitarisme et enracinent la protection de la biodiversité dans l’histoire évolutive de l’espèce humaine.
Limites des approches éthiques et utilitaristes
Pour comprendre où se situent les problèmes des approches traditionnelles, examinons brièvement leurs points de vue et leurs limites.
L’éthique environnementale, qui a œuvré à établir les fondements philosophiques des approches non-utilitaristes, propose essentiellement d’étendre les frontières de l’éthique classique au monde non-humain (quoique les nouvelles frontières qu’elle propose varient grandement selon les auteurs et les critères retenus). L’un des concepts clefs qu’elle utilise pour justifier cette extension est celui de valeur intrinsèque des entités non-humaines. Un grand débat a traversé l’éthique environnementale concernant la nature et la source de cette valeur, avec, d’un côté, un point de vue objectiviste selon lequel la valeur intrinsèque serait une propriété objective de l’objet évalué, indépendante de l’évaluateur, et, de l’autre, un point de vue subjectiviste selon lequel elle serait une propriété subjective du sujet humain évaluateur.
Ce débat est révélateur des limites de l’éthique environnementale, qui a beaucoup de peine à sortir du carcan philosophique de la modernité et du conflit constant entre l’homme et la nature, entre sujet et objet qui la traverse. Dans ce débat, les hommes sont placés, implicitement ou explicitement, en dehors de la nature, de sorte que le problème de la nature objective ou subjective de la valeur intrinsèque devient critique et, à vrai dire, insoluble. En réalité, les hommes font partie intégrante de la nature ; ils sont les nœuds d’un réseau complexe d’interactions entre les diverses composantes de la biosphère. Le fait qu’ils reconnaissent une valeur à d’autres composantes, humaines ou non-humaines, en tant que sujets évaluateurs ne signifie nullement qu’ils le fassent de façon arbitraire, indépendamment des propriétés objectives de ces composantes, ni que ces dernières ne se comportent également à leur tour comme sujets évaluateurs. Dans la nature, il n’y a pas d’un côté des sujets et de l’autre des objets, il y a des interactions. L’existence de rapports de valeur « objectifs », indépendants des hommes, entre entités non-humaines est d’ailleurs un très mauvais argument pour justifier la prise en compte de ces entités dans les considérations morales. En effet, l’éthique étant une construction humaine, seules les valeurs reconnues par les hommes peuvent constituer les fondements de l’éthique.
Comme l’éthique classique et toute la philosophie moderne, l’éthique environnementale met aussi fortement l’accent sur la rationalité, insistant souvent sur la distinction catégorique entre engagement moral rationnel et amour de la nature sentimental. Certes, toute considération morale qui aspire à l’universalité doit faire intervenir la rationalité, mais déconnecter celle-ci de ses fondements émotionnels est une erreur qui en réduit considérablement la portée. Les travaux récents en neurosciences et en psychologie humaine et animale démontrent clairement que les comportements moraux sont ancrés dans les émotions et qu’ils existent également, sous forme primitive, chez les mammifères non-humains. C’est pourquoi l’accent mis par l’éthique environnementale sur la rationalité pure réduit sa capacité à servir de guide pour l’action. On ne peut séparer raison et émotion.
Les approches utilitaristes et économiques invoquent également la rationalité, mais de façon plus étroite. Au contraire de l’éthique, qui met l’accent sur les questions de principe désintéressées, l’économie classique et l’utilitarisme utilisent une rationalité purement instrumentale pour optimiser l’intérêt individuel ou collectif des hommes. Ces approches trouvent en général un écho très favorable dans la société moderne, largement gouvernée par l’intérêt humain individuel, ce qui explique l’engouement actuel pour la nouvelle approche des services écosystémiques. Bien que celle-ci soit particulièrement large (elle inclut même les valeurs intrinsèques de la biodiversité sous la catégorie des « services culturels », ce qui n’est d’ailleurs pas la moindre de ses contradictions), elle est fondamentalement utilitariste et anthropocentrique car elle suppose que la nature est tout entière au service des hommes(1). Elle est même utilitariste au sens économique du terme ; en effet, réduire la nature à une pourvoyeuse de services revient à l’absorber dans l’économie.
(1) Cette affirmation et la phrase suivante sont discutées dans le forum qui suit cet article (note de l’éditrice).
