La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose le regard de Romain Julliard, chercheur en biologie de la conservation au Muséum National d’Histoire Naturelle, sur les changements globaux et les espèces invasives.
MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires et questions après cet article; les auteurs vous répondront.
Réponse de l’auteur aux internautes
Regards sur une perruche
Romain Julliard
Chercheur au CERSP, Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris.
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Regard R2, édité par Anne Teyssèdre
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Mots clés : Perruche à collier, biogéographie, écologie, niche écologique, adaptation, dynamique, changements globaux, préservation de la biodiversité, invasions biologiques, relation Homme-Nature.
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La perruche à collier (Psitacula krameri), en expansion en Ile-de-France et ailleurs, est une de ces espèces qui deviennent cosmopolites à force d’introduction. Ornithologue amateur, ayant reçu une solide formation en écologie scientifique et aujourd’hui biologiste de la conservation, je suis amené à réfléchir sur cette espèce, à sa place et à ma relation à elle. Cette confrontation personnelle entre ces trois sensibilités a quelque chose de général qu’il me semble utile de partager ici.
Je me souviens précisément du jour où des perruches à collier sont apparues dans mon village, une commune typique du nord de l’Essonne. Un jour de septembre 2004, une demi-douzaine d’individus ont commencé à fréquenter les arbres les plus hauts de ce village de banlieue. Je pressentais bien qu’ils étaient les pionniers d’une installation pérenne. Après quelques semaines, l’observation devenait habituelle. Je me retrouvais ainsi soudainement et très directement confronté à une espèce exotique dans mon quotidien de naturaliste ornithologue. J’avais le sentiment qu’un changement irréversible venait d’arriver. Il y avait un avant, une avifaune locale vierge de perruche, et un après. Mon univers ne serait plus jamais le même. Aujourd’hui, mon malaise continue et je le trouve très semblable à celui causé par l’absence de certaines espèces qui ont complètement disparu de mon petit coin de chez moi : où sont passées les mésanges boréales qui devraient pourtant égailler cette ripisylve ? A nouveau, la marque indélébile d’un changement.
Personnellement, je n’ai pas besoin de justifier ce malaise par un argumentaire associé aux espèces invasives. D’abord, l’impact que pourrait avoir les perruches me paraît bien dérisoire dans mon environnement, qui rappelons-le correspond à une banlieue dortoir de la grande couronne parisienne : pas un mètre carré alentour n’a été remanié dix fois au cours des siècles et ce n’est pas près de changer. Qui pourrait prétendre mesurer un effet de la perruche distinct des autres changements en cours ? Pas moi ! Non, c’est bien la présence de la perruche, en tant qu’altération d’un passé que j’ai connu qui m’affecte. De la même façon, c’est l’absence de la mésange boréale et de son chant qui m’importe, et pas le rôle qu’elle pouvait jouer dans cet écosystème.
En tant qu’écologue, mon regard est tout autre et de fait presque opposé. Le terme écologie vient d’une racine grecque signifiant « science de la maison ». On pourrait dire aujourd’hui « science de la niche ». Une grande part de l’écologie vise en effet à comprendre les interactions entre une espèce et son environnement, tant vivant que physique et l’introduction d’espèces exotiques nous offre cette formidable opportunité d’étudier comment une espèce se construit sa niche dans un nouvel environnement.
Mon malaise de naturaliste se transforme en fascination d’écologue : que font ces perruches ? Quels sont leurs liens sociaux ? De quoi se nourrissent-elles ? Comment partagent-elles leur temps entre vie de groupe et territorialité de couple ? On peut rapidement voir que la perruche dépend étroitement de grands arbres pour nicher et d’une grande diversité d’espèces d’arbres pour se nourrir : platane, catalpa, érable ornementaux ou non… bourgeons, fleurs, akènes, toutes les études convergent pour souligner la dépendance de cette espèce à une diversité de ressources qui varient d’un mois à l’autre, mais sans interruption. Sous nos climats tempérés, on ne trouve ce cas de figure que quand un grand nombre d’arbres ornementaux sont présents, c’est-à-dire typiquement, dans les parcs urbains.
L’écologue voit donc avant tout une nouvelle espèce dans un nouvel environnement qui exploite, au petit bonheur semble-t-il, des ressources localement et temporairement abondantes sans vraiment les épuiser d’ailleurs. J’ai bien conscience d’aller à l’encontre de mon regard de naturaliste. D’une espèce qui n’a rien à faire là, je lui donne une place où au contraire, elle a tout à y faire : puisqu’elle prospère, la perruche occupe une niche disponible (ce n’est pas une démonstration, c’est une définition !).
La biologie de la conservation est une science qui participe au développement d’outils et de concepts pour répondre de façon cohérente aux attentes de la société pour ce qui concerne la biodiversité. On peut comparer son rôle pour le gestionnaire et la nature à celui de la recherche médicale pour les médecins et leurs patients. Trois objectifs majeurs structurent cette discipline : sauver la biodiversité menacée, concilier activités humaines et biodiversité de manière durable et s’assurer que les enjeux autour de la biodiversité sont partagés par le public.
