La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose le regard de Robert Barbault, Directeur du Département d’Ecologie du Muséum National d’Histoire Naturelle, sur le concept de biodiversité.
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions après cet article; les auteurs vous répondront.
Ce premier regard sera également publié dans le n°39 de LaRevueDurable – partenaire de la SFE pour ce projet – à paraître vers le 20 septembre.
La biodiversité,
concept écologique et affaire planétaire
par Robert Barbault
Directeur du Département Ecologie et Gestion de la Biodiversité
du Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris.
( Fichier PDF )
Regard R1, édité par Anne Teyssèdre
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Mots clés : Biodiversité, concept, écosystèmes, réseaux écologiques, fonctionnement, interactions,
relation Homme-Nature, biosphère, enjeux.
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Venu au monde à Rio en 1992, dans le cadre d’un sommet planétaire sur l’environnement et le développement, le mot biodiversité, ou plutôt ce qu’il désigne – le vivant et la sauvegarde de sa prodigieuse diversité –, est devenu l’un des grands enjeux du XXIe siècle, au même titre que le contrôle du réchauffement climatique et la réduction des inégalités et de la pauvreté.
Diversité, interactions et fonctionnement du vivant
Tissu vivant de la planète, la biodiversité est bien davantage que la simple collection d’espèces à laquelle on la réduit trop souvent : 10 000 espèces d’oiseaux, 275 000 espèces de plantes, etc. ; au total quelque 1, 9 million d’espèces vivantes décrites et entre 3 et 10 millions à découvrir. Bref, une grossière addition pleine d’incertitudes où l’on mêle gaillardement la bacille de Koch et la pâquerette, le pouillot véloce et l’éléphant d’Afrique … sans oublier Homo sapiens et ses « alliés », blés, riz, chats, chiens, veaux, vaches, cochons, couvées ! Comme si ne comptaient pour rien les relations de parenté qui rapprochent ou éloignent ces espèces les unes des autres – n’ai-je pas plus de diversité avec une bactérie, un lombric et un merle qu’avec une mésange bleue, une mésange charbonnière et une mésange huppée ? En matière de biodiversité 3 n’est pas toujours égal à 3 ! Comme si l’essentiel, le moteur de cette impressionnante diversification du vivant, ne résidait pas dans le jeu complexe des interactions qui, tout au long d’une histoire de 3, 8 milliards d’années, n’a cessé de relier organismes, populations (ensembles d’individus de même espèce) et milieux.
Vue sous cet angle écologique, la biodiversité est un réseau de réseaux – un entrelacs de chaînes alimentaires où s’articulent des liens mangeurs-mangés, où se tissent des relations de compétition ou de coopération – et tout cela fonctionne, produit et recycle de la matière vivante, transforme l’environnement … On peut parler d’écosystème planétaire, voire, d’entreprise planétaire.
Petite histoire pour comprendre
Quand, dans les années 1990, s’effondre la population de loutres de mer dans l’archipel des Aléoutiennes, que découvrent les chercheurs en démêlant de maille en maille le réseau alimentaire local en partant de la loutre ? Que cette chute est due aux changements alimentaires des orques : ces baleines carnassières se sont mises à consommer les pauvres loutres qu’elles négligeaient jusque là – médiocres friandises il est vrai pour ces grosses mangeuses ! Pourquoi un tel changement de régime ? Parce que les phoques qui faisaient le gros des repas des orques avaient gravement décliné. Et cela parce que les stocks de poissons dont eux se nourrissaient, surpêchés par Homo sapiens, s’étaient effondrés.
Ainsi, une maille saute et c’est tout le tissu qui se déchire, tout le réseau alimentaire qui entre dans une cascade d’effondrements en chaîne, sinon déjà d’extinctions. Et c’est tout l’écosystème qui est menacé : libérés de la pression régulatrice exercée par une population de loutres maintenant décimée, les oursins se mirent à pulluler, entraînant par leur « surpâturage » l’éclaircissement de la forêt sous-marine d’algues et, de proche en proche, l’effacement de toute une biodiversité de petits poissons, de crustacés et de mollusques qui y vit, s’en nourrit ou s’y abrite.
Oui, la biodiversité est bien un concept écologique, qui nous parle de notre monde comme d’un véritable écosystème planétaire sur lequel nous pesons de plus en plus.
Pourquoi une telle diversité ?