Cette évolution possède certains avantages évidents. La force de l’évaluation économique de la biodiversité et des écosystèmes réside dans le fait qu’elle met les « services et produits » de la nature sur un pied d’égalité avec ceux de l’humanité, ce qui lui donne, en principe, le pouvoir d’influencer le comportement quotidien de millions d’agents économiques dans un sens plus favorable à la conservation de la nature. Mais cette force est en même temps sa faiblesse. Dans la mesure même où les « services rendus par la nature » sont mis sur le même pied que ceux rendus par les agents économiques, le danger sera toujours présent que des impératifs économiques à court terme ne prévalent sur des besoins humains plus fondamentaux. On peut même se demander si, en favorisant l’évaluation économique de la nature, l’approche des services écosystémiques n’est pas en train, involontairement, de préparer le terrain à une extension de l’emprise des intérêts économiques existants sur la biodiversité et les écosystèmes.
Au-delà des valeurs instrumentales et intrinsèques, les besoins humains fondamentaux
L’opposition traditionnelle entre approches utilitaristes et non-utilitaristes, entre économie et éthique, entre valeurs instrumentales et intrinsèques, repose sur un ensemble de présupposés philosophiques qui n’ont aucun fondement scientifique solide. En particulier, elle suppose une frontière étanche entre satisfaction des besoins humains — généralement réduits à un aspect bassement matériel — et comportement moral ou altruiste — généralement considéré comme un noble produit de l’esprit. Cette séparation elle-même repose sur un présupposé très répandu selon lequel les hommes, comme tous les êtres vivants, seraient fondamentalement égoïstes, de sorte que la satisfaction de leurs besoins impliquerait nécessairement le fait de traiter les autres comme des instruments de cette satisfaction. Or, ce présupposé repose sur une interprétation fondamentalement erronée de la biologie évolutive, qui confond la motivation psychologique des organismes et le processus de sélection naturelle qui agit à l’échelle des gènes. Le fait que la coopération, l’altruisme et la moralité puissent être favorisés par la sélection naturelle n’en font pas pour autant des comportements égoïstes.
Suite aux travaux récents en neurosciences et en psychologie, il ne fait plus de doute aujourd’hui que l’empathie est une caractéristique fondamentale de l’espèce humaine qui a évolué en réponse à leur forte socialité. Or, l’empathie implique nécessairement une identification à l’autre (que cet autre appartienne ou non à la même espèce), et donc la reconnaissance de l’autre comme une fin en soi — en d’autres termes, qu’il possède une valeur intrinsèque. On sait par ailleurs que l’empathie fait intervenir des réponses sensorielles et émotionnelles avant toute forme de jugement rationnel. La conclusion remarquable qui en découle est que la valeur intrinsèque que nous attribuons aux autres êtres humains ou non-humains est inscrite dans le corps — il s’agit donc d’une réponse « subjective » qui possède une existence « objective » antérieure à tout traitement intellectuel et rationnel.
D’une façon plus générale, la crise écologique globale à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui nous invite à repenser le rapport entre l’homme et la nature et, par conséquent, la nature qui est en nous, c’est-à-dire la nature humaine. Reconnaître pleinement la nature humaine, c’est reconnaître le fait que les hommes appartiennent à la nature, qu’ils partagent un ensemble de besoins et de valeurs fondamentaux qui définit leur identité en tant qu’espèce et qui rend la vie sociale possible par delà les multiples différences individuelles et culturelles. L’idéologie ou la croyance dominante veut que les besoins humains soient illimités et que leurs différences entre cultures et périodes historiques soient également illimitées. Mais les recherches récentes en psychologie, en psychothérapie et en développement personnel montrent au contraire que tous les êtres humains possèdent un nombre limité de besoins fondamentaux universels. Ce qui varie dans le temps et entre cultures, c’est la façon spécifique dont ces besoins fondamentaux sont satisfaits ou non. En outre, nombre de désirs perçus comme des « besoins » représentent en réalité des façons détournées de compenser des besoins fondamentaux insatisfaits, entraînant souvent des troubles psychologiques plus ou moins sérieux ou avérés.
