Tribune
Pour un engagement collectif et militant
des scientifiques de l’écologie et de l’évolution

L’avenir de l’humanité et de nombreux autres êtres vivants est aujourd’hui menacé par les changements globaux, et l’actualité en fait malheureusement chaque jour une réalité plus tangible. Ces observations font l’objet d’un consensus international, appuyé encore une fois par les derniers rapports de l’IPBES [1] et du GIEC [2]. De nombreux appels de scientifiques, aux niveaux nationaux [3] et internationaux [4,5,6,7,8, 9] affirment la nécessité de changements rapides et profonds de nos sociétés [2] dans le but de limiter l’impact de nombreuses activités humaines sur la biodiversité et le climat. Or, la couverture médiatique dont font l’objet les crises planétaires reste trop partielle et parfois partiale, ne présentant que trop imparfaitement l’état des connaissances scientifiques. Les manques sont particulièrement criants en ce qui concerne la crise de la biodiversité [10] provoquée par des pressions anthropiques bien identifiés (destruction et dégradation des habitats, pollutions, exploitation des espèces, etc.) [1], et dont les conséquences sont amplifiées par la crise climatique. Cette carence entrave la pleine compréhension par les citoyennes et citoyens des conséquences des changements planétaires sur le vivant et sur nos modes de vie. Elle entrave les changements de société profonds à engager par le monde politique et facilite, au contraire, le jeu des groupes d’influence porteurs des intérêts du système économique à l’origine de la crise environnementale.

Le manque d’action efficace de la part des pouvoirs publics pour résoudre la crise environnementale, voire leur résistance aux changements nécessaires, encouragent une défiance grandissante envers nos systèmes de gouvernance. Le gouvernement français a d’ailleurs été condamné en 2021 pour inaction climatique par sa plus haute juridiction [11,12]. De plus, la double posture incarnée par l’Etat dans l’affaiblissement voire le mépris des propositions nées de processus démocratiques qu’il a lui-même commandités, comme celles proposées par la Convention Citoyenne pour le Climat [13,14], ajoute de l’indignation à la déception. Alors que nos possibilités de projection dans un avenir commun, – national et international –, plus équitable, démocratique et respectueux de l’environnement s’amenuisent, ces irrévérences politiques alimentent une inquiétude légitime et une colère croissante d’une partie du monde scientifique et des citoyen.nes.

La somme de données toujours croissante fournie par la recherche sur la gravité de la situation, la conscience aigüe des changements de société qu’elle impose d’urgence, et la relative inertie qu’ils perçoivent face aux évidences qui s’accumulent poussent un nombre croissant de collègues à engager leur responsabilité de scientifiques en apportant leur expertise auprès des collectifs militants qui luttent en faveur de l’environnement. Cela s’accompagne de changements profonds au sein du monde académique encourageant des révisions critiques des pratiques de recherche [15], du modèle pédagogique de l’enseignement supérieur [16], et suscitant des questionnements nouveaux pour pouvoir accompagner au mieux les transformations d’un monde à venir aux contours de plus en plus incertains.

La Société Française d’Écologie et d’Évolution (SFE2) soutient de telles initiatives. Elle appelle également à les élargir par une mobilisation grandissante de la communauté scientifique afin qu’elle partage ses connaissances et son expertise et contribue pleinement à la mise en place de réponses politiques et socio-économiques concrètes et adaptées aux défis posés par les crises environnementales. Cette mobilisation collective se traduit par des engagements impliquants nos équipes, nos salles de classes, nos laboratoires et nos assemblées, via des formes d’engagements plurielles et complémentaires [17]. Elles comprennent l’animation de groupes de recherche impliqués travaillant sur des problématiques liées aux enjeux environnementaux [19,20], la participation à des manifestations, l’organisation de conférences de rue, la sensibilisation dans les médias [20,21], la publication de tribunes [3,23], des prises de parole publiques lors d’actions militantes, la dénonciation de politiques destructrices de l’environnement, et la participation à des actions de désobéissance civile non-violente [24,25,26]. Tous ces modes d’action sont légitimes et justifiés par l’urgence et l’ampleur des défis posés à la viabilité de la terre pour les humains et de nombreux êtres vivants.

La communauté scientifique rassemblée autour de la SFE2 déclare que la plupart des engagements militants individuels et/ou collectifs des citoyennes et citoyens autour de la crise de la biodiversité sont cohérents avec les consensus scientifiques internationaux. Elle affirme donc son soutien à nos collègues scientifiques engagé.es, qui agissent en accord avec leurs connaissances. Ils renforcent la crédibilité scientifique des actions dans lesquelles ils ou elles sont impliqué.es ainsi que le débat démocratique au sein de la société.

