La Société Française d’Ecologie et d’Evolution (SFE2) vous propose ce Regard-essai (RO21) de Marc Barra, écologue à l’Agence régionale de la biodiversité en Île-de-France, sur l’écologie urbaine.

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De la « nature en ville » à l’écologie urbaine :
quand l’écologie réinterroge
les fondamentaux de l’urbanisme

Marc Barra

Écologue à l’Agence régionale de la biodiversité en Île-de-France, Institut Paris Region
Regard RO21, édité par Anne Teyssèdre

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Mots-clés : villes, écologie urbaine, urbanisme, solutions avec la nature, nature en ville,
fabrique urbaine

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Introduction

Longtemps éloignés des villes, les écologues et les naturalistes occupent désormais une place plus importante dans l’élaboration des politiques urbaines, au côté des paysagistes dont le métier a fortement évolué ces dernières années. Ensemble, ils tentent d’instaurer une nouvelle culture de l’urbanisme qui ne vise plus seulement à « verdir » la ville mais à appliquer les principes de l’écologie urbaine et sortir des effets de modes ou solutions standardisées. Ce nouveau cadre de pensée parait indispensable alors que l’on assiste à un déclin et une homogénéisation du vivant dans la plupart des milieux, dont les villes. A travers des exemples en Île-de-France et dans d’autres régions, cet article revient sur l’évolution des pratiques et les défis pour une approche plus écologique de l’urbanisme.

Du paysagisme à une approche écologique du paysage

En France, les Écoles du paysage ont véhiculé une image maîtrisée et ornementale de la nature, principalement centrée sur le végétal, au détriment des autres dimensions du vivant (animaux, champignons, interactions entre espèces…). Pour le grand public, l’embellissement et le fleurissement sont longtemps restés la norme, à travers le jardin à la française, le gazon, les plantations mono-spécifiques. Des espaces qui n’ont de vert que la couleur, conçus pour leurs aspects esthétiques et dépendants d’une gestion intensive (productions horticoles, terre végétale, engrais, énergie, irrigation). Le terme même « d’espace vert » a-t-il encore un sens aujourd’hui ? (Voir l’encart n°1.)

A l’image de Gilles Clément, biologiste et jardinier à l’origine des concepts de « jardin en mouvement » et de « tiers paysage », de nombreux paysagistes ont ouvert la voie en France à une nouvelle ère rapprochant le monde du paysage de celui de l’écologie scientifique. L’évolution la plus marquante concerne sans doute les pratiques d’entretien : la plupart des collectivités sont aujourd’hui formées à la gestion écologique et différenciée, qui consiste à faire un compromis entre l’entretien relativement strict des espaces publics et la gestion naturaliste des réserves (Flandin & Parisot, 2016).

Fig.1 : Vue du jardin Royal, Toulouse
(cliché A. Teyssèdre, 2021)

Dans la pratique, la frontière entre paysagistes et écologues s’estompe progressivement [1] : les espaces végétalisés se diversifient, le choix des végétaux n’est plus seulement guidé par l’esthétisme mais privilégie l’adaptation locale, les connaissances naturalistes s’affirment et les interactions avec la faune, le sol et les conditions environnantes sont davantage prises en compte. En région parisienne, la richesse végétale des interstices urbains a augmenté de plus de 90 % entre 2008 et 2015 (Muratet et al., 2016), signe probable de l’abandon progressif du désherbage chimique des espaces urbains et d’une plus grande tolérance envers la végétation spontanée.

En 2017, l’interdiction d’utiliser des produits phytosanitaires de synthèse marque un tournant dans l’évolution des pratiques et l’acceptation de la flore spontanée sur l’espace public à l’échelle nationale. Dans le même temps, la communauté scientifique se fait plus visible : elle met à disposition des connaissances, des principes et vulgarise l’écologie urbaine auprès des acteurs de la ville (cf. Encart n°2). Dans le Manuel d’écologie urbaine (2019), Audrey Muratet et François Chiron analysent ce rapport entre la ville et le vivant et proposent plusieurs clés de lecture afin de comprendre le fonctionnement de la biodiversité urbaine. Dans son dernier ouvrage collectif, Urbanisme écologique (2020), Philippe Clergeau invite quant à lui à placer les processus écologiques et la biodiversité au cœur du projet urbain. Les collectivités, longtemps attachées au « verdissement », s’engagent progressivement dans des stratégies de reconquête de la biodiversité, en s’appuyant sur des dispositifs et structures compétentes en écologie urbaine (cf. Encart n°3).

[1] Le parcours Master 2 « Approche écologique du paysage », fruit d’un partenariat entre l’Université Paris-Saclay et l’École Du Breuil, vise à former de futurs écologues-paysagistes capables de concevoir et gérer des projets de paysage urbains avec la maîtrise des outils de l’ingénierie écologique et de l’ingénierie urbaine : https://www.ecoledubreuil.fr/formations/master2-approche-ecologique-du-paysage-niveau-7/


Encart n°1 : Doit-on encore parler d’espaces verts ?