Depuis son apparition il y a près de 4 milliards d’années la Vie n’a cessé de traverser, comme la Terre, perturbations, crises d’ampleurs variées et catastrophes majeures. En d’autres termes les conditions d’existence sur Terre sont marquées par le changement – et la Vie elle-même est facteur de changement.
Et bien, de la diversité génétique propre à tout être vivant jusqu’à celle des écosystèmes et des paysages en passant par la variété des organismes et des espèces auxquelles on les rattache, la biodiversité est le fruit et le reflet de tout cela. Si l’on porte un regard d’écologue sur cette diversité, un regard éclairé par le cadre explicatif apporté par Darwin et la théorie de l’évolution par sélection naturelle, on en vient à l’interpréter comme stratégie ; une stratégie qui fait de la Vie le paradigme du développement durable. Telle est la raison d’être de la diversité. Qu’on se le dise et qu’on en tire les leçons, nous qui somme pris dans la spirale d’un développement façon « droit dans le mur » !
C’est de la richesse en espèces qu’ils abritent et de la subtilité des relations qu’elles développent que les écosystèmes tiennent cette propriété majeure, leur résilience, c’est-à-dire leur capacité à restaurer leur organisation et leur fonctionnement après une catastrophe. Une sorte d’assurance sur l’avenir. C’est cette propriété que nous devons cultiver, au-delà du souci de sauvegarde de telle ou telle espèce : laisser à la nature sa capacité d’évolution. C’est de cela dont nos enfants et petits enfants auront besoin.
C’est de nous qu’il s’agit
Avec le concept de biodiversité, les humains sont invités à se réapproprier leurs origines – ce dont celui de « Nature » les avait éloignés. Il nous rappelle que nous faisons partie du tissu vivant planétaire, que nous en dépendons : que nous en avons terriblement besoin, mais que nous le démaillons sans même nous en rendre compte. Bref nous redécouvrons simultanément que nous sommes assis sur une branche de l’arbre du vivant … et que nous la scions impunément (mais jusqu’à quand ?).
Dans cette perspective anthropocentrée, les écosystèmes – tous les écosystèmes où nous reconnaissons avoir mis les pieds et les mains quasiment dès nos origines – nous concernent. La multitude de leurs espèces renvoie à une diversité de processus ou fonctions écologiques (échanges gazeux de la végétation avec l’atmosphère, piégeage de particules, dégradation de molécules toxiques, production de matière vivante, pollinisation des fleurs …) qui se traduisent par une pluralité de services dont nous profitons : épuration et maintien de la qualité de l’eau, fertilisation des sols, régulation des climats, purification de l’air, contrôle des ravageurs potentiels, etc.
Voilà qui justifie de faire de la sauvegarde de la diversité du vivant, sauvage et domestique, une vraie priorité. Une priorité qui se pose différemment sans doute dans les différentes régions du monde. Une priorité qui appelle à une solidarité planétaire dans l’action, entre tous les humains d’une part, comme entre les humains et le reste du vivant d’autre part. Tel est bien l’un des grands enjeux du XXIe siècle, un enjeu où se joue notre statut d’être humain, de « plus que simple primate ».
Pour en savoir plus :
Barbault, R. 1997. Biodiversité. Introduction à la biologie de la conservation. Hachette, Paris.
Barbault, R. 2006. Un éléphant dans un jeu de quilles. L’homme dans la biodiversité. Seuil, Paris.
Wilson, E.O. 1993. La diversité de la vie. Odile Jacob, Paris.
Le constat est là, la biodiversité subit la démesure des activités humaines. Quelles sont les démarches à suivre à ce jour pour réintégrer Homo sapiens dans le paysage à une place qui lui serait propre ? Pouvons-nous croire aux projets de gestion des services écosystémiques ? en leur fond et en leur arrivée dans l’histoire_n’est-ce pas un peu tard ?_ ? Est-ce que le stade de tels projets est plutôt expérimental ou déjà bien opérationnel ? Y a-t-il d’autres actions concrètes sur lesquelles compter (notamment basées sur des modes de gestion des écosystèmes de civilisations anciennes qui, elles, ont brillé par leurs connaissances et leurs expériences) ?