La Société Française d’Ecologie et d’Evolution

Bibliographie
[1] Global Assessment Report on Biodiversity and Ecosystem Services, 2019. https://ipbes.net/global-assessment
[2] IPCC. 2021. “Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change.” In Cambridge University Press. https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/.
[3] L’appel de 1 000 scientifiques : « Face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire ». 20 février 2020. Le Monde: https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/20/l-appel-de-1-000-scientifiques-face-a-la-crise-ecologique-la-rebellion-est-necessaire_6030145_3232.html
[4] Ripple W.J., Wolf C., Newsome T.M., Galetti M., Alamgir M., Crist E., Mahmoud I.M., Laurance W.F. & 15,364 scientist signatories from 184 countries (2017) World Scientists’ Warning to Humanity: A Second Notice, BioScience, 67:1026–1028. Doi : 10.1093/biosci/bix125
[5] Un appel à agir urgemment pour limiter le changement climatique et inverser la perte de biodiversité, de la part des Sociétés Savantes d’Écologie et d’Évolution, représentant 20 000 écologues: https://www.sfecologie.org/actions/positions/climat_biodiversite/
[6] Gardner, C. J., Wordley, C.F.R. Scientists must act on our own warnings to humanity. Nat Ecol Evol 3, 1271–1272 (2019). Doi : 10.1038/s41559-019-0979-y
[7] Gardner C. J., Bullock J. M., In the Climate Emergency, Conservation Must Become Survival Ecology (2021). Frontiers in Conservation Science. Doi : 10.3389/fcosc.2021.659912.
[8] Gardner CJ, Thierry A, Rowlandson W and Steinberger JK (2021) From Publications to Public Actions: The Role of Universities in Facilitating Academic Advocacy and Activism in the Climate and Ecological Emergency. Front. Sustain. 2:679019. Doi : 10.3389/frsus.2021.679019
[9] motion du Congrès joint de la SFE², GfÖ et EEF, Metz novembre 2022 https://sfe2gfomeeting.sciencesconf.org/data/pages/Motion_following_SFE2_GfO_EEF_Metz_1.pdf
[10] Legagneux P, Casajus N, Cazelles K, Chevallier C, Chevrinais M, Guéry L, Jacquet C, Jaffré M, Naud M-J, Noisette F, Ropars P, Vissault S, Archambault P, Bêty J, Berteaux D and Gravel D (2018) Our House Is Burning: Discrepancy in Climate Change vs. Biodiversity Coverage in the Media as Compared to Scientific Literature. Front. Ecol. Evol. 5:175. Doi : 10.3389/fevo.2017.00175
[11] Réchauffement climatique : l’État condamné pour préjudice écologique. 21 octobre 2021. https://www.vie-publique.fr/en-bref/282012-changement-climatique-la-france-condamnee-pour-prejudice-ecologique
[12] L’État français condamné pour inaction climatique : ce que ça change. Margot Hinry. 7 novembre 2021. National geographic. https://www.nationalgeographic.fr/environnement/laffaire-du-siecle-letat-francais-condamne-pour-inaction-climatique-ce-que-ca-change
[13] La convention citoyenne pour le climat juge sévèrement la prise en compte de ses propositions par le gouvernement. 28 février 2021. Le monde, avec AFP. :https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/02/28/la-convention-citoyenne-pour-le-climat-juge-severement-la-prise-en-compte-de-ses-propositions-par-le-gouvernement_6071474_823448.html
[14] Avis de la convention citoyenne pour le climat sur les réponses apportées par le gouvernement
à ses propositions, rapport technique, mars 2021 – https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/wp-content/uploads/2021/03/CCC-rapport_Session8_GR-1.pdf
[15] Léo Coutellec (2015). La science au pluriel. Essai d’épistémologie pour des sciences impliquées. Éditions Quae.
[16] Rapport « Sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique dans l’Enseignement supérieur». Le groupe de travail présidé par Jean Jouzel a remis à Frédérique Vidal le 16 février 2022. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/sensibiliser-et-former-aux-enjeux-de-la-transition-ecologique-dans-l-enseignement-superieur-83888
[17] Racimo, Fernando, Valentini, Elia, Rijo De León, Gaston, Santos, Teresa L., Norberg, Anna, Atmore, Lane M., Murray, Myranda, Hakala, Sanja, Appel Olsen, Frederik, Gardner, Charlie J., & Halder, Julia B. (2022). The Role of Life Scientists in the Biospheric Emergency: A Case for Acknowledging Failure and Changing Tactics. Zenodo. Doi : 10.7554/eLife.83292.
[18] Collectif Labos 1point5. https://labos1point5.org/
[19] Ecopolien : Atelier d’écologie politique francilien. Groupe universitaire d’écologie politique. https://ecopolien.hypotheses.org/
[20] Atelier d’écologie politique Atécopol. https://atecopol.hypotheses.org/
[21] Présages #39 – Valérie Masson-Delmotte : Dérive climatique et responsabilité. https://www.presages.fr/blog/2021/valerie-masson-delmotte
[22] La terre du carré. Alerter sur l’extinction du monde vivant. 9 juin 2022. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-jeudi-09-juin-2022-9777289
[23] Face à la crise climatique, « ne nous trompons pas de coupables » : des scientifiques défendent leurs collègues arrêtés en Allemagne. 04 novembre 2022. https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/crise-climatique/tribune-face-a-la-crise-climatique-ne-nous-trompons-pas-de-coupables-des-scientifiques-defendent-leurs-collegues-arretes-en-allemagne_5455456.html
[24] Scientist Rebellion. https://scientistrebellion.com/
[25] Scientifiques en rébellion. https://rebellionscientifiques.wordpress.com/
[26] Capstick, S., Thierry, A., Cox, E. et al. Civil disobedience by scientists helps press for urgent climate action. Nat. Clim. Chang. 12, 773–774 (2022). https://doi.org/10.1038/s41558-022-01461-y