La circulaire du 22 février 1973 définit les espaces verts de manière très large : parcs, jardins, squares, plantations d’alignement et arbres d’ornement intramuros, de même que les bois, forêts, espaces naturels et ruraux périurbains. En écologie, le terme d’espaces verts est considéré comme réducteur car il ne reflète pas la diversité des espaces non bâtis ni leur intérêt pour le vivant. Il renvoie à l’imaginaire du gazon, de l’ornement et des jardins horticoles conçus pour leurs aspects esthétiques et dont les modes de conception et de gestion peuvent parfois nuire à la biodiversité. Certains auteurs lui préfèrent le terme d’espaces végétalisés, qui englobe les mêmes types d’espaces (terrains non encore bâtis, végétalisés ou arborés, boisés ou agricoles) mais insiste davantage sur leurs composantes végétales (là où les espaces verts sont considérés comme faisant office d’aménagement pour la population). D’autres auteurs utilisent enfin le terme d’espaces de nature en ville, qui ne se limitent pas au végétal et reflètent une diversité dans la composition de ces espaces et leurs qualités variables pour la biodiversité.

Fig.2 : Square et jeux sous les arbres, Toulouse
(cliché A. Teyssèdre, 2021)

Aucune de ces définitions n’est parfaite et il semble nécessaire d’insister sur la composition de ces espaces en termes de faune, de flore, de fonge et d’habitats, voire d’utiliser un vocabulaire spécialisé pour les décrire (prairie urbaine, boisement, espace cultivé, jardin en gestion extensive, etc.). Plusieurs collectivités s’attachent aujourd’hui à évaluer la qualité écologique de leurs « espaces verts » à travers plusieurs critères tels que la diversité en espèces et habitats, la surface continue de l’espace, la structure et composition de la végétation, la connectivité avec d’autres espaces adjacents et enfin la gestion (régime de tonte, intrants, naturalité*).


Encart n°2 : Qu’est-ce que l’écologie urbaine ?

Fig.3 : Les rives du Tarn à Albi
(cliché A. Teyssèdre, 2021)

Celle-ci peut être vue comme la branche (sous-discipline) de l’écologie scientifique qui étudie les écosystèmes urbains et cherche à comprendre la dynamique, l’évolution et les caractéristiques de la biodiversité dans les villes et villages. L’écologie urbaine s’inscrit dans une approche multidisciplinaire pour comprendre les interactions entre humains et non humains dans les villes. Elle s’appuie non seulement sur les sciences de la Nature (sciences de la Terre et de la Vie) mais aussi sur les sciences sociales comme la sociologie, la démographie, la géographie, l’économie et l’anthropologie. Les racines de l’écologie urbaine remontent aux années 1950 avec la Berlin school of urban ecology (Sukopp) et la Chicago School of urban ecology (Park, Burgess, McKenzie). L’écologie urbaine est un domaine en pleine expansion qui rapproche les écologues des acteur.ice.s de la ville (urbanistes, paysagistes, architectes) et vise à élaborer des méthodes et des solutions pour concevoir des villes plus favorables au vivant.


Encart n°3 : Le dispositif Capitale Française de la Biodiversité

Depuis 2010, l’opération Capitale Française de la Biodiversité, portée par l’Office Français de la Biodiversité, Plante & Cité et animée par l’Agence régionale de la biodiversité en Île-de-France avec de nombreux partenaires, est un bon thermomètre de la richesse des initiatives sur la nature en ville. Après 12 ans d’existence, ce sont plus de 55 lauréats, une centaine d’ateliers organisés partout en France, 90 visites de terrain et plus de 500 actions exemplaires disponibles (cf. http://www.capitale-biodiversite.fr/). Au-delà du partage d’expérience, ce dispositif met en lumière une diversité d’actions dans les collectivités et une approche plus transversale de la biodiversité : intégration dans les documents d’urbanisme, dans l’aménagement et le bâti, formation des agents et implication des citoyens. Au fil du temps, l’implication des écologues et des naturalistes dans le processus de fabrique urbaine s’affirme, ceux-ci étant intégrés directement dans les équipes municipales ou mandatés via des associations, bureaux d’études ou indépendants.


 

Le risque de l’industrialisation et du marketing de la nature en ville

Le succès pour la « nature en ville » s’accompagne inévitablement d’effets de mode, de fausses bonnes idées, voire de greenwashing. La multiplication des ruches en ville en est le symbole, faisant fi des alertes naturalistes sur les risques d’une surdensité d’Abeilles domestiques (Apis mellifera), au détriment des populations d’insectes pollinisateurs sauvages par concurrence pour l’accès à la ressource florale (Ropars et al., 2019). « Sauver les abeilles » nécessite avant tout de protéger ou restaurer une diversité d’habitats favorables aux pollinisateurs (prairies urbaines, haies, milieux terricoles, etc.). Il en va de même pour la multiplication des hôtels à insectes ou autres abris à faune, dont la conception peut s’avérer sans rapport avec les besoins des espèces ciblées.

Si ces aménagements ont indéniablement une fonction pédagogique, ils ne constituent pas toujours des aménagements vertueux pour le développement et le maintien d’une biodiversité fonctionnelle. Plusieurs villes font actuellement marche arrière et privilégient la restauration d’habitats pour les pollinisateurs, à l’image de la ville de Lille, qui a créé un réseau de sites de nidification pour les espèces liées aux sols sableux et argileux, à partir de l’inventaire des dernières populations identifiées [2].