L’un des traits les plus frappants des besoins humains fondamentaux qui ont été identifiés jusqu’ici est qu’ils s’étendent bien au-delà des besoins physiologiques ou de subsistance sur lesquels l’accent a été mis traditionnellement. En particulier, ils incluent les besoins d’affection, de reconnaissance, de compréhension et d’accomplissement de soi, dont la satisfaction repose entièrement sur des interactions non-utilitaires avec les autres, qu’ils soient humains ou non. Tout comme l’empathie, l’existence de besoins humains fondamentaux fondés sur des interactions non-utilitaires détruit la séparation entre accomplissement de soi et accomplissement de l’autre, puisque l’accomplissement de l’autre est la condition de mon propre accomplissement, et réciproquement. Par conséquent, la satisfaction des besoins humains fondamentaux est tout à fait compatible avec la reconnaissance de valeurs intrinsèques dans le monde humain et non-humain.
La distinction elle-même entre valeurs instrumentales et intrinsèques est d’ailleurs discutable, car la plupart, sinon la totalité, des entités avec lesquelles nous entrons en interaction sont investies d’une double valeur instrumentale et intrinsèque. Ainsi, il n’y a aucune raison valable de penser que les créatures végétales et animales que nous utilisons comme nourriture ne sont pas dignes de respect, et donc qu’elles n’ont pas de valeur intrinsèque. Le respect vis-à-vis des animaux chassés est très répandu parmi les sociétés de chasseurs-cueilleurs. Bien que la société moderne mette en exergue de façon quasi pathologique les relations utilitaires, le respect des créatures non-humaines est présent au plus profond de chacun d’entre nous et ne disparaît de notre conscience qu’à la suite d’un long travail d’« éducation » — en fait, d’effacement — durant notre enfance.
La lumière nouvelle qu’apportent l’empathie et les besoins humains fondamentaux sur la nature humaine permet également de résoudre le débat sur l’anthropocentrisme qui a fait rage en éthique environnementale. Les éthiciens environnementaux ont — à raison — accusé l’éthique classique d’anthropocentrisme du fait qu’elle est entièrement centrée sur les hommes. Par opposition, ils se sont mis en tête de développer — à tort, à mon avis — des approches centrées sur des entités biologiques (biocentrisme) ou écologiques (écocentrisme). A première vue, la proposition faite ici de mettre l’accent sur les besoins humains fondamentaux semble nous ramener en droite ligne à l’anthropocentrisme classique. Pourtant, il n’en est rien. Tout système de valeurs établi par les hommes repose inévitablement sur la capacité spécifique des hommes de percevoir, de comprendre et d’évaluer le monde qui les entoure — que d’autres créatures puissent en faire de même à leur façon ne change rien à cet état de fait. Mais ce monde que les hommes cherchent à percevoir, comprendre et évaluer n’est nullement limité à leur seul monde social ; par conséquent, il n’y a aucune raison qu’il soit centré sur eux-mêmes.
Le système de valeurs anthropocentrique mis en place par la civilisation occidentale moderne résulte de la division artificielle du monde entre « sujets » humains dotés d’esprit d’un côté et « objets » naturels faits de matière de l’autre. Contrairement aux apparences, ce système de valeurs n’a ni pour but ni pour résultat d’assurer la satisfaction des besoins humains. Au contraire, il en est aujourd’hui une entrave car il enferme les hommes dans un monde artificiel, qui les éloigne de leur véritable nature, de leurs véritables besoins et de leur véritable épanouissement. La satisfaction pleine et entière des besoins humains fondamentaux demande d’abandonner ce système de valeurs pour embrasser la nature dans son ensemble.
Conclusion
Les solutions techniques ne suffiront pas à résoudre la crise de la biodiversité. Bien que les diverses approches de conservation de la nature aient joué un rôle très utile (sans elles, la situation serait certainement pire), le défi plus fondamental auquel sont confrontées les sociétés humaines aujourd’hui est de détruire le mythe persistant de la séparation entre l’homme et la nature et de consciemment réintégrer les hommes dans la nature, au cœur de la biodiversité dont ils font partie. Ce défi exige de nous que nous repensions presque tout ce à quoi nous sommes habitués, depuis notre but dans la vie jusqu’à la forme et au contenu de l’économie globale. Et pourtant, relever ce défi formidable est à portée de main. Le premier pas pour y arriver est d’écouter notre propre nature, qui parle simplement et clairement. Elle nous dit notamment que nous ne sommes ni fondamentalement égoïstes et utilitaristes, ni fondamentalement altruistes et non-utilitaristes ; nous avons simplement un ensemble de besoins fondamentaux à satisfaire, et ceux-ci incluent le respect et l’amour du monde qui nous entoure.
