Impact du régime du feu sur la dynamique de la végétation en savane humide d’Afrique de l’Ouest (Lamto, moyenne Côte d’Ivoire)
Aya Brigitte N’DRI
02 BP 801 Abidjan 02,
ndri.brigitte (at) yahoo.fr
Résumé
Cette expérience avait pour but de déterminer l’intensité du feu dans une savane humide d’Afrique de l’ouest et comprendre l’impact de l’intensité et du régime du feu sur la végétation afin d’identifier la méthode de gestion des feux à même de maintenir la réserve au stade de savane. Différentes intensités de feu ont été simulées sur trois parcelles de 130 x 120 m chacune, délimitées dans la savane arbustive de la réserve de Lamto (Côte d’Ivoire). Deux régimes de feu y ont été pratiqués, celui de mi-saison (Janvier) et le feu tardif (Avril). Pour chaque régime, l’intensité du feu a été déterminée. L’intensité moyenne du feu de mi-saison (2654 ± 2145 KW m-1) n’est pas significativement différente de celle du feu tardif (1824 ± 1524 KW m-1). La vitesse de repousse de la strate herbacée est plus importante après le feu de mi-saison qu’après le feu tardif. Les blessures ou écorçage causées par le feu sur les arbres adultes ont été observées. Ces blessures semblent initier les creux externes observés sur les arbres; alors que ces creux affectent la résistance mécanique des arbres. Elles concernent généralement les arbres adultes et les individus de l’espèce C. febrifuga qui sont également les plus couramment creuses. Le feu précoce n’ayant pas pu être expérimenté, le feu de mi-saison demeure le régime de feu recommandé puisqu’il assure la croissance rapide et abondante des herbes qui conduira au maintien de l’équilibre entre les herbes et les arbres.
Justifications
Le feu précoce (en Novembre, au début de la saison sèche) n’a pas pu être expérimenté du fait du feu qui a été mi à la réserve au mois de Novembre, peu de parcelles restaient disponibles pour la réalisation de ce projet et donc les deux régimes de feu (mi-saison et tardif) ont pu être expérimentées.
Méthodes
Dispositif expérimental
Le dispositif a consisté en trois blocs (un bloc par site) de 130 m x 120 m. Chaque bloc a été subdivisé en 3 parcelles (80 m x 30 m) séparés par des pare-feux de 10 m et un pare-feu de 20 m a été délimité autour de chaque bloc. Chaque parcelle a été soumis à un régime de feu spécifique : le feu de mi-saison (Janvier, au milieu de la saison sèche) et le feu tardif (Mars, à la fin de la saison sèche). La troisième parcelle, représente le témoin qui n’a pas été brûlé.
Mesures
L’intensité du feu (I), a été calculée à l’aide la formule de Byram (1959): I = H x W x R où (I): est l’énergie libérée le long du front du feu (KW m-1); (H): est la chaleur de combustion de l’herbe, c’est une constante mesurée au laboratoire et sa valeur recommandée est 18700 KJ kg; (W) est la quantité de combustible (biomasse herbacée exprimée en kg m-2) et se mesure comme suit: (1) Avant chaque régime de feu, les herbes et toute la litière sur le sol ont été prélevées à l’intérieur d’un quadrat de 1 m2 en quatre points des parcelles; (2) elles ont été ensuite séchées à l’étuve à 60 °C pendant 72 h puis pesées; (3) la moyenne obtenue pour chaque catégorie à permis de déterminer la quantité de biomasse qui est considérée comme la quantité de combustible qui brûle. et (R) représente la vitesse de propagation du feu (m s-1). Cette vitesse a été mesurée sur chacune des parcelles durant les différents régime de feu. Pour ce faire, des piquets en fer ont été plantés aux abords des parcelles à intervalle de 10 m. Huit intervalles ont ainsi été obtenus et le temps de parcours du feu a été mesuré à chaque intervalle à l’aide de chronomètres. La durée moyenne de propagation du feu a été ainsi calculée sur les parcelles durant chaque régime de feu.
Impact du feu sur la repousse des herbes
Cette expérience a pour objectif de déterminer la vitesse de repousse des herbes en fonction de l’intensité du feu et de son régime. Pour ce faire la hauteur de la strate herbacée a été mesurée au moyen d’un herbomètre, 3, 6 et 9 mois après le feu. Cette repousse a été mesurée en quatre points de chacune des parcelles.
Dégâts causés par le feu sur les arbres
Les principales espèces de la savane ont été prises en compte: B. ferruginea, C. febrifuga, C. barteri et P. thonningii. L’impact du feu sur les individus adultes et jeunes de ces espèces et leurs branches maîtresses a été évalué par détection des zones écorcées par le feu. Le feu peut causer des blessures dans toutes les directions pour les arbres droits (Gill 1974) ou à la face inférieure de la branche ou du tronc incliné (Whitford 2002, N’Dri et al. 2011). Lorsque le tronc ou la branche est écorcé ou présente un creux externe, nous notons si l’arbre est incliné et si l’écorçage et/ou le creux se trouve à la face inférieure du tronc et de la branche inclinés. Un arbre est considéré incliné s’il penche à plus de 30 ° par rapport à la verticale. Ces parties écorcées pourraient constituer des points d’entrées des termites dans les arbres pour les endommager et aussi des surfaces susceptibles de brûler facilement lors des prochains feux parce que non protégées par une écorce. Selon le scénario proposé par N’Dri et al. (2011), les creux externes observés sur les arbres, débuteraient par l’écorçage qui permettrait aux termites d’entrer dans le tronc des arbres pour s’y installer et mener une activité de récolte. Une fois l’arbre évidé par ces termites, la résistance mécanique des arbres est fragilisée (Mattheck & Kubler 1995, N’Dri et al. ‘accepté dans plant ecology‘).