Que devient la perruche dans cette grille de lecture ? Il ne s’agit plus seulement de considérer sa place dans une liste d’espèces autochtones, ou la niche écologique qu’elle occupe, mais aussi sa place dans la Cité. Il faut répondre aux trois questions en même temps : la perruche menace-t-elle/ favorise-t-elle la biodiversité ? La perruche altère-t-elle/ rend-elle des services écologiques ? La perruche est-elle un médiateur ou au contraire un facteur de confusion pour promouvoir les enjeux autour de la biodiversité ?
Mon regard dès lors, ne se porte plus sur la perruche, mais sur mes quelques milliers de voisins qui ont vu comme moi leur environnement envahi par un nouveau venu. Et là, pas besoin d’une longue enquête pour voir que l’intruse ne passe pas inaperçue! Tout le monde la voit, tout le monde en parle. Deux types de réactions dominent : « qu’est-ce que ça signifie ? » et, majoritairement, « une espèce de plus, c’est enrichissant ». Comme pour les naturalistes, le changement inquiète, mais le public fait en même temps preuve d’un bon sens qui m’interpelle : ces parc urbains, ces jardins privés n’ont après tout pas pour vocation première de sauvegarder la biodiversité mais d’offrir un peu d’espace de nature aux citadins. Et dans ce contexte, qu’une espèce aussi spectaculaire que la perruche s’y sente bien apparaît comme une valeur ajoutée. Je ne serais pas surpris que certains de mes voisins fassent de la perruche le petit plus qui égaie la promenade dominicale au même titre que donner du pain à des canards…
Le trouble est profond… le public peut-il se tromper à ce point ? Il se trouve qu’à peu près en même temps que la perruche, le pic noir a lui aussi colonisé les alentours de chez moi. Aux yeux des promeneurs, le pic noir devrait rencontrer le même succès que la perruche, et c’est seulement sa faible abondance et sa discrétion qui font qu’il passe inaperçu. Imaginons cependant, qu’à la place des perruches, ce soit le pic noir sur lequel mes voisins s’extasient. Personne n’y trouverait à redire, bien au contraire ! Mais ne nous leurrons pas, pour le promeneur, pic noir et perruche sont probablement appréciés pour les mêmes raisons : leur caractère spectaculaire et exotique dans ce coin de nature aménagé pour les humains. Pourquoi mon regard de naturaliste y décerne-t-il une différence qui fait que l’arrivée du pic noir est réjouissante et celle de la perruche inquiétante ? Pourtant l' »impact » du pic noir sur l’écosystème est autrement plus évident que celui de la perruche… Que dirait-on de la progression du pic noir si les premiers individus s’étaient échappés de captivité ? Et en quoi le pic noir est-il moins exotique que la perruche à collier dans ce parc périurbain ?
Et si le public avait raison d’apprécier cette perruche pour ce qu’elle représente d’une nature obstinée face à la volonté consciente ou inconsciente de notre société de vouloir la régenter selon des normes plus ou moins avouables. Après tout, ça fait un bout de temps que les ancêtres des perruches d’ici se sont échappés de leurs cages, de même que cela fait longtemps que les ancêtres des pics noirs ont quitté leurs vieilles forêts vosgiennes. J’envie presque le public de pouvoir porter ce regard sans a priori sur ce bel oiseau et pouvoir l’apprécier sans arrière-pensée.
Peut-on s’arrêter à cette opposition entre la nature des naturalistes et celles des promeneurs ? Pourquoi ne pas introduire dans le débat l’émerveillement de l’écologue et profiter de cet événement extraordinaire d’une espèce se créant une niche écologique pour se tourner vers l’avenir ? La biodiversité va être fortement chahutée dans les prochaines décennies. Le seul réchauffement climatique devrait conduire au renouvellement de la moitié des espèces en un point donné. Ce que vit la perruche à collier aujourd’hui, c’est ce que devra vivre une grande partie de la biodiversité demain. Ainsi, cet oiseau a quelque chose à nous apprendre sur les mécanismes de colonisation, mais surtout, il est aussi le signe optimiste que face à un environnement toujours plus perturbé, la nature sait trouver des solutions.
C’est finalement plus le côté urbain des perruches que leur côté exotique qui aura suscité un débat. Le récent intérêt d’écologues pour le milieu urbain apparaît pour plusieurs comme une dispersion de moyens et un renoncement à s’attaquer aux priorités de la conservation, motivés par l’attrait de financements faciles. Un internaute va jusqu’à parler d’écologie du désespoir pour caractériser cette tendance. Plusieurs collègues ont répondu à ces points de vue : la biodiversité est une question de société qui ne peut être traitée par les seuls conservationnistes ; les concepts et méthodes que nous utilisons collectivement pour gérer la nature ordinaire des villes sont les mêmes que ceux utilisés pour gérer une nature plus patrimoniale. En d’autres termes, nous agissons vis-à-vis du pigeon ou de la perruche avec la même intelligence que nous le faisons avec le loup ou la loutre. En éclairant nos relations à la nature ordinaire, l’écologie urbaine contribue à la conservation globale : c’est le « pigeon paradox » (Dunn et al 2006, Cons Biol 20 :1814).