Cette contribution s’inspire largement de l’article suivant publié en anglais :
Loreau, M., 2014. Reconciling utilitarian and non-utilitarian approaches to biodiversity conservation. Ethics in Science and Environmental Politics, 14 : 27–32.
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Bibliographie
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Wilson EO, 1992. The diversity of life. W. W. Norton, New York, NY.
Regards connexes :
Barbault R., 2010. La biodiversité, concept écologique et affaire planétaire. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard R1, 10 septembre 2010.
Barbault R. et A. Teyssèdre, 2013. Les humains face aux limites de la biosphère. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard R51, 23 novembre 2013.
Brunet L., 2018. Comment les écologues sont-ils affectés par la notion de service écosystémique ? Regards et débats sur la biodiversité, SFE2, Regard R81, 15 novembre 2018.
Sarrazin F. et J. Lecomte, 2014. Peut-on dépasser l’anthropocentrisme dans nos regards sur la biodiversité ? Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard R59, 5 juillet 2014.
Teyssèdre A., 2010. Les services écosystémiques, notion clé pour explorer et préserver le fonctionnement des (socio)écosystèmes. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard R4, 25 octobre 2010.
Regards sur les méthodes et outils : https://sfecologie.org/tag/methodes-et-outils/
Sur la préservation de la biodiversité : https://sfecologie.org/tag/preservation-biodiversite/
Sur l’éthique et les valeurs de la biodiversité : https://sfecologie.org/tag/ethique/
Sur les services écosystémiques : https://sfecologie.org/tag/services-ecosystemiques/
Sur les stratégies et politiques : https://sfecologie.org/tag/strategies-et-politiques/
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Cet article est une version légèrement modifiée et adaptée pour cette plateforme SFE2 d’une tribune du même auteur, mise en ligne en mars 2015 sur le site d’Humanité et Biodiversité, partenaire de publication et de diffusion de ces ‘regards sur la biodiversité’.
Article édité, illustré et mis en ligne par Anne Teyssèdre.
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Réconcilier l’homme et la nature: un vieux mythe, magistralement analysé dans ce regard. Merci à Michel Loreau d’avoir pris le temps de traduire en français ce texte qui remet à bon escient les pendules à l’heure…
Merci pour votre marque d’appréciation.
Bonjour Michel,
Et merci pour ce ‘regard’ sur les différentes valeurs de la biodiversité et approches en sciences de la conservation, dont les oppositions stériles doivent être aujourd’hui dépassées.
Je suis bien d’accord sur cette nécessité de réconcilier les approches de la biodiversité et avec la plupart de vos arguments –dont celui central de l’importance des besoins psychologiques, affectifs et sociaux des humains, au cœur de leurs sociétés et écosystèmes-, ainsi qu’avec votre conclusion plutôt optimiste sur la convergence actuelle des valeurs et approches de la biodiversité. En revanche (comme je vous l’ai dit lors de l’édition de ce ‘regard’), je suis moins d’accord avec votre présentation initiale de « l’approche instrumentale » de la biodiversité et des services écosystémiques.
Le recours à de la notion de services écosystémiques (S.E.) en sciences de la conservation relève certes d’une approche instrumentale -ou fonctionnelle, ou opératoire-, puisqu’il ambitionne d’utiliser cette notion comme outil : outil de sensibilisation et information des acteurs sur le fonctionnement et la dynamique des (socio)écosystèmes, de communication et concertation entre parties prenantes, d’aide à la décision pour les politiques environnementales et sectorielles, etc.
Donc un instrument ou outil, d’accord, mais conçu dans quel but, et utilisable à quelles fins? Etant donné la multiplicité des acteurs et de leurs intérêts, on voit bien qu’il n’y a pas UNE seule approche des services écosystémiques mais plusieurs, selon l’objectif principal recherché par les différents utilisateurs. A mon avis, l’intérêt majeur des S.E. est précisément de permettre de concilier des objectifs différents, mais interdépendants, dans une approche concertée multifonctionnelle. [Sachant que la prise en compte/valorisation des S.E. permet tout à la fois de préserver la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes ET de contribuer au bien-être économique, psychologique et social des populations humaines.. Voir par exemple Daily et al. 1997, MEA 2005.]