Dernier phénomène en date, les micro-forêts urbaines dites « Miyawaki » se sont multipliés un peu partout en Europe. Cette méthode, inspirée du botaniste japonais Miyawaki consiste à réaliser des plantations denses de diverses essences d’arbres (3 à 7 au m²), sur une surface généralement inférieure à 1 hectare. Suscitant un véritable engouement auprès des municipalités et des citoyens, ces nouvelles forêts « pousseraient 10 fois plus vite », « accueilleraient 20 fois plus de biodiversité » et seraient « 30 fois plus denses » que les forêts naturelles. Cette approche, séduisante sur le papier, est décriée par plusieurs scientifiques qui déplorent un risque de mortalité élevée des plantations, des objectifs imprécis et une évaluation des bénéfices peu rigoureuse (en l’absence de protocole expérimental standardisé) [3]. Les techniciens pointent quant à eux le coût parfois délirant de ces plantations.

Fig.4 : Jeune forêt de chênes plantée le long de la Grande Muraille de Chine, selon le projet Miyawaki (Source : Snowyowls, CC BY 2.0, 2005)

Si l’on ne peut reprocher aux collectivités de vouloir planter des arbres, ce type d’opération doit s’ancrer dans le contexte local et prendre des formes plus variées. Créer des haies champêtres, des bosquets, étendre une forêt relictuelle, ou simplement laisser s’exprimer des boisements sauvages qui ne nécessitent aucune intervention humaine, ne coûtent rien et peuvent se constituer en forêt mature au fil du temps [4]. Ce phénomène de standardisation des solutions à travers de nombreuses villes a été décrit par des chercheurs sous le terme de blandscaping (Connop, 2018), autrement dit ces aménagements « copiés-collés » dans différentes régions urbaines du monde, qui utilisent les mêmes méthodes de conception, les mêmes espèces, et sont souvent développés de manière industrialisée accompagnée d’un marketing intense pour répondre au besoin de leur commercialisation.

[2] http://www.capitale-biodiversite.fr/experiences/restauration-des-populations-dabeilles-sauvages-terricoles

[3] https://theconversation.com/methode-miyawaki-pourquoi-les-microforets-ne-sont-pas-vraiment-des-forets-155091

[4] https://www.canopee-asso.org/les-plantations-miyawaki-ou-lillusion-dune-nature-maitrisee/

Du verdissement des villes à l’ingénierie écologique

A l’opposé des solutions standardisées, d’autres approches plus adaptées aux contextes locaux peuvent être imaginées. L’ingénierie (ou le génie) écologique correspondent à cette philosophie de « conception d’aménagements adaptatifs, multifonctionnels, inspirés de, ou basés sur, les mécanismes qui gouvernent les systèmes écologiques (auto-organisation, diversité, structures hétérogènes, résilience) » (Abbadie et al., 2015). En ville, ce courant s’est largement développé par l’intermédiaire du génie végétal pour lutter contre l’érosion des berges ou l’instabilité des talus (Frossard, P.A., Evette, A., 2009). Le champ d’application concerne aussi la réouverture des cours d’eau enfouis ou canalisés, la conception ou la restauration de zones humides à vocation hydraulique, de phyto-épuration ou paysagère, la reconstitution de sols fertiles à partir de sous-produits urbains (technosols).

A la différence des approches fondées exclusivement sur le paysage, l’ingénierie écologique est centrée sur les exigences des espèces et leurs besoins (surfaces d’habitats, connectivité, complexité des réseaux trophiques). Elle privilégie l’utilisation d’espèces locales, en s’appuyant par exemple sur la marque Végétal local® créée en 2015 pour garantir la provenance locale d’espèces de fleurs sauvages, d’arbres ou d’arbustes dans une des onze biorégions définies en France métropolitaine, avec une diversité génétique locale et un renouvellement régulier des semences. Là où les méthodes traditionnelles dépendent du « décapage » des terres agricoles, c’est-à-dire du retrait de la couche superficielle de terre dite végétale (humus) sur une trentaine de centimètres, l’ingénierie écologique tente de restaurer la fonctionnalité des sols in situ à partir des ressources locales : utilisation de compost, introduction de vers de terre ou mycorhizes*, dépollution par les plantes (phytoremédiation)… En 2008, l’association Plante & Cité a estimé à 3 millions de m3 le volume de terres végétales utilisé en France pour des besoins urbains (Vidal-Beaudet, 2018).

Fig.5 : Réouverture du Petit Rosne à Sarcelles (95), un exemple d’ingénierie écologique (Cliché Eric Chanal, SIAH ).

En matière d’architecture, ces principes peuvent être déclinés pour repenser l’accueil d’animaux sauvages sur les bâtiments, plutôt qu’une installation aléatoire de nichoirs ou d’abris. La logique de l’animal-aided design (Weisser & Hauck, 2017) consiste à s’appuyer sur une connaissance fine des espaces pour concevoir les aménagements urbains et architecturaux. En France, les bâtiments de l’école des sciences et de la biodiversité de Boulogne, dont les parois sont conçues de façon à intégrer des nichoirs (mésanges, martinets) et accueillir la végétation spontanée en est un bon exemple (cf. https://www.ahecologie.fr/boulogne-ecole-de-la-biodiversite ). De même, lors de la rénovation du collège Paul Arène à Sisteron, la façade a été isolée et rénovée en tenant compte et en préservant une population importante de Molosses de Cestoni (Colombo, 2018), une espèce (de chauve-souris) protégée et repérée sur le site avant les travaux. Ces exemples ouvrent la voie à de nouvelles formes de coopération entre architectes et écologues.

