Diversité floristique et biomasse des ligneux en foret dense humide equatoriale : Le cas de la station forestiere de Mangombe (Cameroun)

Jules Romain Ngueguim

Institut de la Recherche Agricole pour le Développement
Brunoy (France)

njules_romain (at) hotmail.com

Mots clés : Mangombé – Cameroun, station forestière, forêt dense humide, biodiversité, biomasse, gestion durable

Résumé

Une vue de la canopée en station forestière

La station forestière de Mangombé est un ancien site d’expérimentation sylvicole situé en forêt dense humide du Cameroun. Sa flore est peu connue et, donc, sous-estimée. L’objectif de cette étude consiste à évaluer l’état actuel de ce peuplement naturel sur le plan structural, floristique et fonctionnel et d’évaluer le service écologique en termes de carbone stocké dans la biomasse forestière. Ces informations pourront aider les gestionnaires dans le cadre de l’aménagement du site. Les inventaires sont basés sur 65 relevés floristiques itinérants de 20 x 20 m et les mesures de diamètres et hauteurs sont effectuées sur toutes les tiges de diamètre à hauteur de poitrine (Dhp) ≥ 10 cm. Pour l’estimation de la biomasse, la litière, les racines et les ligneux de dhp ≤ 10 cm ont été concidérés.

Au total, 1840 tiges ont été recensées, ce qui correspond à une densité de 708 tiges/ha. Ces tiges se regroupent dans 38 familles, 78 genres et 75 espèces. Les familles les plus importantes par leur valeur d’indice d’importance  écologique (IVI) sont les Olacaceae (44,72), Annonaceae (17,87) et Fabaceae (25,62). Parmi les espèces de ce groupe on a Strombosia scheffleri Engl. (19,46), Coula edulis Baill. (13,45) et Tabernaemontana crassa Benth. (10,84). L’indice de diversité générique (IG = 1,16), le spectre des familles et l’indice de Shannon (Ish = 5,52) montrent que cette flore est diversifiée. L’Analyse Factorielle de Correspondance présente une opposition entre les relevés floristiques constitués de jeunes tiges ayant une densité de peuplement importante et une forte diversité spécifique à ceux présentant une canopée haute et une surface terrière importante ; ce qui est révélateur d’une régénération vigoureuse. La biomasse et le carbone sont estimés à 657 t/ha et 328,52 tC/ha ; les Olacaceae ont la proportion la plus importante (39,54%). L’apport en biomasse des autres fractions, comme les racines (21,82 t/ha), les petites tiges à dhp ≤ 10 cm (3,35 ± 0,40 t/ha) et la litière (3,09 t/ha) ne sont pas négligeables.

La forêt naturelle étudiée est constituée d’une mosaïque de formation végétale d’âge divers, avec une composition floristique et architecture variables qui mettent en évidence le rôle joué par les pressions anthropiques dans la distribution spatiale de nombreux taxons et des associations végétales. La biomasse ligneuse se situe dans l’ordre de grandeur des forêts tropicales, cela suggère que la station peut jouer un rôle important dans le cadre du marché du carbone. Les revenus issus de ce mécanisme peuvent être réinvestis à la gestion et conservation du site. La restauration du couvert forestier peut se faire naturellement par une mise en défens au regard du large spectre de distribution écologique des espèces étendue à la région Guinéo congolaise, de la structure du peuplement régulière et déficitaire en gros arbres et de l’importance des animaux pour la dispersion des diaspores. Il faudra pour cela des pas de temps important avant que la forêt ne retrouve sa structure et ses fonctions originelles.

Justifications

La station forestière de Mangombé crée dans les années 60 fait partie des nombreux sites d’expérimentations sylvicoles développées au Cameroun en zone de forêt dense humide. Son établissement fut précédé d’une exploitation sélective de bois d’œuvre de haute valeur commerciale sur environ 100 000 ha de forêt, suivi de l’installation des plantations d’arbres sur quelques centaines d’hectares. L’arrêt des activités de recherche dans le site, au départ du Centre Technique Forestier Tropical (CTFT) (en 1975) qui appuyait le Cameroun dans la recherche forestière n’a pas permis de capitaliser l’ensemble des connaissances écologiques sur les fonctions de la forêt et la sylviculture des essences de bois d’œuvre. Aujourd’hui, la prise de conscience du rôle des forêts et l’adhésion du Cameroun à diverses conventions Réduction de la Déforestation et Dégradation des forêts (REDD1) et le Mécanisme de Développement Propre (MDP2) a accru l’attention à l’égard des forêts et emmènent à s’interroger sur le devenir des stations forestières. Leur aménagement nécessite de définir les objectifs de gestion et d’organiser cette gestion. Les informations contenues dans ce travail porte uniquement sur la forêt naturelle non plantée, elles sont susceptibles d’orienter le gestionnaire du site sur le type de gestion à envisager pour maintenir la biodiversité et les services éco systémiques dérivés tout en conciliant les besoins des populations riveraines et l’économie du marché de bois.

