Résumé du projet de thèse

Dans un contexte de changement global, les socio-écosystèmes marins (SES) sont de plus en plus vulnérables à des dynamiques chaotiques et des bascules abruptes vers des états alternatifs transitoires ou stables. Ces changements de structure et de fonctionnement des SES ont des répercussions importantes telles que sur la production de ressources marines saines et nutritives. Les poissons marins constituent un pilier essentiel de la nutrition pour des milliards de personnes, en fournissant des micronutriments indispensables tels que les acides gras oméga-3, les vitamines (A, D, B12) et les minéraux (fer, zinc, iode). Ces nutriments sont essentiels au développement cognitif, au bon fonctionnement du système immunitaire et à la santé métabolique. Néanmoins, aucune étude n’a encore évalué à l’échelle globale les effets des changements de régimes marins sur les disponibilités en micronutriments. Comprendre et anticiper les déterminants des changements de régime dans les SES marins revêt pourtant d’un double enjeu écologique et alimentaire. L’objectif principal de cette thèse est d’analyser les dynamiques spatio-temporelles des communautés de poissons démersaux à l’échelle mondiale et d’en évaluer les conséquences sur la disponibilité en micronutriments marins essentiels à la santé humaine et à la sécurité alimentaire. Pour ce faire, les travaux s’appuieront sur plusieurs bases de données majeures : (i) FISHGLOB, qui compile des données de chalutages scientifiques couvrant plusieurs décennies (de 1963 à 2023) à l’échelle mondiale, permettant d’étudier l’évolution des communautés de poissons démersaux sous l’influence des pressions environnementales et anthropiques ; (ii) FishBase, qui répertorie la composition nutritionnelle des espèces de poissons, permettant d’évaluer les implications des changements de communautés sur la disponibilité en micronutriments tels que, par exemple, le fer, le zinc, les oméga-3 et les vitamines ; (iii) les données du projet Sea Around Us, qui fournissent des données historiques reconstruites sur les captures de pêche à une échelle régionale depuis plusieurs décennie et/ou Global Fishing Watch, qui offre des données à haute résolution sur la dynamique de l’effort de pêche à une échelle temporelle plus courte, permettant d’évaluer l’interaction entre la pression de pêche et les changements des communautés ; et (iv) Copernicus Marine Service, qui propose des ensembles de données biotiques et abiotiques clés telle que la température des océans, facilitant l’étude des changements des communautés sous l’effet du climat. Dans un premier temps, la recherche se concentrera sur l’analyse des dynamiques spatio-temporelles des communautés de poissons démersaux et l’identification des déterminants majeurs (écologiques et/ou socio-économiques) de ces dynamiques, la caractérisation et l’anticipation des changements de régimes écologiques et des points de bascule, l’évaluation de la résilience des communautés face aux facteurs de perturbation et le développement de modèles prédictifs sur les impacts du changement climatique et de la pêche sur les structures de communauté. Dans un second temps, elle évaluera les conséquences de ces changements sur la disponibilité en micronutriments en analysant l’évolution de la contribution des poissons démersaux aux apports nutritionnels mondiaux, en identifiant les régions et les communautés humaines vulnérables à ces changements et en explorant les implications pour la gestion durable des pêcheries et la sécurité alimentaire. Une telle approche multidisciplinaire et intégrée est essentielle pour maintenir les SES résilients et nutritionnellement robustes dans un monde en mutation. Prendre en compte ces dynamiques ouvrira des perspectives pour lutter contre la malnutrition et renforcer le rôle de la pêche dans la réalisation des Objectifs de Développement Durable 2 (Zero Hunger) et 14 (Life Below Water).