Intégrer la biodiversité dans un projet de construction ou de rénovation se prépare très en amont et suppose d’associer dès le départ des écologues et des naturalistes. Ces derniers interviennent lors des études préalables en réalisant un diagnostic écologique – cela implique des inventaires faunistiques, floristiques et des habitats permettant d’identifier les enjeux du site et ses fonctionnalités écologiques, pour ensuite évaluer l’impact du projet. Les écologues quant à eux, qui assurent le lien avec l’équipe-projet, sont consultés sur les choix de programmation, de conception et d’architecture afin d’intégrer le vivant dans toutes les composantes du projet. De fait, les solutions ne se limitent pas à la végétalisation des toitures ou façades, mais consistent aussi à limiter les impacts du chantier, à préserver les sols et la pleine terre* dans les opérations et à décliner les trames vertes, bleues et noires* au sein du projet (voir les Regards R72 et R98).

L’apport des « solutions fondées sur la nature »

Une progression dans les rapports de co-construction entre paysagistes et écologues a sans doute été permise grâce au concept de solutions fondées sur la nature (SFN)*, dont l’objectif est d’articuler le défi climatique avec celui de la biodiversité (Morère et al., 2021). Les SFN renvoient à un large éventail d’actions allant de la protection ou de la restauration à la création de nouveaux écosystèmes, dans un but d’adaptation au changement climatique. Face à la recrudescence des risques d’inondation, de plus en plus de collectivités s’engagent par exemple dans la restauration de zones humides permettant l’expansion des crues et la réouverture de rivières urbaines. Issue d’un processus de co-construction entre écologues, paysagistes et hydrologues, la création de la zone d’expansion des crues du Vignois à Gonesse est l’un des exemples les plus aboutis de solutions fondées sur la nature*. Sur 12 hectares, cette zone humide offre une diversité d’habitats (prairies, roselières, saulaies et bosquets) et présente différents régimes hydrologiques lui permettant de stocker jusqu’à 55 000 m3 d’eau et protéger les citoyens des inondations causées par les débordements du Croult, tout en offrant une nouvelle zone pour le développement de riches communautés végétales, animales et fongiques (champignons). [Voir le Regard R72]

Fig.6 : La zone d’expansion des crues du Vignois à Gonesse. (© Rudy Bueno, SIAH )

En zone urbaine dense, le recours aux espaces végétalisés comme alternative à la gestion des eaux pluviales se déploie également. Ces techniques ont pour avantage de s’appuyer sur le stockage temporaire ou l’infiltration directe de l’eau dans les sols par la création de multiples espaces végétalisés (noues, mares, jardins de pluies, bassins végétalisés), en complément ou remplacement des infrastructures « grises » (cuves en béton, bassins artificiels). Plusieurs études confirment l’intérêt de ces dispositifs pour la biodiversité (Monberg et al., 2018) mais soulignent également des marges d’amélioration, tant dans la conception (amélioration de la diversité structurelle, choix des végétaux, connectivité) que dans la gestion (réduction de la tonte, piétinement) pour garantir un impact positif sur la biodiversité (Oertli et al., 2019).

De la gestionnite aigüe[5] au laissez-faire : un pas de géant

Des approches moins interventionnistes ont également leur place en ville, bien qu’elles bousculent les codes et renvoient à notre acceptation ou non du sauvage. Au cœur de ce défi, les friches urbaines* reviennent régulièrement dans les débats. Considérées comme des réserves foncières, elles participent pourtant à la conservation de la biodiversité en milieu urbain (Muratet et al, 2021 ; Bonthoux et al, 2014). En région parisienne, la diversité des plantes, des oiseaux et des papillons dans les friches est plus élevée que dans les espaces verts entretenus (Baude et al, 2011).

La surface totale des friches* a considérablement diminué depuis les années 1990 en Île-de-France, alors qu’elles sont pourtant indispensables à toute planification écologique d’un territoire. Leur structure, leur composition et leur trajectoire de libre évolution en font des refuges pour de nombreuses espèces fuyant habituellement les villes (ex. Bouillon blanc, Chardon crépu, Fauvette grisette) [6]. Outre leur rôle écologique, elles participent aussi à une gamme de services sociaux, culturels et de santé (Trentanovi, 2021).

Bien que certaines friches puissent constituer un gisement opportun de terres potentiellement exploitables, pour la densification urbaine, d’autres sont devenues des espaces de nature à part entière. Elles représentent parfois même les derniers espoirs de recréer des ilots végétalisés dans des secteurs fortement urbanisés. Une meilleure connaissance des friches et une reconnaissance de leur statut d’espace non géré s’avère nécessaire pour une stratégie ambitieuse d’écologie urbaine.

En Allemagne, cette dynamique de colonisation spontanée a particulièrement été étudiée et mise en œuvre dans les forêts urbaines spontanées de Berlin (Kowarik, 2005). Certains parcs emblématiques de la ville sont issus de cette approche, à l’image du Natur-park Schöneberg Südgelande, fruit de la renaturation* d’un ancien site ferroviaire laissé à l’abandon. Cet espace de 18 hectares est resté inaccessible pendant près de 50 ans, avant l’ouverture au public en 2000. Sa conception a préservé les essences existantes, sans intégrer de nouvelles plantations. L’entretien du parc est minimal et se limite aux cheminements. A Epinay-sur-Seine, dans le nord de l’Île-de-France, une ancienne friche* de 1,5 hectares menacée par un projet d’aménagement a été transformée en « réserve écologique ». Le site a été divisé en plusieurs zones dont des lieux ouverts à tous, des jardins familiaux et jardins partagés et enfin, une zone laissée en libre évolution au centre du parc (cf. https://www.epinay-sur-seine.fr/la-reserve-ecologique-des-animations-au-rythme-de-la-nature/ ).

