Dans les écosystèmes marins tempérés, de nombreuses espèces de poissons, notamment celles d’intérêt halieutique, suivent un cycle de vie basé sur le modèle du triangle de migration de Harden-Jones (1968). Les zones de reproduction, appelées frayères, se situent généralement au large, tandis que les larves dérivent vers des nourriceries situées dans les zones côtières et estuariennes, où les juvéniles se développent. Cette dérive assure la connexion entre les frayères et les nourriceries, une étape essentielle pour la survie des oeufs et des larves, fortement influencée par les conditions environnementales abiotiques et biotiques rencontrées. Leur survie impacte directement le maintien et le renouvellement des stocks de poissons par le processus du recrutement.

La Zone Fonctionnelle Halieutique (ZFH) désigne une zone dans laquelle se déroule au moins une phase clé du cycle de vie des ressources halieutiques, comprenant les frayères, les nourriceries et les voies de migration (Delage & Le Pape, 2016). Ces zones visent principalement à protéger les espèces exploitées ou susceptibles de l’être. Il est donc essentiel d’identifier les zones auxquelles se concentrent les individus à un stade de vie particulier et d’évaluer leur contribution au stade de vie suivant. En Manche Est, les nourriceries sont relativement bien connues (Carpentier et al., 2009; Rochette et al., 2010), mais la cartographie précise des frayères reste encore incomplète. Pourtant, localiser ces frayères fournit des informations cruciales sur la biologie reproductive des populations halieutiques, améliorant ainsi les prévisions du recrutement en intégrant des facteurs comme la qualité de l’habitat, le potentiel reproductif et les conditions environnementales.

Les méthodes traditionnelles d’identification des oeufs de poissons reposent souvent sur des critères taxonomiques, qui peuvent être limités par la taille et l’absence de caractères morphologique facilement distinctifs des oeufs. Lorsque ces critères morphologiques s’avèrent insuffisants, les techniques moléculaires basées sur l’ADN offrent une identification plus précise des espèces, ce qui est particulièrement utile dans des environnements abondants en espèces similaires, notamment lors de la période de reproduction des poissons au printemps. Les méthodes moléculaires, via le séquençage de marqueurs différenciant entre espèces (e.g. rDNA, CO1) ont permis de surmonter les limitations des approches morphologiques traditionnelles et d’améliorer l’identification des espèces (Hou et al., 2022; Mateos‐Rivera et al., 2020). Ces approches moléculaires peuvent être appliquées sur l’ADN extrait d’oeufs isolés et/ou sur des communautés de plusieurs d’espèces (bactéries, phytoplanctons, poissons…) par metabarcoding de l’ADN environnemental (ADNe). La combinaison des méthodes taxonomiques et moléculaires s’avère indispensable pour mieux caractériser la diversité des oeufs et des espèces de poissons présents (Lelièvre et al., 2010).

L’estimation de l’abondance des oeufs de poissons est essentielle pour mieux comprendre les comportements de ponte et localiser les frayères. Diverses méthodes ont été développées pour échantillonner et estimer les abondances en oeufs de poissons. Traditionnellement, ces estimations proviennent du comptage d’oeufs des échantillons collectés au filet à plancton. Plus récemment, l’analyse de l’ADNe s’est développée comme un outil permettant d’évaluer la diversité et également d’estimer l’abondance des espèces. Cette méthode repose sur la détection des fragments d’ADN relâchés par les organismes dans leur environnement, lesquels sont ensuite analysés pour en déterminer leur présence et
leur abondance, en corrélant le nombre de séquences d’ADNe pour chaque espèce avec les abondances issues des méthodes de comptage traditionnelles (Pont et al., 2023).

Ce projet de stage vise donc à identifier et caractériser les frayères printanières des espèces de poissons en Manche Est. Les objectifs de ce stage seront les suivants :
– Évaluer la diversité taxonomique et génétique des oeufs de poissons à partir des oeufs isolés qui seront identifiés individuellement par des méthodes taxonomiques traditionnelles, basées sur l’observation des critères morphologiques, et des approches moléculaires basées sur le séquençage de marqueurs génétiques (ADN ribosomique, CO1).
– Déterminer les répartitions spatiales et les abondances d’oeufs de poissons au printemps en Manche Est à partir d’une double approche de comptages morphologiques traditionnels et par le metabarcoding (ADN ribosomique, CO1) appliqués sur les pools d’oeufs collectés à chaque site.
– Identifier les frayères au printemps et cartographier la répartition spatiale des espèces phytoplanctoniques et de poissons (oeufs, larves, juvéniles, adultes) par ciblage metabarcoding de l’ADNe. Les données de diversité des espèces seront analysées en lien avec les conditions environnementales via des analyses géostastistiques.

