Samson Acoca-Pidolle (University of Kanas), nommé par Ana Rodrigues, a été récompensé pour la qualité du travail valorisé dans l’article suivant :

Acoca‐Pidolle, S., Gauthier, P., Devresse, L., Deverge Merdrignac, A., Pons, V., & Cheptou, P. O. (2024). Ongoing convergent evolution of a selfing syndrome threatens plant–pollinator interactions. New Phytologist242(2), 717-726. https://doi.org/10.1111/nph.19422

C’est en Septembre 2020, après les périodes si particulières que nous venions de traverser et qui nous attendaient encore, que nous avons eu un premier contact avec Pierre-Olivier Cheptou. Je suis alors à la recherche d’un stage de deuxième année de master qui pourrait déboucher sur une thèse, avec une volonté de travailler sur l’évolution de la sexualité et de la reproduction chez les plantes. Au téléphone, il me parle de « vieilles graines » de pensées qu’il a en sa possession et de la possibilité que nous aurions de regarder si le système de reproduction a changé dans le temps. Voilà qui m’emballe, seul hic, ce n’était pas une période propice aux projets expérimentaux. Nous prenons malgré tout le risque. C’est ainsi qu’après les confinements automnaux et les craintes de reconfinements, je me retrouve au Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive (CEFE) à Montpellier en Janvier 2021 alors que beaucoup de stages se font alors à distance. C’est le 1er Février, juste après l’annonce du choix de ne pas reconfiner, que ce projet démarre réellement avec un trajet vers la région parisienne afin d’échantillonner les descendants des populations qui ont été échantillonnées dans les années 90-2000, trajet qui me décidera à continuer en thèse.

Une majorité des plantes à fleurs dépendent d’insectes pollinisateurs pour leur reproduction. Or, les insectes pollinisateurs sont en déclin. La reproduction de certaines plantes pourraient donc diminuer. Les plantes à fleurs possèdent généralement les organes mâle et femelle au sein de la même fleur. Certaines espèces peuvent alors s’affranchir de la présence de pollinisateurs pour se reproduire, en pratiquant l’autofécondation. Les espèces qui se reproduisent presque exclusivement par autofécondation possèdent également des fleurs plus petites et moins attractives pour les pollinisateurs que les espèces proches qui pratiquent la fécondation croisée. Des expériences en laboratoire ont montré qu’en l’absence de pollinisateurs, la sélection d’une plus grande capacité d’autofécondation est détectable après seulement cinq générations. Le but de cette étude était d’observer si, en populations naturelles, il y a eu un changement du taux d’autofécondation et des traits floraux durant les dernières décennies. Cependant, pour détecter un changement il fallait avoir un point de référence. C’est ici que les « vieilles graines », échantillonnées et conservées par les Conservatoires Botaniques Nationaux de Bailleul et du Bassin Parisien, offraient une possibilité unique. En effet, plusieurs populations de pensées des champs (Viola arvensis) avaient été collectées entre 1992 et 2001. Cette espèce était intéressante pour sa capacité de s’autoféconder partiellement et pour son statut de messicole. En effet comme son nom l’indique, on la retrouve dans les champs où le déclin des pollinisateurs est encore plus marqué. En faisant germer et en cultivant ensemble les pensées actuelles et les vieilles graines, leurs ainées d’une vingtaine de générations, il était donc possible de comparer les populations ancestrales des années 90-2000 à leurs descendantes de 2021. Grâce à ce dispositif exceptionnel comprenant 4 paires de populations dispersées dans le Bassin parisien, nous avons pu tester trois questions :

  • le taux d’autofécondation a-t-il changé ?
  • les traits floraux ont-ils évolué ?
  • les pollinisateurs présentent-ils une préférence pour une génération ?

Changement du taux d’autofécondation

La structure génétique des populations renferment des informations sur leur système de reproduction. En analysant le génotype des individus collectés dans la nature, nous avons donc pu, avec Louis Devresse, estimer les taux d’autofécondation réalisés dans les populations. Les taux d’autofécondation ont augmenté dans les quatre populations descendantes, de 25% en moyenne. Cela suggère une diminution de l’intervention des pollinisateurs dans la reproduction des pensées actuelles par rapport à leurs ancêtres.

 

Évolution des traits floraux

En cultivant les populations ancestrales et descendantes en simultané dans les mêmes conditions, on s’affranchit de l’effet des facteurs environnementaux sur leurs traits. Les différences mesurées sont alors dues à leurs différences génétiques. Nous avons mesuré, avec l’aide de Perrine Gauthier et Virginie Pons, une diversité de traits, notamment floraux tels que la la largueur de la fleur, la longueur des sépales ou la quantité de nectar. Les traits floraux ont été mesurés sur cinq fleurs par individus et 100 individus par population. Au final c’est donc près de 4000 fleurs réparties sur 800 individus qui ont été suivies quotidiennement et mesurées manuellement. Les quatre populations actuelles présentaient des fleurs en moyenne 10% plus petites et produisant 20% moins de nectar que leurs ancêtres. En revanche, des traits a priori non impliqués dans les interactions avec les pollinisateurs tels que la biomasse ou la taille des sépales ne montraient aucun changement. Les traits attirants les pollinisateurs ont donc été contre-sélectionnés lors des 30 dernières années, ce qui est cohérent avec un affaiblissement des interactions plante-pollinisateurs.

Préférence des pollinisateurs

Afin de tester si ces changements avaient un effet sur le comportement des pollinisateurs, nous avons réalisé une expérience de choix. Dix plantes d’une population ancestrale et dix plantes de la population descendante correspondante étaient mélangées et présentées à des bourdons. Nous avons observé, avec Antoine Deverge Merdrignac, le comportement des bourdons et enregistré quelles plantes ils visitaient, en réitérant cette opération 7 fois par paire de populations avec de nouvelles plantes à chaque fois. Les bourdons visitaient plus fréquemment les plantes de la population ancestrale que celles de la population descendante. Cela confirme que les pensées actuelles, avec leurs fleurs plus petites et produisant moins de nectar, sont moins attractives que leurs ancêtres.

Dans l’ensemble ces résultats montrent que les pensées semblent désinvestir dans le maintien de l’interaction avec les pollinisateurs, au profit de l’autofécondation. Ce désinvestissement est  présent chez les quatre paires de populations étudiées, probablement en réponse à une diminution généralisée de la pollinisation due au déclin des pollinisateurs. Bien que l’évolution vers l’autofécondation peut paraître une bonne nouvelle pour palier le déclin des pollinisateurs, l’autofécondation complète entraine l’extinction quasi-certaine de la lignée évolutive sur le temps long. De plus, une fois l’autofécondation complète atteinte, il est impossible de revenir en arrière. Cela soulève la question suivante : le point de non retour a-t-il déjà été atteint et avons-nous donc entrainé, par nos choix de société, la perte irréversible d’une interaction vieille de plus de 100 millions d’années entre des plantes et leurs pollinisateurs.