[5] Formule empruntée à Jean-Claude Génot, auteur de La nature malade de la gestion (Sang de la Terre, 2010)

[6] https://www.enlargeyourparis.fr/societe/il-faut-accepter-que-la-nature-se-debrouille-souvent-mieux-sans-nous

Fig.7 : Dans le parc de la réserve écologique d’Epinay-sur-Seine, certaines zones sont laissées en libre évolution
(Cliché Marc Barra).

 

Les limites de la densité urbaine

Au-delà des friches, la mise en œuvre de l’objectif « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN) ravive le débat autour de la densification des villes et ses impacts sur la biodiversité (Barra & Clergeau, 2020). [Notons que la mise en œuvre du ZAN requiert une stratégie complexe, qui vise d’une part à réduire l’étalement urbain en encourageant le renouvellement et la densification des bâtiments, et d’autre part à restituer les surfaces consommées par l’urbanisation à l’aide de stratégies de renaturation*. Ce principe est décliné dans la Loi n°2021-1104 portant sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets (août 2021), qui fixe l’obligation de définir un objectif de réduction de la consommation d’espace à l’horizon 2031 et une trajectoire permettant d’atteindre l’objectif ZAN à l’horizon 2050. Cet objectif doit être traduit dans les documents de planification au niveau régional (SRADDET, SDRIF), avant d’être ensuite décliné aux niveaux intercommunal et communal (SCoT, PLU/i). ]

Si la densification des bâtiments fait partie des solutions inévitables pour freiner l’étalement urbain, une sur-densification pourrait contribuer à réduire encore davantage les surfaces disponibles pour le vivant. La densité n’est pas le seul paramètre affectant la biodiversité urbaine, mais elle est susceptible de renforcer les autres pressions qui s’exercent sur elle (fragmentation, réduction des surfaces disponibles, dérangement, augmentation de l’ilot de chaleur, etc.). L’enjeu est bien d’augmenter l’offre en espaces de nature, pas de la maintenir à un niveau déjà très bas.

Les conditions nécessaires à l’accueil de la biodiversité en ville sont variables mais renvoient souvent aux mêmes principes qui peuvent servir de cadre pour les collectivités. A commencer par la taille des espaces végétalisés. A travers l’analyse de 75 métropoles, des chercheurs suggèrent qu’une surface minimale de 4,4 ha d’un seul tenant est nécessaire pour agir comme support pour des espèces dites urbanophiles* (Beninde et al. 2015). En ce qui concerne les espèces plus sensibles à l’urbanisation (urbanophobes*), cette surface passe à 53,3 ha. Au-delà de la surface, la connectivité entre ces espaces via des corridors écologiques importe tout autant et la multiplication de petits espaces verts de toute petite taille est également à prendre en compte dans le maillage vert urbain (Vega, K. A., & Küffer, C., 2021).

Fig.8 : Autre vue de Toulouse – au premier plan, des cormorans sur la Garonne (cliché A. Teyssèdre, 2021)

Si les composantes des trames vertes et bleues sont matérialisées dans chaque région à travers les Schéma Régionaux de Cohérence Ecologique (SRCE) et Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), l’enjeu pour les collectivités est de réussir à décliner de manière opérationnelle ces trames jusqu’au cœur des zones urbaines denses ainsi que dans les projets d’aménagement (voir le Regard R72 de Romain Sordello, 2017). Plusieurs villes se sont engagées dans cette voie, à l’image de l’Eurométropole de Strasbourg et son « tissu naturel urbain » réalisé à partir de l’étude du déplacement de plusieurs espèces dont l’Écureuil roux (Sciurus vulgaris)[7] dont les résultats sont aujourd’hui déclinées dans toutes les pièces du Plan Local d’Urbanisme (PADD, règlements, OAP, etc., cf. http://www.capitale-biodiversite.fr/experiences/integration-de-la-tvb-dans-le-plui).

D’autres études ont mis en évidence l’importance de la densité du couvert végétalisé au sein de la matrice urbaine (Threlfall et al, 2016). Dans une étude réalisée en Pologne (Szulczewska et al, 2014) sur plusieurs quartiers, des chercheurs suggèrent qu’un minimum de 45 % de zones couvertes par la végétation en pleine terre* est nécessaire pour assurer une stabilité environnementale à cette échelle (indice RBVA [8]). Une étude américaine (Cox et al. 2017) précise de son côté qu’un minimum de 30 % de zones couvertes par de la végétation ou par l’eau, dans un rayon de 250 m autour d’une habitation, permet d’améliorer la santé des habitants et de limiter le déclin de la biodiversité.

Quelle proportion en surface des villes dédier à la nature, en tenant compte des impacts de l’urbanisation à l’échelle régionale?  La question est complexe. Alors que la stratégie du « land sparing » vise à concentrer les zones urbanisées afin de maintenir de larges espaces ouverts à proximité, où la biodiversité pourra prospérer plus librement (Soga et al., 2014), celle du « land sharing » propose un développement urbain plus étendu où les espaces végétalisés sont plus fragmentés mais mêlés aux habitations (Stott et al., 2015). L’impact de ces modes d’organisation urbains sur les espèces est différent selon les espèces et se prête à d’intenses débats (Reigner, 2017). Maintenir des continuités écologiques* et faire varier les formes et morphologies urbaines au sein d’un même quartier (hauteur des bâtiments, disposition, orientation) semble un compromis intéressant pour créer des conditions variables pour le vivant (Flégeau, 2021). Ces principes généraux pourraient se décliner dans les documents d’urbanisme et sous la forme de coefficients de végétalisation et/ou pleine terre* pour encourager les collectivités à inverser le rapport entre espaces bâtis et non-bâtis.