Un profond changement de mentalité est nécessaire afin de ne plus considérer les écosystèmes et leur diversité comme de simples produits de consommation mise à disposition de l’homme. L’érosion de la biodiversité sur l’ensemble de la planète ne pourra qu’être néfaste à plus ou moins long terme, avec un peu de recul nous pourrions voir que nous sommes en train de scier la branche sur laquelle nous sommes assis ! Un simple regard sur notre pharmacie suffit amplement à illustrer cette image : Combien de nos médicaments et remèdes actuels sont en réalité issus du monde végétal ? Qu’aurions nous aujourd’hui si nos prédécesseurs avaient détruit ces espèces et leurs habitats avant de découvrir leur bienfait sur notre santé ?
Je travaille dans les Télécoms et je me dis que j’utilise un certain nombre d’outils pour travailler. Est-ce que les outils (statistiques ou autres) utilisés par les spécialistes de la biodiversité peuvent m’être utiles (?) et inversement.
Ceci dit je trouve l’initiative intéressante, et pour rester dans le ton des réactions d’autres, revenir à un modèle de société antérieur me paraît utopique. J’ai du mal à imaginer quelqu’un à l’affut avec un arc et une flèche en attendant de voir passer ma bouteille de soda préférée. Si il y a surpêche c’est que cela profite financièrement à un petit nombre. Décimer l’espèce de ces profiteurs (un comble ici) et finie la surpêche !
Tout d’abord bravo de permettre le débat en autorisant les commentaires. Car à mon avis les questions de fond que soulève la gestion de la biodiversité ne sont que rarement ou consensuellement abordées dans les médias traditionnels.
Evidemment la sauvegarde de la biodiversité, des espaces naturels est une priorité pour assurer la survie de notre propre espèce. Ardent défenseur de la nature, J’en suis le premier convaincu.
Mais pourquoi détruisons nous les écosystèmes ? Car nous exploitons les ressources terrestres. Le problème actuel est que nous les surexploitons. Pourquoi ne réussissons nous pas à réguler la surexploitation ? Car les pouvoirs politiques sont tenu en échec ou complice du pouvoir économique.
Comment l’économie asservie t-elle les démocraties ? En contrôlant leur création monétaire. Les états européens par exemple n’ont plus le droit via leur gouvernements d’émettre leur propre monnaie et donc de contrôler leur masse monétaire (art 104 de Maastricht). Tout est contrôlé par les banques centrales. La nature même de l’argent à changer, il est créé à partir d’un processus de dette et n’est plus garantie que par de très maigres fond de réserve. En gros les banques créent autant d’argent qu’on peut en emprunter.
Le problème c’est qu’en nous demandant des intérêts l’équation globale est impossible à résoudre. Vous ne vous demandez jamais pourquoi les pays les plus riches sont aussi les plus endettés ? Pourquoi le franc était bien plus fort que l’ancien franc et l’euro plus fort que le franc lui même ? Pourquoi les cubains ont 2 monnaie officielles ? Pourquoi seulement 10% de la masse monétaire mondiale est utilisée pour les échanges de bien (vrai role historique de l’argent). Car c’est la fuite en avant : il faut alimenter le monstre du crédit sinon c’est la dégringolade économique.
L’argent est utilisé non plus comme un proxy d’échange de biens mais comme une arme. Il n’est pas le pouvoir ou le but recheché. Chaque entreprise, organisme, Etat, etc… utilise l’argent pour combattre les autres. Puis par fusion/aquisition etc… la plus puissante arrive au monopole sur son secteur. une fois arrivé au monopole l’argent n’a plus d’importance car le pouvoir est assuré, tous les concurrents sont évincés. Sinon pourquoi Bill Gates partagerait il sa fortune ? vous avez désormais la réponse.
Tant que le pouvoir de création monétaire ne retournera pas au mains des peuples via ses élu, il n’y aura ni pays ni démocratie ni quoi que ce soit d’autre qu’un monde de business. Peut être seulement quand la dernière entreprise corporocratique possèdera le monde la question de la biodiversité pourra se poser. Mais je serai soit mort soit esclave et je n’aurai pas mon mot à dire. Pour l’instant, à l’instar des divertissements, la biodiversité n’est qu’un anésthésiant, que nous prenons consciemment ou pas pour nous faire oublier l’absence d’avenir de la condition individuelle.
Les hommes trébuchent parfois sur la vérité, mais la plupart se redressent et passent vite leur chemin comme si rien ne leur était arrivé (Churchill). Est ce une raison pour abandonner ? Homo sapiens se tient-il encore debout ? Le savoir est une arme alors faites passer le message. Suivez votre coeur.