D’autres regards alimenteront surement ce débat et je voudrais revenir sur l' »écologie de l’espoir » que j’ai si maladroitement introduite, surfant comme l’invite l’exercice, sur les commentaires des internautes. La décennie 2000-2010 aura vu les thèmes de la biodiversité formidablement progresser dans la société, des individus aux décideurs, en passant par toutes sortes d’acteurs, collectivités et entreprises notamment. Les conservationnistes de tous bords peuvent s’en féliciter. Mais le discours n’a guère évolué : l’érosion de la biodiversité est toujours à l’œuvre sans ralentissement significatif et la principale argumentation donne dans le registre misérabiliste : les acteurs de la conservation manquent de moyens. Ce discours va vite devenir démobilisateur si nous ne l’accompagnons pas de raisons d’espérer.
Cela passe sans doute par un débat franco-français entre scientifiques concernés, en évitant autant que possible une approche manichéenne entre anciens et modernes (mea culpa). Ce débat commence à exister sur les services écosystémiques, la place des espèces exotiques pourrait en être un autre. Mais il ne faut pas perdre de vue nos handicaps : nous sommes une toute petite communauté débordée par les enjeux et il est bien difficile de faire vivre ce débat ou d’importer les débats bien plus matures d’Amérique du Nord notamment. Surtout, nous souffrons en France d’un dramatique manque de partage d’expérience entre scientifiques et gestionnaires, et sur ce point là, de mon point de vue, pas grand-chose de bouge dans la bonne direction.
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Que de regards multiples et variés qui me sont tous plus communs les uns que les autres…. et pourtant je ne suis pas naturaliste, je ne connais quasiment rien des espèces. Mais je suis bien écologue, ou du moins je tends à le devenir puisque je suis étudiante. Et je suis aussi une citadine, mais de celles qui regardent plus la faune et la flore qui l’entourent plutôt que les voitures et les murs gris de Paris. Et j’ai aussi ce sentiment, un peu tous les jours, que le changement est là.
Le changement est signe d’évolution.
L’apparition de la perruche à collier n’est-elle pas l’évolution « logique » de votre environnement de vie? Et la biodiversité, dans sa splendeur et sa magnificence, ne nous est-elle pas chère parce qu’elle est fragile? N’est-ce pas cette fragilité qui lui permet d’évoluer?
Vous qui êtes biologiste de la conservation, vous est-il possible de répondre à ma question: La biologie de la conservation ne consiste-elle pas avant tout à faire tout notre possible pour que toute cette biodiversité conserve sa capacité à évoluer?
Vous remerciant pour ce partage de regards.
Quel regard différent des discours alarmistes de la communauté scientifique lors de l’invasion du Caulerpa taxifolia !? Entre l’écologiste de villes qui s’extasie sur une perruche perchée sur un balcon … et la réalité des conséquences néfastes de certaines invasions biologiques, il y a un monde …
Quid de l’introduction du Rat noir Rattus rattus et du Rat gris Rattus norvegicus en Europe au Moyen Âge qui ont amené la peste ? Quid du Champignon Phytophtora infestans qui a envahit l’Irlande sur la culture de pomme de terre provoquant la Grande Famine en 1845 ? Quid du frelon asiatique Vespa velutina qui arrive en France notamment, prédateur d’abeilles et d’autres insectes pollinisateurs ? et Quid enfin de l’Homo sapiens à la démographie incontrôlée et aux impacts significatifs et néfastes sur l’environnement global … (source wikipedia).
Je trouve ce regard un peu étrange en comparaison des enjeux écologiques et sociétaux associés au problème des espèces invasives. Rappelons nous quelles « sont selon le Millenium Ecosystems Assessment (2005) la seconde cause de régression de la biodiversité et elles ont causé la moitié des disparitions identifiées depuis 400 ans. » (wikipedia)
OUI il y une différence entre une espèce invasive et une espèce envahissante. OUI on peut être rassuré conceptuellement que la « nature » soit réactive (bien que là je me demande un peu qui c’est la « nature »). Mais je trouve un peu dangereux qu’un scientifique passe ce genre de message sur un forum à destination du grand public car la réalité pour l’instant c’est surtout les centaines d’espèces qui ce sont éteintes suite aux invasions biologiques et le risque d’une HOMOGENEISATION de la biodiversité …
Alors entre la poésie des villes et la réalité des champs …
Bonjour,
En réaction au commentaire de Lates niloticus : vous parlez là d’espèces invasives mais… toutes les espèces allochtones qui s’installent sont-elles invasives ? Si aucun dégât n’est causé sur le milieu naturel, si elles ne se développent pas au détriment d’autres espèces, doit-on pour autant les chasser de ce milieu ?
C’est là qu’intervient l’article, je pense. Les invasions sont généralement très rapides et causent rapidement des dégâts sur la biodiversité. Est-ce le cas de la perruche (qui n’est bien ici qu’un exemple) ?
Si une espèce venue d’ailleurs s’installe et se trouve bien, sans déranger les autres, doit-elle pour autant être considérée comme un nuisible qui ne fait pas partie de notre culture ? Notre paysage doit-il rester figé ? Doit-on lutter coûte que coûte (et ça coûte énormément) contre la venue d’autres espèces ? Ne serait-ce pas aller contre l’ordre naturel des choses, qui est le changement et l’évolution ?
Beaucoup de questions dont les réponses sont, à mon avis, tiennent plus de de la vision personnelle de « la nature » que de la réalité scientifique ou biologique.