[7] http://www.set-revue.fr/comment-concevoir-des-continuites-ecologiques-en-milieu-urbain

[8] L’étude s’appuie sur l’indice appelé RBVA ou Ratio of Biologically Vital Areas, correspondant au pourcentage d’espaces couverts par la végétation à l’échelle d’un quartier. Différents niveaux de RBVA ont été comparés, sur la base d’inventaires d’espèces et de calcul de paramètres climatiques.

 

Fig.9 : Un coefficient de pleine terre* pourrait encourager les collectivités à inverser le rapport entre espaces bâtis et non-bâtis (Cliché Marc Barra).

Désartificialiser et renaturer les villes : un nouvel Eldorado?

Dans certaines zones urbaines déjà trop minérales, ne faudrait-il pas simplement dé-densifier ? Sans aller jusqu’à la déconstruction de bâtiments (possible dans certains cas), de nombreuses zones minéralisées telles que les parkings surdimensionnés, les cours d’écoles ou d’immeubles, les berges bétonnées et l’espace public résiduel représentent un potentiel immense pour laisser la nature reprendre ses droits [9].

Un nombre croissant de villes s’intéressent à la désartificialisation des sols revêtus ou bâtis et à leur renaturation*. En France, plusieurs initiatives locales ont émergé dans le cadre d’appels à projets ou de démarches portées par les communes (permis de végétaliser, budgets participatifs). Les actions prennent des formes variées, tantôt centrées uniquement sur la désimperméabilisation au titre de la gestion des eaux pluviales, tantôt couplant la désimperméabilisation à une renaturation* des sols.

A Rennes, l’AUDIAR (Agence d’urbanisme de Rennes) travaille sur une cartographie des espaces à désimperméabiliser, en lien avec le mouvement DEPAVE initié aux États-Unis et au Canada ([10] et voir l’encart n°4). La ville de Caen quant à elle a lancé en 2020 un programme ambitieux de déminéralisation et de végétalisation des alignements d’arbres présents sur ses trottoirs et sa voirie, et prévoit de retirer à terme quatre hectares de revêtement du sol d’ici 2023. A Strasbourg, dans le cadre du programme « Strasbourg ça pousse », une enveloppe conséquente est strictement réservée à des projets de déminéralisation de l’espace public (https://www.strasbourgcapousse.eu/). Si ces initiatives peuvent paraitre anecdotiques compte tenu de l’immensité des surfaces imperméabilisées, elles ont avant tout une fonction sociale, en impliquant les populations dans la renaturation* de l’espace public de proximité et en améliorant leurs conditions de vie.

La déconstruction de bâtiments reste rare, mais le cas de Cleveland aux États-Unis offre un exemple inédit de dé-densification de la ville et de reconstitution d’un réseau de milieux prairiaux participant activement à la trame verte urbaine. Entre 2006 et 2010, 5152 bâtiments (usines et maisons individuelles) ont été démolis, entrainant une augmentation importante du nombre de terrains vacants. La ville compte aujourd’hui près de 1 400 hectares de friches, dont une grande partie appartient à la municipalité. Cette situation inédite s’est transformée en opportunité pour étudier le rôle de ces espaces pour la biodiversité urbaine (Turo et Gardiner, 2019). A Besançon, le site des Prés de Vaux (ancienne friche industrielle abandonnée depuis 30 ans) a été en partie démoli et reconverti en un grand parc urbain post industriel de cinq hectares, centré sur le développement d’une flore spontanée pionnière et colonisatrice [11].

[9] L’étude s’appuie sur l’indice appelé RBVA ou Ratio of Biologically Vital Areas, correspondant au pourcentage d’espaces couverts par la végétation à l’échelle d’un quartier. Différents niveaux de RBVA ont été comparés, sur la base d’inventaires d’espèces et de calcul de paramètres climatiques.

[10] Dans le cadre du projet européen H2020 REGREEN, l’ARB îdF a conçu un outil SIG permettant d’identifier les zones urbaines à fort potentiel de renaturation* et identifier les sites imperméabilisés à renaturer en Île-de-France.

[11] http://www.capitale-biodiversite.fr/sites/default/files/Ateliers/documents/presentation-emmanuel-bouriau.pdf

Fig.10 : Les villes regorgent d’espaces inutilement asphaltés ou bétonnés sur lesquels la nature pourrait reprendre ses droits
(Cliché Marc Barra).


Encart n°4 : Sous les pavés, la vie

Ces dernières années, plusieurs initiatives de « dépavage » participatif d’espaces minéralisés ont émergé au Canada et aux États-Unis. Depuis 2005, le collectif « Depave » à Portland dans l’Oregon entreprend des actions de désimperméabilisation des sols avec le slogan « Sous le bitume, le paradis ». Cette initiative a inspiré une dynamique similaire au Canada intitulée « Sous les pavés » et portée par le Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM) au Québec. Ce projet d’urbanisme participatif vise à déminéraliser, à la main et de manière participative, des espaces publics et à vocation communautaire pour y aménager des espaces végétalisés. Les citoyen.ne.s sont impliqués tout au long du processus depuis la recherche d’un site, des ateliers de co-construction, la validation du projet final, des journées de dépavage et de plantation, et enfin lors de l’inauguration du site réaménagé. Les espaces sélectionnés sont compris entre 100 et 300 m². Cf. https://souslespaves.ca/


Les villes : problème ou solution ?