Méthodes

Inventaire dans la station forestière de Mangombé

Etude floristique et structurale de la régénération naturelle des ligneux. Les inventaires floristiques et les études des groupements végétaux sont indispensables pour toute activité de recherche sur la biodiversité végétale et la mise en place d’un plan de gestion et de conservation de la station (Reitsma, 1988 ; Richard, 1991 ; Riera et al., 1998). Les inventaires floristiques ont été effectués à l’aide de 65 relevés de 20 x 20 m disséminés dans le site. Les conventions de matérialisation des relevés et de localisation des arbres sont celles décrites par Dallmeier et al. (1992) et Kuebler (2006). Les inventaires et mesures concernent le diamètre et la hauteur des ligneux ayant un diamètre à hauteur de poitrine (dhp) supérieur ou égal à 10 cm.

Estimation de la biomasse des tiges à dhp ≥ 10 cm. Compte tenu de la diversité spécifique parfois élevée en milieu de forêt dense humide, il n’existe pas d’équations de régression spécifique à chaque espèce, comme c’est le cas en milieu tempéré (Brown & Schroeder, 1999; Fays, 2008). Quand bien même elles existeraient, elles sont construites à base d’effectif réduit, avec très peu d’arbres de grands diamètres. L’estimation de la biomasse des arbres empruntera l’équation allométrique de Chave et al. (2005) par ce qu’elle est construite à partir d’un échantillon important de 2410 arbres récoltés dans 27 sites tropicaux.

B = d x exp [- 1,499 + 2,148 ln (dhp) + 0,207 (ln(dhp))2 – 0,0281 (ln(dhp))3]

avec d : densité du bois (g/cm3 ou kg/cm3 ; dhp : diamètre à hauteur de poitrine (cm)

Les données sur la densité des espèces sont obtenues dans la littérature (Brown, 1997; www. Worldagroforestry.org/sea/Products :AFDbases). L’équation d = 0,0134 + 0,800 X est utilisée pour calibrer les densités estimées à 12% d’humidité (Brown, 1997).

Marquage de jeunes tiges dans la station forestière de Mangombé. Le sous bois assez touffu, est révélateur d’un milieu perturbé

Estimation de la biomasse des tiges à dhp < 10 cm. La méthode destructive a été utilisée pour l’estimation de la biomasse des arbres à dhp < 10 cm. Un total de 20 relevés de 20 x 20 m a été choisi au hasard. L’on y a installé aléatoirement des quadras de 1 m², soit 10 quadras par relevé et au total 200 quadras. Dans ces quadras, tous les arbustes de dhp < 10 cm sont collectés. Ces spécimen sont coupés à ras du sol et conservés dans des sacs, puis transportés au laboratoire, où ils sont séchés à l’étuve jusqu’à poids constant puis pesés à l’aide d’une balance électronique portative de 0,01 g de précision.

Estimation de la biomasse de la litière. n ensemble de 100 quadras ayant servi à la récolte des tiges de dhp < 10 cm a été retenu au hasard. Dans chaque quadra un filet de 0,5 x 0,5 m est installé pour la collecte de la litière, soit au total 100 filets. La litière collectée est séchée au laboratoire à température constante dans les enveloppes et le poids sec est mesuré.

Biomasse hypogée : La biomasse hypogée porte essentiellement sur les racines et radicelles. L’estimation procède par la collecte des blocs de sol dans des carrés de 20 x 20 cm et 60 cm de profondeur installés dans 100 quadras. Ces échantillons de sol sont prélevés respectivement à 10 cm, 30 cm et 60 cm dans le sol. Les échantillons de sol sont ensuite séparés des racines par la méthode de lavage dans les bassines. Un tamis suffisamment fin va permettre de trier les racines moins denses que l’eau qui flottent en surface. Ces échantillons vont être empaquetés puis séchés jusqu’à poids constant et pesés. Le carbone est estimé en multipliant la biomasse par une constante 0,58 et la somme du carbone des différents échantillons représente le carbone total.

Résultats et discussions

La végétation en station forestière de Mangombé est riche et diversifiée comme l’indique : le nombre d’espèces (91 espèces) ; l’indice de Shannon (5,52), la faible valeur du coefficient générique (1,16) et la prépondérance des familles et genres mono spécifiques. Cette richesse spécifique est aussi importante que celle de nombreux sites de forêt dense humide du Cameroun comme la réserve de biosphère du Dja (372 espèces) (Sonké, 2004)  et la forêt de Ngovayang au sud du Cameroun (293 espèces) (Gonmadje et al., 2011). Les courbes aires-espèces et de raréfaction ont été recommandées par Vandermeer et al. (2000) ; Gotelli et al. (2001) pour apprécier et comparer la richesse spécifique des communautés végétales. Celles de Mangombé ne sont pas stabilisées, ce qui indique que des inventaires supplémentaires sont susceptibles d’accroître les effectifs des espèces. Il faut cependant noter comme le relève Wilson (1992) que dans les milieux perturbés, les espèces peuvent se former rapidement et la biodiversité peut augmenter de façon explosive ; mais de telles espèces ne s’insèrent pas solidement et durablement dans les communautés où elles sont apparues.