Ce « regard » constitue sans doute le meilleur plaidoyer, probablement involontaire, contre l’inutilité de l’écologie urbaine qui se développe de plus en plus dans certains labos français, et qui se revendique outrageusement de la biologie de la conservation. Effectivement, quelle importance que des perruches en ville ?
Il y a tant d’urgences écologiques ailleurs, tant de sujets de recherche orphelins en biologie de la conservation, tant de secteurs où pas un écologue ne s’investit, ne serait-ce que dans l’immense espace outremer français. Que d’énergie gaspillée par des chercheurs-échantillonneurs de bord-de-route, que de matière grise activée pour rien. C’est vrai que partir en mission en métro, c’est plus facile et plus rentable que de monter une expédition lointaine.
La biodiversité se meurt. Pour demeurer crédibles, les chercheurs doivent à nouveau investir les frontières sauvages et laisser les parcs urbains aux géographes, urbanistes et paysagistes.
C’est à ce prix-là que la France reviendra dans le concert mondial de la biologie de la conservation.
Travaillant actuellement sur un questionnaire national lancé par le MEEDDM portant sur les espèces exotiques envahissantes (EEE) et visant les structures susceptibles d’être concernées par cette problématique, je peux apporter ce court témoignage qui représente les quelques 140 structures ayant répondu. A la question portant sur les raisons qui font que la structure sondée ne fait pas d’action de lutte contre les EEE, seulement 1,25% ont invoqué le désaccord avec le principe de lutte. De plus, de manière générale tout au long du questionnaire, on ressent un fort consensus quant à la nécessité de mener une action de lutte (allant de la prévention à l’éradication). Le public visé comprend certes une forte proportion de gestionnaires d’espaces protégés et d’associations naturalistes mais aussi un grand nombre de structures publiques qui sont confrontées aux problèmes liées aux EEE sans avoir de sensibilité naturaliste évidente (conseil général, DREAL, syndicats intercommunaux, ONF, mairies).
Que le grand public le veuille ou non, il semblerait bien que la guerre contre les EEE soit déjà en marche, cependant si cela peut rassurer les personnes sensibles, les végétaux envahissants sont bien plus concernés que les animaux. De façon intéressante, on remarque encore que le grand public porte un regard différent sur les oiseaux que sur les autres animaux, la lutte contre l’ibis sacré et la bernache du Canada faisant bien plus de remous que la lutte contre la grenouille taureau ou autre ragondin et écrevisse de Louisiane.
De manière générale, la définition d’une EEE fait appel à ces 3 composantes:
-Espèce en dehors de son aire de répartition naturelle
– présente dans des régions qu’elle ne peut pas occuper sans son transport et son introduction directe ou indirecte par l’Homme
-Une espèce posant problème (biodiversité, santé humaine, économique, autres valeurs non- marchandes (esthétiques, culturelles) (UICN 2000, DAISIE 2008)
Si la dernière composante n’est pas perçue par le grand public, et que l’espèce lui est « sympathique », il y a fort à parier que la lutte contre cette espèce portera à polémique et c’est tant mieux…
Réfléchissons donc d’abord à la bonne classification des espèces en EEE ou « non-EEE », à l’échelle concernée pour cette classification (le Baccharis semble être une véritable nuisance à l’échelle de la France mais pas à l’échelle de l’Europe, et encore plus sur les côtes atlantiques et méditerranéennes qu’ailleurs en France) et déclinons un plan d’action en conséquence et non pas en général.
– La communauté des pêcheurs capture des poissons de taille de plus en plus modeste
– La communauté cynégétique, après avoir éradiqué la plupart des grands ongulés et prédateurs sauvages de notre continent, déclare le Sanglier, le Chevreuil et plusieurs espèces de petits mustélidés « nuisibles »
– La communauté des gestionnaires, politiques et professionnels impliqués dans la protection de la nature, après avoir mis en place quelques grands parcs nationaux, développe des Parcs Naturels Régionaux ou autres formes d’intercommunalités inefficaces en termes de protection.
– La communauté des biologistes de la conservation, après s’être intéressée à la conservation des espèces rares et vulnérables, s’est intéressée aux espèces communes et ordinaires, et va bientôt conserver les canards d’ornements et les perruches à collier des jardins publics
La biologie de la conservation est de plus en plus soumise à un « suivisme » généralisé qui accompagne la crise de la biodiversité plus qu’elle ne cherche à la comprendre et trouver des solutions. J’ai peur qu’elle ne sombre dans une écologie du désespoir.
(En réponse à la remarque de Lates niloticus sur la photo de perruche sur un balcon.)
Descendantes d’individus échappés de captivité, des populations de perruches à collier férales colonisent actuellement les jardins, parcs et forêts anthropisées d’Ile de France, et c’est sur elles que se porte le regard de Romain Julliard. Certaines s’aventurent sur les balcons, comme le font les merles, étourneaux et autres rouges-gorges de banlieue… C’est à défaut d’une belle photo de perruche à collier perchée sur une branche, dans son habitat d’adoption européen (urbain ou périurbain), que nous avons illustré ce texte par cette photo moins caractéristique de l’oiseau sur un balcon, suivie d’une vue du bois de Vincennes aujourd’hui bien fréquenté par l’espèce…
Anne Teyssèdre
En réponse à « Vie Sauvage » :
Devons-nous penser biodiversité uniquement sur les 2% d’espaces préservés du territoire ? De petites zones préservées éparpillées en France ont-elles un sens ?
