Cette étude a débuté lors de mon stage de Master 2. Fascinée depuis toujours par les régions polaires et les adaptations comportementales et physiologiques nécessaires pour survivre et se reproduire dans de tels milieux, je finalisais à ce moment le montage d’un projet de thèse sur l’effet du climat sur les traits d’histoire de vie des manchots avec le Professeur Yvon Le Maho, directeur de recherche au CNRS (Département d’Ecologie, Physiologie et Ethologie, à l’IPHC de Strasbourg).
Toutefois, avant d’entamer la thèse, je souhaitais réaliser mon stage de Master au sein d’un Institut de recherche à l’étranger. C’est alors qu’une opportunité de lier les deux en travaillant sur des données de manchots royaux au Center for Ecological and Evolutionnary Synthesis de l’Université d’Oslo s’est offerte, et j’ai tout de suite foncé. Une expérience supplémentaire dans un pays étranger, extrêmement enrichissante et une bonne base pour des futures collaborations, qui continueront tout au long de la thèse. Encadrée par les Drs. Céline Le Bohec et Joël Durant, tout en étant sous les conseils avisés des Professeurs Nils Stenseth et Yvon Le Maho, ce stage ne pouvait que bien se passer. Ainsi, je découvrais ce système mis en place par le DEPE une dizaine d’années auparavant sur l’ile de la Possession à Crozet, permettant un suivi automatique des manchots royaux. Une puce électronique, pesant moins d’un gramme, similaire à ce qu’on utilise de nos jours pour marquer les chats et chiens domestiques, est insérée sous la peau dans la graisse de la hanche du manchot et permet par la suite l’identification de l’individu tout au long de sa vie. Des antennes installées sous les 3 points d’entrée/sortie de la colonie d’étude depuis ou vers la mer détectent continuellement les passages des manchots marqués, permettant ainsi de suivre tous les aller-retour de ces individus.
Ce système a été créé afin d’augmenter la fiabilité de l’effort de « recapture » (en réalité les individus ne sont pas recapturés, ils sont uniquement identifiés), mais également dans l’idée que les bagues alaires (autre moyen utilisé pour identifier les individus à distance et les suivre tout au long de leur vie) pourraient leur être néfastes. Au cours des 15/20 dernières années, plusieurs études d’un potentiel effet des bagues ont été réalisées sur différentes espèces de manchots, menant à des conclusions parfois opposées. Les études s’intéressant aux effets directs de ces bagues sur la nage et la plongée des manchots ont toutes démontré l’existence d’une gêne hydrodynamique pouvant augmenter la dépense énergétique liée à la nage jusqu’à 24%. Néanmoins, les conséquences sur les traits d’histoire de vie des manchots restaient moins claires, notamment en raison d’études menées à trop court terme. Ce système innovant de suivi par radiofréquence m’a offert la possibilité de regarder l’effet des bagues sur la survie et sur la reproduction des manchots royaux sur 10 ans, en comparant 50 individus possédant une bague à l’aileron et 50 individus sans. Les résultats ont ainsi montré que l’effet était dramatique pour les manchots royaux avec une survie des manchots bagués très inférieure aux non-bagués, et un nombre de poussins élevés jusqu’à l’indépendance sur la totalité de la période bien plus faible (47 poussins seulement contre 80 pour les individus non-bagués). L’étude réfute également toute sorte d’habituation à la bague, l’allongement de la durée des voyages alimentaires persistant même au bout de 10 ans. Ces résultats suscitent de véritables questions éthiques pour les nombreux programmes de baguage alaire qui subsistent dans le monde. Mais la question ne s’arrêtait pas là. En effet, l’un des attraits majeurs pour moi de cette étude était la réflexion à mener sur la manière dont on réalise une étude scientifique. Ethique mise à part, une étude scientifique n’a de sens que si elle permet de répondre à une question de manière non biaisée ou d’apporter des informations reflétant la réalité du phénomène et des processus étudiés.
La question fondamentale qu’un scientifique doit donc se poser est de comprendre l’influence de la méthode utilisée sur les résultats qu’il obtient. Dans notre cas, les manchots sont souvent utilisés en tant qu’indicateurs de leurs écosystèmes de par leur place au sommet de la chaîne trophique. Notamment, au cours de ma thèse, je voulais étudier l’effet du climat sur leurs traits d’histoire de vie. Pour cela, un moyen de suivi longitudinal des individus s’avérait indispensable. S’il est évident que toute étude a un impact sur les animaux (la pose des puces électroniques que l’on utilise nécessite par exemple la capture de l’individu), il est nécessaire que cela ne biaise pas les résultats que l’on observe sur l’effet du climat. Dans le cas des bagues, nous avons pu montrer que les individus bagués ne réagissaient pas de la même manière que les individus non-bagués face à une variation de la température de surface de la mer. En effet la différence observée entre les taux de croissance de population calculés pour chacun des 2 groupes (bagués ou non-bagués) varie avec la température. Nous suggérons ainsi que lorsque les conditions sont mauvaises (température de la mer élevée), les individus échouent tous très fortement dans leur reproduction et la différence n’est donc pas perceptible. En revanche, lorsque les conditions sont très favorables, certains individus bagués arrivent à compenser leur handicap et la différence entre les groupes est donc maximale lorsque les conditions sont intermédiaires. Ceci montre que les résultats sur l’effet du climat obtenus à l’aide d’individus bagués ne reflètent pas la réalité. Néanmoins, il est très important pour nous de souligner que cela ne remet pas en cause l’effet du climat et que nos arguments ne vont pas en faveur des négationnistes du changement climatique, bien au contraire. Il nous apparaît nécessaire d’étudier l’effet du climat avec le moins de biais possible, afin de pouvoir justement argumenter envers les sceptiques. L’unique jeu de données produit par ce système de suivi automatique a d’ailleurs permis de montrer l’effet négatif du réchauffement de la mer sur la survie et la reproduction des manchots royaux.
La dernière étape a bien entendu consisté en la rédaction de cet article à un format très court et concis que souhaitent les journaux généralistes comme Nature. Pas évident quand c’est le premier papier qu’on rédige, mais très formateur. Arriver à dire le plus possible avec le moins de mots possibles… Pour ça (comme pour tout le reste d’ailleurs), je souhaite dire un grand merci à tous ceux qui ont participé à cette étude et m’ont transmis leur expérience.
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