Objectif et contexte
Ce projet de thèse visera à :
1 – Analyser les dynamiques spatio-temporelles des communautés de poissons démersaux sur plusieurs décennies, entre 1963 et 2023, à l’échelle mondiale.
2 – Détecter, caractériser et anticiper les points de bascule, les changements de régime et les capacités de résilience des communautés face aux changements globaux.
3 – Évaluer les impacts des changements écologiques sur la disponibilité des micro-nutriments marins.
4 – Développer des modèles descriptifs et prédictifs pour anticiper les changements futurs, notamment dans un contexte de changement climatique.
5 – Fournir des recommandations pour une gestion intégrée des socio-écosystèmes marins.
Le changement climatique et autres pressions de nature anthropiques transforment profondément la structure et la dynamique des communautés de poissons à l’échelle mondiale (Cheung et al., 2013). Le réchauffement des océans entraîne d’ores et déjà des déplacements de populations marines vers des latitudes plus élevées et des profondeurs accrues, modifiant la composition des communautés locales (Pinsky et al., 2013). Certaines espèces tempérées sont progressivement remplacées par des espèces subtropicales ou tropicales, impactant ainsi la dynamique trophique (Sunday et al., 2015). En parallèle, la surexploitation des ressources halieutiques modifie profondément les structures démographiques des communautés, avec une diminution des populations de grands prédateurs et une augmentation des espèces opportunistes de plus petite taille (Pauly et al., 1998). Dans certaines régions, ces perturbations entraînent une réorganisation des assemblages d’espèces et des dynamiques non-linéaires et discontinues, où des transitions écologiques abruptes, appelées regime shifts, conduisent à des états écologiques alternatifs souvent irréversibles et parfois dominés par des espèces de moindre valeur halieutique (Beaugrand et al., 2015; Deyle et al. 2016).
L’accumulation de ces pressions fragilise la résilience écologique des communautés de poissons, réduisant leur capacité à se rétablir après un choc et les rendant plus vulnérables aux événements extrêmes (Pinsky & Mantua, 2014). Ces transformations ont des répercussions sur la biodisponibilité des micronutriments marins, affectant les populations humaines qui dépendent des produits de la mer comme source principale de protéines et de nutriments essentiels (Golden et al., 2016). Les conséquences varient selon les régions. Dans l’Atlantique Nord, la redistribution des stocks de morue et de merlu a par exemple impacté la rentabilité des pêcheries (Sguotti et al., 2019). En Afrique de l’Ouest, la surexploitation combinée au réchauffement des eaux a diminué la disponibilité des espèces riches en micronutriments, comme les sparidés (Hicks et al., 2019). En Asie du Sud-Est, l’expansion de la pêche industrielle limite l’accès des communautés côtières aux poissons démersaux, compromettant la sécurité alimentaire locale (Cabral et al., 2019).
L’analyse de ces dynamiques nécessite une approche globale, combinant des études spatio-temporelles et des modèles prédictifs pour mieux comprendre l’évolution des communautés démersales. La base de données FISHGLOB (Maureaud et al., 2021; 2024), qui rassemble des décennies de campagnes de chalutage scientifique menées dans différents bassins océaniques, constitue un socle essentiel pour identifier les tendances globales et régionales des communautés, détecter les transitions écologiques et évaluer les liens entre les changements de structure des communautés, l’environnement et la pression de pêche, ainsi que la disponibilité des micronutriments marins, à l’aide des données issues de FishBase, Sea Around Us, Global Fishing Watch et Copernicus
Malgré les avancées dans l’étude des effets des changements climatiques et anthropiques sur les communautés de poissons démersaux, plusieurs lacunes subsistent : (i) une compréhension limitée des interactions entre multiples facteurs de forçages, notamment les effets combinés du changement climatique et de l’effort de pêche sur la structure des communautés, (ii) un manque de connaissance sur les impacts des regime shifts et la résilience des communautés et leur capacité à retrouver un état stable après perturbation, (iii) une connaissance incomplète des implications nutritionnelles des changements de composition des communautés de poissons à l’échelle globale, en particulier pour les populations humaines vulnérables qui dépendent des ressources marines, (iv) l’absence d’une intégration systématique des bases de données de campagnes scientifiques de chalutages de fonds et environnementales pour mieux prédire les trajectoires futures des communautés et des micro-nutriments sous l’effet des pressions anthropiques et climatiques.

Méthode
L’approche méthodologique combinera une analyse spatio-temporelle des données de communautés de poissons démersaux (FISHGLOB), de paramètres environnementaux (COPERNICUS), de pression de pêche (Sea Around US et/ou Global Fishing Watch) à l’aide de méthodes de modélisation avancées, incluant des analyses multivariées, des techniques de clustering et de modélisation pour détecter les transitions écologiques et les regime shifts, notamment l’approche CUSP Resilience Assessment (CUSPRA), dérivé de la théorie des catastrophes, qui permet d’identifier les transitions critiques, les états stables et non stables dans les dynamiques des écosystèmes (Sguotti et al., 2024). En croisant ces analyses avec les données nutritionnelles de FishBase (Froese & Pauly, 2021), il sera possible d’évaluer les implications des changements écologiques sur la disponibilité des micronutriments essentiels et de leur diversité. Enfin, la modélisation prédictive permettra d’étudier et d’anticiper les effets combinés du changement climatique et de la pêche sur la structure et la composition des communautés de poissons démersaux et sur la disponibilité en micronutriments à l’échelle mondiale.
Résultats attendus
La thèse permettra d’identifier les transitions écologiques majeures et les points de bascule critiques au sein des communautés de poissons démersaux dans différentes zones du monde où le degré des changements environnementaux et de la pression de pêche diffère. Elle identifiera les espèces concernées, les régions et les périodes affectées, tout en évaluant la résilience de ces écosystèmes face aux perturbations environnementales et anthropiques. En parallèle, la quantification des variations en micronutriments marins et de leur diversité, et l’identification des zones les plus vulnérables permettront d’évaluer les risques pour les populations humaines. Ces résultats fourniront une base scientifique solide pour formuler des recommandations visant à renforcer la gestion durable des ressources marines.
Les conclusions de cette recherche pourraient contribuer aux stratégies de gestion de la biodiversité et halieutique en intégrant des critères écologiques et nutritionnels, contribuant ainsi à la préservation de la biodiversité marine et à la sécurité alimentaire mondiale. Elles viendront alimenter les recommandations de la FAO sur les pêcheries durables, les évaluations de l’IPBES sur la biodiversité marine et les services écosystémiques, ainsi que les travaux de l’IMBER portant sur les interactions entre l’océan, le climat et les sociétés humaines. Enfin, cette étude favorisera une meilleure compréhension des dynamiques spatio-temporelles des poissons démersaux et des implications des changements globaux sur les écosystèmes marins et les communautés humaines dépendantes des ressources halieutiques.