Sachant que le développement des villes et de l’industrie ne s’arrêtera pas, ne faut-il pas réfléchir à intégrer autant que possible la biodiversité dans les espaces urbains ?
A mon avis, laisser les espaces urbains ou péri-urbains aux non-écologues c’est justement assurer un total isolement des coeurs de nature et donc des conséquences extrêmement néfastes. La trame ne se conçoit pas sans les cœurs de nature, mais pas non plus sans les corridors.
Merci à Romain Juillard d’avoir suscité, par l’exemple qu’il traite, un débat sur un point sensible et souvent conflictuel concernant les espèces invasives voire envahissantes.
Je voudrais juste rappeler un fait de paléobiogéographie : quasiment toutes les espèces observables dans le domaine paléarctique ont modifié leur aire de répartition plusieurs fois au cours des oscillations climatiques du Quaternaire. Celles qui ne l’ont pas fait à temps ont disparu ou bien sont confinés dans quelques refuges exigus.
De plus, attention aux définitions trop « strictes » du genre « aire de répartition naturelle ». Comment cela résiste-t-il au changement climatique annoncé ? Et pour les oiseaux qui volent et les poissons qui nagent, quelle marge de manœuvre géographique leur accordons-nous avant de les considérer comme EEE ?
Enfin, si l’on considère Homo comme une espèce-ingénieure capable de modifier son environnement de façon pérenne, alors oui il faut aussi prendre en considération la biodiversité dans son habitat de prédilection, la ville, habitat qui n’est pas prêt de régresser si l’on en croit les démographes, et qui va devenir une des composantes ecosystémiques majeures de notre planète.
Ceci n’empêche en rien de s’intéresser « au reste », au contraire, mais nous devons absolument prendre en compte l’existence de tous ces compartiments et de leurs interactions, du plus au moins anthropisé…
Et en remarque finale, qui a jamais cru que les biologistes « de la conservation » allaient définir les politiques mondiales de protection (ou non) de la biodiversité ?
Ce triple regard sur une perruche en expansion déclenche une avalanche de commentaires… Très bien ! Voici trois remarques pour appuyer le propos de Romain et prolonger celui de Laurent Breillat :
– Une espèce n’est pas envahissante ou invasive en elle-même : son expansion dépend des conditions de vie et donc des réseaux d’espèces locales ;
– une homogénéisation biotique est en effet en cours depuis quelques décennies à l’échelle mondiale, du fait de l’ampleur et de l’uniformité des pressions humaines sur les écosystèmes. [Nous posterons bientôt un ‘regard’ sur ce sujet.] Les espèces en expansion aujourd’hui sont très majoritairement régionales donc ‘indigènes’, et plus rarement exotiques. Quoiqu’il en soit, ce sont des espèces opportunistes qui bénéficient des changements globaux actuels, et participent à ces changements. Freiner leur expansion implique de s’attaquer aux causes de cette homogénéisation, c’est-à-dire réduire les pressions humaines (anthropiques) sur les écosystèmes.
– Tenter de préserver des espèces rares dans une petite fraction d’espaces protégés à l’écart de la biodiversité ‘ordinaire’ n’a pas de sens parce que les dynamiques des unes et des autres sont liées. Ainsi la mise en réserve de 10% de la surface terrestre ne peut à elle seule préserver que 10% des espèces mondiales (Rosenzweig, 1998). Ne serait-ce que pour cette raison, les ‘biologistes de la conservation’ doivent aujourd’hui s’intéresser à la préservation des écosystèmes anthropisés… sans parler des multiples services écologiques.- notamment culturels – que ceux-ci rendent aux sociétés.
Ornitho amateur (ou du dimanche si vous préférez) j’ai constaté la présence de ces perruches à collier à Brétigny (Nord de la commune) dans l’Essonne en 2008. (elles m’avaient auparavant été signalées dans la commune voisine de Saint-Michel S/O). Actuellement, à l’automne 2010, elles semblent proliferer, ce qui a peut-être un rapport avec l’urbanisation croissante de cette commune, peut-être aussi avec une absence de prédateurs ? Je peux observer que le matin, ces perruches se dirigent très souvent à peu près Nord-Sud (vers zones d’alimentation ?) et en fin d’après-midi dans le sens inverse. C’est à dire que le premier mouvement serait dans le même sens que celui de la colonisation.
Personnellement, ces perruches ne me dérangent pas, je les trouve plutôt jolies; j’aime bien aussi ragondin et rat musqué. Le grand public aime aussi ces perruches, peut-être un peu moins s’il s’agit de constater les dégâts dans le cerisier…. Les voir dans une ballade ne renseigne pas ou peu sur l’impact de ces espèces sur l’environnement et les espèces « autochtones ». Il semble que cette étude soit largement à faire dans chaque cas, malheureusement, dans le cas de colonisation rapide, on n’a pas trop le temps…
La perruche à collier est une espèce apparemment très répandue en Afrique et Asie, c’est probablement une espèce généraliste ce qui explique son succès. Pas sûr que son acceptation serve la cause de la biodiversité mondiale, plutôt son uniformisation. J’ai un peu peur qu’avec le réchauffement et la démographie de l’espèce, elle se répande ensuite dans les zones extra-urbaines… Pour limiter la prolifération de ces « nouvelles » espèces, mais aussi celle des étourneaux, pigeons… en ville (et ailleurs), ne faudrait-il pas favoriser le retour des espèces prédatrices, dites nuisibles ? On aurait peut-être des écosystèmes plus équilibrés où les espèces invasives n’auraient pas la même capacité de pénétration. Solution meilleure qu’une éradication totale de ces espèces?