L’étudiant.e retenu.e devra mettre en place les méthodologies traditionnelles d’identification des oeufs de poissons selon des critères taxonomiques, ainsi que des techniques moléculaires basées sur l’ADN (séquençage et metabarcoding ADNe) pour identifier et cartographier les frayères de poissons en Manche Est. La rédaction du rapport donnera lieu à une présentation des résultats obtenus et à une discussion sur les contributions des méthodes traditionnelles et moléculaires pour améliorer l’identification des frayères.

Ce projet s’appuiera sur des échantillons d’oeufs de poissons prélevés à l’aide de filets à plancton ainsi que sur des filtrations d’eau de mer pour l’analyse de l’ADNe, collectés lors d’une campagne d’échantillonnage au printemps 2024 dans le cadre du projet CARPAC. Un total de 31 stations a été échantillonné (Figure 1). Ce projet, mené en partenariat entre l’Ifremer et le Parc naturel marin des estuaires picards et de la mer d’Opale (PNEPMO), a pour objectif d’étudier la variabilité spatiale de l’habitat planctonique en analysant différentes composantes du plancton afin de relier la biodiversité planctonique aux conditions environnementales. Il vise également à délimiter et cartographier les frayères ainsi que les zones de dérive larvaire le long de la côte française en Manche Est.

Compétences requises et qualités personnelles
– Niveau Master 2 en écologie marine ;
– Connaissances sur la dynamique des populations et de leurs environnements ;
– Compétences en méthodes taxonomiques et moléculaires ;
– Maîtrise des outils statistiques (R) et cartographiques (SIG) ;
– Rigueur, méthode, sens de l’organisation et qualités rédactionnelles ;
– Esprit d’initiative et d’ouverture.

Compétences acquises
– Identification des oeufs de poissons (approches taxonomique) ;
– Utilisation de méthodes moléculaires (séquençage et metabarcoding ADNe) ;
– Traitement de données statistique (R) et cartographique (SIG) ;
– Compréhension des distributions des populations et de l’influence de l’environnement.

Pour postuler, veuillez envoyer votre candidature (CV et lettre de motivation) à jeremy.denis@univ-littoral.fr et michele.pernak@ifremer.fr.

Références bibliographiques
Carpentier, A., Martin, C. S., & Vaz, S. (2009). Channel Habitat Atlas for marine Resource Management, final report / Atlas des habitats des ressources marines de la Manche orientale, rapport final (CHARM phase II). INTERREG 3a Programme. IFREMER, Boulogne-sur-mer, France.
Delage, N., & Le Pape, O. (2016). Inventaire des zones fonctionnelles pour les ressources halieutiques dans les eaux sous souveraineté française. Première partie : définitions, critères d’importance et méthode pour déterminer des zones d’importance à protéger en priorité. UMR ESE, Ecologie et santé des écosystèmes, Agrocampus Ouest, INRA Pôle halieutique Agrocampus Ouest, 35042 Rennes, France.
Harden-Jones, F. R. (1968). Fish migration, St. Martin’s. New York.
Hou, G., Chen, Y., Wang, J., Pan, C., Lin, J., Feng, B., & Zhang, H. (2022). Molecular Identification of Species Diversity Using Pelagic Fish Eggs in Spring and Late Autumn-Winter in the Eastern Beibu Gulf, China. Frontiers in Marine Science, 8, 806208.
Lelièvre, S., Verrez-Bagnis, V., Jerome, M., & Vaz, S. (2010). PCR-RFLP analyses of formalin-fixed fish eggs for the mapping of spawning areas in the Eastern Channel and Southern North Sea. Journal of Plankton Research, 32, 1527–1539.
Mateos‐Rivera, A., Skern‐Mauritzen, R., Dahle, G., Sundby, S., Mozfar, B., Thorsen, A., … Krafft, B. A. (2020). Comparison of visual and molecular taxonomic methods to identify ichthyoplankton in the North Sea. Limnology and Oceanography: Methods, 18, 599–605.
Pont, D., Meulenbroek, P., Bammer, V., Dejean, T., Erős, T., Jean, P., … Valentini, A. (2023). Quantitative monitoring of diverse fish communities on a large scale combining EDNA metabarcoding and QPCR. Molecular Ecology Resources, 23, 396–409.
Rochette, S., Rivot, E., Morin, J., Mackinson, S., Riou, P., & Le Pape, O. (2010). Effect of nursery habitat degradation on flatfish population: Application to Solea solea in the Eastern Channel (Western Europe). Journal of Sea Research, 64, 34–44.

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