Gwenaëlle Deconninck (Lund University), nommée par Sylvain Pincebourde, a été récompensée pour la qualité du travail valorisé dans l’article suivant :
Deconninck, G., Meyer, N., Colinet, H., & Pincebourde, S. (2025). Thermal preference plasticity in ectotherms: Integrating temperature affinity and thermoregulation precision. The American Naturalist. 206:3, 247-260 https://doi-org.inee.bib.cnrs.fr/10.1086/736575
La signification de l’étude
En tant que chercheur, et apparemment dès le début de sa carrière, il semble commun de se retrouver avec des jeux de données non publiés. Des données de stage, des données de thèse, analysées d’une certaine manière mais qui nous laissent une sensation d’inabouti. Les expérimentations ont été réalisées avec une question en tête, des hypothèses, les résultats sont là, et pourtant il manque quelque chose. Une forme de maturité, une vision, un autre angle, du recul. Je pense que c’est ce qui s’est produit avec cet article.
Les données ont été collectées en 2017 par Nicolas Meyer, alors en stage de M2 co-encadré par Sylvain Pincebourde à l’IRBI (UMR7261, Tours) et Hervé Colinet à EcoBio (UMR6553, Rennes). La question initiale portait sur l’influence de l’historique thermique et des contraintes physiologiques sur la préférence thermique (Tp), avec pour modèle Drosophila melanogaster. Les données générées ont permis de démontrer la plasticité de la Tp puisque toutes les variables étudiées (température d’élevage, stade de vie, statut reproducteur) ont eu un effet. Le rapport de stage est cependant resté dans les tiroirs jusqu’à ce que les données ressortent comme une source d’inspiration pour lancer la plus grosse expérimentation de ma thèse.
L’idée était alors d’aller encore plus loin dans l’étude de la plasticité de la Tp en intégrant d’autres variables et en utilisant l’espèce invasive Drosophila suzukii pour modèle. En me plongeant dans la littérature, j’avais cependant du mal à faire le lien entre la Tp et son implication pour l’organisme. Comment la Tp influence le comportement de thermorégulation ? Ou comment le comportement de thermorégulation peut être déterminé à partir de la Tp ? Peut-il l’être ? Ce sont ces questions qui m’ont amenée à développer une approche différente pour analyser les données de Tp. L’expertise de Sylvain et Hervé et nos discussions ont été essentielles pour construire l’approche conceptuelle développée dans l’article. Mes mesures de la Tp de D. suzukii étant toujours en cours à ce moment-là, j’ai réutilisé les données du stage de Nicolas pour tester cette nouvelle approche.
Dans l’article, nous insistons sur la nécessité d’un changement de paradigme. Les études qui mesurent la Tp sont nombreuses mais les analyses sont souvent restreintes à la moyenne ou à l’étendue (« range ») de la Tp, ce qui limite l’interprétation écologique. Nous proposons d’utiliser non plus seulement la moyenne, qui représente le choix fait par l’individu ou la population, mais de la mettre en relation avec la variance, qui représente la précision de ce choix. En analysant la relation entre la variance et la moyenne de la Tp, se dessinent différentes stratégies de thermorégulation possibles, qui peuvent alors faire sens d’un point de vue écologique. Deux stratégies principales ressortent : « précision aux extrêmes » et « précision à l’optimum ». Dans la première, la relation entre la variance et la moyenne de la Tp produit une courbe en cloche avec une variance faible (précision élevée) aux températures extrêmes et une variance élevée (précision faible) proche de l’optimum. Dans la seconde, la relation est inversée.
En appliquant le concept aux données collectées chez D. melanogaster, nous avons pu montrer que la stratégie de « précision aux extrêmes » était la plus représentée au niveau populationnel, particulièrement chez les adultes. Être capable d’échapper précisément aux températures extrêmes est particulièrement important pour les organismes ectothermes qui ont des courbes de performance thermique asymétriques (l’inégalité de Jensen prédit qu’il est plus dangereux pour l’organisme de dépasser sa température optimale). La thermorégulation comportementale chez les herbivores servirait d’abord à échapper à un excès de chaleur plutôt qu’à chercher une température optimale pour la reproduction par exemple. Un autre résultat intéressant, les larves de D. melanogaster montrent une précision de thermorégulation comportementale importante, suggérant que même au sein de fruits relativement petits, elles sont capables d’éviter des températures extrêmes (précision aux extrêmes) lors des premiers stades larvaires ou d’aller chercher des températures favorables à la pupaison (précision à l’optimum) au stade « wandering ».
L’analyse des stratégies de thermorégulation est pertinente dans le cadre des changements climatiques. Comprendre comment le comportement des organismes change avec les variations de température par exemple, en lien avec la disponibilité en microhabitats, notamment à l’échelle microclimatique, peut permettre d’accéder plus concrètement à la vulnérabilité des organismes. Un organisme peut avoir des limites thermiques restreintes, s’il est capable de trouver des microenvironnements qui lui permettent de se protéger de ces températures délétères, il a plus de chance de survivre qu’un organisme qui n’aurait pas ces capacités.
J’espère bientôt soumettre les résultats obtenus chez D. suzukii avec cette même approche conceptuelle. Les analyses sont maintenant terminées et la complexité des réponses ouvre de nouvelles pistes pour de futures recherches. D’autres données de Tp collectées en Espagne sur plusieurs dizaines d’espèces d’insectes en collaboration avec l’équipe de Cameron Ghalambor (NTNU, Norvège) devraient permettre d’accéder à la variabilité inter-individuelle des stratégies de thermorégulation et de les mettre en relation avec les courbes de performance thermique. Maintenant en post-doctorat à l’Université de Lund (Suède), je compte poursuivre ces travaux sur la thermorégulation comportementale en bénéficiant de l’expertise de Tobias Uller. En changeant de modèle expérimental, des insectes aux reptiles, je souhaite aller plus loin dans des approches comparatives grâce à l’abondance des données disponibles sur les lézards notamment.
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