D’autre part, il me semble très possible (et important vu l’évolution de notre monde) qu’un nombre plus grand d’espèces « locales » s’adapte à la vie urbaine, ce qui serait utile à leur conservation. Cela semble possible pour les insectes, les oiseaux, peut-être plus d »espèces si on laisse des « corridors ».
En conclusion, je dirais que l’on saura plus tard (mais peut-être trop tard ?) si le développement de ces espèces est favorable ou non à la biodiversité.
Deux petites remarques :
Il me semble un peu rapide d’énoncer que « puisqu’elle prospère, la perruche occupe une niche disponible (ce n’est pas une démonstration, c’est une définition !) »
En effet, une invasive peut prospérer dans une niche occupée… Il lui suffit pour cela (et c’est une des caractéristiques des invasives), de disposer d’un avantage sur la ou les espèces autochtones : une plus forte agressivité, une reproduction plus « efficace », une plus grande résistance à un facteur contraignant… Il me semble que des exemples sont connus d’invasives repoussant ou éliminant la concurrence, sans qu’on considère pour autant que la niche qu’elles occupent dorénavant était « disponible »
Seconde remarque : je suppose que les mésanges boréales devaient « égayer » la ripisylve (ou « s’y égailler »), mais pas l’égailler ! Sans plus de commentaire sur cette vision discutable d’espèces qui « égaient » leur biotope (les asticots égaient-ils la charogne ?)
Ecologie du désespoir, c’est le bon mot : « conservation », « restauration », « mise en réserve », « état de référence », la biologie de la conservation est une discipline qui s’est construite sur l’idée d’un paradis perdu qu’on pourrait retrouver. Mais nous serons au mieux 9 milliards d’humains vivant sous 2° de plus en 2050. Lutter frontalement contre les effets de ces changements sur la biodiversité est effectivement sans espoir. L’écologie de l’espoir, c’est au contraire d’accompagner ces changements : l’érosion de la biodiversité, la dégradation des fonctions écologiques ne sont pas une fatalité si nous nous tournons vers l’avenir. Parce que parmi les scénarios possibles, il y a toujours mieux que le pire.
Un commentaire sur la « prolifération » automnale des perruches.
Après la reproduction, ces oiseaux se rassemblent dans de grand dortoir. Il y en a deux de connus en région parisienne, du coté d’Orly et de Roissy, qu’elles quittent le matin (et rejoignent le soir), par petites bandes, pour rejoindre leurs zones d’alimentation (leur fidélité à ces zones d’un jour à l’autre n’est pas connue). Ces déplacements quotidiens ont lieu de juillet à mars, puis les couples reproducteurs se cantonnent autours de leur cavité de nidification.
Si vous avez l’impression d’en voir plus en automne, c’est sans doute que vos déplacements le matin (départ au travail par exemple) coïncident avec celui des bandes de perruches qui reviennent du dortoir.
Le même phénomène a été constaté pour les dortoirs d’étourneaux dans les platanes en villes : le maximum de plaintes à lieu quand la tombée de la nuit, moment où les étourneaux se rassemblent, coïncide avec la sortie des bureaux et que les conducteurs coincés dans les embouteillages voient des nuées d’étourneaux s’abattre sur les arbres.
Preuve que les nuisances sont largement une affaire de perception… et qu’on est aveuglé que par ce qu’on voit !
En réponse/précisions au dernier commentaire de Romain Julliard du 2 octobre:
Dans mon message, le verbe proliférer était excessif , je voulais dire qu’il y a à peu près deux ans et demi je n’avais vu aucune de ces perruches dans le secteur de ma commune où j’habite, tandis qu’aujourd’hui elles sont omniprésentes mais la plupart du temps isolées ou en petit groupe. Le fait qu’on en voit plus cet automne semble indiquer une reproduction réussie. La progression semble donc rapide, c’est pourquoi je m’interroge sur l’absence? de prédateurs, croyant que dans un tel cas de figure, l’espèce posera un jour problème. Quant aux nuisances, je n’en vois pas réellement encore.
Par rapport aux espèces « indigènes » (d’oiseaux), peut-être y a t’il peu de concurrence alimentaire, et donc une niche, mais la perruche à collier ne concurrencie- t’elle pas d’autres espèces par sa nidification (et hivernage ?) dans les cavités d’arbres ?
Attention aux caricatures : la conservation n’est pas une écologie du désespoir. Et que signifie accompagner le changement dans l’espoir ?
1) La biologie de la conservation ne s’est pas du tout seulement construite sur la mise en réserve, la conservation, la restauration etc…Et ça fait longtemps qu’elle a dépassé cela. Ce point de vue Franco-français de l’espoir/désespoir est, en revanche, assez dés-espérant. Quelle réduction !