Précision sur l’encadrement
Encadrement et supervision
L’étudiant(e) sera accueilli(e) au sein de l’UMR Marine Biodiversity, Exploitation and Conservation (MARBEC). L’encadrement principal sera réalisé par le Dr. Bastien Mérigot, maître de conférences à l’Université de Montpellier (directeur de thèse), le Dr. Fabien Moullec, post-doctorant à l’Université de Montpellier (co-encadrant de thèse) et la Dr. Eva Maire, chercheuse à l’IRD (co-encadrante de thèse). Leurs recherches interdisciplinaires ont pour objectifs d’aider à la conservation de la biodiversité marine et à la mise en place d’une approche écosystémique de la gestion des pêches, en étudiant les effets combinés des pressions anthropiques et des changements environnementaux sur les écosystèmes marins. Ils sont spécialisés en modélisation statistique et écosystémique, en écologie et dynamiques des communautés de poissons et en sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Suivi du travail de recherche
Le suivi des avancées de l’étudiant(e) se fera selon un calendrier structuré :
Une réunion hebdomadaire, ou quand cela est nécessaire et possible, avec l’équipe encadrante pour discuter des avancées et des difficultés rencontrées.
Comités de Suivi Individuel (CSI) organisés annuellement pour évaluer l’évolution du projet (rapport écrit et présentation orale) et proposer si besoin des ajustements.
La participation régulière aux réunions de travail du projet “Fish biodiversity facing global change (FISHGLOB) labellisé par la Décennie des Océans des Nations Unies, et du groupe de travail ICES “Comparative Ecosystem-based Analyses of Atlantic and Mediterranean marine systems” (COMEDA), permettant un suivi et des retours constructifs extérieurs à l’équipe encadrante sur le travail réalisé, ainsi qu’une mise en réseau avec d’autres chercheurs travaillant sur des thématiques et des bases de données similaires.

Formation et développement des compétences
L’étudiant(e) bénéficiera d’un programme de formation complémentaire pour renforcer ses compétences scientifiques et professionnalisantes, avec des modules et/ou des formations à identifier avec l’équipe encadrante (100h au total). Les compétences visées concernent (i) l’analyse statistique et la modélisation avancées de données, dont celles relatives à l’étude de la dynamique des communautés et des changements de régime, (ii) la rédaction et la communication scientifique, (iii) l’acquisition des bonnes pratiques pour une recherche reproductible en écologie numérique, (iv) la valorisation et transfert des résultats vers les acteurs institutionnels (e.g., FAO, IPBES, ONG, organisation de producteurs).
Conditions scientifiques matérielles (conditions de sécurité spécifiques)
et financières du projet de recherches
Ordinateur portable, écran externe, disque dur, déplacements pour conférences financés par budget recherche B. Mérigot. 1500 euros sur 3 ans mis à disposition par l’UMR MARBEC pour le fonctionnement de la thèse.
Objectifs de valorisation des travaux de recherche du doctorant : diffusion,
publication et confidentialité, droit à la propriété intellectuelle,…
Diffusion des travaux au cours de congrès nationaux et internationaux, ainsi que de
publications scientifiques à comité de lecture.
Collaborations envisagées
Des collaborations seront réalisées, en France et à l’étranger, afin de bénéficier d’expertises régionales (e.g., mer Méditerranée, Océan Atlantique, Océan Pacifique). Un partenariat avec le Dr. Camilla Sguotti (Université de Padova, Italie) est prévue pour la modélisation CUSPRA et une collaboration avec le Dr. Vasilis Dakos (CNRS, UMR ISEM) pour la mise en œuvre de méthodes statistiques complémentaires à l’analyse de dynamiques non-linéaires et discontinues. L’étudiant(e) bénéficiera également d’un réseau de collaborations internationales, notamment avec les partenaires du projet FISHGLOB du groupe de travail ICES COMEDA.
Ouverture Internationale
Des collaborations avec des partenaires européens, américains et canadiens (FISHGLOB, COMEDA) ainsi que d’autres zones du monde (FISHGLOB) sont prévues. Le travail réalisé sera présenté et valorisé au travers de colloques et publications scientifiques de rang A.

Détails du sujet et candidature avant le 5 mai 2025
https://adum.fr/as/ed/voirproposition.pl?langue=fr&site=gaia&matricule_prop=62588
https://adum.fr/as/ed/page.pl?site=gaia&page=candidatures_modalites

Le contenu de cette offre est la responsabilité de ses auteurs. Pour toute question relative à cette offre en particulier (date, lieu, mode de candidature, etc.), merci de les contacter directement. Un email de contact est disponible: bastien.merigot@umontpellier.fr

Pour toute autre question, vous pouvez contacter sfecodiff@sfecologie.org.