En réaction aux commentaires précédents, il me semble que la surexploitation actuelle des écosystèmes terrestres et aquatiques par les humains est plus simplement la rançon du grand succès écologique et donc démographique de notre espèce. Passée en quelques siècles de quelques millions à quelques milliards d’individus – grâce notamment à l’expansion et aux progrès de l’agriculture, et de la médecine – et utilisant des technologies énergivores d’impact croissant sur l’environnement, notre ’empreinte écologique’ a considérablement augmenté en conséquence.
‘L’économie’ en elle-même ne peut être responsable de la dégradation massive actuelle des écosystèmes, mais plutôt sa gestion par les sociétés (dotées de nombreux instruments de régulation économique), c’est-à-dire les politiques environnementales, économiques et sociales, à l’échelle des pays mais aussi à celle des collectivités territoriales…
Les commentaires ou réactions de Claire Suchet, Mathieu Coulon, Frédéric Gauthier, 6u5 et Anna Purna (il n’y a pas de sommet infranchissable pour Homo sapiens !) m’inspirent les remarques suivantes :
(1) les problèmes que nous connaissons, nous ou le reste de la biodiversité, sont bien la conséquence de la démesure des activités humaines, pour reprendre le mot, très juste, de Claire et que reprend sous une autre forme 6u5. On peut y voir là l’expression du succès écologique de notre espèce, comme le dit Anna Purna – mais cela n’exclut pas que ce succès nous mène à des échecs coûteux, socialement, économiquement et … humainement, tout simplement.
(2) Oui, il nous est demandé un « profond changement de mentalité » comme le souligne Mathieu Coulon – et cela concerne autant nos relations à la nature que nos regards sur le politique, l’économique, la finance et leurs interactions perverses ainsi que le suggère /6u5/. En d’autres termes, le profond changement qu’appelle la crise que nous traversons (la biodiversité s’en fout : elle s’en remettra … mais nous ?) ne renvoie pas à un passé « cavernicole » – comme si les progrès considérables de nos connaissances ne devaient plus être mobilisés et poursuivis – mais bien à de nouvelles perspectives*
Robert Barbault
* Voir Barbault R. et J. Weber 2010. La Vie, quelle entreprise ! Pour une révolution écologique de l’économie. Le Seuil, Paris.
Je vous félicite pour ce forum de discussion. La protection de la biodiversité, cela fait 40 ans qu’on en parle, avec l’initiation par l’odyssée du commandant cousteau, et l’apogée avec les expositions photos ou vidéos culpabilisatrices de Yann ARTHUS BERTRAND, Nicolas HULOT, et M. PERRIN. Maintenant, à chaque fois que je me brosse les dents, j’ai conscience de tuer la biodiversité ! Et c’est vrai, ne serait ce que celle de ma bouche ….
Mais la société de consommation n’est elle pas à la base destinée à la destruction de la biodiversité ? Tant que les économistes et les sociologues auront le terme « croissance » à la bouche, il y aura toujours augmentation de la production pour faire face à la demande de la consommation au détriment de nos compétiteurs pour l’espace ou la production. Sans vouloir faire de la politique de bistrot, il me semble que si l’on veut tous vivre avec le confort actuel occidental sur l’ensemble de la planète, il faut diviser la population mondiale par 4. Allez dire cela aux politiques de l’ONU soutenus par les firmes internationales ….
Pour ce qui est des indicateurs de biodiversité, j’essaie tant bien que mal de monter un petit projet d’évaluation à l’aide de la faune du sol en prenant l’indice QBS-co (Parisi et al., 2001). Stable, sensible, pas trop difficile, cet indicateur pourrait montrer les mêmes propriétés que les IBGN pour l’évaluation de la qualité écologique de l’eau. C’est à cette occasion que je me suis aperçu que pour la plupart de nos décideurs politiques, et malheureusement aussi scientifiques, il y a méprise entre le patrimoine naturel et la biodiversité et qu’une mésange présente beaucoup plus de valeur qu’un merle. Les plans de gestion de la « stratégie française pour la biodiversité » peuvent devenir de réels destructeurs de milieux pour favoriser tel ou tel espèce à « intérêt patrimonial ». Il y a un coté esthétique déplaisant dans la notion de protection de la biodiversité qui me choque. Que pensez vous du livre de J. Génot « la nature malade de la gestion ? ».
Merci pour cette tribune d’expression …