Alors que la couverture urbaine mondiale ne représentait que 0,5 % de la totalité des terres émergées dans les années 2000, elle devrait avoir triplé et gagné 1,6 million de kilomètres carrés en 2100 (Gao & O’Neill, 2020). En France, près de 30 000 hectares ont été artificialisés chaque année, entre 2009 et 2019. La France est le pays européen qui artificialise le plus ses sols, à un rythme quatre fois supérieur à celui de l’augmentation de la population (Fosse et al, 2019). Bien que l’espoir d’une artificialisation « nette » des sols soit séduisant sur le papier, trouver suffisamment de sites à renaturer chaque année peut s’avérer difficile voire illusoire dans certaines régions.

Cet écueil, déjà mis en évidence dans le cadre de la séquence ERC* (Eviter, Réduire, Compenser), plaide en faveur de politiques d’aménagement plus sobres en évitant de sans cesse rechercher des sites pour accueillir des mesures réparatrices qui, par ailleurs, n’atteignent pas les objectifs escomptés en matière d’absence de perte nette de biodiversité (Weissgerber et al., 2019). Faire la ville-nature est devenu indissociable d’une trajectoire de sobriété. « Faut-il encore construire ? », s’interroge Philippe Madec, architecte co-fondateur du mouvement pour la frugalité heureuse et créative (https://www.frugalite.org/fr/le-manifeste.html). Dans son dernier ouvrage, le géographe Guillaume Faburel souhaite quant à lui « en finir avec les grandes villes et la métropolisation »[12]. A l’origine de la « Société écologique du post-urbain » (https://www.post-urbain.org/), il nous invite à délaisser les métropoles et réinvestir les campagnes qui se vident, comme un écho à Alphonse Allais : « les villes devraient être construites à la campagne, l’air y est tellement plus pur ».

[12]  https://www.lepassagerclandestin.fr/catalogue/essais/pour-en-finir-avec-les-grandes-villes-manifeste-pour-une-societe-ecologique-post-urbaine/#:~:text=L’ann%C3%A9e%202020%2C%20marqu%C3%A9e%20par,urbaine%20apporte%20une%20r%C3%A9ponse%20claire.

Fig.11 : Diane au Jardin, Toulouse (cliché A. Teyssèdre, 2021)