L’objectif de cette étude est d’évaluer l’écorçage causé par le feu afin de le corréler à l’intensité et au régime des feux. Après le feu, toutes les blessures observées sur les arbres ont été notées.
Résultats et discussions
Intensité du feu
Relation entre l’intensité du feu et sa sévérité
Les valeurs d’intensité de feu calculées ne varient pas en fonction du régime du feu: feu de mi-saison et feu tardif (ANOVA, F1,4 = 1.770; p = 0.254). Alors que le feu tardif est connu comme plus nocif pour les arbres, l’on s’attendait à ce qu’il soit d’intensité nettement plus élevée que le feu de mi-saison. En effet, César (1971 et 1992), Louppe et al. (1995), ainsi que les études réalisés dans le parc nationale de Kakadu (Kakadu Board of Management 1996), font remarquer que l’impact du feu sur la mortalité des arbres est plutôt lié au stade physiologique de l’arbre qu’à l’intensité de ce feu. La période des feux de mi-saison (mi-janvier) coïncide avec la phase de sénescence de l’appareil épigé et l’activité végétative est moindre. Par contre, les feux tardifs (avril) sont plus destructeurs car ils interviennent à un moment où la végétation a repris son rythme normal. En effet, en accord avec César (1971 et 1990) et Riou (1995), cette période étant caractérisée par l’émission des jeunes feuilles, le feu oblige l’arbre à émettre une deuxième foliaison qui provoque ainsi une perturbation physiologique.
Impact de l’intensité et du régime du feu sur la végétation
Selon Johnson (1992), l’intensité du feu peut causer la mort des arbres ou des dégâts sur ceux-ci à travers l’écorçage des troncs ou la combustion des feuilles ou des bourgeons. Cette étude montre en effet qu’à long terme, le feu cause l’écorçage de 48% des arbres. Selon les observations de Perry et al. (1985), Gibbons & Lindenmayer (1997), Whitford (2002), Whitford & Williams (2002) et N’Dri et al. (2011), ces zones écorcées constitueraient des points d’entrée des termites dans les arbres. Les termites, une fois dans l’arbre, vont causer des creux internes qui seront par la suite exposés par l’action récurrente du feu (N’Dri et al. 2011). Selon Mattheck & Kubler (1995), les creux externes ainsi créés, fragilisent la résistance mécanique des arbres. Par ailleurs, l’espèce C. febrifuga qui renferme le plus d’individus avec des creux: 84% (N’Dri et al. 2011), est celle qui présente le plus d’individus écorcés: 82%. De même que les parties écorcées des branches, les creux externes sont généralement situées à la face inférieure des arbres inclinés, ce qui montre bien le lien entre écorçage et creux externe.
L’intensité du feu influence la vitesse de repousse des herbes. En effet, le feu de mi-saison semble avoir un meilleur impact sur la reprise de croissance des herbes comparativement au feu tardif, la croissance étant plus rapide suite au feu normal qu’au feu tardif ; cela 3 mois et 9 mois après la mise à feu. Cette tendance est contraire à celle observée dans l’étude de Monnier (1968), qui a montré que la repousse des herbes est plus importante après le feu tardif qu’après celui de mi-saison (1-250 jours après le feu). Il explique cette biomasse plus importante après le feu tardif en Avril, par le fait que la saison des pluies qui s’étend de Mars à Juillet, favorise la repousse des herbes après ce régime de feu. Tandis que le feu de mi-saison (Janvier) à lieu durant la grande saison sèche qui s’étend de Décembre à Février. La tendance contraire que nous obtenons, s’expliquerait par le fait que la saison des pluies a tendance à se décaler de plus en plus suite au changement climatique. En effet, les précipitations sont variables d’une année d’étude à l’autre. Durant l’année 1963, année de mesure de la vitesse de repousse de la strate herbacée par Monnier (1968), les précipitations après le feu de mi-saison étaient plus faibles qu’après le feu tardif. Environ 40, 150 et 100 mm de pluie, respectivement au cours des mois de Février, Mars et Avril et d’environ 400 et 300 respectivement au cours des mois de Juin et Juillet après le feu tardif. Les précipitations plus élevées suite au feu tardif ont en effet favorisées une repousse plus importante des herbes. Cependant, au cours de l’année 2013, les précipitations suite au feu de mi-saison étaient plus élevées qu’après le feu tardif. Environ 188, 149 et 119 mm de pluie respectivement pour les mois de Février, Mars et Avril. Après le feu tardif, les précipitations étaient de 132 et 120 respectivement au cours des mois de Juin et Juillet. Cette tendance contraire observée au niveau de la précipitation par rapport à l’étude de Monnier (1968), explique la vitesse de repousse plus importante après le feu de mi-saison qu’après le feu tardif que nous notons dans cette étude.
Ces résultats suggèrent qu’une pluviométrie abondante durant une année, favoriserait un feu de forte intensité l’année suivante. Ce feu de forte intensité va à son tour favoriser la repousse d’une biomasse plus importante l’année suivante. Le climat de l’année et les conditions météorologiques avant les feux contrôlent en effet, l’occurrence et la vitesse de propagation du feu dans presque tous les écosystèmes qu’il parcourt (Johnson 1992). Les conditions climatiques de l’année, déterminent en effet la quantité de combustible qui brûle.
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