Jeune tige de uapaca guineensis

Dans la station forestière, de nombreuses espèces que l’on retrouve dans les strates dominantes on des affinités avec les milieux anthropisés, c’est le cas par exemple de : i) Canarium schweinfurthii Engl. dont l’aire de distribution en Afrique centrale est très vaste, elle s’étend jusque dans la zone soudano-guinéenne en passant par les galeries forestières où l’espèce peut paraître abondante. C’est une espèce des formations primaires de type équatoriale humide, susceptible de vivre dans divers types de milieu ; ii) Afzelia pachyloba Harms caractérisée par les petites folioles se retrouve particulièrement en forêt secondaire sur d’anciens défrichements ; iii) Pycnanthus angolensis (Welw) Warb se rencontre dans les forêts de toute la partie occidentale de l’Afrique, de la Guinée à l’Angola ainsi que dans la partie centrale du Congo jusqu’à l’Ouganda. Sur cette aire très vaste, cette espèce est disséminée dans les formations primaires de type équatorial humide, mais elle est beaucoup plus abondante sur les anciens défrichements abandonnés. C’est une essence de lumière typiquement un arbre de l’étage dominant des vieilles forêts secondaires ; iv) Triplochiton scleroxylon K. Schum est caractéristique de forêt dense tropicale, c’est une essence de lumière qui envahit les formations secondaires ; tandis que Aucoumea klaineana Pierre est une essence de pleine lumière, caractéristique de forêt équatoriale d’origine secondaire. Il forme des peuplements naturels presque purs sur les plantations abandonnées et se régénère facilement dans les parcs à bois d’anciens chantiers d’exploitation forestière. Cette espèce est abondante sur les confins de la grande forêt où elle reste disséminée et se régénère mal. L’aire de distribution de cette espèce est restreinte, confinée au Gabon et en partie en Guinée et au sud du Congo. Elle est plus fréquente dans la région côtière ce qui laisse supposer que son centre de dispersion était sur les terres colmatées et exondées des alluvions deltaïques et lacustre du Gabon maritime. Ces observations confirment les remarques d’Aubréville (1938) au sujet des perturbations anthropiques anciennes de la forêt littorale du Cameroun, qui ont pour conséquence l’extension de la forêt à Lophira alata et Sacoglottis gabonensis (Letouzey, 1957 ; 1968).

L’indice d’importance écologique nous permet d’avoir une représentation générale de la composition des peuplements en fonction des espèces dominantes. Un nombre réduit d’espèces ont une contribution importante dans l’IVI, ce qui peut indiquer que l’exploitation du bois qui a été sélective sur le site puisqu’elle n’a prélevé que les grands arbres sur un nombre restreint d’espèces a affecté la composition spécifique de la forêt et le processus de reconstitution du milieu naturel par amélioration de l’importance des espèces moins prisées. Cette situation peut aussi être le fait de la pauvreté des sols. Parmi les modes de dissémination des diaspores observés, la zoochorie est le plus important, elle concerne plus de 70% des effectifs.

La biomasse ligneuse totale du site de Mangombé et le carbone sont estimés à 657 t/ha et 328,52 tC/ha. La famille des Olacaceae détient la proportion la plus importante (39,54%). L’apport en biomasse des racines est estimé à 21,82 t/ha. La biomasse racinaire décroît avec le gradient de profondeur et a tendance à se concentrer à moins de 20 cm de profondeur où les racines bénéficient des nutriments issus de la décomposition de la litière. La biomasse des petites tiges à dhp ≤ 10 cm (3,35 ± 0,40 t/ha) et celle de la litière (3,09 t/ha) sont faible mais pas négligeables. Les valeurs élevées de biomasse des arbres à dhp ≥ 10 cm sont dues à quelques grands arbres dont les diamètres sont supérieurs à ceux exploités pour développer les équations de prédiction de biomasse utilisées. Ces valeurs sont supérieures à la valeur moyenne des forêts tropicales humides définit par Brown et al. (1989) et Nykvist (1998).

 Conclusion

La station forestière de Mangombé peut être assimilée à une vieille forêt secondaire en phase de maturation. Elle est riche et diversifiée et la biomasse ligneuse se situe dans l’ordre de grandeur des forêts tropicales, cela suggère que la station peut jouer un rôle important dans le cadre du marché du carbone. La restauration du couvert forestier de Mangombé, peut se faire naturellement par une mise en défens au regard du large spectre de distribution écologique des espèces étendue à la région Guinéo congolaise, de la structure du peuplement régulière et déficitaire en gros arbres et de l’importance des animaux pour la dispersion des diaspores. Il faudra pour cela des pas de temps important avant que la forêt ne retrouve sa structure et ses fonctions originelles. Ces délais dépendent de l’intensité et de la récurrence des perturbations, du comportement de toutes les espèces et des interactions entre elles et leur milieu. Les revenus issus du mécanisme de développement propre et du marché du carbone peuvent être réinvestis à la gestion et conservation du site et pérenniser les atouts socioculturels, écologiques et économiques sur le long terme.