Ainsi l’objectif majeur des écologues et biologistes de la conservation, avec cet outil (S.E.), paraît de réduire les impacts humains sur la structure (diversité des espèces..) et le fonctionnement des écosystèmes (stabilité et résilience des réseaux écologiques..), dans une approche écocentrée. Celui des entreprises (dont agricoles), d’augmenter ou maintenir leur propre efficacité écologique, économique et sociale dans une approche ‘entreprise-centrée’. Celui des collectivités territoriales (et gouvernements démocratiques) serait de concilier les intérêts des nombreux acteurs (et électeurs) dans une gestion concertée du territoire, pour le bien-être non seulement économique mais aussi psychologique, affectif et social de l’ensemble des acteurs, dans une approche ‘socio-centrée’.
[C’est pourquoi je ne suis pas d’accord avec votre affirmation selon laquelle « la nouvelle approche des services écosystémiques […] suppose que la nature est tout entière au service des hommes ». L’omniprésence des S.E. souligne seulement l’ampleur des interdépendances entre biodiversité, fonctionnement des écosystèmes et bien-être des sociétés, et la nécessité de préserver les uns pour maintenir les autres..]
NB: Cette multifonctionnalité de l’outil ‘Services écosystémiques’, qui permet ou favorise la concertation entre acteurs aux approches et analyses très différentes, dans des projets de gestion/aménagement de leur territoire communs et cohérents, n’empêche pas les mésusages et dérives du concept (voir par exemple les regards 4, 12, 64,..). Mésusages et dérives qu’il s’agit alors de prévenir et d’endiguer, par des politiques, mesures et règlementations adaptées..
Bien cordialement,
Anne
Je ne peux qu’être d’accord avec l’affirmation selon laquelle la notion de service écosystémique a été conçue comme un instrument de la conservation de la biodiversité et que cette notion a par ailleurs certains avantages, que je mentionne d’ailleurs dans mon Regard. Mais tout instrument a aussi des limites et des inconvénients, dont il faut être conscient pour l’utiliser à bon escient.
La notion de service écosystémique a été développée pour convaincre les agents économiques des bienfaits potentiels de la biodiversité ou des écosystèmes; elle est intrinsèquement utilitariste, comme je l’explique dans mon Regard, car elle suppose que la nature est au service de l’espèce humaine. Cette relation utilitaire existe bel et bien dans la réalité, et donc la notion de service écosystémique n’est pas un mal absolu dont il faudrait se défaire à tout prix. Mais, comme je montre dans mon Regard, elle n’est qu’une partie de notre relation à la nature, dont on ne peut ignorer les dimensions non utilitaires.
La notion de service écosystémique n’est pas à prendre ou à laisser. Elle peut être utile dans certains contextes, mais elle peut aussi être dangereuse dans d’autres contextes. Je vous invite à lire les critiques qui en ont été faites, par exemple la critique assez virulente de Silvertown (Trends in Ecology & Evolution 30: 641-648, 2015). Chacun est libre de partager ou non le contenu de ces critiques. Mais on ne peut, à mes yeux, utiliser cette notion sans esprit critique, en ayant la croyance aveugle qu’elle ne pourra qu’apporter des bienfaits du fait que ceux qui l’ont conçue ou qui l’utilisent ont un but louable.
Bonjour Michel,
Merci pour votre réponse, qui me semble cependant contradictoire. Je connais bien sûr les écrits que vous citez. Mettre en évidence la multiple dépendance des humains au fonctionnement des (socio-)écosystèmes, dans le but de freiner le déclin de la biodiversité, ne me semble en rien supposer que « la nature est au service de l’espèce humaine »..
[Voir par exemple l’entrée ‘Services écosystémiques’ du Dictionnaire de la Pensée écologique (P.U.F., 2015), Teyssèdre et Couvet, pp. 929-933.]
Bien cordialement, Anne
Merci pour ce message rassurant, empli de bon sens, de surcroît émanent d’un écologue renommé, qui nous rappelle – puisque nous l’avions oublié– que l’écologie est d’abord une écologie de corps sensibles, exercée selon des fondamentaux relationnels auxquels n’échappent pas les humains.
Joli pas en avant, selon un chemin qui ouvre de nouvelles perspectives, mieux ajustées aux réalités du vivant. Et joie d’observer l’humilité de cette écologie qui reconnaît enfin qu’elle émane elle-même de corps organiques, fussent-ils habités d’un (grand) esprit scientifique. Merleau-Ponty avait donc raison contre Descartes.