Quelle polarisation extrême d’un mouvement qui n’a cessé de faire coexister des visions différentes fussent-elles utilitaristes ou non, prônant l’intervention ou la mise sous cloche (rappelons ici la richesse des pensées des pionniers américains). Ramener la conservation à sa partie fixiste est une caricature qui semble plus servir ici un propos qu’une analyse de ce qu’est la conservation. La conservation n’a pas en soi d’espoir ou de désespoir, certains conservationistes peut être.
2) En outre, les conservationistes même les plus traditionnels sont-ils vraiment dans le désespoir ? Les conservationistes, quels qu’ils soient sont au contraire il me semble dans l’espoir, voir dans le rêve aussi bien que dans la réalité et le concret, et c’est ce qui fonde l’intérêt et la complexité de cette discipline. Cette deuxième réduction est également dommage. Le pluralisme des valeurs devrait être pensé comme un moteur non comme un obstacle. Les affrontements frontaux, ne sont-ils pas parfois nécessaires autant que les transformations silencieuses? La plupart des conservationistes, même les plus fixistes sont pleins d’espoir. Mais espoir de fonder une nouvelle éthique pas de changer la température du climat. C’est à ne pas confondre.
3) La polarisation entre ceux qui veulent accompagner le changement entendu comme « ceux qui ont de l’espoir » et les « conservationiste du désespoir » est une troisième réduction surprenante. Elle est tout d’abord inauthentique puisque cette écologie de l’espoir résulte elle même du constat d’un échec à pouvoir changer les choses frontalement. C’est un désespoir caché. Avec ou sans espoir nombreux sont ceux qui ont souligné la nécessité d’un changement. Seulement lequel ? Celui de l’homme, de ses pratiques ? de certaines idéologies toxiques ? Qui décide quoi ? et pourquoi ? Qu’est-ce que le fameux progrès que nous poursuivons tel le veau d’or ? Il s’agit de questions éthiques sensibles. L’éthique dispose d’un panorama de réflexion important qu’elle soit théorique ou appliquée.
Il ne suffit pas de dire « il faut accompagner ces changements et avoir de l’espoir» Il faut savoir ce que cela signifie. S’il s’agit d’accompagner les changements « par principe » et essentiellement en les regardant, ça n’accompagne pas grand chose. C’est la 3emme réduction, celle de la notion même de changement. Les conversationnistes qui, temporairement, suggèrent une mise en réserve peuvent je suppose avoir des projets de changements multiples (de comportement, de rapport à la Nature, ou simplement le projet de mettre un terme au moins provisoire à des destructions imminentes en vu de changer certaines décisions ou mécanismes de destructions sur le long terme).
Suggérer que toute la conservation est une balançoire du désespoir est pour le moins réducteur.
4) Enfin, « parmi les scénarios possibles, il y a toujours mieux que le pire » sonne comme un slogan pour le moins étrange car cet hyper optimisme est l’exact symétrique d’un hyper catastrophisme. C’est une posture. Ce n’est en rien ce qui permettra d’adopter des changements éthiques. Cela clos le débat autant que celui qui voit la fin du monde et refuse tout changement par principe.
Qu’est-ce d’ailleurs que ce fameux « accompagnement du changement » qui est plébiscité ? Participer et chanter le nouvel évangile du « développement durable » ?
Ce qui devrait nous envahir (avec ou sans perruche, qui semble bien inoffensive en effet) c’est la capacité à poser des questions éthiques et à mettre la conservation dans une perspective historique, vivante, et non pas la réduire à ce qu’elle n’est pas, à savoir, une écologie du désespoir.
L’Ecologie de la conservation, espoir ou pas, aurait beaucoup à perdre d’être ainsi polarisée et enfermée dans des caricatures réductrices.
La biologie de la conservation en milieu urbain, pourquoi pas mais la France va des récifs coralliens de Polynésie aux forets tropicales de Guyane… Mais on ne peux pas en vouloir aux chercheurs de la conservation : ca rapporte rien donc pas de crédit. Quand on vous annonce qu’on va injecter de l’argent dans la recherche vous pouvez être certain que ca ne sera que dans les secteurs rentables ou pourri par les lobbys. Toutes les solutions évoquées pour réduire les pertes de diversité observées sur la planète sous entendent de réduire notre consommation, notre impact anthropique. Comme le système économique ultra dominant est inadaptable c’est la planète qu’on va « adapter ». Mais comme mon pseudo vous le suggère, je ne pense pas vous apprendre quelque chose…
Vie sauvage UP+1
En réaction au questionnement de ‘Vie sauvage’ et de ‘Captain Obvious’ sur l’utilité de l’écologie urbaine, il me semble au contraire que cette dernière a toute sa place en sciences de la conservation pour plusieurs raisons :
– d’une part, puisque la composition et la dynamique des écosystèmes urbains sont très largement déterminées par les infrastructures et activités humaines locales, l’étude de la biodiversité urbaine et l’analyse de ses changements actuels, en relation notamment avec les changements de perception de la nature par les citadins, devraient être à la base des politiques de gestion de la biodiversité en milieu urbain.