Glossaire

  • Continuité écologique : Les continuités écologiques correspondent à l’ensemble des « réservoirs de biodiversité » et des éléments, appelés « corridors écologiques », qui permettent à une population d’espèces de circuler et d’accéder à ces réservoirs. La Trame Verte et Bleue, concept issu des travaux du Grenelle de l’Environnement en 2017, est constituée de l’ensemble des continuités écologiques. Le concept de trames renvoie à l’objectif de maintenir ou reconstituer un réseau permettant aux espèces animales et végétales de se déplacer et d’accomplir les étapes nécessaires à leur cycle de vie. La politique TVB est déclinée à l’échelle régionale dans les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE), puis aux échelles infrarégionales dans les documents d’urbanisme, chartes de parcs naturels régionaux, etc. Aujourd’hui, de nouvelles trames sont conceptualisées par les scientifiques et concernent l’ensemble des compartiments de l’espace – air, surface, sol – habités par la biodiversité, avec par exemple la trame noire (empruntée par les espèces nocturnes), brune (empruntée par les espèces du sol), aérienne (empruntée par les espèces volantes) (Sordello, 2021), ou encore l’absence de bruits anthropiques excessifs (trame blanche).
  • Espèce urbanophile : Espèce fortement dépendante des humains pour leur nourriture et abris, ou ayant trouvé des conditions écologiques en ville proches de leur environnement d’origine (ex. La Cymbalaire des murs, la Fouine, le Pigeon biset, le Moineau domestique) (Muratet et al, 2019).
  • Espèce urbanophobe : Espèce qui a tendance à fuir le milieu urbain ou qui va disparaitre après un processus d’urbanisation, du fait de la perte de son habitat, des ressources nécessaires à sa survie, ou du fait des nuisances occasionnées par les zones urbaines. Les espèces ayant besoin d’une aire de répartition importante sont souvent affectées par l’urbanisation, comme certains rapaces ou mammifères (ex. renards). Certaines espèces parviennent également à s’acclimater au milieu urbain et s’y maintiennent tant bien que mal, sans pour autant en tirer profit. On parle alors d’espèces tolérantes.
  • Fonge : L’ensemble des champignons d’un pays, d’une région, etc.
  • Friches : Il n’existe pas de définition unanimement partagée des friches. Il peut s’agir d’anciennes zones industrielles, de terrains vagues, d’anciens jardins ou parcelles agricoles à l’abandon. Bien qu’abandonnés, ces espaces peuvent abriter une flore et une faune très riche, qui évolue librement. Récemment, la loi Climat et Résilience (n°2021-1104 du 22 août 2021) a créé un article dans le Code de l’urbanisme (L.111-26) définissant la friche comme « tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l’état, la configuration ou l’occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables ». Cette définition ne considère les friches que sous la forme de réserves foncières, alors qu’elles sont aussi des espaces à protéger pour la biodiversité.
  • Mycorhize : associations symbiotiques contractées par les racines des végétaux avec certains champignons du sol. La mycorhization est indispensable pour 80 % des plantes à racines.
  • Naturalité : Le concept de naturalité, adaptation francophone de wilderness, est de plus en plus communément utilisé dans la littérature pour désigner un espace à fort caractère naturel n’ayant subi que peu ou pas de perturbation ou de dégradation par l’être humain : son état est vierge ou presque vierge. Il renvoie à l’intégrité biophysique, la spontanéité et les continuités spatio- temporelles au sein d’un espace naturel (Guetté et al, 2018). Ce concept peut être utilisé pour définir différentes qualités, parfois antagonistes, d’un espace, en parlant de faible ou de forte naturalité. En milieu urbain, il peut s’avérer intéressant de distinguer les espaces végétalisés à faible naturalité (gazons, jardins horticoles) dont la qualité écologique est faible des espaces végétalisés à forte naturalité (friches, milieux non gérés ou abandonnés) qui présentent davantage de similarités avec les espaces naturels.
  • Pleine terre : La notion de « pleine terre » ne fait pas l’objet d’une définition partagée ni d’un consensus scientifique. Plusieurs critères peuvent être pris en compte, comme le revêtement en surface, la continuité verticale et la profondeur jusqu’à la roche mère, la continuité horizontale (ou trame brune), la qualité physico-chimique et biologique, et la perméabilité. Au-delà d’une approche binaire, il paraît judicieux d’aborder cette notion sous la forme d’un “gradient”, dans lequel on pourrait distinguer la pleine terre stricte (ou sols urbains à caractère naturel, en continuité avec le sous-sol) ; la pleine terre dégradée (sols tassés, déstructurés, remblayés ou pollués) nécessitant des travaux de restauration, la pleine terre partielle (tolérance d’une profondeur minimale correspondant aux besoins des arbres, à atteindre dans les secteurs urbains denses héritant d’un sous-sol déjà artificialisé ou sur dalle) et l’absence de pleine terre (espaces totalement revêtus par des infrastructures ou espaces sur dalle ne bénéficiant pas d’une profondeur suffisante pour les arbres). Définir la pleine terre nécessite donc au préalable une bonne connaissance des sols et la mise en place d’outils cartographiques pour évaluer leur état au regard de ces différentes dimensions.
  • Renaturation : Au sens large, la renaturation renvoie à des actions intentionnelles ou non pour restaurer des écosystèmes qui ont été dégradés, endommagés ou détruits par les activités humaines. Dans le cadre de l’objectif zéro artificialisation nette, la renaturation est définie comme « des actions ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialise en un sol non artificialisé ». La renaturation est parfois confondue avec la désimperméabilisation, qui consiste uniquement à redonner une perméabilité à la couche superficielle du sol, souvent grâce au recours à des revêtements poreux et drainants. Elle est un préalable indispensable mais insuffisant à la restauration des fonctions écologiques du sol. La renaturation implique donc le retour à la pleine terre. Les aménagements hors-sols (toitures végétalisées, potagers urbains en bacs, espaces végétalisés sur dalle, murs végétalisés modulaires, etc.), qui peuvent participer à une meilleure gestion des eaux pluviales, ne rentrent pas dans la catégorie des espaces renaturés.
  • Séquence ERC (Eviter, Réduire, Compenser) : inscrite dans le corpus législatif et réglementaire depuis la loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature, cette séquence se met en œuvre lors de la réalisation de projets ou de plans/programmes et s’applique à l’ensemble des composantes de l’environnement (article L.122-3 du code de l’environnement), soit un champ d’application très large recoupant plusieurs codes. Ce principe implique « d’éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées. Après plusieurs décennies, l’application de la séquence ERC présente toujours de nombreuses faiblesses et dans plusieurs cas, ne remplit pas son objectif d’absence de perte nette de biodiversité (Weissgerber et al, 2019).
  • Solutions fondées sur la nature : L’Union Internationale de Conservation de la Nature définit les solutions fondées sur la nature comme « les actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés pour relever directement les défis de société de manière efficace et adaptative, tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité » (UICN, 2016).

Cliché A. Teyssèdre

Remerciements

Ce Regard s’inspire d’un article écrit par l’auteur pour le Routledge Handbook of Urban Biodiversity (à paraitre), ainsi que de l’ouvrage « Renaturer les villes : méthode, exemples et préconisations » de l’ARB Ile de France, co-écrit avec Gwendoline Grandin et Gaëtane Deboeuf De Los Rios (à paraitre courant 2022). L’auteur remercie Anne Teyssèdre, Hemminki Johan et Gilles Lecuir pour leurs relectures.

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Bibliographie

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Regards connexes :

Regards sur la ville : https://sfecologie.org/tag/ville/

Regards sur les habitats : https://sfecologie.org/tag/habitats/

Sur les relations Homme-Nature : https://sfecologie.org/tag/relation-homme-nature/

Sur le fonctionnement des écosystèmes : https://sfecologie.org/tag/fonctionnement/

Sur la préservation de la biodiversité : https://sfecologie.org/tag/preservation-biodiversite/

Sur gestion et gouvernance : https://sfecologie.org/tag/gestion-et-gouvernance/

Sur les services écosystémiques : https://sfecologie.org/tag/services-ecosystemiques/

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Regard édité et mis en ligne par Anne Teyssèdre.

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