Décidément, tous ceux qui ont prôné ce changement de regard depuis des années et des années, et qui n’ont pas attendu une pandémie pour reconnaître la corporéité humaine, n’étaient donc pas si fous… Justice est enfin rendue, avec ce texte, à ceux pour qui une écologie ne peut être bien pensée et conduite que s’il elle intègre un authentique engagement du corps dans le monde.
Bonjour,
Tout d’abord, un grand merci pour votre démarche de principe visant à dépasser les logiques binaires afin de proposer des alternatives. J’aurais souhaité apporter une remarque complémentaire concernant la notion de service écosystémique (qui va dans le sens du commentaire d’Anne Teyssèdre ci-dessus) et l’approche qui est proposée dans votre Regard.
La tendance, dans la littérature, rend effectivement compte d’une approche très utilitariste et économique. Cependant, je me demande si cette approche des S.E. ne s’avère pas un peu réductrice, en regard du réel potentiel de la notion. Il me semble en effet que la coloration utilitariste et économique des S.E. vient de leur récupération (opportune) par les politiques publiques afin d’en faire un instrument au service des enjeux (économiques) de notre société. Cette approche est alors devenue « évidente » dans l’imaginaire collectif, mais je ne suis pas convaincue qu’elle doive être unique. Ainsi, j’aurais tendance à penser que replacée dans un autre contexte, ou envisagée au prisme d’une relation humains-nature dé-économisée, elle pourrait engendrer des effets plus « positifs » et offrir une signification plus optimiste.
Par exemple, pour reprendre votre remarque très juste sur l’anthropocentrisme et cette frontière sujet/objet (qui est (malheureusement) particulièrement parlante pour le juriste environnementaliste « occidental » que je suis), je pense que la notion de S.E. pourrait être « instrumentalisée », pour ne pas dire mobilisée, précisément pour atténuer ce découplage et cette approche anthropocentrée. En d’autres termes, il me semble que la notion de S.E. pourrait justement être utilisée pour mettre en exergue le lien irréductible entre les humains et les éléments de la nature, le lien d’interdépendance, et ainsi réduire l’unilatéralité du rapport qui semble actuellement prédominer au détriment de la nature. Aussi, la notion de S.E., de mon point de vue et au regard de mes modestes lectures et recherches sur le sujet, ne semble pas irrémédiablement et presque « originellement » rattachée à cette approche utilitariste et économique ; elle aurait été récupérée dans cette perspective, mais pourrait tout autant être mobilisée à d’autres fins et peut être pensée d’une autre manière. Cela ne constitue qu’un questionnement quant aux limites et potentiel de la notion, et non une affirmation tranchée…
Bonjour,
Puis-je vous inviter à lire ma réponse à Anne Teyssèdre? Il me semble qu’elle répond en même temps aux questions que vous posez.
Bonjour Michel,
A relire votre réponse ci-dessus sur la notion de service écosystémique, et votre affirmation que cette notion « suppose que la nature est au service de l’espèce humaine », une confusion sémantique me semble manifeste entre deux expressions: « rendre service à » et « être au service de ».
Rendre un service -y compris écologique- à un individu ou à un groupe, humain ou non humain, ne signifie en rien être à son service. Par exemple, les abeilles et autres insectes dits pollinisateurs rendent un service (de pollinisation, ou reproduction) aux plantes dont elles transportent le pollen de fleur en fleur. Mais elles ne sont en rien « au service » de ces plantes – et elles se nourrissent par ailleurs du nectar sucré qu’elles butinent dans les fleurs..
[De même, chez les humains, aider une dame âgée à traverser la rue lui rend service, mais ne signifie pas pour autant être à son service.]
L’expression « service écologique » est sans doute maladroite pour désigner les fonctions écologiques -les « bienfaits »- dont dépendent la vie humaine ou/et le fonctionnement des sociétés. Mais depuis ses débuts, il s’agit bien de « rendre service (et bien plus!) à », et non pas « être au service de » (cf. Daily et al. 1997). Et cela est valable également pour les ‘services culturels’ rendus aux sociétés par les écosystèmes. Si l’immersion d’un randonneur dans un paysage de montagne contribue à son bien-être spirituel (lui ‘rend service’ au plan psychologique, par euphémisme), comment imaginer que ce paysage ou cette montagne soient « au service » des randonneurs ?
Bien cordialement, Anne