– d’autre part et surtout, l’écologie urbaine ne se limite pas à l’exploration et à la préservation de la biodiversité urbaine en relation avec les citadins. Sachant que les habitants des villes sont aujourd’hui plus nombreux que ceux des campagnes, et le seront encore davantage à l’avenir, son objectif premier il me semble est de limiter l’impact des villes sur la biodiversité globale, ou en d’autres termes de minimiser l’empreinte écologique des citadins – donc plus généralement des humains – sur la biosphère.
La concentration des immeubles collectifs en ville réduit la surface occupée par ces milliards de citadins, et donc a priori leur impact sur les écosystèmes. Mais de nombreux autres facteurs sont en jeu. Ainsi se déplacer en voiture en ville affecte le climat global, tout comme fuir la ville le week-end pour rencontrer la nature (à défaut de verdure locale), tandis qu’acheter de la viande de boeuf nourri au tourteau de soja (cultivé en Argentine ou au Brésil) affecte les écosystèmes tropicaux. L’approche doit donc être globale, systémique et pluridisciplinaire, c-à-d. impliquer non seulement des écologues et biologistes, mais aussi des économistes, anthropologues, sociologues… C’est bien pourquoi la ‘biologie de la conservation’ doit faire place à ‘l’écologie de la cohabitation’ homme-nature (dite aussi écologie de la réconciliation), ou aux sciences de la conservation au sens large.
C’est finalement plus le côté urbain des perruches que leur côté exotique qui aura suscité un débat. Le récent intérêt d’écologues pour le milieu urbain apparaît pour plusieurs comme une dispersion de moyens et un renoncement à s’attaquer aux priorités de la conservation, motivés par l’attrait de financements faciles. Un internaute va jusqu’à parler d’écologie du désespoir pour caractériser cette tendance. Plusieurs collègues ont répondu à ces points de vue : la biodiversité est une question de société qui ne peut être traitée par les seuls conservationnistes ; les concepts et méthodes que nous utilisons collectivement pour gérer la nature ordinaire des villes sont les mêmes que ceux utilisés pour gérer une nature plus patrimoniale. En d’autres termes, nous agissons vis-à-vis du pigeon ou de la perruche avec la même intelligence que nous le faisons avec le loup ou la loutre. En éclairant nos relations à la nature ordinaire, l’écologie urbaine contribue à la conservation globale : c’est le « pigeon paradox » (Dunn et al 2006, Cons Biol 20 :1814).
D’autres regards alimenteront surement ce débat et je voudrais revenir sur l' »écologie de l’espoir » que j’ai si maladroitement introduite, surfant comme l’invite l’exercice, sur les commentaires des internautes. La décennie 2000-2010 aura vu les thèmes de la biodiversité formidablement progresser dans la société, des individus aux décideurs, en passant par toutes sortes d’acteurs, collectivités et entreprises notamment. Les conservationnistes de tous bords peuvent s’en féliciter. Mais le discours n’a guère évolué : l’érosion de la biodiversité est toujours à l’œuvre sans ralentissement significatif et la principale argumentation donne dans le registre misérabiliste : les acteurs de la conservation manquent de moyens. Ce discours va vite devenir démobilisateur si nous ne l’accompagnons pas de raisons d’espérer.
Cela passe sans doute par un débat franco-français entre scientifiques concernés, en évitant autant que possible une approche manichéenne entre anciens et modernes (mea culpa). Ce débat commence à exister sur les services écosystémiques, la place des espèces exotiques pourrait en être un autre. Mais il ne faut pas perdre de vue nos handicaps : nous sommes une toute petite communauté débordée par les enjeux et il est bien difficile de faire vivre ce débat ou d’importer les débats bien plus matures d’Amérique du Nord notamment. Surtout, nous souffrons en France d’un dramatique manque de partage d’expérience entre scientifiques et gestionnaires, et sur ce point là, de mon point de vue, pas grand-chose de bouge dans la bonne direction.
les mésanges sont chez moi… dans mon jardin, je les nourris devant et derrière la maison et sur le rebord de la fenêtre de la cuisine.
Tous les ans, mésanges bleues (+rares) et charbonnières débarquent de je ne sais où pour passer l’hiver en Moselle donc !
Je découvre cette jolie page assez tardivement…
Petit voyage dans le temps. C’était il y a 20 ans… Michael Soulé publiait dans Conservation Biology un article intitulé « The onslaught of alien species, and other challenges in the next decades ».
Quelques phrases choisies presque au hasard : « The concept of natural is already anachronistic.” / “The concept of natural is subverted further by the universal flood of exotics.” / “Alien species will facilitate the transition between the traditional view of biogeographic integrity and the postmodern acceptance of cosmopolitization.” / “It will become more and more difficult, in both philosophical and management senses, to defend and protect the ecological status quo ante.”
Un peu visionnaire, non, de la part de l’un des fondateurs de biologie de la conservation ? Ou peut-être même encore un peu trop en avance sur son temps, 20 ans plus tard.
J’apprécie beaucoup ce regard composite mais profondément cohérent de Romain Julliard, qui s’inscrit dans la même veine que M. Soulé. Il nous interroge à son tour sur la manière dont nous refusons de considérer nos propres paradoxes culturels à l’égard de nos représentations de la nature.